« PUTAIN. » Et c'est gueulé de toute ses forces aux briques d'en face, parce qu'avant y avait un sac plastique planqué dans une fissure mais maintenant, y a juste du rien. Journée de merde, elle l'a su en regardant le soleil droit dans les yeux ce matin. Icarus mon pote, aujourd'hui, t'es grillé. Accroupie près de la planque, elle finit par se relever pour secouer les crampes. Ses jambes martèlent la poussière, droite, gauche, droite. Putain de merde. Y a pas de coupable en vue alors elle se venge sur le sol, parce que c'est le sol qui l'a vu comater quelques minutes, quelques heures, et c'est le sol qu'a rien cafté quand une ombre est venue se glisser pour voler une partie de son fric. Et pour une fois qu'il dort, Matei a rien moufté non plus. Journée de merde, elle l'a su, elle le sait. Pourtant elle se souvient bien d'avoir calé le dos contre la cachette, parce qu'elle se pense qu'à moitié conne et que les moitiés de connes ont au moins une moitié de cerveau. Dans la logique, si tout se tient. Sûrement que la rue joue pas avec les mêmes règles. Ça aurait pas du arriver, ça aurait pas pu arriver. Alors elle gueule, alors elle rumine, alors elle écrase le bitume étonnamment fort pour son poids plume ; si c'était du ciment frais, aucun doute, elle y serait jusqu'aux genoux ou peut-être même qu'on verrait déjà plus les cuisses. Immortalisée dans le paysage et dans la prise rapide, sous l'orange dégueulasse du soleil qui se lève. Mais elle bouge de trop pour que ça tienne, jamais elle s'arrête pour reprendre son souffle, la rage est un moteur qui claque pas sur la distance. « PUTAIN », elle recommence comme si ça allait remonter le temps ou ramener les billets alors que le seul vrai miracle ici, c'est Matei qui bronche pas malgré les décibels. Faut dire qu'emmitouflé comme il est, collé contre sa peau par les manches longues d'un t-shirt qu'elle a nouées dans le dos et entièrement planqué sous la veste, y a peu de chance pour qu'il distingue les jurons. Elle espère, franchement, y a plus de surprise si son premier mot commence par m mais saute le début de l'alphabet pour y faire suivre un e plutôt qu'un a. Toujours la rage tourne, le moteur surchauffe et grogne et les yeux passent au crible le moindre détail. Pour pas aider, le squat est aussi bordélique qu'elle, c'est chiant de se rappeler de ce qui était déjà en place ou de ce qui a pu être déplacé pendant son sommeil. Elle se dit qu'y a pas d'autres solutions, ça vient de se faire et le voleur traîne encore dans les parages. Alors elle balance son sac à dos par-dessus l'épaule – une fois pas deux t'as cru, moitié de cerveau, rappelle toi. Bon, elle s'attarde pas non plus sur le fait que techniquement, c'est pas le sien, de sac. Elle s'en bat total quand c'est dans l'autre sens. Son regard fait des aller-retours sur le trottoir. C'est encore tôt dans la matinée, y a pas grand monde qui circule pour le moment, ça réduit la liste des suspects – d'ailleurs y a bien quelqu'un qui traverse la route d'un pas un peu trop pressé à son goût. « HEY, VOUS. » Ouais, vous. Elle traverse à son tour sans regarder, ça fait gueuler le taxi qui passe. « Vous allez fermer votre gueule et me rendre mon fric, maintenant. »
Dernière édition par Elena Popescu le Sam 24 Mar - 11:27, édité 1 fois
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Lun 19 Mar - 20:34
Les basses me hurlent dans les tympans, funèbres. Écouteurs vissés sur les oreilles, ils me protègent momentanément de mon environnement extérieur et des pensées qui tournoient en boucle sous mon crâne. Dans le reflet d’une des vitrines réfrigérées je croise un regard cave : le mien. J’me reconnais pas. Pas dans ces pupilles éteintes et assorties aux délicates ombres bleutées qui ornent encore l’une de mes pommettes. La dernière trace de violence qu’il reste. Vite, j’tire la capuche froissée pour me dissimuler et me détourne. Les rayons de la petite supérette défilent sans que j’y prête attention. C’est quasi-désert, parce qu’il est très tôt ou très tard en fonction du côté du cadrant. C’est le genre d’endroit où on s’attend à croiser des types louches à bout de souffle et des messieurs bien propres sur eux qui partent au boulot. Moi, j’me contente d’errer. J’évite soigneusement la partie dédiée aux produits de première nécessité pour les nouveaux-nés et me retrouve en fasse des cosmétiques. Mon regard accroche un paquet de teinture. « Corbeau » qu’il clame. J’ai plus d’attention pour rien si ce n’est cette boîte en carton au design un peu cheap. Coup d’œil à droite. Coup d’œil à gauche. Le caissier asiatique pique du nez sur sa chaise, certainement en fin de service. Mes doigts s’avancent comme des ectoplasmes et s’emparent de la convoitise. Et personne ne vient abattre un main vengeresse sur mon épaule. « ‘Scusez-moi… » l’employé lève une paupière pour daigner m’écouter. « J’peux utiliser vos toilettes ? » Il m’indique la direction d’un hochement de menton et repart dans sa somnolence. D’un pas pressé je m’empresse de me rendre à l’endroit dit, et verrouille derrière moi. Mes mains tressautent. Sous l’effet de l’adrénaline j’suppose. Ou alors à cause de cette envie dévorante qui me tord l’œsophage. Les chiottes sont complètement pourris ; pas plus mal j’vais avoir aucun remord à les rendre pire. Cette fois-ci je me fixe sans ciller, renvoyée par le miroir dégueulasse qui me fait face. Deux grands yeux bleus. Des lèvres ourlées. Et surtout ces putains de cheveux blonds. Les mêmes que j’avais quand JJ m’a dérouillé. Les mêmes qu’il s’amusait à charrier et pourtant dans lesquels il entremêlait ses doigts avec plus ou moins de tendresse. J’en veux plus. La teinture éclabousse tout. Recouvre tout. Les mèches s’assombrissent unes à unes, sans délicatesse. J’ai le regard d’une tarée mais j’peux plus m’arrêter. Pas avant que ma version antérieure ait disparu. Je mets une bonne demi-heure à retrouver une respiration normale. Devant moi m’observe d’un air étonné mon double, affublé d’une crinière dégoulinante mais satisfaisante. Black is the new pink.
