Tu t'enfonces dans le siège, encore endolori par la dernière baston. Tu grimaces à quelque reprises lorsque tu effleures tes cotes de ta paume. Sans surprise, c'est toujours comme ça, après avoir picolé. Tu n'es jamais celui qui déclenche la castagne, mais tu es toujours prêt à foutre une raclée. Cette fois-ci, c'est plutôt toi qui s'est fait défoncer. Parfois tu gagnes, parfois tu perds. C'est le hasard et il faut dire que, ce soir-là, tu avais un karma de merde. Un bruit t'extirpe de tes pensées, celui d'une porte qui s'ouvre. Un grincement qui t'irrite les tympans. Tu as mal au crâne, les cachets n'ont pas fait effet. Dommage, maintenant, tu dois endurer sa sale gueule d'enfoiré pendant une heure. Soixante minutes de conneries, de bullshit. Une heure entière à jurer intérieurement. Parce que t'es cool comme mec, même si ce rendez-vous t'a été imposé par la vieille. Tu prends une profonde inspiration lorsque le gros lard s'installe en face de toi. Pas un regard, ni un salut. Uniquement son souffle bruyant qui casse l'ambiance. Tu rêves de lui en coller une, mais tu souris par défaut lorsqu'il daigne affronter les ecchymoses qui parsèment ton visage. « Alors, Maxime... — Eh, c'est Max. » Tu l'interromps aussitôt, agacé que les gens s'autorisent à t'attribuer un prénom qui ne t'appartient pas. Et ça te fait encore plus chier quand il s'agit d'un professionnel. N'a-t-il pas ton putain de dossier devant lui, sous ses yeux? Ce n'est pourtant pas compliqué de lire un foutu prénom correctement. Tu croises les bras contre ton torse pour démontrer ton désintérêt alors qu'il te dévisage comme si tu venais de lui avouer avoir commis un meurtre. C'est à croire qu'il n'aime pas qu'on le corrige, le p'tit monsieur. « Max tout court, j'veux dire. » Il jette finalement un coup d'oeil sur sa feuille et il relève les yeux par-dessus ses lunettes pour te fusiller du regard. « Max. » Il reprend d'un ton hautain, prenant soin de détacher chaque lettre et il marque une pause. Ça l'amuse, cette position de supériorité, ce titre plaqué or qui habille son bureau. Des années d'études pour se la jouer héros. Il n'y a rien qui te sépare de ton poing sur sa tronche, mis à part cette foutue table que tu te retiens d'envoyer valser. « Vous n'avez toujours pas fait la paix avec votre père? — Et pourquoi faire, mh? C'connard sait même plus qu'j'existe. » Tu répliques, tu rouspètes. Avec toute l'arrogance que l'on t'a donnée à la naissance. Des mots lacérés que tu lances sans te préoccuper des dégâts que tu peux laisser derrière toi. Une transparence presque trop flagrante, qui frôle la vulgarité de ton passé chaotique. Et il te juge, derrière sa cravate, alors qu'il est censé demeurer neutre. Tu le vois, c'est indubitable. Il transpire le mépris, le dégoût, ça lui sort par les pores de peau. Il tamponne son front suintant de sueur avec un mouchoir, comme pour effacer sa culpabilité. Il a chaud, il suffoque, tu le fais grave chier et tant mieux. Un sourire malicieux déforme tes lèvres. Un jour tu vas l'achever, cet enfoiré. Mais il est coriace, il n'a pas dit son dernier mot. « Peut-être que lui rendre visite, à nouveau, comblerait un vide. Un manque indéniable qui s'amplifie et s'intensifie avec les années. Vous savez, Max. Faire la paix ne veut pas nécessairement dire que... — Wô. J'suis pas une p'tite biche égaré, hein. J'survie très bien sans lui et j'ai assez donné. » Tu le coupes. Encore et encore. Parce que, parfois, tu n'arrives plus à encaisser toute la merde qui sort de sa bouche. Lui, il se contente de gribouiller dans son carnet. Il note tout ce que tu dis, tout ce que tu fais. « Je vois... » Il souffle tout en remuant son stylo, ne prenant même pas la peine de te regarder. Il ferme son cahier et se redresse, les jambes maintenant croisées, il