Réponds, réponds, réponds, ça tourne en boucle dans mon cerveau alors que les sonneries s’enchaînent et se ressemblent toutes, je perds le compte, tombe sur la messagerie pour la troisième fois, laisse un énième message vocal qui consiste en un ânonnement bourré de frustration, quelque chose comme « Seeeeth, pourquoi tu décroches pas ce putain de téléphone ? Qu’est-ce qui va pas ? Tu me fais flipper. Rappelle-moi. » Je vérifie encore une fois s’il n’a pas répondu à mes derniers textos, constate que non avec un grognement entre l’exaspération et la détresse. Je comprends pas. Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que j’ai fait, surtout ? J’dois pas être aussi innocent dans l’histoire qu’il le prétend pour qu’il m’évite comme ça. Pourtant, j’arrive pas à mettre le doigt sur ce que j’ai fait de vraiment mal ces derniers temps. Peut-être qu’il a lu ma conversation avec Asher ? Merde. Mais pourquoi il voudrait pas m’en causer ? Au moins m’engueuler. Pourquoi il dit que laisse tomber, sérieux ? J’veux pas l’laisser tomber, moi. Et c’est qui ce pote à la con chez qui il crèche, là ? J’me mords la lèvre inférieure, ferme les yeux. Respire. Y’a pas d’raisons d’être jaloux. Pas à ce stade. Il a peut-être juste voulu prendre du recul. Chez un pote. Que j’connais pas. Ça peut arriver à tous les couples, ça. Il s’éloigne pas de moi. C’est seulement un break. Les breaks précèdent toujours les ruptures. Ta gueule, cerveau. Y’a que dans ces cas-là que mes neurones fonctionnent à plein régime, évidemment, dès qu’il faut élaborer tous les scénarios catastrophes possibles, tout le monde bosse là-dedans. J’aurais pas dû lui laisser trois jours de répit, comme ça, j’pensais qu’il en avait besoin, peut-être qu’il a pensé que j’m’en foutais de lui, je sais pas. Pourquoi tout est aussi bizarre avec lui, ces derniers temps ? Je recommence le même manège, retourne dans la liste des derniers numéros composés, tape sur le sien, rappelle. J’suis quasi prêt à céder au désespoir quand la sonnerie s’interrompt, pas sur sa messagerie, cette fois. Mais c’est le silence à l’autre bout du fil. J’me d’mande un instant s’il a pas juste décroché puis jeté son téléphone loin de lui pour que je puisse plus appeler. J’me dis qu’ça aurait été plus simple de couper l’appareil, quand même. « Seth, tu fous quoi là ? T’as décroché, j’ai entendu. T’es où, putain ? » J’contrôle mal l’émotion dans ma voix, j’flippe trop ma race pour pas paraître en rogne. J’m’en rends compte, soupire bruyamment en secouant la tête, ma main libre qui vient frotter mes paupières. « Excuse-moi, j’suis pas en colère. J’veux juste savoir où tu es. »

T’es figé, le téléphone entre les mains. Tu sais pas quoi lui répondre. tu vois pas quoi lui répondre qui le ferait pas encore plus paniquer. Tu l’imagines parfaitement se monter un flan tout seul dans son coin, et en un sens, bah il a pas tort. Si t’insistes pour qu’il te foute la paix il va flipper encore plus. Si tu lui dis la vérité, non seulement il va flipper, mais en plus il va se vénère sérieusement. Tu tournes et retournes la question dans ta tête, sachant que le temps t’est compté, parce que pas répondre c’est pas une solution non plus. Tu sursautes quand le téléphone se remet à vibrer entre tes mains, pas pour un simple sms cette fois, et la vieille tronche de ton mari qui s’affiche sur l’écran. Cette fois c’est toi qui flippe. Et le voir sourire sur la photo ça te brise le