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 au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)

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MessageSujet: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyDim 11 Fév - 17:54

Il pleut.

Et elle sent les gouttes d'eau perler sur l'ourlet défait de sa capuche, enfilées au hasard ou à la chance par des doigts maladroits. Dans les nuages, elle compte le nombre de pas qu'il faut pour que tout se casse la gueule, que le fil en nylon du collier claque, que les breloques viennent ricocher contre son nez, son menton, le long de son cou. Cinq pas, si elle regarde droit devant. Deux et demi, si elle préfère river les yeux sur la silhouette emmitouflée qui somnole dans ses bras. C'est injuste, elle pense. La pluie triche aussi sauvagement qu'un enfant qui refuse d'accepter sa défaite sur un jeu de société. Forcément qu'elle choisit la seconde option. Elle le sait. Le mauvais temps le sait. Même les inconnus qu'elle croise à contre-sens doivent sûrement s'en douter. Un coup bas, elle soupire, un coup monté. Il pleut. Et son estomac trouve hilarant d'imiter le grondement singulier de l'orage. Elle accorde sans broncher le mérite de la ressemblance, mais retire des points pour le manque d'originalité. Avoir la dalle est devenue une constante. C'est pas une excuse pour arrêter d'avancer. Et elle avance à l'envers du courant, et elle gronde des anti-cyclones par dizaines, et elle continue de déchirer des colliers à en finir complètement trempée. Merde. Deux mois, passés comme un battement de cœur trop pressé de rencontrer le suivant. Deux mois, c'est suffisant pour reconnaître l'agitation naissante dans les minuscules poings fermés contre sa poitrine. Dans un soupir agacé, elle regarde autour d'eux. Eux. Ça la réchauffe une seconde. Mais une de plus, et la panique s'invite les bras ouverts, les mains vides, oublie la politesse et les salutations, laisse la porte d'entrée béante et le manteau sur la rampe d'escalier, et invite le froid à venir mordre Matei. Troisième seconde ; elle se précipite sous la première devanture, un espèce de store délabré qui ne devrait pas tenir la route à en juger de l'état. Dans la grande ironie de l'univers et du noir autour, elle se sent un peu comme le store. Arrive un jour où il faudra penser à la remplacer par une Lena plus performante, mieux fringuée – au moins dans l'accord des couleurs, plus imperméable, et peut-être un rien moins sensible au vent. Mais elle peut toujours rêver – au fond, ça fait mal qu'à ceux qui se réveillent. Et elle est somnambule depuis des années. Il pleut.

Elle ne dirait pas qu'elle sait chanter. Entre ça et l'amour ; les deux choses les plus égocentriques à s'avouer. Elle ne sait pas chanter dans le sens où c'est beau, parce que c'est loin d'être mélodieux. C'est pressé, à peine articulé sur les lèvres, repris sur plusieurs mélodies en même temps. C'est des souvenirs embués de comptines, découpées et rassemblées à la suite sans faire gaffe à la couture, dans une langue d'autre part qui rime aux accents de son prénom et à la tonalité de sa mère. Elle ne dirait pas qu'elle sait chanter. Elle ne dirait pas que Matei a une oreille musicale. C'est la seule chose qui le calme, c'est tout ce qu'elle sait. Alors sous son abri de dépannage, elle fredonne, doucement. Des fois qu'on se foutrait de sa gueule et qu'elle aurait pas les mains libres pour riposter. Y a de quoi faire taire de façon permanente dans son sac à dos, mais elle se garde de trop fièrement l'afficher dans la rue. C'est pour les situations critiques. Sans issues. De toute façon, elle a plus exercé la fugue que le tir. A un moment donné dans la vie, il faut savoir jouer stratégique. Pas stratégique du tout ? Se ramener à Savannah. C'est qu'une question de minutes, maintenant. Elle a encore loupé le coche de son moment. Paraît qu'à un certain point, ils ne s'embêtent même plus à passer. L’accalmie, enfin. Dans le doute, elle tend sa paume ouverte au ciel. Quand elle constate que rien ne délave son drap de fantôme, elle resserre Matei contre elle et rabat la capuche plus bas sur le visage. Fonce. Y a pas de destination en tête, juste des signaux d'alarmes qui tirent dans tous les sens. L'orage. Les mains qui tremblent. Les demi-lunes tatouées rouges dans le poignet. Le violet du stencil resté posé sous les yeux. Le sentiment qu'ils vont réussir à le lui enlever. Non, la certitude. Elle fonce, en regardant ses pieds. Les mèches mouillées se collent aux cils. Le coude se prend à un autre. Le regard réagit à l'instinct, mais pas le désolé. Juste un réflexe, et l'autre revenant renvoie la surprise en miroir. Asher. C'est qu'une seconde, un mirage détrempé.

A un moment donné dans la vie, il faut savoir jouer stratégique. Alors elle se détourne, et fuit.


Dernière édition par Elena Popescu le Dim 11 Fév - 20:38, édité 1 fois
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyDim 11 Fév - 20:19

Il pleut.

Les gouttes martèlent la vitre, sortent le flic de sa torpeur. Il sera presque resté là s’il n’y avait pas eu le bon dieu pour le rappeler à l’ordre, quoiqu’il blâme plutôt la météo, pour le coup. Coup de tampon sur un PV, signature vague et distraite, lumière foutrement grise à travers les carreaux. New-York, c’était comme ça, les sirènes en moins, ou pas les mêmes. C’est un contexte différent, auparavant il voyait les voitures arriver au tribunal gyrophares allumés, maintenant c’est lui qui met le pied au plancher, quand il s’agit d’arpenter les rues de Savannah ou de pourchasser Niamh quand elle a participé à un casse. Maintenant il se retrouve de l’autre côté du miroir, du mauvais côté, plus celui qui défend mais celui qui dénonce, celui qui met des menottes aux poignets, entrave un peu plus des vies déjà salement amochées. Y a du crime à Savannah, faut croire. Quatorzième rapport de la journée, y a sa tête qui menace d’exploser, de foutre du sang partout sur le bureau en noyer, bouts de cervelle en prime. C’aurait été une bonne idée, de se faire sauter la caboche au lieu d’espérer que le nœud coulant ferait son œuvre, qu’il l’asphyxierait bien avant qu’on ne le retrouve. Espoirs déçus, encore, y en a une ribambelle qui se tiennent sagement en file indienne. Il pleut et ça l’obsède, c’est peut-être dû au spleen. Ses yeux dérivent vers la fenêtre, regardent les larmes du ciel se briser sur ses vitres, il manquerait plus grand-chose pour parfaire le tableau trop morose, du Schubert en fond sonore et une tasse de thé fumant entre les paumes, sûrement. Pour la musique, ça peut s’arranger. Il se lève pour fermer la porte, allume la petite enceinte qu’il a achetée y a pas si longtemps, connecte le téléphone. Et le trio en mi bémol majeur qui s’élève dans la pièce, lui donne envie d’aller se planter un couteau dans le bide. Ou de pleurer. Ça pourrait être les deux, s’il n’était pas suffisamment anesthésié. Y a des souvenirs de Caïn qui reviennent, Toad aussi, il se demande ce qu’ils font, où ils sont, dans quelle partie de la ville ils trainent leurs fantômes. Est-ce qu’ils pensent à lui. Pas sûr, pas sûr du tout. C’est mieux de remplir des papiers, de ne pas y penser. Mieux pour eux, mieux pour lui. Mieux pour l’envie de glisser une lame dans ses entrailles, pour qu’elle s’éteigne, pour qu’elle se taise. Schubert semble d’accord, glisse ses notes dans son oreille, l’invite à ne rien commettre. Ok Franz, pas aujourd’hui.

Il n’y a pas de hasard. Aucun qui ne soit vraiment fortuit, du moins, aucun qui ne soit pas une accumulation de coïncidences qui mènent à un inévitable. Il n’y a pas de hasard s’il décide de rentrer chez lui un peu plus tôt, s’il ne ferme pas la porte de la pièce en partant, s’il laisse trois papiers sur un bout de bureau. Il n’y a pas de hasard si son désordre est tellement organisé qu’il oublie les clés de l’appartement, fait demi-tour pour les prendre, grappille quinze secondes à peine sur sa vie, pas de hasard s’il s’arrête au kiosque pour acheter le journal alors qu’il le consulte toujours sur internet sauf aujourd’hui, pas de hasard s’il tourne à gauche au bout de la rue exactement quarante-sept secondes plus tard que ce qu’il aurait dû, si seulement il n’avait pas oublié son trousseau, si seulement il n’avait pas voulu profiter du contact humain que lui offre un simple vendeur de magazines. Il n’y a absolument aucune coïncidence, au final, si son coude s’accroche à celui d’un autre, s’il murmure une excuse en se retournant, réflexe ridicule, s’il reconnait immédiatement les yeux de la personne pour les avoir trop souvent questionnés.
Impossible. Impossible, ça tambourine, impossible, qu’est-ce qu’elle fout là, impossible et le cœur qui cogne douloureusement contre sa poitrine, il est quasiment sûr que la dernière fois qu’il l’a vue, des assiettes ont volé, il est même certain qu’il y a pensé pendant des heures, des jours, des semaines, qu’il n’a pas cessé de se demander s’il aurait pu faire quelque chose pour la retenir avant qu’elle ne prenne la clé des champs, qu’elle ne disparaisse de la circulation. Partie, partie, partie, c’est forcément un tour de son esprit, une ruse sacrément cruelle, peut-être pour lui faire prendre conscience que son passé le hantera toujours, qu’il ne pourra jamais le fuir, jamais l’oublier. Et il s’apprête à lâcher l’affaire, à mettre cette hallucination temporaire sur le compte de son cerveau en bouillie, mais elle prend la fuite et il sait, il comprend, c’est elle et personne d’autre.

