Gwayne, c'est un peu le cassos de première, comme on en voit beaucoup dans les quartiers mal famés, qui squatte les canapés de ses potes et fait jamais rien en retour, coincé entre un job alimentaire et des histoires rocambolesques qu'il aimerait être vraies. Mais il a beau le souhaiter de toutes ses forces, c'est toujours la merde. De jour en jour, il s'empêtre dans des mensonges de plus en plus élaborés, perd le fil et manque de se faire tuer, dépendant à qui il les balance. C'est pour ça qu'il a dû quitter New York, une vérité tronquée vendue à un caïd du coin, la menace d'un flingue sur sa tempe, une vie sauve, miraculée. C'est à Savannah qu'il s'est réfugié, dans le sous-sol de sa grand-mère adorée.

Savannah. C'était pas un choix au hasard, c'est la ville où il est né, il a grandi, où il a bavé sur les bancs de l'école en s'endormant en cours, à force de jouer à des jeux vidéo trop tard dans la nuit. Savannah, sa ville. Jusqu'à ses quinze ans, jusqu'à ce que tout parte en couille. Un père qui s'retrouve au chômage du jour au lendemain, une mère au foyer démunie face à l'adversité, un déménagement familial imposé dans la Grosse Pomme en espérant retrouver la fortune passée. Mais rien de tout ça n'est arrivé, ça a été le Bronx, une école publique plus connue pour ses bagarres au couteau que pour les résultats de ses élèves, des amis impossibles à se faire avant qu'il ne troque ses grosses lunettes pour un blouson en cuir, qu'il ne largue son image de petit geek charmant aux valeurs chevaleresques pour une version plus sombre de lui-même. C'est là que les mensonges ont commencé, qu'il s'est inventé toute une vie, bien loin de celle, parfaitement banale, d'un adolescent de la classe moyenne supérieure de Tybee Island, Savannah. Avec les années, les souvenirs défaillants, trop souvent modifiés, cette réalité alternative dans laquelle il était une petite frappe teigneuse est devenue réelle, à ses yeux, aussi réelle que tout ce qu'il a laissé derrière lui à Savannah, tout ce qu'il a oublié.