cœur, parce que tu sais très bien qu’il est pas dans cet état à cet instant. Et c’est comme d’ordinaire, ta faute. Tu restes immobile quand même, perdu dans la contemplation d’une joie qui t’parait super lointaine tout à coup. Y a Kizuki pas loin qui t’jette un œil mais tu le remarques pas. Et puis y a la messagerie qui s’enclenche, ton écran qui redevient noir. Et c’est toi qu’tu contemples maintenant. Le violet qui s’étend encore sur ta tronche qu’a pas totalement dégonflée. Quelle merde. Et ça sonne, encore. Tu bouges toujours pas. Enfin si, tu t’laisses tomber sur une chaise de la cuisine. Ta pénitence préférée. Sauf que c’est pas toi qu’essayes désespérément de l’joindre cette fois. Et c’est pas lui qu’est allé se coller une dose. Même si pour une fois, t’as rien fait. A Kizuki. Ou avec Kizuki. T’sais pas bien combien de temps tu restes là à fixer l’alternance sur l’écran du sourire de Toad et de ta tronche tuméfiée. Et puis au bout d’un moment, tu décroches, les nerfs en vracs t’arrives même pas à parler. T’as juste envie de vomir. Et le timbre de sa voix au bout du fil t’arrache une larme que tu t’empresses de faire disparaitre. T’es vraiment une merde. « Babe … » tu commences, mais t’as rien d’autres qui suit. Tu fermes les yeux et t’appuies ton front sur ta main, à la recherche d’un truc à dire. Y a un grognement qui t’échappes. T’as encore mal partout. Tu prends trop de temps pour répondre tu l’sais, mais y a rien à dire qui sera bon à entendre. Sauf un joli mensonge. Mais tu mens pas Seth. « Y a eu un truc au fight club ok. J’me souviens pas de tout mais. Enfin laisse-moi deux jours s’te plait. » Tu mens pas non, sauf par omission. « T’es pas seul, hein ? Y a Ezra avec toi ? » C’est l’seul truc qui t’inquiètes au-delà de ta propre condition. La sienne. Mais tu comptes sur Ezra pour l’instant. Si tu reviens maintenant, ça n’fera que l’empirer.

J’retiens mon souffle, dans le silence qui suit mes questions, j’me d’mande s’il va pas raccrocher direct, j’essaye de pas faire attention au tremblement d’mes doigts autour du téléphone. Parle, merde. Qu’est-ce qui se passe ? J’ai fait quoi ? Juste, crache-le morceau. Y’a un soupir de soulagement qui m’échappe, lorsque j’entends sa voix, comme si j’venais seulement réaliser qu’j’avais arrêté de respirer. Mais il dit rien de plus que babe, et la panique menace encore de s’emparer de moi. Mon cœur s’affole, mais j’ferme les yeux, prends une longue inspiration, pour pas le noyer de questions. Il parlera quand il se sentira prêt à parler. Pas besoin de lui forcer la main. J’risque plus de l’faire fuir qu’autre chose. Grognement à l’autre bout d’la ligne après un long silence. J’me mords la lèvre inférieure dans l’espoir de réprimer les mots qui me brûlent la langue. QU’EST-CE QUE TU ME FOUS, LÀ ??? Reste zen, Toad. Ne craque surtout pas. Il a l’air d’avoir du mal à causer et ça m’inquiète, sûrement qu’il veut pas me parler. Sans blague, il a fallu que j’le harcèle pour qu’il daigne enfin décrocher. J’l’ai appelé combien de fois avant qu’il réponde ? Beaucoup trop. Alors j’devrais pas m’étonner qu’il n’ait rien à me dire, ça devait être sa première idée en m’laissant dans le vide. Il s’décide pourtant à parler, lâchant un truc sur le fight club et m’implorant pour deux jours de plus. Mais j’suis pas d’accord. C’est quoi ces conneries ? Pourquoi il veut qu’Ezra soit avec moi ? Pourquoi est-ce qu’il angoisse à mon sujet au point