J’ressors du magasin sans qu’on vienne m’inquiéter. Le soleil s’est levé depuis mon entrée et darde ses joyeux rayons sur tout ce qui croise leur chemin. Moi qui adorait les journées radieuses comme celle qui s ‘annonce… Là j’y prête même pas attention. Je m’enfonce au hasard des ruelles sur mes jambes vacillantes. Paraît que j’ai maigris. Paraît que j’souris jaune. Paraît que je m’éparpille. Ça doit être ça. Partir en vrille j’veux dire. Y a que le boulot qui me cadre un peu et m’oblige à parler à d’autres appartenant au genre humain. Sinon ma langue resterait scellée à mon palais j’en suis sûre. Une voiture me klaxonne quand je traverse fébrilement la rue. Sorry dude. C’est pas que je t’ai pas vu, juste que j’en ai rien à foutre. Je lui adresse un doigt d’honneur bien haut pour lui transmettre le message. J’ai à peine le temps de retrouver le trottoir qu’une névrosée vient me hurler aux oreilles. Je grimace sous l’effet du nombre de décibels et la détaille avec la mâchoire qui se décroche quand je me rends compte de ce qu’elle déblatère. « Sérieusement.» j’avise sa chevelure en bataille et les couches de vêtements dépareillés qui se superposent. « Est-ce que j’ai l’air… » D’être une voleuse ? Bah ouais Nana. Clairement tu reluis pas plus que celle qui te fait face. En fait elle doit même être plus présentable que toi parce qu’elle au moins, elle a pas de taches de teinture plein les oreilles. « Puis merde, j’ai pas ton fric la cinglée. » Je cherche à m’esquiver sans heurt quand un bruit me hérisse l’échine. Ça ressemble au babillement d’un nourrisson. J’ai le cœur qui descend au fond des talons.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Sam 24 Mar - 12:27
Vous, c'est une nana à la tignasse noire pas encore délavée, vous, elle, se décompose sous le coup des accusations déballées à une vitesse qu'en donne le tournis. Elle a pas le temps d'avoir le temps, pas la patience de négocier son bien, son fric, enfin celui qu'Asher lui a laissé la dernière fois. Tu sais où me trouver si besoin. Elle se démerdait parfaitement jusqu'à ce matin, merci beaucoup. Elle toise la présumée voleuse, se dit qu'elle a forcément vu juste. Y a tout qui crie suspect, ça se trouve, l'autre bout de la ville l'entend aussi. Le charbon des cheveux coulent sur les oreilles, la lucarne trahit ce qu'il se trame à l'intérieur. Elle avance vers l'inconnue et ressert les poings. T'es en vrac. Ça lui brûle les lèvres de le faire remarquer, si elle s'en inquiétait réellement. Toujours pas, désolé. Elle veut son argent, elle en a besoin. Matei en a besoin. « Sérieusement. » Bras de fer de regards et elle accroche le sien sans lâcher prise. Elle a pas honte de ce qu'elle affiche, de ce que les superpositions de tissus et les cernes veulent communiquer. Elle est en vie alors qu'elle ne devrait pas. Exténuée mais elle tient bon, parce que funambule sur un toit, striée sous les lames ou perdue au vent, il y a toujours ce quelque chose pour la rattraper de justesse, qu'elle le veuille ou non. Survivante qui s'ignore. Alors elle toise aussi, alors elle plonge tête la première dans le jugement. Et elle échauffe la voix pour rien, parce qu'en plus du reste, cette fille a les tripes de lui dérober sa tirade. « Est-ce que j’ai l’air… » « … de me marrer ? » Pas souvent, si on veut à tout prix se la jouer honnête. La plupart du temps elle a les zygomatiques au repos, les poings en l'air, le menton fier. Tu connaîtras pas mes joies, je te les balancerai à la gueule sans prévenir parce que je m'en fous de savoir ce que tu feras avec. Elles sont à moi. T'entendras pas mes rires non plus, les fossettes sont pas assez creuses pour que tombe l'écho, écho, écho. Non t'auras pas mon sourire, mais j'peux rectifier le tien, suffit de demander. Je suis née pour les retourner. « Puis merde, j’ai pas ton fric la cinglée. » Elle passe une main dans ses cheveux, d'avant vers l'arrière, peut-être que ça fait glisser l'insulte sans un mot. Sans rire. Elle finit par l'ouvrir quand même, un pas de plus vers la nana, menaçante. « Cinglée ? » C'est un rire bref et dénué d'humour qui remonte la gorge, elle secoue la tête et l'absurdité avec. T'es mignonne gamine, avec ta teinture imprimée sur les tempes. Elle a déjà entendu pire que cinglée ; milles et une variantes pour les nuls. Folle, timbrée, jetée, dingue, névrosée, bizarre, perchée, dérangée, aliénée, atteinte. Il est cool, celui-là. Atteinte. Mais on lui a jamais dit de quoi et c'est peut-être trop tard pour savoir, la vie a eu le temps de rendre visite et de recroiser les raisons entre elles. Atteinte, tu crois qu'elle vit tellement haut qu'elle sait plus comment on doit redescendre ? Y a que le contraire qui tienne la route ; elle vit tellement bas qu'elle a oublié comment on remonte à la surface, à l'air libre, paisible sous la stratosphère. Regarde les fringues, vise un peu la dégaine. La tienne, la sienne, c'est du pareil au même. Mate le miroir, il t'a rajeuni de presque dix ans, si c'était juste le vestimentaire elle en serait pas restée bouche bée pendant une seconde. Une très longue seconde. La peau se tire sur une toile similaire, les yeux, les cheveux, tous sortis de la même pénombre. Mais l'illusion ne dure qu'un instant fragile, parce que la figure contre sa poitrine fait ce qu'elle sait faire de mieux. Elle s'éveille. « Regarde ce que t'as fait, mais putain» Elle écarte les bras comme pour lui montrer, lui flanquer la face dans la culpabilité. Elle sait combien de temps Matei met à s'endormir ? Elle se pose pas la question de savoir comment on s'occupe d'un bébé sans moyens ? Réponse : non. Elle serait pas une putain de voleuse sinon. « T'es contente ? Le fric ça te suffit pas ? » Les reproches fusent mais elle ne s'arrête pas là. Tout son corps se meut sous l'effet grisant de la colère, elle tend un doigt accusateur à quelques centimètres de son visage seulement. « J'vais pas le répéter pendant des heures, rends-le moi. »
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Dim 25 Mar - 19:36
La nana m’lâche pas. Elle vient même se camper devant moi avec ses phalanges blanchies sous la pression. Mon insulte à peine marmonnée lui glisse dessus, sans prise. Ça m’étonne pas elle doit en avoir vu d’autres. Des pires. Des sales. Des mots qui vous lacèrent les entrailles et vous bousillent les neurones. Au bout d’un moment on y fait plus attention et puis on finit par s’en foutre carrément. J’note ses yeux aussi sombres qu’un lac dans une forêt en pleine nuit. J’y vois que de la colère et la détermination de récupérer son fric que j’ai pas. J’espère au moins qu’on parle d’un sacré paquet pour déclencher autant d’agitation. Ça m’fatigue déjà. Mes épaules s’affaissent sous le poids irrépressible de toutes ses emmerdes qui semblent dorénavant composer mon existence. Celle qui se déroule maintenant n’en sera qu’une de plus à ajouter. C’est à ce moment là que le gémissement retentit entre nous. J’me retourne lentement. Mes yeux balayent la rue, les murs sales, le trottoir fissuré, les vitres anonymes. Persuadée que ça peut provenir que de mon imagination déformée. Mais l’inconnue ouvre les bras couverts d’oripeaux pour dévoiler l’enfant blotti contre elle. Le reproche qui vibre dans ses syllabes crachées ajoute une note tragique à la scène. J’en suis toute hébétée. Tellement que j’ai même pas l’envie de mettre un coup de dent dans la pulpe de l’index qu’elle m’agite sous l’nez. Comment c’est possible ? Comment c’est possible que même une SDF dans son genre puisse avoir un môme. Pourquoi ? Les gens comme elle devrait s’en tenir à survivre s’ils sont pas foutus de s’occuper d’autre chose qu’eux-mêmes. Pourquoi pas moi ?
