1 ϟ c’est la chaleur dans les veines qui s’immisce dans chaque parcelle d’ombre ; les grands éclats latino à la moindre escarmouche avec mamãe, la bienveillance du rastafari dans les racines les pensées de papai. bourdonnement des antilles emmêlées à l’amérique du sud, noa est une enfant vagabonde. à la place unique dans une famille solaire, âme conquise par ses racines multiculturelles. mais c’est aussi la pénombre du nom de papai, celui qui s’est finalement éloigné de ses valeurs ancestrales. célèbre compositeur de musiques pour des bandes originales, il enchaîne les tournées internationales avec son orchestre – celui dans lequel joue mamãe, tempête apaisée dans la douceur de son violoncelle. noa, c’est la fibre musicale familiale sur fond de notoriété abyssale. 2 ϟ premiers pas en jamaïque, premiers déboires à rio de janeiro. entre ces étapes, une multitude d’autres horizons, de l’émerveillement à l’exploration. toujours sur les routes les traces de papai, pour ses concerts ses collaborations. à sa grande carrière, le sacrifice de la banalité d’une enfance stable. les cours par correspondance, à savoir pourtant lire une partition avant un livre. l’absence d’autres enfants dans son entourage, échangés par les musiciens l’équipe les roadies. aucune autre amitié que les paysages qui défilent à travers les vitres, les rêves égarés dans les nuages perçus à travers les hublots. apprendre à jouer d’un instrument avant d’apprendre à grandir, noa a fait toutes les étapes à l’envers, mais toujours sous la bienveillance de sa família – et parfois même de vovó, quand ils ont pris le temps d’aller lui rendre visite, avant qu’elle ne s’envole. 3 ϟ d’une nature profondément lunatique, l’enfant lumière s’est avéré être plus que ça. plus que les sautes d’humeur imputées aux prémices de l’adolescence, plus que la simple présence d’un ami imaginaire – rien d’anormal pour une enfant, sauf quand la-dite chimère porte le nom de sa défunte grand-mère et qu’elle converse avec elle durant des années. possédée peut-être, mais par la névrose et non un fantôme. l’esprit de noa était le seul malfaiteur, dévorant sa coquille bancale. trouble schizo-affectif, rien que ça. puberté effleurée, déjà engloutie dans les cachets les rendez-vous médicaux les psychiatres ennuyeux.  4 ϟ passée sous silence, l’erreur humaine. éteinte par les médicaments mais plaider le caractère rêveur de leur fille, plongée dans ses pensées mensonges. ne surtout pas entacher la réputation de papai, ne pas détourner l’attention du halo doré. elle n’a pas fait les choses à moitié, noa. la schizophrénie dysthymique, ça sonne comme une insulte, une aberration. monde tumultueux entre les troubles schizophrènes et les troubles bipolaires – comme incapable de faire un choix dans le pire, elle en avait fait une symbiose honteuse monstrueuse. c’est moche, qu’ils ont souvent dit, t’es moche – problèmes d’humeur, problèmes psychotiques, est-ce une vie ? 5 ϟ bousillée par les pilules par ses psychoses, noa est tombée dans les ténèbres de cristal. le mal sur ses épaules, celui qui lui chuchote les failles autour d’elle, en elle. murmures de détresse qui viennent pourfendre la chair, les sanglots qui n’en sont plus, le cœur amer qui part à la dérive. poupée désarticulée qui oublie de vivre, alors que la réalité est devenue un gouffre aliéné à ses démons, qu’elle ne sait plus qui croire à part elle-même. parce qu’elle a forcément raison, n’est-ce pas ? de se laisser partir sur le carrelage, son sang emportant avec lui les chuchotements et les crises. désillusion dans cette tentative de suicide échouée ; elle n’aura pas de suites, pas de successeurs, mais le sursis restera toujours dans son encéphale en sous-régime.  6 ϟ façade en paillettes, quand ils pensent tous retrouver l’enfant perdue. dans ses grands éclats de rire et non de cris, promesse d’un temps révolu, que le traitement fait enfin ses preuves. mais noa ment, elle entasse les flacons de pilules dans des boîtes sous son lit – comportement dysfonctionnel dans l’indifférence générale, car le masque est viable et la supercherie impeccable. cœur d’adolescente en charpie, trouvant la délivrance dans d’autres cachets ; de ceux qui lui rendent la vie plus lumineuse, le temps qui passe plus doux. elle coupe elle mélange elle s’égare mais qu’importe, elle a l’argent pour le faire et la confiance aveugle de la família pour ne jamais cesser. 7 ϟ génie musical à l’instar de mamãe et papai, noa est admise au conservatoire de new-york. prestige de la julliard school pour l’enfant prodige, au piano et dans la composition essentiellement. graine de fierté pour ses parents, dans la promesse d’avenir meilleur. les années douteuses oubliées, le malheur effacé comme s’il n’avait jamais existé ; la pression parentale apaisée, aussi. noa se perd dans la musique autant qu’elle se noie dans ses démons, ses addictions se multiplient s’enlisent. julliard n’est qu’une bulle éphémère, et noa qu’une artiste aux fêlures trop grandes.  