Y a qu’Elena Popescu pour s’enfuir devant lui.

Et y a qu’Asher Bloomberg pour se lancer à sa poursuite.

Il ne réfléchit plus, ça demanderait trop d’oxygène et il est déjà en train d’en dépenser sans compter alors qu’il se lancer après elle, bouscule quelques personnes au passage. Elle a toujours su faire ça, toujours été une reine en matière d’échappée belle, en matière de fugue, la silhouette qui ne fait que passer, l’ombre sans nom qui ose à peine se destiner dans les destins des autres. Elle a toujours su le quitter, surtout, le faire courir aussi, espérer un peu trop, s’essouffler à poursuivre les bribes d’un rêve. C’est peut-être pour ça que c’est si familier, que c’est si habituel, comme une vieille routine qui reviendrait. La suivre, se faire semer. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, y a une impasse dans laquelle ils atterrissent trop vite, y a la main d’Asher qui attrape l’épaule de la roumaine et le corps qui se retourne, l’éternelle bascule qu’il y a toujours eue entre eux. Fuis-moi, je te suis. Et les yeux du flic qui se baissent parce qu’y a un truc qui pleure, un peu plus bas. Il n’a même pas le temps de comprendre qu’elle lui échappe, quelques pas à peine pour s’éloigner même si elle est coincée. Ses prunelles ne lâchent pas le drôle de colis qu’elle tient farouchement contre elle. « C’est », ça se bloque dans sa gorge, il ne comprend pas, ne veut pas comprendre, ils se sont protégés. La première fois. Le mien ? Bouche cousue. Merde.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyDim 11 Fév - 22:39


Cours, putain, cours. Elle a le passé vrillé aux baskets, et il sprint presque aussi vite que son ombre. Presque. L'avance reste fidèle à ses côtés. Et elle file comme jamais, invisible entre les camaïeux d'imperméables et les gens qui pestent et sifflent quand elle ose frôler leurs bras et bousculer leurs épaules. Excusez-la, c'est qu'une pauvre tentative de sauver sa peau. Elle n'ira pas bien loin, pas tant que les lois de la biologie s'appliqueront. Manque d'endurance dans ses maigres mollets, manque d'air dans ses poumons, manque d'oxygène dans son cœur, manque de sang à son cerveau. Mort assurée, désolé. La biologie est une sacré salope quand elle s'y met, pas étonnant que tout le monde se la tape – Asher le premier. Encore moins étonnant. Elle se garde la remarque pour plus tard, quand ses talons arrêteront de marteler le trottoir et ses pensées, la malchance ou le destin. L'un dans l'autre, le résultat est le même. Elle s'échappe. Il la rattrape. Le jour où l'univers lui refait ce coup là, elle le coince dans une ruelle sombre, et lui apprend ce que c'est vraiment que de manquer de bonne étoile à la Popescu. Souffle court, rouge aux joues, y a le dessous des semelles qui grincent sur des graviers quand elle dérape dans le coin de la rue.

Pourquoi.

Parce qu'elle le mérite ? Le mérite, trop simple comme réponse, on fera jamais tourner un monde avec. Ouais, elle le mérite. Evidemment que c'est le cas. Ça et d'autres trucs moins sympas, quand on dresse le portrait de ses fautes. Et ses mensonges incessants, ses fugues en plein jour, ses oublis chroniques, ses trahisons poignards, ses instincts de tout foutre en l'air, ses tentatives de se foutre en l'air, ses mots assassins entre des lignes malhonnêtes, ses apparitions égoïstes dans la vie des gens, ses grandes évasions aux goûts de ratés. Ses retours, pas plus réussis, avec un gamin comme lot de consolation. Je ne suis pas une mauvaise mère. Elle se le répète alors que son fantôme s'engouffre dans un deuxième tournant. Je ne suis pas une mauvaise mère, juste une mauvaise personne. Y a une différence majeure. Mais alors pourquoi. Parce que c'est une coïncidence ? Parce qu'il marchait justement là, à cette heure précise où elle passait, à la seconde avant que la trajectoire ne se retrouve faussée et qu'ils ne se manquent ? Parce qu'elle a son fils dans les bras, et qu'il commence d'ailleurs à lui faire comprendre qu'il apprécie pas franchement la course poursuite ? Merde, elle a son fils dans les bras. Merde, merde, merde. Et si ça avait été une autre rue, un autre jour, une autre année, un autre temps. Si elle avait continué de marcher sous la pluie, et qu'il s'était arrêté pour acheter son journal à un autre kiosque. Si c'était un de ces moments, seulement, pas le leur. S'ils s'étaient manqués ? Est-ce qu'elle aurait pu vivre avec ça ? Oui, la mauvaise personne souffle à son oreille. Tu poses des questions à la con, résonne la voix de celle qu'est pas une mauvaise mère. Elle fatigue de penser, elle fatigue de courir. Miracle, quand tu nous tiens. Désastre, quand tenir veut dire tordre le cou, et que son corps doit violemment retenir l'élan pour ne pas se manger le mur de l'impasse. Le piège se referme petit à petit sur ses battements affolés, et sur la pauvre figure qui braille à pleins poumons. Oiseau descendu aux portes de la cage. C'est trop tard pour sauver qui que ce soit, même Matei a du le sentir. Elle l'a rarement vu s’époumoner comme il le fait maintenant, alors qu'Asher abat une main sur son épaule et qu'elle ne peut que se retourner. Les yeux. L'attitude. L'aura – différente, elle peut pas l'expliquer.

Comme on se retrouve.

Le goût salé de la défaite électrise le contact. Elle s'écarte, elle s'éloigne, elle recule autant que les murs veulent bien céder. Et le flic la regarde, comme il aurait du la regarder depuis le début. Là aussi, ils se sont manqués. S'ils s'étaient compris pour de vrai, pour de bon, jamais ils ne se seraient tenus dans ce cul-de-sac aujourd'hui. La gorge sèche, les cordes vocales ligaturées. Coïncidence ? Tu poses vraiment des questions à la con. « C’est » Ouais, c'est. Et pendant qu'il remonte le calendrier dans l'espoir de replacer c'est – elle reconnaît l'expression, elle est passée un jour sur son propre visage, y a une main qui se commande d'elle-même à la fermeture du sac à dos. « Bloomberg, m'approche pas. » Une menace en l'air, portée par le vent sur ses fringues mouillées. Elle dira que c'est pour ça qu'elle tremble, et qu'elle arrive pas à faire ce qu'elle veut avec la toile du sac. Y a Matei qui pleure toujours dans le froid, et elle peine à le bercer comme c'est possible quand on tient un nourrisson à une main. Je ne suis pas une mauvaise mère, je ne suis pas une mauvaise mère, je ne suis pas … Le poignet se tord impossiblement, elle sent la prise familière sous ses doigts. Index à la gâchette. Tend le bras, braque le flingue. « J'ai dis, ne m'approche pas. »
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyMar 13 Fév - 20:24

Silence radio. Dans sa tête, ça tourne à plein régime, l’absence de réponse bien plus évocatrice que n’importe quelle explication argumentée. Y aurait suffit d’un oui, d’un c’est ton bébé aussi, d’un j’t’ai rien dit, j’te l’ai juste enlevé, mais il n’y a rien de tout ça, aucune excuse, aucune justification, rien d’autre que le néant de son silence et le myocarde qui meuble l’accalmie ponctuelle de ses battement indécents. Il s’est perdu un instant dans ses yeux noirs tordus par la tristesse, par l’angoisse, un bout de lui suspendu entre l’enfant et sa mère qui rêve de se jeter en avant et de le bercer pour le calmer, il s’est perdu trop longtemps sur ses petites joues trop roses, sûrement trop fraîches, sur ses poings serrés qui frappent l’air comme s’il en voulait à la vie. Sûrement qu’il aurait des raisons, avec les deux parents qu’il se coltine, pas capable de régler leurs problèmes comme des adultes. Pas capables de s’appeler par leurs prénoms non plus, faut croire. Ça sonne faux le Bloomberg entre ses lèvres, tellement éloigné de toutes les fois où elle avait hurlé son prénom à deux doigts de l’orgasme, tellement distant et froid et terrible, ça réveille en lui un drôle de sentiment de persécution, la première fois qu’elle s’adresse à lui en près d’un an et c’est pour lui aboyer un ordre à la gueule. Il ne l’écoute pas, de toute façon. Il ne l’écoute pas parce qu’il n’a jamais été bon pour ça, il mériterait presque qu’on lui fournisse un sonotone avant l’heure, histoire de ne pas se comporter en vieillard désabusé qui n’en fait qu’à sa tête, sauf qu’il n’est pas sourd, sauf qu’il y a les cris du nourrisson qui lui bondissent aux oreilles et lui qui s’approche un peu trop vite, s’arrête trop brusquement lorsqu’il se retrouve avec le canon d’un revolver braqué sur lui. Elle n’oserait pas.

Elle oserait ?