J’me rends compte qu’elle est toujours en train de réclamer son argent à cors et à cris. Quelques passants nous regardent brièvement, de loin, avant de se détourner. Pas parce qu’ils sont pudiques : parce que deux paumées en train de s’engueuler avec un gosse entre elles c’est d’une gêne… « J’ai pas tes thunes. » J’répète ça d’une voix hachée sans tenir compte du spectacle qu’on peut donner. A cette distance j’peux voir la tête du bébé parsemée de cheveux fins s’agiter. Il a faim, j’le décrypte dans ses cris inarticulés. La jeune femme me fusille du regard ; comme si c’était moi la responsable du dérangement du p’tit alors que je faisais que marcher sans chercher –pour une fois- à déclencher de catastrophe putain ! « J’peux t’aider à chercher si tu veux. Occupe-toi de lui pendant c’temps là. » Okay… C’est pas du tout ce que j’ai prévu de dire. J’sais pas pourquoi ce sont ces mots-là qui sont crachés par mes cordes vocales, presque avec douceur. Mon expression se transforme sans crier gare : plus mes pupilles se vrillent sur le nourrisson, plus mes lèvres s’étirent en une mascarade de sourire. Pourquoi pas moi ? Je tends vers la brune les deux paumes en l’air dans un geste d’apaisement. J’ai plus envie de partir, ni de devoir me foutre sur la gueule. « Tu l’avais laissé où ton argent ? » Autant que j’fasse une bonne action. Ou essayer du moins, j’ai que ça à faire de ces heures sans but qui s’étirent sans fin. Je l’observe sans animosité. Elle est belle avec des traits intemporels. Le genre de visage que les peintres s’arrachent, qui font tourner les têtes et murmurer les femmes. J’me demande ce qu’une jeune mère aussi belle peut foutre sur le trottoir. Quelle série d’évènements ont bien pu s’produire pour l’amener à une telle extrémité.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Sam 31 Mar - 11:50
Abrasifs. Les cris lui arrachent la gorge au papier à poncer. Ça a pas toujours été aussi violent, elle croit se souvenir du contraire – mais entre offrir sa confiance aux bribes de souvenirs dans sa tête et se couper un bras, le choix serait vite fait. C'est vrai, une seule main suffit pour menacer les passants dans la rue, la même main et les mêmes doigts qu'elle secoue encore frénétiquement devant la voleuse. Mais ça a pas toujours été aussi violent, il y a une éternité en arrière les mots étaient plus doux. Un peu de miel et de soleil, une aura qui tire dans les tons pastels. Où est-ce qu'elle est partie, elle a l'impression de vivre dans le noir complet depuis trop longtemps. Incapable de reconnaître la lumière même si on vissait l'ampoule à trois fois rien de ses globes oculaires. C'est peut-être pour ça que la vision est déformée et que le monde entier semble infiniment plus moche à mesure que le sablier se vide. L'interrupteur est cassé. Hors-service intemporel. Au moins dans la pénombre, elle sait sur quel pied danser – les rares fois où ça clignote épileptique, la confusion prend le volant et cale le moteur sur un rythme qui tire aux tripes. La famille. Cale. Matei. Cale. Les faiblesses du cœur. Cale.Iulia. Impossible de redémarrer l'engin, la carcasse dévale la côte avant de se crasher en bas. Ouais, elle préfère la nuit et garder ses propres semelles sur les pédales. Accélérateur au plancher. C'est plus compliqué de distinguer les dégâts du reste quand on y voit que dalle. « J’ai pas tes thunes. » Mais t'as une drôle d'expression collée sur le visage depuis que t'as compris d'où sortait les braillements. Elle n'arrive pas à replacer ce que ça signifie, elle se dit seulement que peut-être, peut-être, elle n'est pas la seule à avancer à tâtons dans l'obscurité. C'est nouveau ? Tu t'es égarée du chemin depuis longtemps ? Elle replie les phalanges, poing ballant contre sa cuisse. « J'te crois pas » Curiosité maladive, il faut qu'elle comprenne, il faut qu'elle dévisage la nana sans s'en cacher. L'inconnue porte des traits trop fins, trop jeunes. A bout de bras. Et si c'est nouveau... Qui t'as fait ça ? On dirait pas le genre de gamine à actionner le dispositif sur la position off de son plein gré. Tu l'as pas fait toute seule. C'est pas un reproche, elle constate juste. Tout le monde n'a pas ce qu'il faut dans le bide pour se mener soi-même à abattoir. Elle la regarde toujours, les yeux légèrement plissés. On n'a pas tous ce qu'il faut dans le sang pour se tirer soi-même le long de la pente. Cale. Et merde. « J’peux t’aider à chercher si tu veux. Occupe-toi de lui pendant c’temps là. » Y a un timbre de voix différent et deux paumes fragiles levées en signe de pause, on arrête. Ça la déstabilise plus qu'elle ne voudrait, encore une fois, la ressemblance a raison de sa furie. Au diable les gens qui arrivent à tirer sur son animosité du premier coup. Au diable sa réputation qu'est pas foutue de suivre la cadence. « Tu l’avais laissé où ton argent ? » Elle se laisse distraire par les babillages de Matei, les cheveux corbeaux de l'inconnue qui pointent dans tous les sens, les gens qui lancent des regards mais qui jamais ne viennent s'interposer. Puis elle percute enfin ce qu'on vient de lui demander. « De ce côté là d'la rue » et elle hoche la tête dans la direction opposée au trottoir sur lequel elles débattent. Qui a raison, qui a tort. Qui traversera la route la première – sûrement pas elle. Elle refuse de quitter l'inconnue des yeux, les tactiques foireuses, ça la connaît. Elle a même du en inventer une ou deux. « Si t'en profites pour te casser, j'te jure... » qu'elle prévient alors qu'elle se contorsionne pour défaire le nœud dans son dos et repositionner Matei contre elle. « A ta place j'essaierais pas. » Elle court vite. Puis elle a que ça à foutre.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Mar 3 Avr - 20:25
