Son téléphone qui sonne encore, alors qu'elle dépose le plateau repas sur le lit de sa mère. Elle sursaute légèrement et attrape le combiné, son visage qui se délite en voyant le nom sur l'écran. Encore. Son cœur qui tambourine dans sa poitrine alors qu'elle rejette l'appel, encore. Elle a essayé de se justifier, elle a envoyé quelques sms maladroits pour lui dire qu'elle n'avait pas pu s'occuper de la livraison, quelques soucis au motel avec sa mère. Mais visiblement, ça n'a pas suffit. Ash continue de l'appeler, il veut savoir, il veut comprendre. Mais Mads ne peut rien dire. Coincée dans un silence qui la paralyse. Comme si elle ne pouvait plus avancer. Comme si elle n'arrivait plus à se défaire de cette nuit-là. Les images qui repassent en boucle, nuit et jour, assourdissantes. Elle a l'impression qu'elle va devenir folle à force. Elle n'ose même plus fermer les yeux. Parce qu'à chaque fois, le visage de l'irlandais avec son crâne perforé à trois reprises se dessine sur sa paupière close et la fait frôler une nouvelle crise d'angoisse. Elle a menti à sa mère, elle a dit qu'il y avait eu une bagarre entre deux junkies, que Sidney avait tardé à arriver; qu'elle avait voulu s'interposer et qu'au final, elle avait récolté quelques coups au passage, d'où son coquard et sa lèvre fendue. Sa mère y avait cru sans mal, à moitié abrutie par ses médicaments, elle n'avait plus l'esprit clair. Mads s'accrochait à cette version comme à sa survie, comme s'il s'agissait de sa bouée de sauvetage. Peut-être avait-elle l'espoir de finir par y croire à force de le répéter encore et encore. Quand son téléphone sonne pour la seconde fois, elle décide de l'éteindre, ne supportant plus d'ignorer les appels et messages de tout le monde. Ses doigts qui tremblent sur les touches et elle prie pour que Novak ne tente pas de la joindre. Peut-être qu'au final, c'est surtout à lui qu'elle tente d'échapper. Pas encore suffisamment sereine pour l'affronter. Sa force, si rassurante jusqu'à lors, était devenue aujourd'hui la cause de nombreuses de ses palpitations. Celles qui vous glacent le sang.

Elle aide sa mère à manger et quitte la chambre avec le plateau pour retourner dans la petite pièce à l'arrière du bureau afin de tout vider et nettoyer. Son regard fuit volontairement le miroir au-dessus de l'évier, elle n'a pas envie de se voir dans cet état. Elle a remarqué qu'en plus de son visage, des marques violacées sont apparues sur son cou, là où l'homme l'avait violemment attrapée et maintenue. Comme des empruntes de sa puissance. Et tout ça ne fait que lui rappeler à quel point elle avait été faible, sans défense. Une idée insupportable et terrifiante. On l'avait mise en face de sa propre impuissance et subitement, le monde entier lui semblait bien plus hostile qu'avant.

Elle termine rapidement, ne voulant pas s'éterniser ici. Range le tout, essuie ses mains sur le petit torchon et retourne dans le bureau qui fait office d'accueil du motel. Au même moment, une silhouette brune imposante pénètre dans la pièce, lui arrachant un léger hoquet de surprise ainsi qu'un mouvement de recul spontané. Jusqu'à ce que son cerveau identifie l'intrus. Vague de soulagement. Elle souffle et vient porter une main à sa poitrine, alors que son myocarde vient de faire une envolée. — Ash ! Putain. Tu m'as fait peur. Peut-être un peu trop. Son corps est pris de tremblements mais elle fait comme si de rien était. Elle ignore le regard qu'il pose sur elle et vient s'asseoir sur la chaise, ses jambes devenues coton peinent à la maintenir debout. Elle commence à brasser des papiers, faisant mine d'être occupée. — Tu tombes mal, j't'ai dit que j'avais du boulot par-dessus la tête. Ce qui est plutôt vrai en soi, mais elle n'arrive pas à s'en occuper. Son cerveau qui ne parvient plus à se concentrer plus d'une minute d'affilée dans les meilleurs moments. Elle fait et défait trois fois de suite une pile de papiers, avant de se mettre à regarder le planning sur l'ordinateur. — J'suis désolée pour la livraison, ok ? Va falloir que tu me remplaces quelques temps, je reprendrais plus tard promis. Elle promet sans savoir si elle pourra tenir parole. Désormais la simple idée de traverser Savannah à toute heure pour aller livrer de la drogue à des gens pas clean lui noue l'estomac. — Va-t-en. Qu'elle ajoute sèchement, se faisant autoritaire. Elle ne veut pas l'affronter, elle ne veut pas discuter, elle ne veut pas répondre à ses questions, elle ne veut pas le voir s'inquiéter pour elle. Parce que s'il s'en mêle, s'il découvre quoi que ce soit et que Novak l'apprend... Qu'est-ce qu'il fera de lui ? D'elle ? Elle n'ose pas imaginer. Elle ne veut pas y penser.