« non. » elle te lance un regard si mauvais qu'il te ferait presque peur, si tu n'étais pas habitué à bien pire. « désolé. » tu ajoutes. parce que tu l'es vraiment, mais tu ne peux pas faire autrement. tu aimerais bien pouvoir lui dire oui, tu aimerais bien y aller à cette super soirée qu'elle organise avec toutes ses copines, tu aimerais t'amuser avec les autres, regarder ton meilleur ami se prendre des râteaux et observer les filles danser. tu aimerais passer du temps avec lydia et son regard enflammé. tu aimerais lui prendre la main ailleurs que dans les couloirs du collège, tu aimerais que vous vous enfermiez dans une des nombreuses pièces de la maison de jessabelle pour vous embrasser, parce que ton corps a soif d'expériences nouvelles et que tes hormones sont en folie dès qu'une jolie fille sourit. tu aimerais lui enlever son tee-shirt comme elle te l'a proposé. tu aimerais caresser ses épaules, admirer le renflement de ses seins. tu aimerais savoir si les caresses que tu t'infliges avec sa main ne seraient pas meilleure avec la sienne. « t'es vraiment naze, wade ! » elle te lance sans même se rendre compte que ça ne te blesse plus que ça le devrait. « tu peux jamais rien faire. tu peux jamais sortir. » tu mords ta lèvre inférieure avant de dire : « je dois garder ma soeur. » mais lydia s'en fiche complètement, elle rejette ses longs cheveux roux derrière son épaule. tu aimerais les toucher eux aussi. « ta soeur est une grande fille. elle peut très bien se passer de toi pour un soir non? » tu n'es pas certain de ça, elle vient à peine d'avoir neuf ans, c'est encore une gamine, plus gamine que toi en tout cas. « oh, allez ! wade s'il te plaît ! ce sera super, je te promets qu'on fera tout ce que tu voudras. » ton regard s'enflamme, tu passes une main dans tes cheveux. « absolument tout ce que je veux? » elle hoche la tête, un grand sourire aux lèvres sachant qu'elle a déjà gagné. « d'accord juste une fois. » « juste une fois. »
sa main enlace la tienne.
d'accord.
juste une fois.
mais
une fois de trop.
juste
une
fois
de
trop.
trop tard. tu rentres trop tard. l'écran de ton téléphone portable défoncé indique qu'il est plus de trois heures du matin et tu sais que si papa et maman sont levés, tu vas te prendre une sacrée raclée, tu sens déjà les coups pleuvoir, les larmes menacées de s'échapper. mais ça valait peut-être le coup cette fois. ça valait le coup pour les sourires de lydia. les promesses de lydia. les baisers de lydia. les caresses de lydia. ça valait le coup jusqu'à ce que tu passes la porte d'entrée. il a fallu une seconde pour que tu sentes la tension à l'intérieur de la maison, une seconde pour que tu comprennes que quelque chose clochait, comme si ton instinct te le hurlait. tu t'es débarrassé de ton manteau et en passant devant la cuisine, il y avait maman. elle ne s'est pas retournée. elle a entendu pourtant la porte claquée, tu l'as fait exprès. mais maman a les mains dans la pâte. maman fait un gâteau. maman fait un gâteau à trois heures du matin. maman est debout. elle fredonne.
elle fredonne.
pendant que derrière la télé bourdonne, dans l'autre pièce, papa est là. les pieds posés sur le canapé. papa aussi t'a entendu arriver. pourtant papa ne se lève pas pour lever la main sur toi. et tu sais que quelque chose ne vas pas. alors, tu montes les escaliers. toi aussi, tu fais comme si tu ne les voyais pas. dans le couloir, il fait noir. mais c'est pas l'obscurité qui t'angoisse. dans le couloir, il y a trois chambres. et personne dans aucune d'entre elle. personne dans la blanche parce que papa et maman sont en bas, personne dans la bleue parce que tu es là. et personne dans la rose. dans le couloir, il y a une salle de bain. la porte n'est pas bien fermée. tu pousses. elle est là.
elle est là.
elle est là.
ton coeur retrouve un semblant de sérénité. elle est là. mais recroquevillée. elle est là. mais elle ne te voit pas. elle est là. c'est tout ce qui compte n'est-ce pas? « avalone. » elle sursaute.  et tu vois enfin son visage. ses traits baignés de larmes salées. « avalone qu'est-ce qui s'est passé? » tu te surprends à murmurer. elle ne veut pas répondre. elle pleure juste plus fort. « avalone. » tu veux t'approcher, mais tu l'effraies. en s'éloignant, tu vois le sang. le tien ne fait qu'un tour. vos regards se croisent. la honte dans les siens. la haine dans les tiens. « non. » tu ne peux pas voir ça. tu ne peux pas croire ça. tu ne peux pas, tu ne peux pas, tu ne peux pas. « non, non, NON ! » les sanglots d'avalone ne couvrent plus tes hurlements et tu l'entend déjà qui monte les marches pour venir te chercher. « qu'est-ce que c'est que tout ce bordel? » tu l'entends crier, et tu peux pas croire qu'il ose venir la ramener. tu réfléchis pas. quand tu sors de la pièce. tu réfléchis pas quand tu ramasses la batte dans le couloir. tu réfléchis pas. quand tu donnes le premier coup. tu réfléchis pas. quand tu donnes le second. tu réfléchis pas. pour celui d'après, et encore après, et encore après. tu réfléchis plus quand il arrête de crier et que c'est avec tes poings que tu t'y mets, tu sais plus ce que tu fais quand le sang se met à couler, quand maman se met à pleurer, quand elle attrape le combiné. et quand la rage, la haine et tout ce qu'il t'avait inculqué disparaît, tu sais plus comment on fait pour se relever, pour marcher, pour courir, pour fuir. alors tu regardes en arrière et elle est là.
elle est là.
avec ses larmes et son sang.
elle est là.
à te sourire
à te soutenir
elle est là.
et c'est tout ce qui compte, n'est-ce pas