Haewon. C’est le prénom de cette nana qui a toujours eu une vie exemplaire. Une vie facile. C’est le prénom de cette nana pas spécialement populaire, mais pas spécialement rejetée. Un peu au milieu des deux, dans la norme, on va dire. Haewon c’est cette nana toujours souriante, toujours un roman dans son sac, toujours gentille, toujours serviable. Haewon c’est la fierté de ses parents, le modèle de sa petite sœur. Haewon, queue de cheval et juste un peu de tint lip, toujours en sobriété. Haewon la douceur. Haewon l’angélique.

Et puis elle est morte, Haewon. Elle était pas faite pour ce monde, Haewon. Elle était pas assez forte, Haewon. Trop pure, Haewon. Trop naïve. Trop. Pas assez. Haewon. Maintenant, c’est plus qu’un fantôme au fond de ta tête. Une impression de déjà-vu. Une leçon de vie. Un reflet dans le miroir. Un mauvais souvenir.

Il complimente, il offre ce qui semble être les plus beaux sourires du monde. Votre idylle ressemble à un de ses dramas que tu te plaît tant à regarder.
Toi, la petite étudiante en littérature, petite souris de bibliothèque. Lui, le grand sportif populaire. Il a commencé à te courtiser, simplement t'attendre à la sortie d'un amphi pour te raccompagner chez toi. Puis à s'incruster lors de tes repas à la cafétérias.
Et tes copines qui ne cessent de te répéter combien tu étais chanceuse. Alors ouais, du haut de tes dix-huit ans, tu craques. Tu craques pour les sourires, tu craques pour sa main qui effleure la tienne. Tu craques pour les petits cadeaux. Tu craques pour les sorties en amoureux. Et bordel, qu'est-ce que t'es heureuse. Alors tu lui offres tout ce qu'il est possible d'offrir. Ton cœur, ton âme, ton corps. Et putain, qu'est-ce que tu l'aimes. Alors tu la vois pas arriver, la grande claque dans ta gueule d'ange.
C'est juste un peu de jalousie, au début. Tu te dis que c'est une preuve d'amour, après tout, que ça montre qu'il tient à toi. Alors tu évites de parler aux garçons, de façon générale. Mais même un vendeur dans une boutique devient sujet à une crise de jalousie. De plus en plus violente, jusqu'à ce qu'il fasse mine de te plaquer. Pour que tu viennes le supplier. Ce que tu fais inévitablement, bien entendu. Parce qu'il a raison, après tout, non ? Qu'est-ce que tu ferais sans lui ?
Il a raison, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qui peut bien clocher chez toi, après tout ? Pourquoi est-ce que tu le mets toujours en colère ? Tu ne le sais pas toi même. T'essaies pourtant de tout faire pour lui. Il a ton cœur, il a ton âme, il a ton corps. A peine trois ans que vous êtes ensemble, et tu emménages déjà chez lui. Tes parents te l'interdisent, mais t'as trop peur de le perdre, lui, alors tu te mets ta famille à dos sans réfléchir. Parce qu'après tout, il te l'a promis : tout s'arrangera si vous habitez ensemble. Il faut que tout s'arrange.

Au final, ça dure quatre ans. Un petit peu de paradis au début, avant de sombrer dans les flammes de l'enfer. C'est comme marcher sur des morceaux de miroir brisé tous les jours. Toujours dans la crainte. Tu ne sais pas quand il s'énervera. Ni pourquoi. T'es toujours tendue, les muscles contractés. Parce que ça fini toujours par arriver. Et si il ne trouve pas de raison, ce sera justement pour ça. D'abord, c'est les insultes. Piques vicieuses, s'insinuant comme du poison dans les veines. Le ton monte, enfin, le sien. Parce que justement, tu ne dis rien, tu essaies d'ignorer. Parce que c'est toujours pire quand tu oses répondre. Alors tu n'oses plus. Mais les mots sont vites remplacés par les gestes. Par la violence. Par ses mains autrefois si tendres et charnelles, désormais poings de glace et d'acier qui s'abattent sur toi. Les côtes, le visage, qu'importe. Tout ce qu'il peut atteindre. Même le coeur, étrangement. Parfois, il te balance sur le lit pour se décharger entre tes cuisses ou au fond de ta gorge. Parfois, il t'enferme dans une salle au hasard, dans le noir complet, du scotch autour de la gueule pour ne pas entendre des hurlements d'angoisse. Pendant des heures. Pendant des jours. Jusqu'à ce que tu t'écroules d'épuisement dans ta propre pisse et que t'aies plus rien à pleurer.

