Boum boum boum.
J’suis pas encore rentrée dans l’appart’ que les basses m’font déjà vibrer la cage thoracique. J’monte les escaliers quatre à quatre en ne tenant pas compte des échos sans délicatesse que laissent mes lourdes boots. De toute façon les voisins sont plus à ça près.
Autant qu’ils s’habituent parce que cette nuit c’est la jaille. Et sans heure de fin prévue, s’il-vous-plaît.  
Ce soir j’me lance.

Ça fait trois plombes que je louvoie entre les groupuscules d’ados éméchés. J’essaye tant bien que mal de repérer ma cible mais c’est vraiment blindé, et j’passe plus de temps qu’autre chose  à éviter de me prendre un verre renversé. Tout l’monde est en folie ; c’est la fin de nos quatre ans d’ennui mortel en classes intermédiaires. À partir de demain on accède officiellement au statut de pré-lycéens. J’ai bon espoir qu’il s’y passe des trucs un peu plus intéressants.
Comme perdre sa virginité par exemple.
J’suis à deux doigts de lâcher l’affaire lorsque j’aperçois un crâne fraîchement rasé – la dernière lubie en date pour « fêter la réussite de ces exam’ de merde » selon-lui – juste à côté du frigo.
J’soupire intérieurement. C’est pas ma faute si mes hormones entrent en ébullition dès qu'il est à moins d’vingt mètres, la biologie on peut rien y faire. C’est la réflexion que j’me suis faite y a deux semaines quand j’me suis rendue compte de fantasmer sur lui en dormant.
J’peux être très philosophe quand l’occasion s’y prête.
Alors je satisfais le besoin impérieux et pressant de vérifier mon reflet dans un étroit miroir placardé sur une porte. Tout est à sa place: cheveux, lèvres, seins d'ailleurs. J’dégaine mon sourire magicien. Celui qui est embobineur. L’affriolant. Séduisant.
Celui qui vous hurle l’amabilité au visage.
Vous murmure l’immoralité.
« Salut JJ ! »

J’ai décidé que ce serait pour ce soir. Ça s’est fait en cinq minutes, après que Jessica Spats eut étalée devant toutes les autres filles à la cantine sa trépidante vie sexuelle. « Sérieusement c’était ab-so-lu-ment fa-bu-leux » Jessica appuie toujours de cette façon là ses syllabes quand elle veut vous faire comprendre sa supériorité incontestée sur les autres mortels. Parce que Jessica est née et a grandi en Italie, voyez-vous, et il est l’évidence même que les italiennes sont célèbres pour leur sensualité et leur savoir-faire débordant. Ce sont des femmes, des vraies.
Je rêve que Jessica se casse une jambe en étant malencontreusement poussée dans les escaliers.

Quelle salope !
J’ai à peine eu le dos tourné pour aller me récupérer un demi-cacheton qu’elle en a profité pour aller frotter sa paire d’obus à JJ. J’enfouis la moitié d’ecstasy dans ma paume et me dirige vers eux en dansant. Le balancement du bassin étudié, les jambes interminables filant dans un ballet aérien, ondulement maîtrisé à la perfection du fessier. Regarde bien O’Reilly, regarde donc ce que tu vas laisser filer avec tes conneries…
La lueur de débauche dans les yeux qu’il pose sur moi me suffit pour passer à l’action.

L’amalgame de MDMA se dissout l’air de rien dans son putain de verre vodka-pomme.

Jessica est dorénavant en train de se mettre à poil en jouant au beer-pong avec les autres salopes notoires et les mecs en chien. Vu la taille de ses pupilles c’est pas très étonnant. Parce que l'insupportable mademoiselle Spats elle a beau se la jouer super libérée, j’suis certaine qu’elle touche pas à ce genre de merde. J’parierais qu’elle a même jamais tiré sur un pauvre joint.
Elle en devient ennuyante.
J’reporte alors toute mon attention sur le sourire paillard qui habille le visage de l'idiot outrageusement sexy d'irlandais.
Voilà pourquoi j’disais que ça allait être plus intéressant par la suite.