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 on s'amarre (miggart)

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Mihail Popescu

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MessageSujet: on s'amarre (miggart)   on s'amarre (miggart) EmptyMer 27 Juin - 17:27

C'est pas sa tragédie à lui. Il a pas le droit de se décomposer. Ronnie est morte. Il a pas cherché à savoir ce qui s'est passé, ça n'a pas la moindre importance dans l'immédiat. Tout ce qui compte c'est qu'elle est morte. Elle est morte et c'est Eoin qui l'a trouvée. Elle est morte et Eoin est encore vivant. Sa tragédie, à Mihail, c'est celle-là. C'est la souffrance d'Eoin contre laquelle il ne pourra rien faire, c'est ce cœur qu'il a senti se briser jusqu'au fond du sien et qui ne sera plus jamais entier. Il a senti le monde se fendre en deux mais Ronnie n'était pas son monde à lui, lui il a pas le droit d'éclater en morceaux. Il faut qu'il arrive à ravaler ces putains de larmes qui n'arrêtent pas de couler et qui lui attirent les regards curieux des passagers du bus. Il commence à trop bien connaître le trajet de ce maudit hôpital. Il commence à avoir envie de crever les yeux de tous ceux qui bavent visiblement d'envie de savoir ce qui lui arrive, aussi. Et puis il culpabilise parce qu'il pleure pour Eoin plus que pour Ronnie et ça fait sans doute de lui un monstre. Il culpabilise parce qu'il ne peut pas ramener Ronnie et il culpabilise parce que s'il pouvait la ramener il le ferait d'abord pour redonner à Eoin une chance d'être heureux. « J'suis désolé Ronnie, j'suis désolé putain, » il murmure planqué derrière ses avant-bras, le front appuyé sur ses paumes. Il ne parle pas vraiment tout seul. Il a l'impression qu'elle est là et elle lui fait sentir qu'il a intérêt à être un roc pour Eoin, maintenant. Il est un roc sacrément instable et humide pour le moment, mais promis ça va pas durer.

Il descend un arrêt trop tôt parce qu'il n'en peut plus d'attendre sans rien faire. Il termine le trajet à pieds, le pas vif et l'air déterminé de ceux qui savent parfaitement où ils vont et qu'ils ont un rôle à jouer quelque part. La vérité est moins évidente que ça mais il faudra qu'il fasse illusion auprès d'Eoin aussi. Quand il passe les portes de l'hôpital, ses yeux sont secs et l'air marin a chassé toute trace de détresse de son visage. Maintenant, il a seulement l'air grave, quelque chose de dur dans le regard, un trompe-l’œil destiné à dissimuler la brèche qui s'est ouverte en lui. Il trouve Eoin dans un coin du hall. L'avoir sous les yeux n'arrange rien, ça ne l'aide pas à trouver les bons mots ni les bons gestes, parce qu'il n'y a aucun bon mot, parce qu'il n'y a rien à faire. Il n'a jamais vraiment connu de deuil, jamais été le soutien d'une personne en deuil, encore moins celui de son meilleur ami. Il est en terrain inconnu mais il doit faire semblant de ne pas être complètement perdu. « Eoin. » Ravale tes larmes, ravale tes putains de larmes. C'est pas toi qui pleures ici, toi t'es juste l'épaule qui recueille ses larmes à lui. Et y a qu'une façon de faire ça. Il le prend dans ses bras sans lui laisser le choix, c'est peut-être pas bien, il sait pas, mais ça lui évite de le regarder dans les yeux et le regarder dans les yeux une seconde de plus aurait eu raison de sa résolution. Être un roc. Être ce dont Eoin a besoin, quoique ça puisse être. « T'es pas obligé d'me parler. Tu peux aussi faire que ça si c'est c'que tu veux. » Mais peut-être qu'il sait pas ce qu'il veut. Peut-être qu'il sait plus rien. Pas plus que lui. « J'suis désolé. » À tellement de niveaux.
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MessageSujet: Re: on s'amarre (miggart)   on s'amarre (miggart) EmptyMer 27 Juin - 22:50