Elle m’répond pas tout de suite. Y a un blanc dans ses pupilles qui se posent partout sauf sur moi. C’est ce genre d’absence qui s’invite sans crier gare. Déconnexion méthodique passant pour de l’insolence. Mais c’est pas vrai. On est juste ailleurs pendant quelques secondes, prises dans la matrice. Le bruit ambiant de la circulation me saute aux oreilles. Moi aussi j’ai oublié où on était. Zappé les chauffards matinaux et les gens pressés. La sonnette des vélos et les criaillements des gosses qu’on amène à l’école. Ça forme une bande-son familière et qui m’horripile. J’préfèrerais qu’on reste dans notre bulle incongrue, l’inconnue, son môme et moi. D’ailleurs, elle aussi rend les armes quand j’agite mon drapeau blanc, même si elle affirme d’un ton cassant que j’suis une fieffée menteuse. Elle aurait pas tort en temps normal. « J’avais compris. » La nana me scrute sans aucune gêne. J’détourne pas les yeux : se faire décortiquer par une semblable c’est pas grave. Elle doit se dire que j’paye pas de mine avec les cernes creux et la peau crayeuse. Sans compter les vêtements défraîchis ou les cheveux broussailleux. Mais elle doit aussi penser qu’il y a un air de ressemblance. Le menton qui défie le monde entier et le port de tête qui vous envoie au tapis. Au final y a guère que l’âge qui change à peine et la couleur des prunelles qui se cherchent mutuellement. Elle me désigne l’autre côté de la rue quand je l’interroge sur le lieu du crime. Encore une fois nos regards s’entrechoquent : c’est à la première qui craquera. En tout cas c’est elle qui menace d’abord. Et c’est tellement décalé de l’entendre prononcer cette mise en garde – comme si j’allais en profiter pour filer et la larguer là – avec un ton aussi sérieux, son mioche dans les bras, que j’en rigole. A cause de la présence d’un bébé bien vivant ? Parce qu’elle me traite comme un être humain normal ? Peu importe. Je ris vraiment. Pour la première fois depuis des lustres, à gorge déployée. Ça m’dépoussière les bronches et me fait venir les larmes aux yeux. S’en est presque déplacé, mais il cascade entre nous, encore et encore, en se répandant sans gêne. Rire clochette. Rire trille. J’en viens à me tenir les côtes qui tressautent frénétiquement. Puis l’écho diminue et se meurt. J’me sens plus détendue qu’après un joint. J’finis par relever les yeux sur la jeune femme. J’ai pas envie qu’elle s’imagine être la cible de ma crise de rire. J’voudrais aussi la remercier. Mais ça serait de trop. « Désolée, ça fait un bail que j’ai pas trouvé quelque chose d’aussi drôle. Tu devrais songer à t’réorienter. » J’me dis qu’elle peut aussi le prendre mal alors j’essaie de me remettre d’aplomb. « J’vais aller voir. » J’amorce un pas, puis un deuxième. J’me retourne quand même avec – ô miracle – un coin des lèvres relevé qui persiste. « Tu peux aussi m’accompagner. On s’ra plus efficaces. » Je traverse la circulation en prenant garde cette fois-ci à éviter la collision. J’prends conscience du soleil qui me chatouille les joues et j’lui en veux même pas. De la douceur du fond de l’air. De mes poumons qui battent la mesure. Du plaisir qu’on peut avoir – que j’avais – à faire des rencontres hasardeuses. Étranges. Mais pas forcément déplaisantes. Déclic. Nana l’hirondelle avec ses à-coups. Elle est encore là, et aujourd’hui elle a décidé de montrer le bout de son nez. Aujourd’hui, j’ai l’goût de vivre sur la langue.
La gamine rigole comme elle n'a jamais entendu rire avant. Elle se tord au point que ses propres mains hésitent à s'étendre dans la direction des éclats, elle veut s'assurer que son miroir déformant ne risque pas de se briser en deux sous le poids soudain de l'euphorie. Ou que les morceaux n'atteignent pas la cible de son corps. Elle rêve pas, la lumière du matin réchauffe de plus en plus la peau exposée de ses bras, et les passants continuent leur chemin, un rien déviés par le cristal et la pureté que la voleuse explose sur le trottoir. Porcelaines, vases précieux par centaines. Les étalages foutus par terre, les rires qui se fracassent et ricochent autour de leur spectacle absurde. Elle rêve pas – elle rêve, ou c'est bien d'elle qu'on se marre ? Attends une seconde. Elle fronce les sourcils, redescend de son nuage aussi vite qu'elle a grimpé dessus. Les regards s'accrochent à nouveau, elle cherche à comprendre comment s'y retrouver dans un bordel pareil. Parce que la dissonance fait tâche, bavure quasi plus cirage que la couleur de ses mèches humides. Les pieds pataugent dans le clair-obscur, ça bouillonne noir tout d'un coup. « Désolée, ça fait un bail que j’ai pas trouvé quelque chose d’aussi drôle. Tu devrais songer à t’réorienter. » Vraiment. Parce qu'elle songe à réorienter ses doigts, du plat au poing, et est-ce qu'elle a envie de rire encore histoire qu'elle puisse lui montrer ? Elle a les crocs qui se dévoilent dans un sourire faussement joyeux mais elle ne trompe personne, la fille aussi a toujours les commissures qui s'étirent vers le ciel bleu. Plus haut, plus authentique. C'est Matei qui fout les menaces en l'air, elle y croirait pas non plus si les rôles étaient inversés. D'ailleurs elle galère toujours à l'installer comme elle le souhaite, et moins elle y arrive, plus il se débat. Plus il se débat, et plus elle perd patience. Elle gémit de frustration, trop bas, seul le bitume peut le percevoir, putain merci. La journée est à peine sortie du lit qu'elle espère sincèrement que le soir ira se recoucher vite. Et tôt. Et pendant deux nuits d'affilée.
