Si mes calculs sont bons, il ne doit y avoir personne à la coloc’. Artie est supposé essayer de faire sortir Bo un peu et les autres sont en vadrouille en même temps. Une bénédiction. L’appart’ pour moi toute seule semble être un mirage bien lointain. À défaut d’avoir une baignoire, j’vais pouvoir prendre une douche de 3h et user toute l’eau chaude sans scrupules (pas que j’ai en beaucoup plus d’habitude). J’vais pouvoir me balader comme je veux, mettre à fond la musique que je veux, bref semer mon bazar. C’est si rare d’être seul à la coloc' qu’il faut en profiter. J’vais cuisiner aussi tiens. J’espère que je ne ressemble pas à un de ces personnages de cartoon qui sautille de joie, naïf et trop guilleret… Ça va me porter la poisse sinon.
Mais je me stoppe en repérant la silhouette maigrichonne de Jael. Une visite conjuguale en perspective ? Je souris. Si seulement c’était elle l’élue d’Artie au lieu de cette pute de Fanny, tout serait beaucoup plus simple dans le meilleur des mondes. Et puis il va beaucoup mieux avec elle qu’avec l’autre. Bref, je la surprends en arrivant dans son dos, le bras qui coule déjà sur ses épaules pour l’enlacer.

Jaja ! Ça fait un bail que j’t’ai pas vu ! Je l’observe rapidement avec une drôle de sensations dans l’estomac. Je la connais, je l’aime bien, mais on n’est pas si proches. Pourtant y a un truc. Tu viens voir Artie ou Bo ? J’crois que les deux sont de sortis. Je l’espère. C’est beaucoup trop lourd entre nous quand j’suis là. C’est sûr qu’ils auraient bien besoin de ce rayon de soleil là dans leur vie, même si il n’a pas l’air de rayonner comme d’habitude ? Je ne sais pas, j’la connais pas assez finalement et ça m’chiffonne sur l’instant. Mais beaucoup moins que le gars qui cogne son épaule contre la mienne et nous bouscule. Hey ! Les excus- Sa silhouette bascule sur nous et l’odeur d’alcool qui va avec aussi. Il baragouine un truc incompréhensible et ses yeux se changent en tonnerre au moment où j’essaye de mettre un peu de distance entre nous et ses gestes vifs et perturbés. HE’S IRISH YOU KNOW. I KNOW YOU KNOW HIM !! I KNOW I KNOW EVERYYTHING YAKNAW I KNOW YA TOO !!! GIVE HIM BACK OR ILL I I !
Sa voix est montée dans les graves, rocailleuse, les mots confus comme du gravier sur sa langue déchirée. J’ai presque pas écouter ce qu’il déblatérait. J’ai juste vu ce putain de canon qu’il pointe vers nous. La poisse la poisse la poisse. C’est plus seulement ça. C’est probablement le karma. J’sais pas ce que j’ai fait mais j’l’ai bien fait putain.[/b] Sauf que là y a Jaja aussi. J’suis pas toute seule. J’sais pas si c’est à force d’avoir croisé des tarés, mais c’est presque devenu inconscient que de passer en première ligne. [i]Tanpis. Plus à ça près. Ou quelque chose comme ça. Je me glisse devant la blonde, lève les mains en signe de paix, d’innocence et j’me lance pour essayer de le convaincre.
Vous devez confondre. On le connaît pas, on vous connaît pas. Vous vous êtes perdu j’pense. J’peux vous aider. On peut le chercher ensemble même… hein ?
On en a vu des dizaines des ivrognes fous aux urgences. J’souris et pose doucement mes mains sur ses bras pour le faire reculer. C’est pas mon premier. J’peux gérer. Je peux.