Il n’a plus aucune certitude, en ce qui concerne Elena. Elle l’a bien quitté du jour au lendemain alors qu’elle avait un polichinelle dans le tiroir, c’est pas le genre à prendre des gants, faut croire, pas le genre à affronter les choses sereinement, tranquillement. Pas le genre à laisser le père de son enfant approcher trop près de leurs carcasses décharnées. Et finalement, il la regarde elle, de nouveau. Les aimants dans les yeux qui se retrouvent, s’apprivoisent, même si elle ne ressemble plus vraiment à l’Elena dont il était tombé amoureux, faut rajouter une bonne dose de psychose dans les prunelles et de la colère dans la façon qu’a sa bouche de se tordre. Ses cheveux, aussi. Mais ce n’est pas vraiment le moment pour débattre sur la coupe qu’il préfère (courte, assurément courte), faudrait pas oublier qu’il a un flingue pointé sur sa poitrine et qu’il n’a pas beaucoup de moyens de s’en tirer. A part fuir, ce qu’il ne fera pas. C’est pas un Popescu, lui.
Donc il choisit la voie de l’intelligence, donc il lève ses mains devant lui, paumes face à la roumaine, t’oserais pas qui crame dans ses yeux. Au-delà du fait qu’il tienne à la vie, elle serait sacrément dans la merde si elle butait un flic comme ça, dans une ruelle, en plein milieu de l’après-midi. Mais là encore, elle aime trop vivre dangereusement pour qu’il prenne un quelconque risque, et c’est peut-être quelque chose qu’elle oublie, au fond. Il la connait. « Vas-y, tire. » Ferme, calme, un bout de lui qui a envie qu’elle appuie sur la gâchette, que la balle se faufile dans son cœur, que le sang coule sur le macadam, y a pas assez d’agitation dans sa vie récemment, à peine le maigre souvenir d’un nœud coulant. Un bout de lui qui voudrait qu’elle obéisse, qu’elle l’écoute, même s’il sait qu’elle fera l’exacte opposé de ce qu’il préconise. Comme à chaque putain de fois. « Tire. » Ça claque plus fort, pas suffisamment pour que les passants ne participent mais assez pour que les cris du colis humain s’intensifient, s’élancent dans les airs, s’écrasent sur les murs de briques de l’impasse qui sent un peu le rat crevé, un peu la pisse, l’endroit le moins romantique au monde pour se retrouver, sûrement. L’endroit parfait, en revanche, pour les cas désespérés qu’ils sont, au final, sous la couche bien polie, sous les allures de souris des villes. Rats de vide-ordures. « TIRE, POPESCU. » Ordre fendillé dans les airs, qui se sépare en une myriade d’échos, y a quelqu’un qui s’arrête derrière eux pour observer la scène et Asher qui se retourne, sort négligemment sa plaque de police et la montre à l’inconnu, « y a rien à voir, circulez », le corps qui pivote de nouveau vers la tireuse et le bébé en pleurs. Le regard du flic qui bascule de l’un à l’autre. Fais-le. Fais-le, une balle dans la poitrine et on n’en parle plus, tu pourras même venir aux obsèques si ça te chante. Fais-le, y aura pas grand-monde pour le regretter de toute façon, des ex, des futurs, des évidences et des erreurs, y aura pas un long cortège derrière le corbillard et pas suffisamment de monde pour bouffer les petits-fours après. Fais-le, pas de fausses promesses. « Tu lui diras comment t’as tué son père, j’espère. Ça fera une histoire sympa. » Parce qu’il n’y croit pas, parce qu’il y croit suffisamment, il l’en sait capable et ça le pétrifie autant que ça l’attire. C’est aussi pour ça qu’il l’aime. Pour ça, et pour le truc qu’elle porte dans les bras, qu’il crève d’envie de serrer contre lui même si rien ne le trahit, même si son visage reste le plus impassible, paumes toujours levées en signe de reddition, qu’elle sache si elle tire qu’il avait déposé les armes. Et la question qui lui brûle les lèvres s’échappe rapidement, vu qu’ils sont là, à n’avoir rien d’autre à penser. « C’est une fille ou un garçon ? » Une toi ou un moi.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyVen 16 Fév - 22:03


C'est le truc chiant, avec la violence. On sait jamais vraiment quand faut s'arrêter.

Elle a le bras qui convulse sous le poids de la menace, et les jambes qui se tiennent pas plus fières. C'est toujours pas suffisant pour lâcher prise. C'est jamais suffisant. Au mieux ça vient emmerder la conscience ; un peu, faut pas se mentir. Regarde moi, regarde moi, regarde moi. Ça fait deux fois qu'elle se racle la gorge, y a toujours ce truc qui passe pas. C'est posé de chaque côté de sa tête, agrippé aux épaules, ça mate la charogne en bas. La bonne et la mauvaise décision. Tirera, tirera pas. Le suspens est pendu au bout de ses doigts, tabouret laissé à terre, corde rêche qui coupe la circulation dans les phalanges. Mains violettes, cœur noir. Semblant d'Asher dans le viseur, semblant d'Asher dans les bras. Y a pas eu de surprise, elle savait avant même d'observer la bouille de Matei pour la première fois. Elle se souvient. D'un hall de gare déserté, d'une insomnie rageante, de la foutue musique d'ascenseur ou de répondeur téléphonique qui dégueule des hauts-parleurs. Des mélodies familières, des mélodies d'avant, des après-midis sur le canapé du flic à tendre l'oreille en espérant qu'il joue ce morceau qu'elle aime secrètement. Elle se rappelle. Du coup sous la peau tirée, instinctif, du moment où elle a esquissé un sourire, de l'autre où elle a chialé plus fort que les prévisions météorologiques du mois. Foutues hormones, de lui refourguer un cœur de force alors qu'elles savent très bien qu'elle en veut pas. Foutu gamin, de vouloir à tout prix ressembler à son paternel. Si ça s'arrêtait à la musique, encore. Elle ferait avec, brûlerait toutes les partitions de la ville, planquerait les pianos, prierait pour un manque de rythme pathologique. Mais non, putain, y a cette même lueur dans les yeux, la seconde précise où on plonge dedans. Un bon choc hypothermique du genre à réveiller les comateux et autres échoués. Une vague dans la poitrine qui ramène un bordel sans nom à la surface. La raison pour laquelle son index flanchera pas, ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Et elle déteste cette lueur, bon sang qu'elle déteste la voir battre faiblement derrière l'écran éteint de son regard. Drapeau blanc, il lève les bras sans même se battre. Elle veut hurler. Pourquoi t'es mort, la question lui brûle les lèvres. C'est arrivé quand, comment, et depuis combien de temps t'es figé dans la boucle, entre le premier et le dernier souffle ? Non ; depuis combien de temps t'attends qu'elle revienne pour finir le travail ? « Vas-y, tire. » Me dis pas ce que je fois faire. Ça la rendrait dingue, pour peu qu'il reste une part de lucidité à bousiller en elle. Y a pas eu de début à sa chute libre, un moment le sol tenait encore, et l'autre elle s'enfonçait dedans. Elle devrait être habituée à ce qu'on lui tire le tapis sous les pieds. Le premier coup, c'était Iulia. Sec. Sans prévenir. Depuis l'équilibre est jamais revenu, elle tangue toujours.

« Tire. » Contre le flanc glacé du flingue, elle ressert la prise. C'est la fierté qui commande les muscles, pas la tête. La tête crie dans le vide, la portée de l'écho est ridicule, à peine plus loin que la rue qui continue de vivre sa vie derrière Asher. Vas-y tire. Ça ricocherait, il sait pas ? S'il s'effondre, elle s'effondre aussi. A ton avis, pourquoi est-ce qu'elle a pas encore baissé l'arme ; elle les vise tous les deux. Vas-y. Fais le. C'est pas plus compliqué que d'habitude, à quelques détails près, c'est même pareil. Fuir. Nier. Ne jamais revenir. Fais le, fais le, tire. « TIRE, POPESCU. » Un demi-centimètre de plus sur la gâchette, le bruit qui fait s'arrêter le mauvais cœur. Suspendu dans l'instant fatidique. Anesthésiée aux coups de jambes de Matei. Le monde s'éteint doucement autour d'eux, focus sur l'action principale de leur film en noir et blanc. Allez, tire. T'attends quoi ? Ça s'agite en arrière-plan, un inconnu trop curieux les observe. C'est un rien morbide de rester planté là, elle trouve. Mais bon, c'est elle qu'a le flingue dans les mains. On s'en fout un peu de son avis. « Y a rien à voir, circulez » qu'Asher lance au voyeur, une voix sans appel. Et alors qu'elle ne s'y attend plus, il prend la décision qui lui sauve peut-être la vie. Le truc con. Il se retourne. Et merde. La tension se fait descendre aussi vite qu'elle est montée, le moment meurt dans ses bras. L'attention fait zoom arrière. Et elle regarde sa main, le flingue, sa main, la ruelle, le ciel, le flingue. Asher. Les yeux, quand il pivote de nouveau vers elle, la lueur. La foutue lueur. « Tu lui diras comment t’as tué son père, j’espère. Ça fera une histoire sympa. » Ta gueule, tu meurs pas aujourd'hui, la fait pas changer d'avis. Les lèvres pressées contre le front de son fils, elle reprend la berceuse à voix basse, inaudible, encore plus saccadée et sans jamais quitter Asher des yeux. Le message est pas encore descendu à son bras, plus elle accélère la chanson, plus elle imagine que ça circule vite là-dedans. Au fond, elle flippe que les nerfs réagissent alors que le cerveau a déjà capitulé. Et arrivée au deuxième couplet, les muscles tressaillent à peine. « C’est une fille ou un garçon ? » Vas-y, fais le. Lâche prise. Baisse le putain de flingue, Popescu. Les secousses reprennent de plus belle, plante le refrain, remonte la colère et ses larmes. Fais le, fais le, fais le. Coup sec sous ses pieds, regarde Iulia, elle a jamais arrêté de tanguer. Elle sait pas quand ses jambes ont rencontré le bitume, mais elle est bien sur le sol, les genoux repliés contre la poitrine, le poupon calé entre les deux. Les bras ont encerclé l'ensemble, forteresse à demie efficace. Après tout, elle tient toujours l'arme, juste plus pointée sur un humain. Il peut noter l'effort ? « Matei. », elle prononce comme un secret. « Il s'appelle Matei. »
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyLun 19 Fév - 23:18

Bang.