« J’vais aller voir. » Et le meilleur dans tout ça, c'est qu'elle le fait vraiment. Sa figure osseuse trace la voie, non sans se retourner deux enjambées plus tard. « Tu peux aussi m’accompagner. On s’ra plus efficaces. » Pas un mot de plus de sa part, elle file la même trajectoire entre le pare-chocs des voitures et la défiance. Y a plus qu'elle de son bord du trottoir, maintenant. Elle attire le corps frêle de Matei contre le sien, même si elle a toujours pas réussi à venir à bout de ses plans, elle se débrouillera mieux de l'autre côté de la route. Alors elle se rue pour rattraper l'avance, le sac sur son dos s'agite dans la course. Sur la rive voisine elle est étonnée de voir qu'on l'attend, qu'on a pas essayé de la tromper à coup de rire cristallin. Elle tire sur la sangle de son sac. « C'était là » et elle désigne les pierres mal imbriquées dans le mur devant elles, jamais sans regarder où elle pointe. Elle veut lire l'expression sur le visage de la fille, mais encore une fois, n'y décèle rien. Décidément. Elle se met à bercer son fils, l'air pensif. « Donc c'est quoi l'problème avec toi » qu'elle demande en se retournant. « Ton problème, ce qui déconne, quoi. Formule le comme ça t'chante. » Et elle se détourne pour se rapprocher du mur, elle pourrait pas exactement dire où commencer les recherches. Tout se ressemble. « Elena, au fait. » Elle peut commencer par ça.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Mer 11 Avr - 0:10
J’me rends compte qu’elle m’embraye le pas que lorsque je pose le pied sur l’autre trottoir. Son p’tit est toujours en train d’exprimer son mécontentement à avoir été sorti d’sa sieste. Sans blague. Ça résonne étrangement chez moi, sublimement effroyable. Atrocement réconfortant. Pourtant avant, j’m’étais jamais posée la question d’avoir un môme. C’est arrivé comme ça, parce que trop de cul sans vraiment faire attention. Au début j’ai même pas tilté. Les nausées, les crampes, l’absence de menstruations… J’étais trop occupée à vivre n’importe comment pour trouver l’temps de m’en inquiéter. Et puis une fois que j’ai eu pissé sur des dizaines de test j’me suis rendue à l’évidence. Une évidence qui m’paraissait tellement absurde que j’les ai collectionné à l’abri dans le tiroir de ma table de ma table de chevet pour bien me foutre dans le crâne cette réalité. En vrai, j’savais pas exactement quoi faire. Le dire à JJ oui, mais quand ? Il passait son temps en vadrouille à foutre je n’sais quoi de sa peau. Et puis quand il l’a découvert par lui-même… La question ne s’est plus posée. Ne se posera plus. Jamais.
J’reprends pied quand la voix de l’inconnue teinte à mes oreilles. Un coup d’œil dans la direction qu’elle m’indique pour ne constater qu’un mur anonyme parmi tant d’autres. Puis j’retourne le regard vers elle, qui ne m’a d’ailleurs pas lâché des yeux. Elle pense peut-être que j’vais vraiment finir par me faire la malle. Son fils dans les bras, elle m’interpelle. Qu’est-ce qui tourne pas rond chez moi ? Mon premier réflexe c’est la rage. Celle qui vous prend aux tripes et vous laisse tout pantelant. J’ai envie de lui dire d’aller s’faire voir, que finalement, elle peut bien l’chercher toute seule son argent. Mais y a cette main potelée qui attrape la frange du châle cradingue et qui me chamboule. J’respire un bon coup et me mets à triturer les pierres poreuses, comme si j’étais en train d’essayer de déloger celles douloureuses des fondations de ma propre existence. J’préfère répondre à sa phrase la plus simple. « C’est joli. » J’continue à m’abîmer les ongles contre les briques. « Moi c’est Eanna. Mais tu peux m’appeler Nana, comme tout l’monde. Il paraît que c’est plus commode. » J’finis par lâcher l’affaire. Apparemment on perd notre temps en essayant de découvrir des billets passe-murailles. Alors j’me redresse et lui demande en le désignant d’un doigt délicat. « Et lui ? » Lui qui vient à peine d’être balancé dans un monde de merde, pendu aux jupes d’une vagabonde. J’suis sincèrement curieuse. Et puis, ça m’permet de gagner du temps aussi. Je me décale un peu en sondant les environs, à la recherche d’une éventuelle cachette qui devrait nous sauter aux yeux. En même temps j’commence à marmonner. Plus clairement que j’le voudrais. « Mon mec m’a mise enceinte. J’ai perdu l’bébé. Il est en prison en c’moment. » Outch. Trois constatations abrasives pour résumer des semaines de ponçage à blanc d’mon âme. J'me dis aussi que, force de l'habitude, j'en viens à présenter JJ comme mon compagnon actuel. Mon cerveau arrive pas à imprimer sa barbarie visiblement. Ça m'empêche pas de continuer sur ma lancée. « J’l’ai perdu parce qu’il a pété un plomb et… J’peux plus avoir de gosse. » C’est la première fois que j’en parle de vive voix. Jusqu’à maintenant j’me suis contentée de tendre à Sam et à Daire ce foutu compte-rendu médical qui donne le verdict noir sur blanc. Parce ça m’évite de l’dire, tout simplement. Et là, j’sors ça sans pression à une sombre inconnue rencontrée y a trois minutes trente. J’suis pas nette. « Et toi ? Pourquoi t’es à la rue ? » Mais c’est simple parfois.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Jeu 12 Avr - 22:24