adopte la pose typique de tous les psychologues qui existent dans ce monde. C'est peut-être un cours qu'il donne à l'université; comment bien s'asseoir lors d'un rendez-vous pour les nuls. Va savoir! « Votre comportement montre des signes évidents d'une possible dépression. » Une dépression? Et puis quoi encore? Son regard se veut insistant alors que tu hausses un sourcil. C'est donc ça, sa conclusion? C'est tout? Un diagnostic et basta, voilà un pot d'pillule et rentres chez toi? Tss, n'importe quoi! « Non, j'suis pas... dépressif. I mean, j'ai qu'vingt-et-un, ok? C'normal d'être perturbé avec une famille aussi... dysfonctionnelle. Ça veut pas dire qu'j'ai envie d'me tirer une balle entre les deux yeux. — En parlant de famille, votre soeur, comment va-t-elle? Elle vit bien l'absence de votre père? » Tu plisses les yeux et tu claques ta langue contre ton palais pour signaler ton agacement. Le rapport entre ta soeur et toi, il est où? Non parce qu'il est bien écrit Max, 14:30 dans son foutu agenda. Tu lui esquisses un dernier sourire énervé avant de te redresser à ton tour. Les coudes maintenant appuyés sur tes genoux, les doigts entrelacés et ton cul bien avancé sur le siège, tu le foudroies du regard avec une hargne qui ne te ressemble pas. Pas du tout, même. « Elle en a rien à foutre, ni d'lui, ni d'personne. J'aimerais bien partir maint'nant. Surtout qu'ma mère dépense d'la tune pour rien en m'obligeant à v'nir ici. » Tu te lèves d'un bond et tu élances ta pauvre carcasse jusqu'à la porte, là où tu es arrivé, bien décidé à t'éclipser avant de commettre l'irréparable. « Et votre argent, vous la dépensez dans l'alcool, il me semble? Serait-ce une façon d'oublier certains souvenirs douloureux? » Tu te stoppes, net. « Quoi? — Votre dépendance. À l'alcool. C'est de ça dont il s'agit. » Tu fais volte-face, les phalanges crispées et la mâchoire serrée. Fais pas l'con, Max. Tu inspires profondément avant d'extraire l'air de tes poumons pour tenter de reprendre le contrôle. « Non, j'suis pas... j'vais bien, ok? J'ai pas b'soin qu'on fouille dans ma tête, ni dans mes souvenirs et encore moins dans les économies d'ma famille. » Tu décrètes sèchement, prêt à partir. Mais, non. Tu as une grande gueule et tu n'en as pas fini avec ce fumier. « C'est ça, votre boulot? Faire croire aux gens qu'ils ont des putains d'problèmes psychologiques pour leur piquer leur fric? Et après, mh? Quand ils ont plus d'tunes pour payer votre souper au restau cinq étoiles en compagnie d'votre charmante pute aux nibards fakes, vous faites quoi? Vous leur implantez l'idée qu'ils sont malades pour ensuite les laisser moisir comme des p'tits merdeux? » Tu marques une pause, sans pour autant le laisser s'exprimer. « Si y'a autant d'tentative de suicide dans l'monde, c'pas parce que vos patients vont pas bien, c'est parce que vous leur avez fait croire qu'ils allaient pas bien. » Et elle est là, toute la nuance. Avoir un cerveau malade, c'est une chose, y croire ç'en est une autre. On ne soigne pas un trouble psychologique en creusant et en déterrant toutes les infimes conneries relié à son passé. On ne fait que l'empirer. Toi, tu l'as compris. Entre JJ et Sam, disons que tu as un exemple flagrant qui pendille au bout de ton nez. Et qu'est-ce que tu fous là, déjà? Tu es censé être avec la bande. Enfin, pour ce qui en reste. « Allez vous faire foutre. Vous et votre putain d'diplôme de merde qui vaut rien. Allez chier! » Tu hurles, le coeur qui martèle ta poitrine et tu pivotes les talons pour ouvrir la porte du cabinet d'un geste brusque. Tu claques cette dernière tellement fort que tu espères avoir brisé les pentures. Tu t'occuperas de son cas un peu plus tard. Pour l'instant, tu dois à tout prix retrouver Daire pour faire en sorte que Sam et JJ ne s'entretuent pas.