Allongée sur le ventre au milieu des draps en vrac, elle a le visage presque enfoui dans l’oreiller. La tentation de se laisser aller et s’endormir est forte. Mais elle se l’interdit. Sa jambe se replie un peu plus haut comme si elle cherchait une caresse contre le matelas, la découvrant un peu plus. Son regard est fixé sur le dos de Casper. Sa respiration ralentit de plus en plus. Alors à l’inverse, Stella expire, sa jambe se replie encore un peu, son épaule roule, un bras finit par s’étirer sous l’oreiller : elle se redresse sans un mot. Adossée à la tête de lit, elle ne prête pas attention à son propre corps. Mais son regard court un instant sur le chaos de draps froissés avant de baisser les cils sur lui. Encore quelques secondes silencieuses avant de faire craquer son briquet, cramer un bout de cendres, choper son téléphone. C’est rare qu’il soit en silencieux, à minima il reste en mode vibreur. Mais les appels manqués du numéro rattaché à son géniteur l’ont poussés à mute son objet favori. Il y en a eu six de plus en quelques heures. Son visage se froisse à l’idée de devoir repasser à l’appartement “familial” pour gérer peu importe ce qu’il y aura à gérer. De toute façon, il va probablement vouloir du fric, qu’elle lui achète ses prochaines doses, il réclamera qu’elle l’emmène voir sa femme au parloir. Il tentera de l’entraîner avec lui pour qu’elle parle à sa mère et permettra qu’elle l’empoisonne comme au bon vieux temps. Alors elle repousse l’échéance de la dispute à venir, des fracas dans l’appartement déjà en débris. Tout ce qui soit disant ne l’atteint plus, mais qu’elle devra esquiver tout de même pour se protéger. Comme avant, comme toujours. Elle ne veut pas retourner là-bas et que ça la plombe au point qu’elle veuille lui tirer d’ssus. Elle ne veut pas repasser par le smoking dog par habitude et retrouver le traitement froid de Malo. Mais elle ira. C’était son quartier. C’était sa famille.

Et ça la fout en rogne. Encore. Humeur volatile depuis hier, c’est comme si une bombe lacrimo se fracassait au fond de ses tripes pour tout embrumer, tout parasiter. C’est bien pour ça qu’elle a appelé Caz et qu’elle accepté facilement mais avec mauvaise foi, pour la première et dernière fois, que ça soit chez elle. Qu’il occupe, soulage et désarticule son corps. Ça aura fonctionné le temps que ça aura duré. T’endors pas., qu’elle balance d’un seul coup, un pied contre ses côtes pour le poker assez doucement. Parce que du coup ce n’est pas l’hôtel et tu peux partir quand tu veux. L’écran de son téléphone posé sur son autre cuisse s’illumine. Ses yeux se rivent sur le numéro qui revient comme une chanson pourrie incrustée dans sa tête. La clope entre les doigts glisse jusqu’à ses lèvres, sa nuque qu’elle fait craquer et sa main qui se dirige vers la bouteille de tequila presque vidée à côté de son lit, les muscles encore lourds et la peau encore échaudée. La nicotine est vite remplacée par l’alcool dans un jeu de mains habiles. T’as des plans après ?, qu’elle demande vaguement en lui tendant la bouteille sans le regarder. Elle devrait bosser. Elle devrait regarder les profils de djs envoyés par le label de l’agence, dire qui conviendrait pour tel événement, mais elle n’a pas envie. Il faudrait apprendre aux gens à comprendre les messages subliminaux..., qu’elle lance en appuyant sur le téléphone rouge sur son écran pour envoyer sur sa boîte vocale. Tu pourrais au moins faire ça pour l’humanité ? Le sourire carnassier qui veut tout effacer, elle le prend à partie alors qu’il ne sait pas. Elle se réapproprie la bouteille et la finit d’une traite. Peu importe que les premières lueurs du jour s’apprête à percer ses rideaux.