Elena. Elle goûte les lettres qui roulent paresseusement sur sa langue, redécouvre l'amertume et la pointe de sel, celle qui s'est infiltrée sous tant de plaies ouvertes. Son prénom pique, son prénom creuse, lèche, érode les blessures et laisse une trace indélébile. « C’est joli. » Pour quelqu'un d'autre peut-être, elle acquiesce en silence parce qu'elle a pas entièrement tort, la gamine. Eanna. Nana, comme tout l'monde, et ses mains qui s'affairent à retrouver les liasses vertes dans le mur. Tu sais quoi, elle préfère le pas commode. Ça lui traverse l'esprit quand les rotules grincent pour se baisser à sa hauteur et fouiller aussi, pendant qu'elle y est. On va pas y perdre la journée, si ? Elle se lime les phalanges sur la rocheuse mais toujours rien, rien, rien. La recherche est vaine, sa tête est ailleurs. Tu sais quoi, elle préfère Eanna. Y a peut-être une signification derrière, y a peut-être juste une maigrichonne qui désigne son fils du doigt. C'est con, ce doigt serait pointé sur autre chose, elle lui aurait donné son avis. A Eanna. Mais c'est trop d'attention d'un coup sur la minuscule caboche de Matei, une cible géante qui clignote et scande il est là, il est là, il est là. Sonne minuit quelque part sur le globe et la magique se meurt, Nana redevient commode, l'image vrille, l'air manque. Elle finit par se relever aussi – la curieuse vient de jeter l'éponge. Elle se prend la tête dans les mains. C'est une perte de temps, une putain de perte de temps. Les billets sont absents, son gosse est inconsolable, la migraine commence à tambouriner au carreau et elle mord tellement la lèvre inférieure que ça dérape et fait rougir le sang. Puis elle a toujours pas répondu à la question, elle veut pas, elle esquive. « Techniquement il en a pas, j'ai pas eu l'occasion d'faire la paperasse. » Sur une échelle de un à dix, elle se demande à quel point ce genre de vérité la propulse au rang des mères catastrophes. Au pire, elle compte pas prendre en considération les dires de gens commodes. Elle leur casse l'échelle sur le dos, merci beaucoup. Nana s'éloigne, jamais trop loin pour qu'elle puisse la soupçonner de retourner sa chemise, mais toujours trop près de Matei pour qu'elle ose tourner le dos, rien qu'une seconde. Les dégâts d'une seconde. Est-ce qu'elle sait, que les pires cataclysmes se jouent en une poignée de millième seulement ? « Mon mec m’a mise enceinte. J’ai perdu l’bébé. Il est en prison en c’moment. » Trois phrases. Trois phrases soufflées, à peine audibles, et elle se pend au silence dans le doute d'avoir mal décodé. « J’l’ai perdu parce qu’il a pété un plomb et… J’peux plus avoir de gosse. » Une poignée de millièmes. Il suffit d'une poignée de millièmes de secondes pour foutre une vie en l'air. Deux vies. Un réflexe idiot, ses doigts accrochent ceux de son fils. Quelque part dans son crâne, la révolte vient de changer d'opposant. Y a pas de visage distinct, pas de portrait robot, elle l'imagine comme le peu qu'on lui a décrit – insolent, vide. Qui que tu sois, elle espère sincèrement que c'est plus qu'une garde à vue. « Et toi ? Pourquoi t’es à la rue ? » C'est maladroit de reprendre la parole après ça. Elle fait de son mieux. « Mon mec m'a mise enceinte. Quand je l'ai su j'avais déjà quitté la ville. Il est peut-être à la prison en ce moment, mais du bon côté des barreaux. C'est lui qui m'a passé le fric. » Forcé le fric dans la main serait plus exact. Mon mec. Feu mec, encore bien vivant mais pourtant si mort. Y a quelque chose de confortable dans le fait de se confier à une inconnue – personne tient les comptes des vérités et des mensonges. Elle peut être ce qu'elle veut, reprendre l'histoire où ça lui chante. Dommage que ça puisse pas lui ramener son fric. « Eanna ? » Pas Nana. Elle passe la langue là où le sang a recommencé à perler, inquiète davantage la peau fine. « Pour c'que ça vaut, j'espère qu'il en ressortira pas maintenant. Ton mec. » Elle a le regard lourd et elle refuse de lâcher. « Et j'suis désolée, t'sais, pour » ça, l'abdomen qu'elle pointe de l'index. Le regard file, se perd dans la continuité du geste. C'est pas vrai, c'est une coupure qu'elle aperçoit ? « Oh putain c'est pas trop tôt » et c'est surtout pas du tout là où elle avait initialement indiqué. C'est qu'un détail, hein.
Wouah. Alors si ça c’est pas l’top des mères indignes… Ma bouche s’entrouvre légèrement sous l’coup de l’incrédulité. Et revient tout aussi vite à un sourire. Non, pas une mère indigne. La façon dont elle le couve du regard et l’attendrissement qui s’y trouve fait fondre toute la glace perpétuellement logée dans ses prunelles. Elle l’aime. C’est une douce évidence. Elena a l’air de distribuer son affection avec parcimonie, presque mesquinerie. Mais quand elle le fait ça m’semble bien solide…
J’déballe mes malheurs sur l’autel de la misère. Pourtant, quand j’raconte tout à demi-mots succincts à la jeune femme, j’ai pas l’impression d’être si pathétique. J’ai un toit et un boulot. Elle a son intégrité physique et une descendance. Balle au centre. J’vois bien le réflexe primaire qui rebondit dans sa cage thoracique quand elle saisit la main de son fils. C’est pas aussi douloureux que j’aurais cru. Peut-être parce que c’est atténué par les révélations de sa propre histoire. L’envers de ma réalité. J’me demande si c’est elle qui a décidé de mettre les voiles et de vivre d’affranchissement et d’eau fraîche. J’pourrais presque vouloir être à sa place. Quoique… élever un gosse seule en zonant au milieu des buildings c’est pas ce qui peut s’appeler un plan de vie réussi non plus. Ça n’me fait que l’apprécier davantage.