d’vouloir savoir ça ? Putain. « Y’a eu quoi, au fight club ? » J’suppose qu’il s’est fait défoncer la gueule, qu’il veut pas qu’j’le voie comme ça, mais j’capte pas pourquoi. J’l’ai déjà vu avec des bleus sur la figure, y’a pas à être si dramatique. « Babe, j’m’en fous si t’as la face amochée, j’veux juste que tu rentres à la maison. Chez toi ou chez moi. N’importe où tant qu’je sais où tu es. Pas chez un pote que j’connais pas. C’est qui ce mec ? » J’tente de paraître neutre, même si c’est difficile d’pas laisser la jalousie poindre dans ma voix. J’aime pas ça. Et si le pote en question abusait d’sa fragilité du moment, hein ? « Pourquoi j’dois pas être seul, Seth ? »

J’m’en fous si t’as la face amochée. Tu ris vaguement au bout du fil, ça ressemble plus à des grognements. Tu peux pas rire, t’as encore des côtes pétées. Ça fait mal. Et puis c’est pas très drôle en fait. C’est juste la merde. Toad est une vraie mule, et y a rien qu’tu puisses faire pour te sortir de cette merde. Tant qu’il y pensait pas, ça allait. T’as eu trois jours. Le temps d’aller à l’hosto et de cicatriser. Maintenant qu’il s’est mis à flipper, c’est mort. Il va creuser jusqu’à trouver le fin mot de l’histoire. Et si tu lui colles des bâtons dans les roues se sera encore pire. Tu le sais bien mais tu cherches désespérément à arrondir les angles. Même si tu vois pas bien comment tu peux arrondir le fait que t’es explosé son ex et qu’tu sois en train de te planquer chez … le tien ? T’en sais rien, t’as jamais collé d’étiquette sur l’front d’Kizuki et c’est pas dans l’flou actuel que tu vas réussir à l’faire. Donc ouais, c’est clairement la merde. « Pourquoi j’dois pas être seul, Seth ? » Tu restes cois deux secondes. Tu comprends pas bien la question. « L’héro Toad … » Tu chuchotes comme si parler trop fort risquait de réveiller le monstre. « J’peux pas être là, alors faut que quelqu’un soit là. » Surtout tu finis pas apprendre c’qui s’est passé. T’es complètement coincé. T’as foutu une belle merde. Si tu lui parles pas, tu lui fais du mal. Si tu lui parles, tu lui fais du mal. Si quelqu’un d’autre le fait, tu lui fais du mal. Tu t’mures dans ton éternel silence, sans un mouvement, dans l’espoir que ça ralentisse le temps, pour t’en donner un peu. Tu regardes à nouveau Kizuki, brièvement, et son regard perçant. Tu sais pas s’il te défit de la boucler, ou d’avouer. Venant d’lui tu serais plutôt parti sur la seconde option. Jusqu’à récemment. T’en es moins sûr maintenant. T’as un peu peur de c’qu’il se passe dans sa tête ses temps-ci. Et de l’effroyable simplicité que ça serait pour toi de plus répondre à ce foutu téléphone, et juste de rester là, avec ton elfe rose. Mais non, c’est Toad. Toad partout, dans ton cœur, ta peau, tes veines, et tes os. Mais toi t’es là. Tu t’planques. Et t’es pas là pour lui, alors que c’est lui qui va déguster, peu importe c’que tu fasses. Mais c’est la seule chose que tu devrais faire finalement. Etre là. Tu te détestes. Tellement. Tu mérites ni l’un ni l’autre. Ni Toad, ni Kizuki. Tu vas forcément en perdre un, si c’est pas les deux. Tu baisses les armes. De toute façon, tu fais que reculer l’échéance. « J’suis chez Kizuki. » T’sais pas bien pourquoi tu lâches ça. Peut-être pour s’débarrasser de la première bombe avant la seconde. Peut-être pour être en terrain allier (tu crois ?) pour avoir cette putain de discussion. Peut-être pour pas que t’ais à faire de choix cette fois.