Elle lui tirerait dessus, ça serait rapide, sparadrap qu’on retire d’une plaie purulente. Ça serait sûrement mieux de faire comme ça d’ailleurs, de désinfecter et de laisser le sang coaguler à l’air libre, avec un peu de chance il en crèverait même pas. Avec beaucoup de chance, il mourrait sur le coup. Ça serait bien, bête et brutal, la théorie selon laquelle il s’en tire toujours s’effondrerait d’un coup, château de cartes à la bourrasque. Tire crient ses yeux, confondent l’ordre avec un maudit je t’aime, il l’aime ouais, elle lui a manqué, beaucoup, il lui en a voulu, parfois. C’est facile de se réhabituer à Elena, à ses envolées dramatiques, à ses excès, comme une partition qu’on aurait apprise par cœur des années plus tôt mais qu’on connaîtrait sur le bout des doigts, bien qu’il la connaisse sur le bout d’autres organes. Ça tire et ça volète dans l’abdomen alors qu’il continue de se questionner, de se demander si elle le ferait vraiment, le buter, l’abattre de sang-froid. Les yeux ne trahissent rien, eux, restent figés sur l’objectif, disent beaucoup plus que leurs mots ne pourront jamais le faire. Ils ne sont pas doués avec le verbe, Asher et Elena, pas suffisamment pour extérioriser correctement ce qu’ils ressentent. Tire il hurle, alors qu’il voudrait juste lui demander de poser l’arme, de la lâcher à ses pieds, d’approcher et de lui poser le bébé dans ses bras repliés, qu’il puisse le sentir juste une seconde contre lui. Un jour il lui racontera, le planning familial à seize piges, Scarlett morte de terreur et lui à la rassurer autant que possible, la boule au fond de la gorge alors qu’elle était partie seule dans la salle d’examen, les longues minutes qui avaient suivi. Il lui racontera comme il a rêvé cet enfant, comme il l’a imaginé, comme il a reporté cette envie sur les gamins qui trainent dans les rues, à vouloir sauver le monde entier avant de se sauver lui-même. Jael, Lenny, Merle. Pas Merle, c’est pas pareil. Mais Jael et Lenny, ouais. Ses bébés, ses enfants. Et là à quelques mètres, son bébé. Le vrai, cette fois, pas celui imaginé, pas celui qui relève purement du fantasme, de l’inaccessible. Il s’est toujours cru trop instable, trop paumé, trop incapable de pouvoir gérer un autre être humain. Il n’aurait jamais pensé que ça arriverait comme ça, avec Elena, au milieu d’une ruelle, qu’il aurait le cœur percé de part en part, que ça ferait tragiquement mal, que ça lui donnerait envie de se couper les ailes qu’il n’a pas pour lui donner, qu’elle retrouve un peu de légèreté, qu’elle lâche prise.

Lâche prise.

C’est un putain de miracle en vérité, lorsque le flingue se baisse, lorsqu’il la voit se recroqueviller, faire du sol son refuge, le corps agité de soubresauts. Il n’a jamais bien su résister en la voyant pleurer, comme un réflexe pavlovien, les bras qui crèvent d’envie de s’enrouler autour d’elle. Matei. C’est un murmure mais ça a l’effet d’un coup de tonnerre dans ses tympans, ça s’implante, ça fait son chemin jusqu’au cerveau. Souffle coupé, il ignore s’il devrait partir en courant ou la réconforter, ou les deux, prendre Elena dans ses bras puis ses jambes à son cou. Il fait un pas, deux, trois, cœur qui tambourine dans la cage thoracique, tellement qu’elle doit sûrement l’entendre.
Les fesses qui rencontrent le bitume détrempé.
Assis juste en face d’elle, en tailleurs, il l’observe, à peine un mètre qui les sépare. Elle est belle. Ils sont beaux. Les branchements ne se font plus correctement, y a un truc qui a grillé depuis qu’il a reconnu certains de ses traits sur le visage du poupon. C’est un bout de lui. Un bout de lui qui tient à peine entre les mains d’Elena, qui se case tout juste contre ses biceps trop maigres. Elle a encore perdu du poids, ça devrait l’inquiéter. Ça lui fait que dalle. Anesthésié par son fils qui est là, y aurait qu’à tendre la main pour l’atteindre et pourtant, il n’ose pas. Il connait trop bien Elena pour risquer de l’effrayer. « Lena. » C’est plus fort que lui, il en a besoin. Dire son prénom, le souffler à voix haute, oser le laisser se frayer un chemin entre les lignes. Y aurait plein d’autres choses à lui dire, voleuse, squatteuse, menteuse, un tas de mots vilains qui se finissent en -euse et qui veulent tous dire la même chose : tu m’as blessé. Tu m’as blessé et tu m’as foutu en l’air, bon à jeter comme un emballage d’hamburger usagé. Des vérités qu’il n’a pas besoin d’énoncer. Il suffit qu’elle le regarde, qu’elle le détaille, qu’elle ose poser vraiment les yeux sur lui pour comprendre. « Il est beau. » Il n’ose pas en dire plus, demander s’il peut le prendre. Il connait déjà la réponse, il sait qu’elle ne lui plaira pas. Mérité, peut-être que ça l’est. Il n’a pas vraiment cherché à la retenir, à la garder. Il l’a juste regardée s’évaporer comme on regarderait les vapeurs d’un thé s’échapper dans les airs. « Tu m’as manqué. » C’est vrai, ça aussi. Ça surtout.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyMer 21 Fév - 21:37


La barricade humaine. Regarde la jouer à ça pendant des heures, Bloomberg, parce qu'elle pourrait le faire sans fléchir une seule fois. Immobile, sous les vents, elle tient bon. Pendant un instant, elle en oublie même sur quoi elle est assise. Qui marche dans sa direction. Quand le silence s'est s'imiscé entre les guillemets du dialogue. Elle sait seulement ce qui est vrai, ce qu'elle voit ; les bleus, les rouges, les jaunes qui virevoltent et valsent dans son monde trop monochrome. Elle a fermé les yeux. C'est paisible, noyée dans l'obscurité. Elle respire. Certains jours, c'est facile d'oublier comment, tu sais. Certains jours, l'air se veut suffocant et ressort aussi sec. Aujourd'hui il est imbibé de flotte, elle a la tête sous l'eau. C'est l'humide de ses larmes qu'elle assume pas, pour ça qu'elle les pleure en silence et dans ses genoux. C'est facile de perdre pied, tu vois. Ou tu vois pas justement. Si tu vois pas, ce qu'elle a réussi l'ultime ; se rendre invisible en pleine lumière, le rêve. Elle respire. Et Matei se débat de moins en moins, le poids de la fatigue s'est installé dans leur bulle. Elle crève de lui insuffler ce faux calme, à défaut de pouvoir lui transmettre du vrai, parce que plus les pas se rapprochent et plus elle sent son propre pouls dérailler. Totul va fi bine, promit. Tout ira bien, je te le promets. Ça elle peut lui dire, elle ne se prive pas de le murmurer contre son front. Le monde réel est effrayant, elle préférerait vivre dans l'entre-deux. Comme maintenant, en fait, exactement comme ils sont là. Juste lui et elle, depuis le début. Et qui est assez dingue pour rêver plus haut que ça ? Les cils battent des ailes, les nuits artificielles s'envolent et elle se retrouve Icarus à fixer le soleil de trop près. Putain, il est beau quand même, son fils. Elle sait pas ce qu'il ira piocher d'autres dans les gènes – un coup sur deux, vu les branches douteuses de l'arbre généalogique, y a un piège qui l'attend. Et elle a beau retourner la question, elle ignore tout de comment on arrive à faire ressortir un gamin aussi lumineux d'un duo aussi mort. La chance, la bonne pioche, les négatifs qui s'annulent. Ils auront pris les pires décisions, bousillé les meilleures opportunités mais au moins ils n'auront pas loupé une chose. Totul va fi bine, puisque que tu es le seul qui va bien dans mon univers. Elle se penche et embrasse le sommet de son crâne, une fois, s'attarde un moment au dessus de son halo. Geste maternel à l'excès, elle trouverait presque ça gerbant, si on avait filmé la séquence pour lui repasser en boucle plus tard. Mais elle est qu'à moitié elle, qu'à moitié lui, qu'a moitié réelle, qu'à moitié endormie. Si elle croit voir se dessiner le problème, au fusain trop estompé, elle en dit rien. Elle pourra plaider innocente le jour où ça percera la feuille.