Eanna. L’oiseau. Ça m’fait bizarre d’entendre mon prénom complet prononcé par une autre voix que la mienne. E-a-nna : le bout de sa langue exécutant trois pas de danse sous son palais. « Merci. Pour c’que ça vaut. » Je hoche la tête en même temps. Ou alors je la secoue pour dénier sa compassion, j’sais pas trop. « J’espère que l’tien fera un peu plus que te donner de l’argent. » Des lèvres contre les siennes. Des baisers de peau. Des successions de mots, mais pas de maux. Je fixe son doigt pointé sur mon ventre sans comprendre. J’ai pas encore assimilé d’être un réceptacle conditionné au vide. Le constat m’envoie à chaque fois un direct à l’estomac. « Ouais… J’vais finir par m’y faire. » J’serre les dents pour éviter un étalage pleurnichard. On a dit qu’aujourd’hui ça irait. Que même si ça a mal commencé y a pas besoin qu’ça continue dans la même lignée. Elena m’offre la distraction voulue avec le soulagement qui s’entend dans sa voix. Je suis ses prunelles échouées contre un pan de mur identique à tous les autres. Identique jusqu’à ce qu’on l’observe plus attentivement : y a un coin froissé de papier vert qui dépasse des jointures. Ben si c’est pas une putain de baraka ça… J’la regarde sans trop savoir quoi faire. J’suis pas sûre qu’elle apprécierait que je récupère l’argent. Son argent. « Tu veux que j’te l’tienne ? » La question sonne étrangement entre nous. Mais j’ai moins de risque de m’tirer avec le p’tit dans les bras plutôt qu’un paquet de biftons de quelques grammes. Puis j’suis pas assez névrosée pour enlever un bambin. N’est-ce pas ? « Ou j’te laisse te débrouiller. Si tu préfères. » J’me balance d’un pied sur l’autre sans savoir quelle direction prendre. Maintenant qu’elle sait, j’ai peur qu’Elena juge. Et sévèrement. Pourtant c’quelle t’a dit t’a fait du bien. Ouais, et j’pensais aussi que j’allais vivre pour toujours avec ma bande de joyeux lurons. Que JJ m’aimerait à tout jamais. Et que j’aurais pas envie d’me flinguer à vingt-deux ans à peine révolus. Le pays des licornes c’est des putains de conneries.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Dim 22 Avr - 22:13
Enfin. Les billets lui arrachent le soupir qui patientait difficilement dans ses poumons. Elle n'y croyait plus. Ça pétille vert oseille derrière les rangées de cils, l'argent est venu rehausser la couleur banale de ses prunelles. Noir abyssal, gorgone qui transforme les plus téméraires en statues de pierre. Eviter son regard dans le miroir pour ne pas se faire appâter, y a pas plus Judas que sa propre réflexion. Son propre mirage – le désert ne sait pas ce qu'il manque. Elle scrute mais Eanna est toujours plantée au même endroit, une expression indescriptible peinte sur le visage, gouache écrasée en travers des pommettes. Tout ce que ça lui rappelle, c'est qu'au fond, elle ne connait rien de la gamine. Seulement le pire. Et ça devrait être suffisant ? Elle baisse les yeux vers le ventre qu'elle a désigné comme fautif de tous ses malheurs, y a de ça une petite minute seulement. Et comme le temps file, mais n'efface pas ce que l'inconnue a pu lui avouer. Ça a le mérite de la faire hésiter, de l'empêcher de braquer le flingue qui dort dans son sac comme une idiote, parce qu'elle ne tirera pas. Que de la gueule, les grandes persuasions. Pâle imitation de sa sœur, tu ne lui arriveras jamais à la cheville même en rassemblant tous tes efforts.
Pleurnicharde.
Parce qu'elle ne fait confiance à personne, donc surtout pas à Eanna, ses pieds refusent de céder ne serait-ce qu'un centimètre de terrain. Elle est décidée à rester immobile aussi longtemps que son clone d'une autre vie le sera, mais c'est juste là, à portée de main. De mur. Les sourcils sont froncés et la mémoire rembobine la cassette. Aucun souvenir d'avoir planqué le pactole dans cette fissure, si ça devrait l'inquiéter, ça l'échauffe juste de quelques degrés supplémentaires. A vif. Elle entrouvre les lèvres, mais on lui coupe la parole. Ça bouillonne. « Tu veux que j’te l’tienne ? » Son argent ? Elle ricane, bref, à moitié toussé tellement ça lui paraît absurde. Mais en suivant son regard, elle se rend compte que ce n'est peut-être pas de sa cagnotte dont Eanna parle. Une chose bien plus précieuse encore, l'unique denrée qu'elle ne pourra plus jamais faire fleurir. C'est le mien. Pourquoi à chaque fois que ça commence à remonter la pente, il faut qu'elle en dégringole la seconde suivante ? Au loin, y a la paranoïa qui revient au galop. J't'ai manqué ? « Ou j’te laisse te débrouiller. Si tu préfères. » Milles fois oui, sans hésiter. Elle grince des dents. « J'peux le faire toute seule, c'est bon. » Et elle couvre Matei de son bras droit, c'est le gauche qui s'écorche sur la matière une fois qu'elle est passée devant Eanna et s'est accroupie au niveau des billets. J’espère que l’tien fera un peu plus que te donner de l’argent. Il me brise le cœur, ça compte ? On est à égalité maintenant. Elle se redresse, fourre tout dans la poche arrière de son pantalon, ça vaut pas mieux qu'un mur dont l'existence lui revient pas. N'importe qui s'en rendrait compte, sauf elle. « Donc. » Donc ? La plante de ses pieds bercent l'hésitation, incertaine de ce qui devrait suivre le mot. Des excuses, elle s'est jetée sur la première innocente du trottoir d'en face. Des excuses, elle l'a incendiée pour rien. Des excuses, ça la pèse. Elle a le regard fuyant qui comme par hasard s'intéresse à tous sauf à Eanna. « Donc désolée, j'suppose. » Elle suppose pas trop mal, ça s'appelle la politesse. Ta gueule. « T'avais peut-être d'autres trucs à faire » avant la collision.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Mer 25 Avr - 17:39
Elena m’rembarre. Sèchement. J’hésite à prendre ombrage et ressortir une gueulante. J’ai perdu une demi-heure de mon existence avec toi ma grande, alors t’es gentille mais ton numéro d’indépendante furieuse tu peux te le carrer où j’pense. Néanmoins je prends simultanément conscience de pas m’être sentie aussi légère depuis un siècle. P’t’être depuis l’époque des repas familiaux au complet avec toute la tribu irlandaise, ou du début du lycée en compagnie des Kids pas encore trop amochés. Périodes béates et insouciantes.