Tu rêves de la personne que tu aurais pu être. De la vie que tu aurai pu avoir. Des choses que tu aurais pu faire. Toi, tu voulais devenir écrivain. Ou professeur. Pourquoi pas les deux, d'ailleurs. Tu rêves d'un petit appartement à la décoration pastel, mais minimaliste. Des petits cactus en pots. Une bonne odeur de thé à la framboise. Tu rêves d'un plaid bien fluffy, de petites chaussettes avec des oreilles de chat. Tu rêves de la solitude, de la paix. Du silence. De la sérénité.

Puis le rêve idyllique se transforme peu à peu. A cause du poison présent dans ta vie, dans ton esprit. Et tu rêves seulement d'en finir. Parce que t'es fatiguée, tellement fatiguée. Parce qu'à force, tu ne vois clairement aucune autre solution.

« Je suis son petit ami. » ... « Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça... » Menteur... « Je la rends heureuse, pourtant. » Menteur. « Je crois qu'elle a des soucis sociaux, pas d'amis, vous voyez. » Menteur ! « Je ne comprends pas. » MENTEUR ! « Je suis soulagé qu'elle aille bien. » M.E.N.T.E.U.R.

C'est le brouillard, tout autour de toi. Mais tu l'entends, la voix autrefois chérie, maintenant tant redoutée.Chacune de ses phrases commence de la même manière. Je. Parce que c'est ainsi que parle ce genre de personne, et c'est seulement maintenant que tu t'en rends compte. Même là, sur ce lit d'hôpital, des bandages partant des poignets jusqu'aux coudes. Parce que t'as essayé de faire ça bien, après tout. Pour pas te louper. Mais il est arrivé trop tôt, l'autre. Et il allait pas te laisser le loisir d'en finir.

Là, il fait le gendre idéal devant tes parents. Ils ont du se sentir obligés de venir. Mais le pire, c'est qu'après t'avoir reniée pour te mettre en ménage avec ton petit copain, ils semblent maintenant lui manger dans la main. La seule qui a l'air de comprendre un peu la situation, c'est ta petite soeur. Quel âge ça lui fait, maintenant ? Dix ans ? Alors non, elle ne comprend pas tout. Mais elle comprend déjà plus que les adultes.

« Tu as les yeux tristes. J'veux pas que tu sois triste. »

Et elle te fait pleurer, la gamine. Tu la regardes, et tu te vois, avant. Vous avez le même grain de beauté. Sa petite main posée sur ta joue. Elle te fait pleurer, la gamine. Et elle te donne envie de vivre. Tu veux vivre. Vivre. Vivre. Ivre. Rire.

Seconde visite de la part de tes parents. Ils n'en avaient pas envie, tu le sais. C'est ta petite soeur, qui a insisté. C'est ta petite soeur, qui glisse discrètement son sac à dos rose bonbon sous ton lit. Et tes parents, ils sont tellement gênés et pressés de repartir, qu'il n'y font même pas attention.
Ton petit ami, lui, il est obligé de repartir bosser. Il ne peut pas te surveiller toute la journée, mais il doit penser que tu n'auras jamais la force, ni l'audace, ni même l'idée, de lui filer entre les doigts. Il aurait eu raison, s'il n'y avait pas eu ta petite soeur.

Tu peines à retenir tes tremblements. Faut dire que t'as jamais pris l'avion avant. Et que t'es encore fatiguée, faible de ton passage à l'hosto. Faut dire que la paranoïa s'installe dans ton esprit. Comme si il pouvait surgir de nulle part, en plein ciel, dans cet avion. Tu ne sais même plus où tu vas : t'as pris le premier billet qui se présentait et entrait dans les moyens financiers disponibles, aka, l'argent volé dans la chambre de tes parents par ta petite soeur. Ouais, tu sais pas où tu vas, mais tu t'en fous. L'important, c'est d'aller loin. Et de ne pas revenir. Tant pis si tu es toute seule. Tant pis si tu finis à la rue, à faire la manche pour trouver de quoi bouffer. Tant pis. Ce sera déjà beaucoup mieux.