Du coin de l’œil, elle pense voir Asher se caler à sa hauteur. Deux idiots qui se les gèlent à même le sol trempé. Face à face. Y a sa présence qui parle plus que sa voix et elle trouve ça un peu con. Elle aime bien sa voix, c'est vrai, assez pour lui tordre le cou quand le son l'agace de trop. La présence, c'est différent. Il en a trop comme pas suffisamment, elle vacille toujours entre l'envie viscérale de secouer le flic ou de décamper. Elle aime pas se sentir vulnérable, il lui fout la trouille en un regard. Et elle se sent aussi fragile que Matei, et elle sait qu'Asher crève de l'ouvrir, et elle redoute ce qu'il pourrait bien trouver à lui balancer. Fais-toi plaisir. Je t'en prie. Il peut y aller allègrement, c'est pas comme s'il s'inquiétait de la brusquer, non ? Y a une ligne, elle croit. Ils ont du la franchir y a bien longtemps, peut-être, enfin si elle était la ligne, elle se serait cassée à la seconde où le flingue s'est invité dans le couple. Après, chacun ses préférences. Pendant un moment, le brun reste assis là, cloîtré dans son silence. Elle ose pas lever les yeux vers lui, ça reviendrait à lui tendre le cœur dans la main et à lui dire vas-y, bousille moi. Mais c'est injustifié, au pire, c'est déjà en vrac. Y a rien qu'il puisse faire pour empirer la situation. Et dans un souffle, « Lena ». Putain. Récupère ta main, sauve ton palpitant, laisse moi tranquille. Alors c'est comme ça que ça passera, à partir de maintenant ? Un mot, son prénom, et elle retombera aussi sec ? Si mettre un autre humain au monde seule endurcit pas, elle pose les armes. « Il est beau » Ouais. Elle sait. Dans le silence elle approuve d'un regard – toujours vers Matei, puisqu'elle retarde l'inévitable. Trop près, elle ressent l'appréhension d'Asher et imagine ses traits. La familiarité dessine avec trop de justesse les expressions qu'elle est convaincue de retrouver si elle cède. Parce qu'elle cède, seconde après seconde, elle perd du terrain d'ailleurs ses jambes commencent à se délier. « Tu m'as manqué » Toi aussi. Elle est pas loin d'être assise en tailleurs comme lui, mais le flingue dans la main empêche de tenir Matei comme elle veut. Tête baissée, elle agite faiblement le poignet dans la direction d'Asher. C'est maintenant ou jamais, m'sieur l'agent. « S'il te plait », voix rauque de ne pas avoir parlé depuis un moment. S'il te plait, fais le. Suffit qu'il se rapproche à peine, encore quelques centimètres. Le cœur bat la chamade en attendant de sentir le poids de l'arme s'évaporer, on entend que ça. C'est encore pire quand enfin il le fait et qu'il y a plus nul part où se planquer. C'est parti. Millième coup d’œil à son fils. Tu te sens prêt ? Parce qu'elle, non. Lentement, les rotules continuent de se tirer vers le bas. Le truc, c'est que son tailleurs à elle finit par recouvrir la moitié du sien. C'est toujours plus compliqué d'éviter quelqu'un quand on arrive à compter la respiration au nombre de souffle sur sa joue. « Attends ... » ça veut dire donne nous une seconde, on a jamais été séparés. Ça veut dire laisse moi le temps de te regarder comme si c'était la première fois, la dernière fois, t'étais pas le même. Ça veut dire fais gaffe, je peux encore changer d'avis.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptySam 24 Fév - 19:00

Dialogue de sourds. Ils savent bien faire, ça, depuis l’instant-même où ils se sont rencontrés, où il a trouvé la roumaine couchée sur son canapé, brique de lait à la main. Elle aurait pu prévenir, au moins. Lui dire qu’elle foutrait sa vie en l’air et pas parce qu’elle lui ferait un bébé dans le dos, mais parce qu’elle se casserait en emportant le secret avec elle. Y avait combien de chances pour qu’il ne le sache jamais ? Une sur mille ? Pour peu qu’elle se soit vraiment barrée, c’aurait pu être davantage. Il aurait pu ne jamais savoir. Pourtant ils sont là, statues de cire qui semblent fondre à la pluie, ils sont là comme deux vieilles âmes qui ont trop voyagé, à ne plus savoir quels mots ils peuvent prononcer sans provoquer un cataclysme. Il en aurait, des choses à dire. Comment il s’est réfugié dans les bras de Caïn le soir où elle a piqué un fard et lui a claqué la porte au coin du pif, comment il est revenu le lendemain pour trouver l’appartement vidé de toutes ses affaires, comment il a pensé être coupable de la rupture pendant des jours. Comment son cœur a eu tellement de mal à le supporter qu’il a noué une putain de corde dans son bureau. Ça ne prendrait pas dix minutes, certainement, ça prendrait des jours, des semaines, le temps d’accepter qu’il la fera souffrir quoiqu’il arrive quand il lui apprendra qu’elle n’est qu’une des multiples raisons de sa tentative d’assassinat sur lui-même. Ça serait trop long, l’ébauche d’une vie, trop périlleux aussi. Peut-être qu’il vaudrait mieux se relever, dire adieu, rebrousser chemin, oublier les grands yeux noirs du truc qu’elle tient entre les mains, qui lui rappellent un peu trop son reflet dans le miroir. Il y penserait, sûrement, si son esprit pouvait seulement bafouiller, s’il n’était pas en plein brouillard, il y penserait s’il n’avait pas en tête la lubie dévastatrice d’apprendre à connaître ce petit homme qu’elle a créé pendant ces mois d’absence. S’il ne crevait pas d’envie de la réapprendre elle aussi.
Lena.
Il a murmuré, il a craqué, elle a tremblé. Ça s’est vu, pas la peine de le cacher, ça s’est vu même si elle niera tout en bloc, prétextera une maladresse passagère, les mains trop peureuses d’échapper leur précieux paquet. Elle a tremblé et s’est effritée, comme un mur percuté par une bagnole lancée à pleine vitesse, les jambes en reflet des siennes et la demande éraillée lorsqu’elle agite le flingue pour qu’il l’en débarrasse. Il attrape l’arme, prend soin de ne pas toucher ses doigts. Peur de se brûler à son contact, combustion spontanée fatale, à défaut de l’assassiner avec son regard elle pourrait le tuer avec une étreinte. Clic, ça fait lorsqu’il pose le pistolet au sol, les yeux qui ne lâchent pas le bébé, alternent entre lui et Elena lorsqu’il s’aperçoit de ce qu’elle est en train de faire, de ce que ses gestes suggèrent. Le cœur qui bat à trois-cents kilomètres heure, ça pourrait presque rythmer la bande-son de leur vie. Ça le ramène seize ans en arrière, Scar dans la salle d’attente aseptisée du planning familial, les ongles qui lacèrent nerveusement les peaux mortes de ses doigts, les brochures dégueulasses avec des familles modèles à vomir et la musique mièvre crachée dans les haut-parleurs. La main contre sa cuisse, les yeux dans le vague, le mot enceinte qui revient en boucle dans sa tête et la fatalité stupide du rendez-vous pris quelques jours auparavant. Elle était sûre, sûre et certaine, pas lui. Pas lui parce qu’il avait toujours voulu être père, parce qu’il avait toujours eu envie de donner un meilleur exemple que le sien, de père, trop absent, trop distant, trop froid, parce qu’il tenait déjà ce rôle pour Maxine et que ça semblait suffisant. Pas pour elle. Le début de la fin, la spirale sans fond, les jours et les années suivantes, les sourires et les chapeaux qui volent à la remise des diplômes, sans jamais rappeler le ventre rebondi sous les vêtements trop serrés, le planning familial un joli soir d’été. Attends murmure Lena, rappel à la réalité. Son bébé sous ses yeux. Son. Bébé. « Ça va aller, j'te promets », il répond à la même fréquence, tous les deux branchés sur des ondes stellaires. Main sur la sienne, au niveau de la tête du nourrisson, c’est dans ses gênes, dans son sang, ça ne se commande pas, ça s’apprend encore moins. Ça se contente de grignoter du terrain sur toutes ses convictions, sur tous ses principes, la scène de ménage qu’il comptait lui offrir s’il la revoyait un jour. Ça fout en l’air toutes ses idées, tous ses aprioris. Matei. Il l’attrape doucement, les mains glissées sous son corps, l’attire contre lui. Douce réminiscence d’un temps où tout allait bien, sa cadette qui babillait contre lui, la bienveillance naïve du gosse de douze ans qu’il était, posture naturelle qu’il n’a pas oubliée malgré les années, malgré la distance. Putain de chaleur au coin du cœur qui se propage dans tout son corps, malgré la pluie récente qui laisse des vapeurs glacées s’immiscer entre Elena et lui. « Bonjour, Matei », ronronné comme une berceuse, les bras qui bougent doucement pour l’apaiser, calmer les pleurs qui agitent toujours son si petit corps. Chuchotement délicat, tendre, nocturne de Chopin fredonnée sans ouvrir les lèvres, baiser contre son front trop chaud. Ou peut-être est-ce lui qui crève de froid sur le macadam humide. Sa main droite qui se libère alors que le bras gauche continue de faire office de balancelle, les phalanges qui viennent attraper celles d’Elena pour les serrer délicatement. Famille pétée, famille de cinglés. Il lui faudra du courage pour assumer une telle bande d’éclopés. « Merci. » Toujours sans un regard pour elle, mais l’étreinte de la paume bien présente, trop présente. Il ne saurait pas dire ce qu’ils sont, mais ils sont sûrement quelque chose, finalement.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyLun 5 Mar - 23:18


Ils veulent m'enlever mon fils. Elle sait pas depuis combien de temps les voix lui jurent que c'est vrai, tous les soirs quand les paupières se battent pour pas se fermer, c'est le même refrain. Et elle finit par le chanter toute seule, putain, elle l'entame comme une grande. La peur au ventre, la paranoïa qui en rajoute une couche et colle un vibrato incessant sur la voix. Acapela du matin jusqu'au soir. Ils veulent m'enlever mon fils, ils vont m'enlever mon fils. Observe. Un regard trop insistant, une main tendue, une simple question. Rien qu'une arnaque, elle est persuadée, on se fout royalement de sa gueule. Non, elle en veut pas de leur aide. Non, elle veut pas qu'ils viennent caresser le crâne de Matei comme si c'était un foutu clebs. Non, non, non. Sur sa vie, personne l'aura. C'est son bébé. Délires en volutes mais sur l'asphalte y a que quelques trucs de tangibles, des trucs vrais à compter sur les doigts d'une main. Les tremblements qui remontent l'échine. Le froid. Matei. Asher. Elle a entendu trop de cœurs se fissurer dans sa vie, elle reconnaîtrait le son parmi des milliers ; c'est facile quand l'écho est accroché à ses propres pas. Toute la famille ricoche dès qu'elle court. Et elle est pas surprise quand ça se produit devant ses yeux fatigués, juste étonnée du temps que le bruit met à remonter à ses oreilles. Parfois elle oublie qu'elle est branchée sur deux fréquences en simultané, maintenant. Les grésillements entachent la ligne. Alors Bloomberg, ça fait quoi. Tu t'sens comment. Elle ment, elle sait très bien ce que ça fait, il a même pas besoin de lui répondre. C'est grisant. Ça donne envie de taper un marathon juste pour sentir les courbatures dans les jambes le lendemain matin et se dire merde, c'est ça d'être vivant. C'est flippant. Un pas de travers et c'est les deux qui basculent dans le vide. Mais elle tombera pas, pourquoi est-ce qu'ils attendent tous qu'elle trébuche ? Et ils se prennent pour qui, putain, c'est le sien. Son Matei. Matei, Matei, Matei.