8 ϟ noa est excessive, dans sa passion, dans ses relations. elle s’attache facilement, aime démesurément, est blessée éperdument, et recommence. des troubles affectifs inhérents à sa personne ou à sa maladie, nul ne saurait dire – peut-être que l’un influence l’autre et réciproquement. que sans la maladie, la personne n’est pas. et que sans la personne, elle ne peut pas aimer. alors noa se perd espère désespère, la romantique passionnée. sa première véritable romance l’a menée à la chute, gravité insipide dans un esprit cacochyme. c'était alisha, la première. premier amour de toujours, premier baiser. première grande crise psychotique. 9 ϟ elle a été renvoyée de julliard presque un an plus tard, dans la plus grande discrétion. il ne fallait pas nuire à la réputation de l’école, ni à celle de papai. même le procès s’est déroulé dans un silence éclatant. noa avait fauté, noa le monstre avait démembré ses chances de réussite de survie, de normalité. psychose maladive dans la dispute avec alisha, lors d’un gala organisé au conservatoire. les mauvaises paroles, la violence, la bouteille qui tombe sur le marbre qui se brise. les tessons par terre, dans la main de noa, dans la chair d’alisha. la survie d’alisha, ses cicatrices à vie. la déliquescence de noa, l’hôpital psychiatrique pour six mois. les médecins les psychiatres, les vigiles les malades, les fous les parjures, les voix qui hurlent qui se lamentent ; et les médicaments, encore et encore, le coton l’oubli les ruines. 10 ϟ nouvelle chute, nouveau cycle. promesses démises, puis renouvelées. nouvelles boîtes entassées dans les placards, nouvelles pilules coupées mélangées avec les autres, les mauvaises – celles qui la font vivre, en faisant survivre ses pathologies. pilules, poudre. poudre, pilules. et puis vint la neige, l’addiction fatale, cocaïne suprême dans son métabolisme détraqué. nouvelle dépendance comme le reste de son existence, celle-là la berce d’une euphorie nécessaire. il n’y a que les cannabis qu’elle ne prend plus vraiment, déclencheur indésirable de crises incontrôlable. il n’y a que des mensonges entre ses lèvres – la promesse qu’elle continue de prendre ses médicaments, la promesse que tout ira mieux pour toujours. 11 ϟ supernova de l’effondrement à la renaissance, c’est tout un univers au creux de l’âme. la poussière de lune dans ses poumons, les étoiles dans ses yeux, noa est une enfant du cosmos, celle qui règne sur ses cieux. elle dissimule mal ce qu’elle ressent, c’est une bombe à retardement. elle s’agite, elle encaisse, et puis un jour elle explose – de ces dégâts qui se confondent entre la femme-lunaire et la maladie. d'une nature profondément lunatique, tout se mélange s’agite et ricoche sur les autres. le jour et la nuit dans un claquement de doigts, à peine le temps d’un soupir que la colère se fait miroir des larmes ou de la douceur, que le comportement s’égare et que les mots s’emmêlent sans plus de cohérence. 12 ϟ noa est peureuse envers l’abandon, la solitude l’effraie sans commune mesure. raison de son attachement excessif ou conséquence vulnérable, elle est toujours sur la pente raide dans ses relations. casse-gueule à tout instant, elle s’accroche jusqu’à la fuite des plus téméraires, alors qu’elle redoute l’absence et les silences. comportement de princesse capricieuse ou volonté incongrue de son cerveau aliéné, peut-être bien un mélange des deux dans le fond. après tout, elle a toujours été sous les feux des projecteurs. mais noa a beson de l’attention des autres pour exister, il n’y a que sous leur regard qu’elle se sent vivante. 13 ϟ c’est certainement pour combler les silences dans sa maison trop grande, pour camoufler l’absence des autres, qu’elle a recueilli deux chatons roux quand elle a aménagé pour de bon à savannah. edgar et elmer, deux frères devenus obèses diront certains, l’un à poils courts l’autre à poils longs, au caractère aussi exécrable que leur maîtresse. ils sont la risée de tous, mais elle les aime d’un amour inconditionnel – ce sont ces petites choses au quotidien, qui lui permettent de ne pas avoir peur du vide entre les murs. 14 ϟ l’âme au bord des vagues aussi bien que dans son existence, elle a fait de la maison provisoire de ses parents sa demeure principale. pied à terre qu’ils ont toujours eu à savannah mais qu’ils n’occupent presque plus aujourd’hui, la grande demeure au bord de l’océan à tybee island est devenu sa bulle son exposition son studio d’enregistrement. si le loyer est bien à la charge de ses parents, tout le reste incombe de ses finances. elle n’a aucun service, seulement un chauffeur – parce qu’elle a oublié de passer le permis dans sa jeunesse chaotique. elle s’occupe de presque tout, toute seule pour l’essentiel. gosse de riches, certes, mais noa a le sens des responsabilités que personne n’imagine. les apparences sont plus belles dans ce monde édulcoré aux billets verts faciles. 