Ouais, heureusement, « tant pis », parce que c'est clairement ce qui se produit. T'as rien, pas de toit sur la tête, sauf quand tu réussis à avoir une place en foyers pour femmes. T'as rien dans l'estomac, sauf quand un bcbg trouve que t'es trop mignonne pour être sdf. Tu survis comme ça pendant une année, les saisons s'écoulant avec leurs avantages comme leurs inconvénients. Tu manques de crever de froid, tu manques de crever de déshydratation.

Jusqu'à ce qu'il débarque. Neo. Il a le mérite d'avoir le bon timing. Parce que la rue, c'est pas facile d'y vivre, encore moins quand on est une femme. Encore moins quand on est jolie. Ce soir, t'as pas trouvé de place en foyer, alors tu dois rester dehors toute la nuit. En général, tu fais exprès de ne pas dormir, pour éviter les emmerdes. Mais t'as tes règles, wow, génial, vous avez vu le prix de ces conneries de tampax ? Tu peux clairement pas te payer ce luxe. Mais là n'est pas la question principale. Le truc, c'est que t'es du genre à être beaucoup plus fatiguée et faible que d'ordinaire, ces moments où la nature te remets en pleine face que t'es qu'une femme et que ton destin est la reproduction. Alors tu finis par t'assoupir, sans pouvoir résister à l'appel des doux bras de Morphée. « Héhéhé.. Réveille-toi ma jolie, qu'on s'amuse un peu... Héhéhé... » L'haleine est putride, mélange d'alcool bon marché et d'une absence totale d'hygiène bucco-dentaire depuis une bonne dizaine d'années, au bas mot. Tout ça te réveille en sursaut, juste assez pour voir un autre sans-abris penché sur toi avec un sourire salace. Mais t'as pas le temps de faire un geste, ni même de dire quoi que ce soit, que ledit type est tiré en arrière par un autre gars sortie de nulle part. Il fait parler ses poings sur le malpropre, sans ménagement, et toi tu regardes avec les yeux écarquillés, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. C'est violent, et t'es pas la fan number one de la violence. Mais en cet instant, c'est pas la violence que tu vois. C'est juste Neo. Même si tu connais alors pas son nom. Neo, à la lumière des néons. T'apprendras plus tard que c'est dans ses gênes. L'acte héroïsme ou l'appel de la baston ? Les deux, à vrai dire. Quoi qu'il en soit, il te ramasse, Neo. Comme on ramasse un puppy abandonné. Et tu sais pas pourquoi, mais t'arrives pas à être totalement méfiante avec lui. Et c'est sans doute ce qui pouvait t'arriver de mieux.

Hooligans. Ça devient synonyme d'amis. De famille. Ils t'aident à te relever. Et grâce à eux, tu fous le cadavre d'Haewon au placard. Tu oublies celle que tu étais, tu passes au delà de tes faiblesses. C'est comme ça que tu te crées le personnage de Geum Seonnyeo. Tu te prends au jeu, tu changes, et tu apprécies cette nouvelle peau. Cette nouvelle toi, qui est l'opposé de l'ancienne. Qui est forte. Qui contrôle qui elle a envie de contrôler. Qui parait sans coeur, qui paraît superficielle. Qu'importe.

Qu'importe, parce qu'il n'y a qu'à toi que tu rends des comptes. Okay, il y a aussi les Hoos, mais ça c'est tellement logique que tu n'as même plus besoin d'y penser. Parce qu'ils te font vivre. Parce qu'entre vous, il y a l'amour et la haine. L'amour de la haine. La haine amoureuse. Mais que quoi qu'il advienne, chacun sait qu'il peut compter sur les autres.

« alors la nuit je traîne comme un loup dans la plaine, qui pourra remplacer le poison dans la veine ?  et je cherche aux étoiles à qui donner mon corps dans les boîtes à cochons je baise sur les dancefloors. »

Tu veux pas spécialement quitter San Fransisco, surtout pour atterrir ici, Savannah, mais quel choix as-tu ? Là où les Hoos vont, tu vas. Y a pas à chercher plus loin. Vous êtes les dieux de la nuit, des rois et des reines à votre échelle. Il n'y a rien que tu ne ferais pas pour eux. Alors forcément, tu suis le mouvement. Même jusqu'à l'autre bout du monde s'il le faut. Puis faut se le dire, la vie à Savannah, c'est pas si merdique que ça. T'arrives à t'y faire, faut croire qu'on s'habitue à tout.