Il sait pas quand est-ce qu’il a commencé à ressentir quelque chose pour Mihail. Il sait pas quand l’envie s’est transformée en autre chose, quand le désir s’est mué en quelque chose de plus douloureux. Il sait pas. Peut-être que c’est quand il a commencé à faire confiance, peut-être que c’est lorsque le tube de rouge à lèvres a roulé au sol, peut-être que c’est quelque part au milieu des kidnappings, lorsque le paquet de chips a atterri sur les draps en même temps que son colocataire. Peut-être. Il sait pas quand c’est arrivé mais il est presque sûr que c’est pas très important, pas à cet instant, pas alors qu’il triture le téléphone qu’il a raccroché quelques secondes auparavant, les yeux rivés sur la porte et le cœur dans la gorge. C’est pas pareil, avec Mihail. C’est pas pareil qu’avec Casper parce que le souvenir qu’a Casper de Veronica est lointain, parce qu’il l’a connu de loin, parce que c’est un souvenir moins qu’une réalité. C’est pas pareil, avec Mihail, parce qu’il l’a rencontrée, parce qu’il a vu Eoin au plus bas, parce qu’il est déjà passé par là, parce que c’était pareil et différent en même temps, parce que la vie a trouvé un moyen de faire pire et de le niquer. C’est pas pareil, avec Mihail, parce qu’il est encore là et qu’Eoin s’en étonne à chaque fois.

Il se retient de se lever, lorsque Mihail passe la porte, se retient de courir vers lui, se retient de se jeter dans ses bras. Il attend, les mains sous les cuisses et les yeux rivés sur lui, guette le prochain mouvement, le prochain mot, le prochain geste. Il s’attend pas à ça. Il s’attend pas à grand-chose, en réalité, il se laisse pas réconforter, en général, il permet pas, il monte les boucliers, il fait le fier, il essaye de tout effacer, de pas se montrer faiblir, de pas s’exposer. Il s’attend pas à se laisser faire, cette fois-là, il s’attend pas à se laisser couler contre Mihail, à libérer ses mains pour lui rendre son étreinte, agripper ses mains à son dos, le visage enfoui dans son pull et les yeux fermés pour éviter de pleurer. Il peut pas craquer. Il peut pas. C’est pas possible. C’est pas qu’il veut pas, c’est qu’il est pas sûr qu’il pourra continuer à exister après, s’il pourra faire ce qu’il doit faire, s’il pourra respirer. Ce serait le bon moment, pourtant, planqué de tout dans les bras de Mihail. Ce serait le bon moment et peut-être que ça commence à couler, en réalité, à dévaler lentement sur ses joues dans le plus grand des silences, ses doigts crispés qui tremblent contre le tissu.

Mihail lui dit qu’il peut se taire mais il a trop de choses à dire, malgré les larmes et les sanglots, malgré la douleur qui entrave son torse. Mihail lui dit qu’il est pas forcé de parler mais c’est ce qu’il fait de mieux, parler. Mais pas de lui, jamais. Parler du monde, parler des autres, parler de sa famille, parler de ses réussites, bien sûr. Parler de lui, non, pourtant c’est ce qu’il doit faire, à ce moment-là, parler du vide et du paquet sous son lit et du livre sur sa table de chevet, parler des deux fils qui le maintiennent au-dessus du vide, de la force insignifiante qui l’a empêchée de basculer.

« Merci. » Il murmure, entre deux hoquets, le front fermement pressé contre l’épaule de Mihail pour échapper à ses yeux. « Mihail. » Il sait pas où il va, il sait pas ce qu’il a à lui dire. Il sait pas. Peut-être qu’il veut lui dire la vérité, finalement, et il se penche un peu plus comme pour se noyer dans ses bras. « J’ai peur de basculer. Je veux pas. Je veux vivre. » Il veut vivre alors que Veronica est plus là. Il veut vivre alors qu’elle est partie. Il veut vivre et ça sonne comme un aveux coupable, comme une trahison, comme un ultime renoncement. Il veut vivre et il lui tourne le dos. Il veut vivre et ça arrache un sanglot violent de son corps épuisé. « Je peux pas la suivre. »

Il y a trop de choses ici qui continue à compter alors que Veronica est partie.
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Mihail Popescu

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MessageSujet: Re: on s'amarre (miggart)   on s'amarre (miggart) EmptyJeu 28 Juin - 8:42