15 ϟ elle travaille avec acharnement l’enfant prodige, l’enfant déchue. sans diplôme, sans expérience viable comme diraient les plus vieux, seulement son talent. elle le sait, elle en use, elle refuse qu’on lui enlève la seule chose qu’elle sait faire de bien dans sa vie. la musique comme une ancre, la musique comme une survie. depuis toujours, elle lui rappelle les sources le bercail, elle est le berceau de son être, l’expression la plus sincère du fléau qui lui ravage le cerveau depuis la décès de son enfance. elle remixe des sons populaires aussi bien que des sons inconnus, tout ce qui lui parle qui trouve un sens au fond d’elle ; et puis, elle compose ses propres morceaux. elle appose timidement sa voix sur quelques-uns, n’ose pas encore s’affirmer vraiment de cette manière. noa se cache derrière ses effluves électroniques, chaque soubresaut chaque variété est un morceau de sa carapace. musicalités diverses propres à ses affections, ses infections. 16 ϟ elle compose aussi autrement, en silence, avec elle-même. les carnets qui se remplissent depuis toujours, les lettres qui s’enchainent se brisent s’entrechoquent. des mots perdus, des mots d’ivresse ; les tréfonds de son âme, les vacarmes de son aliénation à ses troubles. les amours disparus les amours nouveaux, les démons dans sa tête le diable sur son épaule. ses espoirs ses doutes, son envie de survivre, ses craintes ses victoires. noa écrit tout, tout le temps, des paroles de chanson, des poèmes ; ses secrets, cachés aux yeux de tous. 17 ϟ de ces carnets, beaucoup concernent uniquement ses relations. alisha d’abord, le désastre, par sa faute. puis, une autre, d’un autre genre. de ces liaisons qu’on dit abusives, de celles qui apaisent, rongent, étouffent. c’est d’une évidence qu’elle soit tombée dedans, noa. passionnée désabusée, il avait les mots la présence. il avait l’indifférence et la violence, aussi. accrochée, entraînée dans les décombres, jeff n’a fait qu’absorber ses démons pour mieux démolir ses failles. l’amour comme désastre, elle a mis trop longtemps à s’en défaire – aujourd’hui encore, son influence l’accable. aujourd'hui encore, des lignes noires à son égard s’écrasent dans ses pages. 18 ϟ d’un sommeil de plomb, les trépas de son âme viennent pourtant hanter ses nuits. outre les cauchemars, noa fait partie du faible pourcentage de ces jeunes adultes victimes de terreur nocturne. inhérente à ses troubles psychologiques, comme si son esprit n’accepte pas de lui laisser un temps de répit, loin de ses chaînes. elle ne se souvient jamais de ces épisodes, parfois qu’elle s’est réveillée en hurlant. c'est effrayant parait-il, c’est noa le monstre après tout. même ses chats ne s’en accommodent pas. ces nuits-là, noa les terminent généralement seule. 19 ϟ de ses cauchemars, il y en a un récurrent – qui l’aura à l’usure, elle en est persuadée. il y a des trous noirs dans sa mémoire, des absences dues à ses crises psychotiques. elles surviennent quand l’encéphale trépasse, que la conscience disjoncte s’enflamme. tout se bloque, tout s’oublie. tout revient la nuit, les paupières closes et le souffle saccadé. par flashs chaotiques, dévorants. surtout cette soirée sur le toit d’un immeuble. la soirée qui s’est terminée, les veines dilapidées dans les substances en tout genre. jeff qui la pousse dans ses retranchements, le cerveau qui bloque qui déraille, la raison qui s’embrase et noa qui s’oubie. noa qui crie qui veut faire taire les hurlements, qui pousse un pauvre type du toit. sa chute, trop lente. le point noir sur le sol, en bas. le silence, enfin, n’est-ce pas ? noa ne veut pas s’en souvenir, mais jeff est témoin – il aura sa perte. 20 ϟ mais dans tout ça, il n’y a pas que l’artiste torturée, au cerveau malade et aux addictions puissantes. quand elle n’est pas en concert ou dans les soirées des autres, noa organise de grandes fêtes dans sa maison pour toute la jeunesse de savannah et d’ailleurs. pour étouffer les fêlures et apaiser sa solitude, pour combler son âme d’ivresse et ses veines d’étincelles. elle fait venir les artistes qu’elle apprécie, entretient le réseau, prépare les featuring. reine de l’ambiance, de la jeunesse désabusée et des années lumières à conquérir.