Il a l’air de souffrir, merde, est-ce qu’il a essayé de rire, là ? Ou c’étaient seulement des grognements d’indignation contre mon insistance ? J’mise plutôt sur le rire, il semble calme, du reste. Mais ça veut dire bagarre qui lui a assez broyé les côtes pour qu’il ait du mal à émettre un son normal. Et ça m’angoisse, mes ongles se retrouvent sous mes dents en un éclair, ça fait longtemps qu’j’les ai plus rongés, tiens, ils sont encore plus ou moins entiers. Et puis j’me fige. J’pose mon cul sur mon lit comme si mon corps avait soudain décrété que j’devais m’asseoir, la lourdeur de mes os brusquement trop réelle pour qu’je puisse la porter. L’héro. La came, la drogue, ma copine. Ce silence qui a précédé, qui en dit long, ce chuchotement trop doux, berceuse apprise par cœur. J’y ai même pas pensé. J’avais zappé, oublié, remis tout ça au placard, le temps d’m’inquiéter pour Seth. Seth qui s’inquiète pour moi. J’perds un moment mon souffle, les yeux clos pour tenter d’déglutir correctement, d’avaler la boule qui obstrue ma gorge. J’ose pas l’dire. Que j’avais oublié. J’me rends compte à quel point la question était idiote, à quel point Seth doit y penser à chaque instant, même quand il va mal, et j’me sens atrocement coupable, vaguement nauséeux. J’ai envie d’le rassurer, mais y’a rien qui vient, alors j’me contente de demander, de but en blanc : « Y’a une raison pour laquelle j’voudrais reprendre de l’héro ? » Je murmure, sur le même ton précautionneux qu’il a employé quelques secondes plus tot. J’devrais lui jurer qu’je toucherai plus jamais à cette saloperie, que j’resterai clean jusqu’à la fin d’ma vie, lui faire de belles promesses, comme d’hab. Mais il en a tellement entendues. Il mérite pas ça. Et puis il y a ce nom, sorti de nulle part, j’mets un p’tit temps avant d’me rappeler où je l’ai déjà entendu. Sur les bancs de l’église, quand Seth m’avait tout raconté. Et j’ai un pincement au cœur, un douloureux, le genre qui n’augure rien de bon et qu’on préférerait ignorer. « Le mec que t’aimes pas ? », que j’fais, d’une voix blanche, avant d’me racler la gorge, légèrement. « J’veux pas qu’tu restes chez lui. » Et c’est catégorique, sans appel possible.

C’est le silence un instant au bout de la ligne. C’est l’héroïne qui s’insinue plus loin de le système sanguin, plus longtemps ques les injections. C’est pas le sujet dont t’as envie de causer, lui non plus, mais c’est pas l’genre de monstre qu’on peut planquer sous le tapis et espérer simplement l’oublier. Alors ouais, y a des tas de raisons pour lesquelles il pourrait vouloir en reprendre Toad. T’imagines que trop bien juste le bonheur factice que ça apporte, tu connais, même si c’est pas avec ça. rien que ça c’est une bonne raison, nan ? Ou quand y a ton mari qui disparait trois jours et qui veut pas revenir, dans un simulacre bancal de son abscence de six ans. Raison deux. Raison trois, qu’il soit planqué chez un mec en qui t’as pas confiance, surement à raison. Et puis le gros non-dit en raison quatre. Y a le choix, tu préférerai qu’il y en ai pas, autant de raisons, mais y en a. T’as pas envie d’une énoncer une. Tu la boucles. Enfin sauf sur là où t’es. Ce qui devrait pas avoir d’importance. Mais y a des fois où Toad il y voit plus clair que toi. Enfin peut-être, t’es pas sûr, et pour le coup, ça t’agace plutôt. C’est un euphémisme, mais t’essayes de pas en laisser paraître d’avantage dans ta voix. T’es pas trop en position d’être celui en colère entre vous deux. « Ouais, précisément. Alors t’es mignon si j’te fous la paix avec Asher, tu m’fous la paix avec lui. » T’as mesuré le ton, le timbre, le volume de ta voix, mais t’as pas fait gaffe aux paroles. Tu fermes les yeux, regrettant immédiatement c’que tu viens de lui balancer à la tronche. Mais tu peux pas les garder clos, parce que c’est le visage ensanglanté de l’autre qui s’imprime tout de suite sur le verso de tes paupières. Tu le vois à chaque fois que tu fermes les yeux, à chaque fois qu’tu vois ta propre tronche merveilleusement arrangée. « Merde … c’est pas c’que j’voulais dire. » Tu grognes un juron et tu tentes une excuse mais c’est pas vrai. Même toi t’y crois pas. Si, c’est c’que tu voulais dire, ça et plein d’autre trucs encore que tu t’retiens d’extérioser depuis des semaines. T’as entre-ouvert une vanne qu’il aurait fallut garder fermée et l’joint s’fait la malle et tu sens la colère qui se remet à gronder. Alors tu te fais plus expéditif, pour pas finir par exploser. « J’rentre demain. Soir. A demain. » Tu raccroches parce que vaut mieux pas que t’en dise plus. Tu t’en tiens quand même à demain, parce que si tu rentres tout de suite, y a pas que ta gueule qui va pas être belle à voir.