Ils ne font pas l’amour, ils baisent. C’est tout ce qu’il y a de plus bestial, de plus indélicat, les corps qui se mélangent dans un fouillis indescriptible et les crampes qui attaquent les membres à chaque coup de rein, les cris qui se barrent dans les aigus et les sens qui s’affûtent contre la moindre courbe. C’est le chaos le plus total et l’épilogue un peu trop sonore, le corps qui retombe comme mort au prochain soupir. Il n’aime pas s’endormir dans les lits de ses conquêtes, Casper, par habitude ou instinct de survie, la peur cramponnée au ventre à l’idée de laisser des bouts de lui quelque part. Même quand il ramène des gens, ce n’est jamais chez lui, jamais dans son lit, il trouve toujours un pote pour lui prêter le gîte le temps d’une pipe ou d’une levrette. Poète à la scène, il ne sait pas comment faire pour être pareil à la ville, ne pas être trop lubrique, manier l’art de la séduction aussi finement qu’il articule les syllabes pour écrire des monologues. Il n’aime pas s’endormir, non, reposer sa tête sur un oreiller qui n’est pas le sien. Stella est très certainement l’exception en la matière, parce qu’il la connaît un peu trop bien et parce qu’il sait qu’elle ne voudra jamais davantage, vu qu’elle est possiblement son alter-ego féminin de bacchanale. Roi et reine de la débauche, les couronnes leur vont plutôt bien, c’est ce qu’il se dit dans sa moitié de rêve, avant que les orteils de la blonde ne viennent chatouiller ses côtes. « Mmh », il gémit, expire un petit ronflement avant de se redresser sur ses avant-bras et de s’appuyer à son tour contre la tête de lit. L’arôme âcre de la cigarette vient déjà emplir ses narines, le force à froncer les sourcils. Il aime ça pourtant, fumer, mais faut croire qu’il était parti suffisamment loin dans le royaume des rêves pour que ses pensées ne soient pas attirées par la perspective de puer comme un cendrier un lendemain de soirée. Il va pour faire une remarque mais Stella lui tend la bouteille de téquila, énième invitation à la débauche qu’il ne peut décemment pas refuser, les phalanges qui se resserrent autour alors qu’il porte le goulot à ses lèvres, avale deux larges gorgées. Il ne lui a pas répondu, peut-être parce qu’il ne sait pas quoi dire. Il n’a jamais vraiment de plans hormis aller au lycée, mais il n’a pas cours aujourd’hui, fort heureusement pour ses élèves. Faut le voir quand il a picolé, encore plus insupportable que lorsqu’il est sobre. « Tu as besoin de te détendre encore », il souffle alors qu’il lui repasse la bouteille, les yeux qui dévient sur elle et la façon qu’elle a de descendre un si gros volume d’une seule traite. Ouais, on la harcèle, il ne peut pas dire qu’il est vraiment surpris. Stella est le genre de nana qui ne laisse pas indifférent et qui peut facilement se faire coller une étiquette de pétasse sans vraiment s’en rendre compte. À moins que ça ne soit autre chose qu’un amant éconduit, mais ça ils n’en parlent pas. Ils ne sont pas vraiment amis, faut dire. Faudrait pas tellement davantage pour qu’ils explosent en éclat. « Pose ce truc », il maugrée en montrant le téléphone du regard alors qu’il soulève le drap, glisse pour se positionner au-dessus d’elle. Un partout, balle au centre. Il ne l’aime pas énormément, Stella, mais elle le touche un peu quelque part, sous ses couches d’égocentrisme et d’estime d’elle-même un peu trop boostée. Y a le bout de ses doigts qui s’accroche aux hanches de la blonde alors qu’il se place entre ses cuisses, leurs bassins de nouveau collés l’un à l’autre. Si seulement il avait encore la force, il saurait comment la faire partir sur autre chose, dévier de toutes les pensées parasites qui l’affectent en ce moment-même. Mais y a pas qu’un seul chemin qui mène à Rome, de toute façon. Alors lentement il l’embrasse, le bout des lèvres contre sa bouche, à peine une caresse d’aile de papillon, et il descend au fil des secondes, la mâchoire bientôt entre ses seins puis bien plus bas. Il est doué pour ça, Casper, se servir de son corps comme d’un instrument pour arracher des émotions, faire pleuvoir l’oubli, brûler les souvenirs indésirables. Alors c’est ce qu’il fait. Sa langue s’immisce lentement entre les jambes de Stella, les yeux subitement levés vers son visage pour en choper chaque expression, un besoin dantesque au creux des côtes de lui faire oublier ce qui peut bien la tracasser. Quel que soit le moyen.