Alors je la ferme. J’la regarde les bras ballants, ramasser le magot d’une main, l’autre occupée à maintenir son trésor braillard. Elle a presque l’air soulagée de remettre le grappin sur les biftons. Je retiens un sifflement ironique en me faisant une idée de la somme. Son mec doit être riche. La jeune femme se retourne en prononçant des paroles qui semblent lui écorcher la langue. J’imagine qu’elle doit pas être habituée à présenter des excuses, que je ne demandais pourtant pas. Cette histoire de voleuse est déjà oubliée tout comme - j’espère - celle de la cinglée. « Ouais… Faut que j’y aille. » Il paraît que je travaille ce soir et j’peux pas me permettre de louper le boulot si j’veux pouvoir payer mon loyer en temps et en heure. Pour une fois. « C’est cool que t’aie tout retrouvé. » J’tourne le dos sans autre formalité et commence à tracer ma route. Le beau temps est encore présent, comme la foule de plus en plus dense qui envahit les rues de Savannah. Rien n’a bougé depuis tout à l’heure. Sauf ce nouveau visage affublé d’un joli prénom qui s’ajoute à ma collection. J’m’arrête au bout de deux enjambées et rebrousse chemin.
Elena est encore plantée sur l’asphalte là où je l’ai laissé. J’file droit sur elle. « J’ai oublié un truc… » J’ai pas mon téléphone sur moi mais je fouille mes poches jusqu’à trouver un bon de commande froissé et un stylo qui dégueule d’encre. J’griffonne maladroitement mon numéro entre les cuba libre et les whisky on the rock mal écris. Mes deux doigts le lui tendent, accompagnés d’un regard entendu. J’sais que je prends le risque qu’elle m’envoie encore sur les roses. « Tiens c’est mon portable. Si jamais t’as… vous avez besoin d’un endroit où crécher tu peux m’appeler. J’te préviens c’est pas l’grand luxe. » Mais y a un toit, quatre murs, et un canapé où dormir. C’est toujours mieux que les badauds curieux, les regards indifférents ou trop curieux, l’humidité de la nuit. C’est toujours mieux qu’la rue et les crissements de pneus. Et puis personne lui voudra du mal là-bas. « Par contre j’fais pas dans la charité, faudra m’aider. » J’parle pas de thunes. Juste de corvées à la con et d’une présence. Même pas de discussions. J’réalise que j’ai un peu envie qu’elle s’impose et prenne trop de place chez-moi, au moins pour quelques jours. Pour plus entendre les secondes qui s’égrènent et l’écho de ma propre voix. « ‘Fin, voilà. À plus. » Trois battements de cils, deux de cœur et un sourire. Mes offrandes comme au revoir. Ou adieu. J’m’attarde quelques secondes sur la bouille à peine éveillée du bambin. La grave dans l’marbre triste de ma mémoire. J’finis par les quitter. Je m’en retourne vers chez moi, la tronche toujours en bataille, les pensées sombres toujours en arrière-plan. Mais bien plus apaisée en les ayant rencontré que grâce au coup de teinture sur les cheveux.
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Sujet: Re: stranger danger (eanna) Sam 5 Mai - 11:00
T'avais peut-être d'autres trucs à faire, elle, rien.
Errer dans la ville comme elle erre dans ses heures, accrocher d'autres passants sans histoire, planter sa paranoïa dans d'autres côtes innocentes, passer le temps puisque le temps passe dans tous les cas. Lentement. Les journées se comptent par poignées pleines à craquer mais elles ne lui servent à rien. Survivre, fuir les mains tendues. Elle toise la gamine, le menton plus fier encore que ceux des gens qui se tiennent en haut du monde. Et elle doit leur paraître ridicule, depuis leurs nuages plaqués or – heureusement qu'elle s'en fout, y a que l'anatomie qui l'empêche de forcer le geste, encore plus d'arrogance dans un corps trop petit pour la contenir. Elle craquelle de partout. Ça étire le manque de bonnes manières aussi, elle renchérit que dalle par dessus les mots d'Eanna. C'est pas une amie, c'est qu'un prénom sur un visage qu'elle aura sûrement oublié la semaine prochaine. C'est rien que des cheveux qui gouttent encore de l'encre sur le bitume chaud quand la silhouette se retourne et s'en va, parce qu'elle ne dit rien pour la garder à côté de ses pompes. Dégage, fais comme les autres. Elle est bien toute seule, ça se voit pas ? « Qu'est-ce qu'on va faire, hein ? » qu'elle demande platement au corps qui gigote dans ses bras. Toute seule, ou pas. Donne des idées, gamin, ta mère est toujours plantée devant le mur et vise les pierres comme si ça allait transformer vos vies. Y a des chances que pour non, tout reste de marbre. Le soleil n'amènera rien de nouveau demain matin. Y a des chances pour qu'elle hallucine pas la voix qu'elle entend non plus, mais on ne sait jamais, avec la tête qu'elle se trimbale. Son corps mise sur le doute, met trois fois trop de temps à se retourner. Lenteur artificielle. Si seulement elle avait eu les bras libres, elle les aurait croisés sur sa poitrine. « J’ai oublié un truc… » Génial. Dommage pour toi. Je t'aiderai pas à chercher si c'est ce que tu veux, j'en ai ma claque pour les siècles à venir. Elle fronce des sourcils en regardant Eanna se batailler avec le fond de ses poches. A première vue, c'est elles qui tiennent l'avance. Les yeux se tapent le tour des orbites. « Ecoute c'était sympa, mais si c'est pour réclamer une partie du fric, tu peux rêver. » La confiance crève les yeux, elle titube dans l'obscurité des phrases qu'elle crache sans même y réfléchir. Sans même faire le rapprochement avec le numéro gribouillé sur le minable bout de papier. Tiens, les poches ont perdu, elle aurait pas cru. Elle s'empare du bon de commande comme s'il allait lui brûler les doigts – pas loin, le glissant vient mordre un bout de chair. C'est le moment d'avouer qu'elle n'a pas de téléphone ou ça peut attendre, disons, jamais ? « Tiens c’est mon portable. Si jamais t’as… vous avez besoin d’un endroit où crécher tu peux m’appeler. J’te préviens c’est pas l’grand luxe. » Ça parle de charité, lui fait miroiter la chaleur d'un toit et l'appui d'une présence autre que les démons qui se marrent en écho contre son crâne. C'est le moment de dire peut-être, j'aimerais, non, jamais. C'est le moment, disons, même quand Eanna a disparu de nouveau et qu'elle surveille malgré tout le coin de rue, à l'affût d'une troisième apparition ? Elle tire une expression indescriptible. L'incompréhension feinte, le cœur qui se raccroche discrètement, les semelles qui hésitent à attendre pour imiter le mirage et s'évanouir à leur tour dans les avenues. « Merci ? » adressé au vide, bouffé par le hasard de la parenthèse. Elle fait saigner l'encre dans les sillons de ses paumes, bout de numéros décalqués en miroir.