Le corps du flic se remet à bouger, doucement, comme s'il cherchait à éviter tout contact avec son corps à elle. Un air un peu confus, elle le regarde manœuvrer. Il est au courant qu'ils sont déjà à moitié imbriqués, genoux sur genoux ? Il se rend compte à quel point c'est con ? Ils ont fait un gosse et il a peur de sa main. La situation appelle à une gueulante mais elle se la ferme, y a pas de mot à dire qui tienne. Y a plus. Elle a perdu le droit de rétorquer y a déjà quelques mois. « Ça va aller, j'te promets » Voix calme, voix rassurante, le palpitant acquiesce une seconde et vient se caler à un rythme posé. Bien sûr que ça va aller. C'est Asher, bon sang. Ça va aller. Ça va... Non. Elle réalise au moment où la main du brun se glisse sous la sienne, à l'instant où le poids plume du gamin disparaît de son emprise. Poids de plomb, elle se sent couler vers les abysses. Ils vont me le prendre, ils vont me le prendre, ils vont me le prendre. T'es conne, Popescu. L'erreur la tire vers le fond. Oh putain que c'était bien joué. Elle a rien vu venir. Y a suffit d'un mélange bateau, un visage familier, une faiblesse de débutante, ses propres mots dans la bouche d'un autre. Et pas n'importe quel autre. Pourquoi. Pourquoi tu m'fais ça. Pas de mot à dire qui tienne, Lena. Pourquoi tu veux que j'tombe. C'est une revanche, c'est ça ? Tu bosses avec qui, Seven ? Valerian t'as payé pour faire le sale boulot ? Bande de lâches. Matei, Matei, Matei La panique s'accroche à ses tripes, l'angoisse écartèle dans le sens inverse. Elle veut qu'on lui rende son fils. Elle veut qu'on lui rende immédiatement. « Bonjour, Matei » Figée, impuissante, sans moyen de remonter à la surface, seules les idées obsédantes flottent. Alors Bloomberg, ça fait quoi. Tu t'sens comment d'avoir réussi. Parce que le monde continue de s'effondrer en voyant qu'il arrive à calmer Matei, comme ça, juste en fredonnant une foutue chanson qui se chante même pas. Alors Bloomberg, c'était ça ton plan ? Tu savais depuis le début mais tu faisais semblant d'ignorer la vérité ? T'as attendu combien de temps, sous la pluie battante, dans la rue voisine. Et qui dit que tu la suivais pas avant, ailleurs, quand elle te croyait trop loin et trop amoureux pour te soucier d'elle ? Pourquoi le complot tordu. Pourquoi le faux hasard. Tu sors d'où, Bloomberg. Putain, mais t'es qui. « Merci.  » Il lui tient la main, il devrait pas. A ce stade c'est juste cruel. Et le destin, t'en fait quoi du destin ? C'était truqué aussi, y a jamais eu de serrure à crocheter, rien qu'une porte ouverte ? T'en fais quoi de tout ça ? Elle fuit ses mensonges, délie les doigts des siens. C'est un miracle qu'elle arrache pas Matei de ses bras dans la seconde. Non. Elle le fait sur la troisième. « Je l'ai pas fait pour toi », elle s'étouffe sur la première bouffée d'oxygène depuis trop longtemps. Jambes repliées, à nouveau. Elle aimerait qu'il se retourne encore, qu'il lui cède un échappatoire sans le savoir. Mais ses jambes sont fatiguées, son ventre crève la dalle. Elle a peur de tomber si elle se lève brusquement. « Pourquoi », la question, enfin la question, il doit rien comprendre. « J'sais m'en occuper, j'ai pas besoin de toi. » Menteuse.
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Asher Bloomberg

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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyVen 16 Mar - 18:37

Chaleur, douce et familière, Matei contre lui et déjà trop, trop d’amour, trop d’angoisse, le cœur qui se serre à la seule idée de penser qu’il est partiellement responsable de ce petit être, qu’il y a un bout de lui dans son patrimoine génétique, difficile à cacher vu la ressemblance frappante, trop grande, les yeux noirs en amande qui le dévisagent un long moment, s’inquiètent de savoir de qui il peut s’agir. Je suis ton papa, il pourrait dire, mais ça serait mettre des mots sur quelque chose qu’il n’a pas encore totalement assimilé, trop peureux, trop faible, je suis ton papa ça sonne comme une promesse, faire mieux, faire moins mal que son propre père, ne pas le laisser penser un seul instant qu’il n’est pas digne de sa confiance, digne de son amour, digne de vivre, ne pas lui laisser entendre un seul instant qu’il n’est pas capable de devenir exactement ce qu’il veut. Trop, trop de ressentiments, de souvenirs amers, trop de freins, de serrages de boulons, pour rien au final. Pour rien parce qu’il a déçu, inévitablement, loin de l’image du fils idéal que sa mère avait voulu broder en canevas, plus proche des racailles contre lesquelles ils l’avertissaient quand il était petit. Il aimerait lui dire de belles choses à Matei, lui promettre qu’il sera toujours là, qu’il l’aimera invariablement, été, hiver, printemps, automne, qu’il le respectera quoiqu’il arrive, quoiqu’il fasse, qu’il sera là à chaque coin de rue s’il faut pour le garder en sécurité. Maxine, ça résonne, elle était pareille au même âge, la même trombine, le même regard, Maxine, encore quelque chose qu’il a loupé, battements sourds de son cœur qui se rappelle, qui fait remonter les souvenirs un à un. Maxine et sa première fois en vélo, Maxine et ses problèmes de garçons à l’adolescence, Maxine et son obsession de créer, de bouger, de montrer à quel point elle était talentueuse. Maxine qu’il avait épaulée jusqu’à ce qu’il ne le fasse plus, y a fort à parier que ça sera la même chose avec Matei, qu’il le décevra lui aussi, comme il déçoit tout le monde. Il pourra faire un club avec son grand-père, sa grand-mère, y inviter les Popescu au grand complet. Il y a fort à parier qu’il sera aussi un élément indésirable pour eux, comme son père auprès de sa propre famille. Matei. L’amour n’a jamais eu aussi joli nom.
Redescente, la mâchoire qui se serre lorsqu’il sent Elena se tendre, parce qu’il connaît ses frissons autant qu’il connaît ses non, parce qu’il a compris depuis longtemps qu’elle ne fait pas semblant, qu’elle est vraiment pétée en dedans, qu’il ne faudrait pas grand-chose de plus pour qu’elle ne se brise en mille éclats. Froid polaire lorsqu’elle lui enlève le bébé des mains, lorsqu’il se sent soudain nu, vulnérable, démuni. Je l’ai pas fait pour toi, il sait putain, il sait, elle l’a fait pour lui et c’est déjà ça, elle l’a fait pour autre chose, pour davantage, pour une raison plus noble, plus importante. « Je sais. » Il sait parce qu’ils ne sont plus rien, pas même un souvenir, parce que la sensation de l’épiderme d’Elena contre le sien reste même quelques secondes après, fantôme résiduel d’une affection évanouie, parce qu’il avait eu tout faux, comme d’habitude, lorsqu’il avait un instant pensé qu’elle avait peut-être gardé un soupçon d’amour pour lui. Il aimerait lui dire, la secouer, on a fait un gosse putain au bord de la bouche, pas encore sorti. Jamais. Faudrait pas qu’elle prenne ses rêves pour des réalités, ça lui ferait trop plaisir de voir qu’elle a une emprise sur lui. Pas cette fois. Plus jamais. « Tu sais t’en occuper », il répète, comme s’il n’avait pas bien compris, comme s’il essayait de graver les mots dans sa tête, comprendre pourquoi une fois de plus elle le repousse, elle le rejette, elle l’éloigne, la peur au bout des doigts comme s’il était un loup alors qu’elle a toujours été la plus sanguinaire d’eux deux. Il répète parce que ça permet de se souvenir, quelque part, parce que c’est plus facile d’imprimer les mots que de changer la cartouche, éviter les coquilles, fautes de frappes trop vulgaires, trop convenues. « T’as jamais eu besoin de moi, Elena. C’est pour ça que tu t’es tirée dès que tu en as eu l’occasion. C’est pour ça que tu n’as même pas eu la décence de m’informer que tu étais enceinte de mon enfant. » Calme, pragmatique, froid, il énonce les faits comme il l’aurait fait au tribunal, maudit avocat qui assure aujourd’hui sa propre défense, comme toujours. Il n’y a jamais eu personne pour assumer ce rôle, pour lui faire endosser le beau rôle. Fatalement, inévitablement, il est toujours considéré comme le méchant, et Elena ne déroge pas à la règle, succède à la longue liste de personnes qui ont une piètre estime de lui. Papa, maman, Maxine. Elena. « Mais t’as pas le droit. » Ça fuse parce que ça lui crève le cœur, parce qu’il ne veut pas dire au revoir aussi tôt, lui qui vient juste de dire bonjour, de le rencontrer. Incapable de tirer un trait sur les grands yeux qui viennent de le dévisager, l’envie égoïste de devenir le héros de quelqu’un, même s’il ne sera plus jamais celui d’Elena. « Je veux faire partie de sa vie. J’partirai pas. » Elle a beau lui demander, il ne partira pas, non. Il l’a trop souvent fait.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyVen 16 Mar - 20:26