Il s'attendait à pire. C'est terrible à admettre mais c'est la vérité. Il avait peur de ne retrouver d'Eoin qu'un tas de vêtements mouillés par ses larmes, son corps liquéfié, il avait peur de le trouver perché au bord du vide sur le toit de l'hôpital, prêt à sauter, il avait peur de le retrouver en bas, trop tard, sa jeunesse pulvérisée sur le trottoir. Mais il veut vivre. Il veut vivre et pour la première fois depuis qu'il a reçu son texto Mihail sent l'air pénétrer ses poumons, c'est comme si jusque-là il avait retenu sa respiration, comme s'il avait espéré que le temps reste en suspens jusqu'à ce qu'il le rejoigne, jusqu'à ce qu'il puisse l'attirer contre lui pour sentir son cœur battre et ses mains s'agripper à lui en retour. Vivant, vivant, vivant. Il pousse un soupir de soulagement tout en raffermissant son étreinte, il assure sa prise, peur de le laisser filer, d'avoir crié victoire trop vite. Il passe une main dans ses cheveux, effleure du nez et des lèvres le sommet de son crâne, s'imprègne de l'odeur résiduelle du shampoing mêlée à la sueur et à celle de la maison, l'odeur d'Eoin, Eoin vivant qu'il tient entre ses bras. Ça n'empêche pas qu'il lui fend le cœur encore un peu plus quand il semble presque demander pardon d'avoir envie de vivre. « Non, tu peux pas. C'est une bonne chose, Eoin. »

Et maintenant qu'il est sûr qu'il est encore là, maintenant qu'il ne s'attend plus à le sentir s'évaporer sous ses doigts, il peut enfin tourner ses pensées vers Ronnie. Il peut enfin pleurer pour elle, sentir sa douleur à elle aussi, celle qui a guidé son geste. Il a deviné entre les mots qu'elle s'est suicidée, il le soupçonnait déjà. Il savait qu'elle n'arrivait pas à se remettre de sa longue séquestration. Il ne sait pas exactement ce qui a été mis en place comme aide psychologique pour toutes les victimes mais ça n'a pas été suffisant pour elle. Il se promet de mieux veiller sur sa mère à partir de maintenant, et ça craint qu'il ait fallu une chose pareille pour qu'il réalise à quel point elle pouvait avoir besoin d'aide. Dans quelques temps, peut-être qu'Eoin protestera contre ce raté des autorités, peut-être qu'il sortira ses bombes de peintures, son haut-parleur et ses banderoles pour dénoncer ceux qui se sont félicités trop vite d'un succès tout relatif. Il sait pas en fait si c'est le genre de combat qu'il mènerait, mais ça le rassure de penser qu'Eoin aura une raison d'être en colère après être passé par la culpabilité, il lui semble que c'est l'étape suivante et c'est tout ce que veut Mihail, pour le moment, voir Eoin franchir les étapes. Mais chaque chose en son temps.

Il embrasse ses cheveux, glisse une main sur sa joue trempée pour le regarder. Il s'attendait à pire mais ça n'est pas rien de voir Eoin pleurer, il s'attendait à pire mais c'est déjà une fin du monde en soi de le sentir s'abandonner au chagrin comme ça. « J'vais te sortir la pire banalité qui soit mais... C'est pas c'qu'elle voudrait. Que tu la suives. J'en suis sûr, c'est tellement évident que j'ai même pas de bon argument. C'est juste... » Il hausse les épaules, impuissant. Pas d'argument, non. Rien à ajouter. Il aurait bien voulu être un peu plus poète, un peu plus philosophe, trouver les mots pour lui faire comprendre qu'elle ne lui en voudrait pas de vouloir continuer à vivre, qu'elle se réjouirait de le voir lutter contre sa peine, d'aspirer encore à plus, à mieux. Elle n'en avait peut-être plus conscience elle-même mais il est persuadé que c'est vrai, tout simplement parce qu'elle l'aimait. « Elle t'aimait tellement. C'est ce que je préférais chez elle. » Et sa vue qui se brouille. Il se concentre sur son inspiration suivante mais l'air s'accroche dans les sanglots qu'il étouffe, un faible trémolo dans sa gorge. Il déglutit, cligne des yeux pour chasser les larmes. Un silence. « Elle est encore ici ? » Ce qui reste d'elle.
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MessageSujet: Re: on s'amarre (miggart)   on s'amarre (miggart) EmptyJeu 16 Aoû - 0:03

