Elle est ivre.
Encore.
Elle a honte qu'on la voie. Honte d'exister. Honte que la lumière des réverbères puisse se refléter sur sa nuque pour lui rappeler qui elle est. Elle voudrait disparaître dans les ombres. S'y laisser couler, avaler. Le coeur trop nécrosé par les coups que la vie lui portait depuis quelques semaines, quelques mois. L'alcool était le dernier moyen d'oublier. Le seul qu'il lui restait. On lui avait pris ce petit boulot au noir qu'elle avait décroché, quelque temps auparavant. La colère de Jax qui scelle cette avenue — l'incompréhension qui torpille toute tentative d'un jour pouvoir respirer dans cette direction. Incapable de comprendre qu'elle s'auto-détruisait. Incapable de voir qu'elle laissait le monde la tirer vers le fond, lorsqu'elle aurait pu se rassembler et remonter à la surface. Lionne noyée, sous les yeux de tous — et pourtant, personne ne s'en aperçoit.
Lorsque son épaule accroche celle d'une autre passante, elle sursaute. L'air d'un animal perdu, quand elle entend le son du téléphone portable qui s'écrase au sol. Et alors, elle comprend ce qu'elle a fait. Sait qu'elle n'a rien pour rembourser l'appareil s'il est brisé. Sait qu'elle ne pourra pas articuler deux mots cohérents, si l'autre vient à l'attraper pour la confronter. Elle panique. Aucune idée de quoi faire, aucune idée d'où aller. Ses jambes qui s'actionnent malgré elle, et elle s'élance. Sans comprendre d'où lui vient cette force nouvelle de courir. Sans savoir si elle sera même capable de semer sa poursuivante qui, éructant de toute la puissance de sa voix, s'était élancée à sa suite.
Elle court. Comme si le diable était à ses trousses — et c'est peut-être le cas. Court à s'en brûler les poumons, court à ne plus pouvoir s'arrêter. Elle court et elle sait que l'autre est toujours sur ses talons. Elle l'entend beugler. La foulée secoue son estomac. Lui donne envie de gerber. Pas le temps de s'arrêter pour le faire. Pas même le temps de s'échapper, visiblement. La lionne est devenue gazelle, et c'est le guépard qui s'est lancé à ses trousses. Aucune chance de s'en tirer. Ça la frappe, alors qu'elle tourne dans une nouvelle ruelle. Ça la frappe. Et elle s'arrête. Nette.
Quatre types.
Et à leurs pieds, un cinquième.
Qui ne bouge plus.
Dans leurs mains, des armes. De poing, pour la plupart. Un revolver, dans le cas de l'un d'eux.
Elle recule.
Un pas.
Un deuxième.
Le guépard l'a rattrapée, mais semble s'être figé exactement comme elle.
Et, brutalement, les deux prédateurs deviennent gazelles.
Faire volte-face, et courir. Courir à en perdre haleine. Courir à en avoir le coeur qui explose, et à ne plus même penser à vomir l'alcool qui lui secouait l'estomac. Elle file entre les rues, suit son ancienne poursuivante pendant un temps. Jusqu'à ce que, brutalement, elle ne décide de changer de direction. Abandonnant l'autre fille à sa propre course. Tournant dans une autre rue. Une seconde. Une troisième.
Tu vas t'en tirer, Hagar. Ne te retourne pas. Ne te retourne jamais. Contente-toi d'avancer.Crissement de pneus violent.
Stop.
Le coeur au bord des lèvres, elle s'est à nouveau figée. Elle a vu le corps rebondir contre le capot, le pare-brise, et retomber. Elle a vu le téléphone voler, de l'autre côté de la rue. Elle a vu. Une gazelle qui n'a pas pensé à se soucier des autres prédateurs. Ceux qui, d'ordinaire, étaient assez facile à éviter.
Et Hagar panique de plus belle. La nausée qui est en train de lui arracher la gorge. Couteau planté dans l'estomac. Elle devrait s'en aller. Prendre ses jambes à son cou, une nouvelle fois. Mais rien n'y fait. Elle reste tétanisé. Le sentiment de culpabilité qui lui bouffe les tripes. Et tout ce que son corps trouve à faire, c'est s'élancer vers la chaussée.
Elle a les mains qui tremblent lorsqu'elle approche la blondinette étendue sur le bitume. Elle ne sait pas quoi dire. L'envie de vomir est plus pressante que jamais, le monde tourne et ne semble pas vouloir s'arrêter. Elle constate qu'elle respire encore, et se retient de la toucher. Si sa poitrine se gonfle, c'est que son coeur bat. Pas besoin de prendre son pouls. Pas besoin de risquer d'empirer la situation.
Pas besoin de la tuer pour de bon.La peur, l'horreur. À quatre pattes sur le béton, elle essaie d'aller attraper le téléphone retombé un peu plus loin. Elle se moque des témoins. Enfermé dans la bulle de son mal-être et de son ivresse, elle ne veut qu'appeler les secours elle-même. S'écorche les mains et les genoux sous la précipitation. Pour constater que le téléphone est inutilisable, lorsqu'elle s'en saisit finalement. La nausée, plus violente, qui lui remonte dans la gorge. Et elle s'efforce de la ravaler. Les larmes plein les yeux, elle retourne vers la jeune femme étendue sur la chaussée. Ne peut pas parler. Ne peut pas penser. En a oublié les types qui leur courraient après. Ignorant le conducteur qui s'approche, alarmé. Elle n'entend pas la panique. Ne peut même plus empêcher les larmes de rouler sur ses joues. Sa main qui touche la tête de la jeune femme. Accrochent ses vêtements.
Crève pas, putain. Crève pas. Pas à cause de moi.- hors jeu:
ok j'avance rien mais j'avais trop envie de rep mdrrrr. si tu veux que je rajoute quoi que ce soit DIS-MOI.