Je sais. Tu sais t’en occuper. Faux, faux, faux. La réalité vient se mélanger aux délires, impossible de faire la part des choses. Pour quelqu'un qu'a mené son plan d'attaque à bien, il a pas l'air heureux, Asher. Peut-être qu'elle a eu tort – non – peut-être qu'il a jamais voulu lui prendre ce à quoi elle tient le plus – non, non, non – peut-être... Peut-être qu'elle devient folle, peut-être pas, elle a juste envie de se prendre la tête entre les mains et d'hurler à ne plus jamais pouvoir produire un son. Moins fort là-dedans, pitié, elle s'entend plus penser. Stop, stop, stop. Mais c'est à la mauvaise voix qu'elle demande de se taire, ça aussi elle l'a pas anticipé. Quand elle le voit venir, des kilomètres au-dessus de la vitesse légale, c'est déjà trop tard. Ça la transperce sur place, elle qui voulait devenir muette. Son foutu vœu est exaucé. « T’as jamais eu besoin de moi, Elena. C’est pour ça que tu t’es tirée dès que tu en as eu l’occasion. C’est pour ça que tu n’as même pas eu la décence de m’informer que tu étais enceinte de mon enfant. » Pour ce que ça aurait changé – vas-y, ça aurait changé quoi, Asher ? Tu veux lui dire ? Ou tu vas juste continuer avec ce ton qu'elle déteste tant, parce que s'il y avait un peu de chaleur chez eux, même trois fois rien, c'était tout dans lui. Plus maintenant. Maintenant c'est glacial, trop bien placé, clinique, anesthésié. C'est fini, elle pense bêtement. Y a vraiment plus rien à sauver, hein. Ça aura mis un an à monter au cerveau, après une centaine de détours et de réminiscences et de doutes. C'est vraiment fini. Pourquoi ça la blesse à ce point ? « Mais t’as pas le droit. » Pianiste hors pair, c'est ça, ouais. Il frappe toutes les mauvaises cordes, une par une par une, et elle se braque à chaque fausse note qui passe. Elle a tous les droits parce qu'elle le veut, parce qu'elle l'a décidé, parce que c'est pas qu'un défaut de décence de sa part.

« Je veux faire partie de sa vie. J’partirai pas. » Elle le toise, perdue entre le mépris et la confusion. Lui qui veut, il voudrait pas se rappeler leur dernière dispute ? Celle qu'a tout fait basculer ? Retrouver la mesure qui a planté la suite ? Parce qu'ils jouent deux morceaux différents depuis la même partition, y a forcément une explication quelque part. Un soucis de lecture, elle en sait rien, putain. « C'est ce que tu crois ? » qu'elle finit par demander, incrédule. Matei qui ? Elle l'a toujours contre les jambes mais c'est comme s'il était plus là. Y a que Asher, et le rouge qui lui fait voir. « Putain, mais c'est vraiment ce que tu crois ? » L'incompréhension entre eux, encore une fois. Leur faiblesse ultime. « Va te faire foutre, Asher, » et elle y verse autant de venin que sa colère accepte d'en produire. Il a déclenché un truc par erreur, Asher, il aurait jamais du. Elle ouvre de nouveau la bouche sans savoir si elle va pouvoir s'arrêter. « Tu as fait le choix, j'suis partie à cause de toi. T'aurais voulu quoi, que je claque pas la porte ? Que je reste, que j'me foute à genoux ? Tu as décidé que c'était fini, j'aurais jamais... Je serais pas...Je t'a... » Le dis pas. Même à l'imparfait, lui donne pas la satisfaction d'entendre ces mots la. Sa bouche a déjà trop dit, ses mains, trop tremblé. Un jour, avant, elle avait songé à lui dire. A lui balancer la bombe au petit-déjeuner, pendant qu'il prend sa douche, boutonne la chemise, enfile les chaussures, ou pendant qu'il joue du piano trop fort, tellement fort, qu'il aurait du s'arrêter pour qu'elle répète. Le pire, c'est qu'elle l'aurait fait. Je t'aime. Juste comme ça, juste pour rigoler, parce que si je te dis que c'est pour de vrai tu vas te foutre de ma gueule. Ou me regarder avec tes yeux trop grands, ou me dire que toi aussi, simplement, comme si c'est le truc le plus normal au monde. Mais tu mens, elle le sait. Elle est pas conne. La dernière conversation lui revient des fois, entre deux terreurs nocturnes, et c'est toujours la même histoire. Swann, cris, pleurs, porte. Bien sûr que tu peux pas l'aimer, forcément qu'elle s'est tirée. T’as jamais eu besoin de moi. Elle aurait jamais du avoir besoin de toi, c'est ce qui a tout foutu en l'air. Mais qu'il aille pas lui affirmer ce qu'il ignore. Il a pas le droit. « C'était fini. Tu voulais que ça soit fini » voix accusatrice, voix qui veut dire assume ce que t'as fait. T'as été le premier à lui faire croire que peut-être, elle en était capable. Cet idéal dégueulasse dont elle rêvait plus. Et t'as été le premier à lui arracher ça des mains. Alors assume, putain. « Tu veux faire partie de sa vie » elle ponctue pas la question avec un point d'interrogation, juste un regard vers Matei. « Tu voulais plus faire partie de la mienne, c'est con, c'est pas l'un ou l'autre. » C'est pas Matei ou elle et y a trop de non-dits pour qu'elle puisse imaginer qu'il accepte les deux. Même s'il peut, elle peut pas. « J'suppose qu'on a pas toujours ce qu'on veut dans la vie. »
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptyDim 18 Mar - 21:54