Peut-être qu’il pourrait s’éteindre, là, comme un écran cathodique, un bruit aigu avant que l’image ne soit aspiré au milieu. Peut-être que ce serait mieux de s’éteindre comme ça, aspiré au creux des bras de Mihail à sangloter à s’en briser la voix, sa bouche contre ses cheveux et son corps pressé contre le sien, cramponné à lui pour ne pas se noyer, pour ne pas couler. Il pourrait s’éteindre comme ça, un claquement de doigt, trois fois rien, juste une prise qu’on débranche et tout qui devient noir, parce que y a plus grand-chose qui l’anime, plus grand-chose qui coule dans ses veines, fait battre son cœur, parce que respirer est un effort conscient, inspire, expire, laisse tes poumons s’étendre, laisse les renvoyer tout l’air que t’as absorbé. Peut-être qu’il pourrait s’éteindre comme ça, sous les doigts de Mihail, se laisser consumer, laisser l’incendie gagner, peut-être, peut-être, peut-être, peut-être pas parce que Mihail parle et qu’il écoute, anesthésié, parce qu’il lance les pires banalités mais que c’est réconfortant, parce que personne ne peut mettre les mots sur ce qu’il ressent, parce qu’aucune phrase ne serait assez mais que c’est suffisant, parce que Mihail est maladroit et que c’est réconfortant, humain, palpable, parce qu’il sait comment faire, comment gérer, comment accepter cette fragilité, cette maladresse, cette façon d’offrir quelque chose qui ne sera jamais assez mais qui est un commencement. Elle ne voudrait pas, il dit, et n’importe qui d’autre aurait récolté un « ne lui mets pas des mots dans la bouche » acerbe. Elle ne voudrait pas, il dit, et il a envie d’y croire parce que c’est Mihail, parce que ça crépite sous sa peau, parce que ça vibre dans ses oreilles, parce que c’est Mihail et qu’il lui confierait tout sans hésiter, qu’il lui confie sa douleur et sa peine, qu’il l’a déjà vu en miettes et qu’il n’a pas fuit, qu’il compose avec toutes les tares qui le constituent. C’est Mihail et Veronica l’aurait aimé. C’est Mihail et peut-être qu’il a le droit de la faire parler, une seconde, une minute, pas plus, pour ne pas la retenir, pour ne pas la condamner à errer sa vie entière sur la terre, attachée à sa cheville, rivée à son corps, incapable d’être en paix.

« Mihail. » Il y a une fissure dans sa voix, quelque chose d’immense, quelque chose de douloureux. Mihail, il fait rouler son nom dans sa gorge, comme si ça pouvait le sauver, comme si ça pouvait le maintenir, comme si ça pouvait amener de l’air dans ses poumons. « Si j’étais pas gay, si j’avais pu l’aimer comme elle en avait besoin, est-ce que tu crois que ça se serait passé comme ça ? »

C’est douloureux de se poser la question, douloureux de s’interroger là-dessus, douloureux parce que personne ne pourrait répondre, parce que personne ne pourrait le dire, douloureux parce que s’il avait pu l’aimer peut-être qu’il ne serait pas qui il est, parce que s’il l’avait aimée peut-être qu’il serait une autre personne, pas Eoin, pas tout à fait, et peut-être que Veronica n’aurait pas voulu de lui, au final, parce que les choses sont complexes, parce qu’il suffit de pas grand-chose, parce que c’est une alchimie étrange, un être humain, beaucoup de science et beaucoup de hasard, un peu de choix, quelques occasions. Il a des si plein la bouche, Eoin, crispe ses doigts sur Mihail lorsqu’il réalise qu’il l’a dit à voix haute, gay, que c’est balancé, étalé, qu’il peut plus reculer et tout son corps se tend, attend le mouvement de recul, attend Mihail qui s’échappe, qui se frotte la nuque, qui détourne les yeux. Il sait bien que c’est pas son genre. Il sait bien que ça risque rien. Il sait bien ou il croit qu’il sait et ce qu’il sait aujourd’hui c’est que tout ce qu’il croit connaître ne vaut rien. Il a les mains qui tremblent, lorsqu’il s’essuie les yeux, ravale difficilement la boule qui se forme dans sa gorge, la terreur qui essaye de le contrôler. Mihail ne le regardera pas différemment, sans doute pas. Mihail ne le regarde déjà pas, de toute façon, pas comme ça.

« Tu veux la voir ? » Il demande, doucement, les yeux rivés sur la machine à café près de laquelle une femme enceinte campe depuis quelques temps. « Je peux pas le refaire, moi. Je pourrais pas. Pas regarder encore. Je veux pas que ce soit l’image qui me reste d’elle. C’est trop dur à supporter. »

C’est trop dur à encaisser, le jeu des sept différences entre le corps et la personne qui a le plus compté, le sourire et la vie et la respiration et la façon dont il prenait sa main et la façon dont ils regardaient des documentaires et toutes les choses qu’il a appris sur l’univers pour pouvoir nommer avec elle les étoiles dans le ciel. C’est trop compliqué, c’est plus que ce qu’il peut accepter. Doucement, il abaisse la main, relève les yeux pour croiser ceux de Mihail. Il sait pas ce qu’il y lit. Il sait pas ce qu’il veut y déchiffrer.

Il espère juste que ça va aller.
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