Mauvaise journée. Très mauvaise journée. Le genre de journée à l’humeur trop dégueulasse qui pèse sur la poitrine. Journée de merde en somme. Parce que la prison est trop loin, parce qu’il fait mauvais, parce qu’elle a cassé sa boucle de chaussure et que maintenant elle doit trainer du pied. Parce que, parce que, parce que. Parce que Merle lui fait la gueule, parce qu’elle broie du noir un peu trop ces derniers temps, parce qu’elle ressent comme un putain de vide dans la poitrine, un manque béant. Besoin de tirer un peu plus fort sur la cigarette, gout de la nicotine dans la bouche qui gâche celui du chocolat. Rien qui va. Rien du tout.
Elle oscille Jael, marche un peu au hasard dans la rue, ville qui tourne autour d’elle alors qu’elle semble exister au ralenti. Y a des bruits, des lumières, des odeurs et des sensations, hermétique, elle ne semble pas les voir aujourd’hui. Paumée dans sa bulle de morosité elle se contente juste d’avancer, sans vraiment chercher à comprendre où ses pieds décident de l’emmener. Elle voit pas la tempête qui arrive, elle voit rien du tout. Alors y a son cœur qui manque de s’arrêter quand Nur la surprend par derrière, l’impression de se faire cramer quand elle passe son bras autour de ses épaules, surement que ça se sent le sursaut de 3m de haut qu’elle fait. Jaja ! Ça fait un bail que j’t’ai pas vu ! « PUTAIN DE MERDE » français qui lui échappe bien plus que l’anglais, la main sur sa poitrine quand elle tourne la tête un peu trop rapidement pour dévisager Nur, rythme cardiaque qui s’apaise petit à petit. « Mince Nur, faut pas faire ça, c’est pas bon » alors qu’elle regarde à ses pieds, clope qui s’est fait la malle sur le pavé. Tu viens voir Artie ou Bo ? J’crois que les deux sont de sortis. « Hein ? Non je … » la voix qui se perd dans le vide alors qu’elle fronce les sourcils, regarde autour d’elle. Ha. Oui. Effectivement. Ca la fait sourire un peu, que dans la tempête, ça soit chez Arthur qu’elle vienne chercher refuge. « Arthur, je venais voir Arthur. Bo il fait la gueule quand je viens le voir » qu’elle répond avec un peu plus d’assurance, léger rire dans la voix quand elle repense à la tête de Bo la dernière fois qu’elle avait essayé de le prendre dans ses bras. Même avec le temps il guérit pas. Elle s’apprête à reprendre quand un gars bouscule Nur, et tout s’enchaine un peu trop vite. Y a les protestations de la jeune femme, puis les hurlements alcoolisés d’un homme à l’accent bien trop lourd. Elle ne sait pas vraiment comment les choses s’emballent mais la seconde d’après il pointe sur elles un pistolet qui semble bien trop réel. « Nur ? » alors qu’elle fixe l’arme, les jambes qui tremblent soudain un peu trop fort.
Elle n’a jamais aimé les armes .
Encore moins maintenant. Encore moins après avoir vu le corps troué de son père à la morgue pour l’identifier. Encore moins quand ses souvenirs reviennent un peu trop brutalement, jeunesse passée à écouter le son des balles qui tintent sur la table de la salle à manger. Vous devez confondre. On le connaît pas, on vous connaît pas. Vous vous êtes perdu j’pense. J’peux vous aider. On peut le chercher ensemble même… hein ? Nur qui prend les devants, voix rassurante, comme toujours elle a ce côté qui hypnotise. Mais surement pas assez pour l’homme. L’alcool qui bouche les voies sensorielles, les distords, lui qui rejette le contact et qui bouscule la jeune femme en retour. Ne me touche pas connasse ! La violence qui grimpe alors qu’il pointe le canon toujours vers la brune, Jael qui sent les larmes monter aux yeux, l’envie d’hurler, que tout s’arrête maintenant, pas question de crever. « On sait pas ce que vous voulez mais y a pas besoin de ça ! On peut vous aider » qu’elle murmure tout bas, les yeux rivés dans ceux de l’homme, tremblante, trop tremblante, l’envie de vomir qui prend toute la place.