Dissimuler la vérité, un vieux mécanisme de défense. C’est ce qui avait amené Asher à se créer une échappatoire pour bien des choses, pour Samuel, pour Scarlett, pour la pendaison, pour l’éventail de ses erreurs, sagement écarté entre ses doigts. Le mensonge avait été un cache-misère bien inefficace, qui avait pu le satisfaire quelque temps mais pas suffisamment pour lui permettre une véritable échappée, une sortie grandiose, pas assez longtemps pour mettre un nouveau plan à exécution, nouvelle corde ou arsenic, quelque chose de suffisamment fort pour laisser une marque, se barrer magistralement. C’est peut-être son problème, au final, il calcule tout, ne laisse aucune place à l’imprévu, sauf pour les choses du cœur qui ont pris la sale habitude de lui tomber dessus au moment le moins opportun. Elena, Caïn, Toad. Matei. Ce serait facile de revoir son jugement, de revenir sur ce qu’il pensait être acquis, elle me déteste et autres évidences car la roumaine n’avait jamais vraiment su cacher ses réelles intentions, ce serait simple de tirer un trait sur le passé et d’entamer une nouvelle page, simple, facile, net, sans aucune bavure. Simple n’est pas Elena. Simple n’est pas lui non plus. Il a fallu qu’il parle et il a fallu qu’elle réponde, et comme ça, la soudaineté de retrouvailles dans une ruelle sordide perd toute sa féérie, redevient un simple point sur leur ligne temporelle, un nouveau départ pour les foutre à terre. Moulin à paroles, Elena vomit les mots, ne les retient plus, et chacun d’entre eux s’insinue dans les oreilles du flic, passent des synapses aux neurones, s’impriment sous sa caboche pour ne laisser qu’un champ de ruines et de probabilité, les peut-être qui s’alignent dans un carnaval ridicule. Surenchère de douleur, à ton avis qui a eu le plus mal ? Qui a le moins pardonné ? Qui a eu le plus de raisons de détester l’autre ? Lui, mille fois, parce qu’Elena a été la première à instiguer cette guerre des tranchées, parce qu’elle a creusé les tunnels, qu’elle leur a foutu des armes dans les mains, parce qu’elle est un loup qui veut se faire passer pour un agneau et que s’il a été suffisamment stupide pour gober le subterfuge à une époque, ça ne prend plus aujourd’hui. L’eau a coulé sous les ponts, a effacé les maigres traces du passé, d’une soirée de février en duo sur un piano, à se demander d’assumer pour au final se carapater dès que les choses ne tournent pas dans le bon sens. Alors quand elle a fini de parler, quand enfin elle s’arrête, il prend ça pour un signal, un appel, il prend ça pour un top départ, mettre le feu au poudre, faire flamber les maigres restes de leur relation, foutre leur affection dans les orties.
« Tu es sérieuse ? » Ça ne sonne pas vraiment comme une question, en réalité, trop de reproches sur la langue et dans le cœur pour pouvoir la confondre avec une véritable interrogation parce qu’il sait qu’elle l’est, parce qu’il sait qu’elle a appris à croire à ses propres couleuvres et que c’est ce qui la rend aussi fondamentalement indécrottable. « Tu étais là, le soir où on s’est quitté. Où tu m’as reproché de prendre le parti de Swann et où tu as claqué la porte sans me laisser le temps de m’expliquer. » Expliquer que Swann était une amie avant Savannah, qu’ils se connaissaient de jadis, de New-York, de l’époque où tout était plus simple, qu’il n’avait décemment pas pu la laisser crever la bouche ouverte, qu’il lui avait évidemment ouvert sa porte. Pour une squatteuse de canapé, elle avait été foutrement prompte à juger. « Je suis allé voir Caïn, j’ai essayé de t’appeler. Tu m’as raccroché au nez. » Encore une énumération, il n’a pas besoin de davantage pour lui expliquer, lui montrer ce qu’elle sait déjà, que c’est elle la responsable, elle qui a tout foutu en l’air, elle qui a mis fin à leur semblant d’histoire, elle, elle, elle, et sa voix est étrangement froide quand il expose son argumentation, étale les cartes sur la table, quand il évoque Caïn sans que ça ne lui bouge vraiment le cœur parce qu’il s’est habitué, parce que c’est comme ça, parce qu’il ne compte pas lui avouer maintenant que c’est aussi le soir où ils ont fait l’amour la première fois. L’unique fois. « Quand je suis rentré le lendemain, tu étais venue chercher tes affaires et tu n’es plus jamais revenue. » La voix qui commence à vaciller même s’il ne veut pas lui donner cette satisfaction, celle de voir qu’au final, elle l’a atteint d’une manière bien trop pernicieuse, bien trop délirante, qu’elle l’a enfoncé dans les ténèbres les plus totales et qu’elle est la seule à blâmer pour ça. « J’me suis » pendu, ça ne sort pas, encore heureux, tout mais pas ça, pas la satisfaction que ça pourrait lui procurer de savoir qu’il a failli crever pour elle. Soupir, il fouille dans sa poche, en sort deux billets de cent dollars qu’il lui glisse dans la main, incapable de la laisser mourir de faim. Incapable de vraiment l’abandonner. « J’étais amoureux de toi, Elena. J’étais amoureux et tu t’es barrée. N’essaie pas d’inverser les rôles. » Prends le pognon et barre-toi, fous-moi la paix. Emmène ton gamin, j’en veux pas. Menteur. « Et j’comprends pas. J’comprends pas pourquoi tu m’as quitté et pourquoi t’as gardé ce souvenir de moi. » Coup d’œil vers le gamin. Il ne pige rien, non. Elle aurait dû avorter, le supprimer tant qu’il était encore dans son bide. Elle aurait dû chercher à effacer la moindre trace de lui. Une moitié d’ADN et un visage qui ressemble un peu trop à celui du paternel, ça ne s’appelle pas oublier. « Raconte-toi l’histoire que tu veux, ça n'a plus d'importance. » Berce-toi d’illusions, chante-toi des fables, mais ne me mêle pas à cette mascarade. Il se relève, regarde Matei. Peut-être la dernière fois. « Tu sais où me trouver si besoin. » Partout. Nulle part. Il ne lui laisse pas le temps de répondre, il est déjà loin, court comme un fantôme dans les rues. Espère aussi fort que possible qu’elle ne le rattrapera pas.
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MessageSujet: Re: au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher)   au bout de ces impasses où elle m'abandonne (elasher) EmptySam 24 Mar - 19:42


C'est moche, tous ces mots poignards qu'elle propulse à l'aveugle dans la direction d'Asher mais c'est sa vérité, les croyances sur lesquelles elle s'endort depuis des mois. Il voulait plus d'elle. Il criait tellement fort, qu'est-ce qu'elle était censée y voir ? Aveugle, ouais. Aveugle quand ça l'arrange, parfois il vaut mieux draper les paupières et vivre dans la pénombre plutôt que de réaliser ses erreurs fatales. Elle criait tellement fort, qu'est-ce qu'il était censé y voir ? Les omissions sur le tapage nocturne dans le myocarde, qu'est-ce qu'il pouvait y comprendre ? Ecoute les silences, écris moi ce que tu as entendu. La ride sur son front se plisse davantage alors qu'il déballe sa plaidoirie, incendie ses arguments un à un. Non, non, non. Elle ferme les yeux et attire Matei toujours plus près de son corps, elle ne veut pas voir le brasier, elle refuse de se laisser happer par ses raisons. Elle sait qu'il a les bonnes, putain, elle sait qu'elle a tort. C'est évident mais c'est pas à la version actuelle d'elle qui faut les réciter, c'est à celle qui se tient dans son salon, le soir du naufrage. La furie, la tornade. Lena qui s'obstine à ne pas lui faire confiance, Lena qui projette simplement sur les autres ce qu'elle ne peut pas s'admettre sur sa propre personne. Lena qui raccroche quand il appelle, parce que perchée en haut du monde et à deux doigts d'inverser la gravité et de bouffer la terre, y a que sa voix à lui qui tourne dans son esprit déjà. Tourne sans fin, les jours et les nuits quand elle veut pas. Tourne encore, il a les reproches interminables et davantage de munitions à la ceinture qu'elle. Elle se mure dans le silence total, pourquoi parler alors qu'elle excelle à ne rien dire. Pour autant ça fuse dans son crâne, dans toutes les directions, dans des sens impossibles. Et notre un pourcent de chance, tu y as vraiment cru ? Celui qu'on a chuchoté dans le noir entre nos prénoms soupirés, celui dont on ne doit pas discuter parce qu'on le sait trop bien, les paroles seront notre mort. Dis on est mort, Asher ? Dis tu te souviens de la vie avant que tout se brise ? Avant que je ne brise tout ? J'sais pas marcher sans faire trembler autour, j'sais pas respirer sans te faire suffoquer. Repars en arrière, remonte l'horloge. Et notre un pourcent de chance, t'es sûr que ça ne valait pas que la moitié ? Cinquante de un de nous deux, les chiffres ne me font pas peur mais y a de ces choses qu'on ne devrait jamais calculer. Les paroles seront notre mort, la rue, le caveau. On saigne, putain mais tu vois pas, comment on se vide, vide, vide. J'ai plus mal, j'en sais rien pour toi. Tout ou rien ; t'es implaçable sur le continuum. T'as jamais su où te poser, j'ai toujours couru, c'était ça ou crever. Et regarde nous maintenant, regarde ce qu'il reste de nos formules et de nos foutus pourcentages. On aurait jamais du lancer la machine, combien de temps avant qu'on ne s'étrangle sur la fierté qui s'est prise dans les engrenages ?

« J’étais amoureux de toi, Elena. J’étais amoureux et tu t’es barrée. N’essaie pas d’inverser les rôles. » Elle relève la tête, lourde, tout le venin des accusations s'est infiltré dans son système nerveux. Ça brûle les côtes, ça ravage les organes au passage. Il était amoureux d'elle ? Elle déglutit la bile qui grimpe dans sa gorge pour marmonner « Me blâme pas pour tes erreurs » ni pour tes états d'âme, ni pour tes pics au cœur. Elle a porté les mêmes, elle respire avec le trou béant que ça a ouvert sur son passage. Ses cicatrices de guerre, il faut être deux pour jouer à ce jeu. Dans sa main y a les billets qu'il a déposé quelques secondes auparavant, elle les écrase au fond de son poing, le froissement du papier résume bien le concert dans sa cage thoracique. Elle crève de plaquer les paumes d'un bout à l'autre de la largeur de ses épaules, de repousser Asher en arrière, de le provoquer toujours plus, plus, plus. Le froid ne lui va pas bien au teint, elle pourrait le gifler pour refaire jaillir les couleurs. Un peu de rouge sang, comme le goût du cuivre qu'elle veut cracher sur le bitume. Elle s'est mordue l'intérieur de la joue trop fort. « Et j’comprends pas. J’comprends pas pourquoi tu m’as quitté et pourquoi t’as gardé ce souvenir de moi. » Elle est à un rien d'étouffer son propre fils à force de l'écraser dans son étreinte. Pourquoi t’as gardé ce souvenir de moi. Parce que c'est un enfant, pas un putain de porte-clé dans un office de tourisme, parce qu'elle y a pensé sans cesse et marqué l'épiderme tendu de son bide de griffures profondes les soirs où c'était de trop, parce qu'elle a fini par halluciner des signes dans ce pan impossible de sa réalité. Il est sa seconde chance, sa millième chance de se rattraper, de faire les choses correctement, d'avoir une vie dans les mains et de ne pas la foutre en l'air ou l'abandonner ou l'oublier. Il est ce qu'elle ne sera plus, une page vierge sans aucune rature. C'est pas une trace du passé, c'est un foutu espoir pour le futur, sa vie au prix de celle Matei. Asher veut sa part de rédemption ? Qu'il aille s'en trouver une ailleurs. Reste. Elle s'en fout. Dis que c'est mort, dis que tu ressens plus rien, dis, dis dis. Un instant plus tard, elle se retrouve à mater les jambes d'Asher, parce qu'il vient de se relever et la regarde de haut, enfin, elle pense que c'est plutôt Matei qui l'intéresse. Elle a pas la présomption de supposer que c'est vers elle qu'il choisit de tourner son regard. « Tu sais où me trouver si besoin. » Tu sais qu'elle viendra pas, qu'elle prendra la fuite comme tu le fais. Elle attend qu'il disparaisse entièrement de son champ de vision pour se relever à son tour, récupérer le flingue au sol, écraser les billets dans la poche arrière de son jean. Capuche sur la tête, à nouveau, elle se traîne jusqu'au croisement des rues et s'enfonce dans la ville.


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