Pas sûr qu'on puisse faire pire comme gueule de bois. C'est pas qu'il a bu plus que d'habitude, c'est même pas la boule au ventre parce qu'il est pas sûr de ce qui s'est passé la veille, c'est surtout qu'il a été réveillé par un appel de Lucian. Son père l'avait pas appelé depuis qu'il a déménagé et même avant c'était rare, alors même avec les idées troubles et le mal de crâne Mihail a tout de suite pensé que son nom sur l'écran était synonyme d'urgence. Et pas qu'un peu. Sa mère a disparu. C'est pas le genre de Lavinia de s'attarder sans prévenir et c'est pas la première fois qu'il entend parler de disparitions ces temps-ci, il sait que c'est pas à prendre à la légère. Tout le monde à la maison est au courant, pour les autres il en sait rien. Dans le doute, il essaie d'appeler Seven, une fois, deux fois. Il est con, évidemment qu'il va pas lui répondre, il aurait dû appeler en inconnu. Mihail est plutôt du genre à jamais répondre aux appels masqués, lui. Il lui envoie un texto et recommence.

« Putain, enfin, » il fait quand il décroche. « Tu sais quand j't'appelle c'est pas pour le plaisir, j'ai une bonne raison. » C'est pas entièrement vrai parce qu'il l'a sûrement déjà appelé bourré plus d'une fois, mais il est rarement bourré à quatorze heures. « T'as vu maman ? Elle est pas venue te voir ou je sais pas quoi ? Elle est pas rentrée de l'église, personne sait où elle est. » Et malgré toute son agressivité y a une note implorante dans sa voix, s'il-te-plaît dis-moi qu'elle a juste décidé d'aller te retrouver pour se réconcilier avec toi à cause des bons mots d'un pasteur trop optimiste, que tu l'as envoyée bouler pour changer et qu'elle a juste pris le temps de sécher ses larmes avant de rentrer.

Son portable qui vibre encore et encore, le nom de Mihail affiché sur l'écran. Il le regarde sonner, le prend en main, hésite à le balancer contre le mur. Et puis il se ravise parce qu'à force il a épuisé tous les vieux portables volés qu'il avait en stock, et il commence à être trop fauché pour s'en racheter.

C'est une urgence j'déconne pas, Mihail qui insiste et ça l'rend dingue.

Il pourrait continuer de l'ignorer, éteindre son téléphone, le laisser là et se barrer. Pourtant y a le mot urgence qui tourne dans sa tête et les urgences familiales il a donné il n'en veut plus – pas après celle d'Anca.

Il serre les dents et finit par décrocher, tout ça pour beugler à travers le combiné : « LÂCHE MOI BORDEL ! » « Putain, enfin. Tu sais quand j't'appelle c'est pas pour le plaisir, j'ai une bonne raison. » Mais il veut pas connaître ses raisons, il veut juste qu'on lui foute la paix et qu'on l'oublie une bonne fois pour toutes. « T'as vu maman ? Elle est pas venue te voir ou je sais pas quoi ? Elle est pas rentrée de l'église, personne sait où elle est. » Il se fige. Sourcils froncés lèvres pincées, il reste silencieux un instant. Ça lui ressemble pas, à Lavinia. Elle fait jamais rien qui pourrait déplaire à Lucian, et il imagine sans mal l'état dans lequel il doit être en sachant qu'elle n'est jamais rentrée. « Pourquoi elle serait venue m'voir ? Ça fait des années que j'l'ai pas vue, qu'est-ce tu m'emmerdes là ? » Il attrape le paquet de clopes qui traîne près de lui, en coince une entre ses lèvres et l'allume – ses doigts tremblent un peu, et il sait pas si c'est la colère qu'il n'arrive plus à contenir ou son corps qui est au bord de la rupture. Sûrement les deux. « P't'être qu'elle a eu un sursaut de conscience et qu'elle s'est enfin tirée. » Un ricanement dans un souffle, la fumée qu'il regarde s'envoler devant lui. Il aimerait se tirer aussi. « Elle manquera à personne t'façon. » Menteur.

« Pourquoi elle serait venue m'voir ? Ça fait des années que j'l'ai pas vue, qu'est-ce tu m'emmerdes là ? » C'est vrai et y avait peu d'espoir pour que ce soit ça, mais Mihail a encore plus de mal à déglutir maintenant qu'il a eu confirmation. « P't'être qu'elle a eu un sursaut de conscience et qu'elle s'est enfin tirée. Elle manquera à personne t'façon. » Il fout un coup de pied dans l'oreiller de Tag — il squatte son lit pour son coup de fil, c'est plus accessible que le lit du haut. « Ta gueule putain. Même venant de toi j'y crois pas. On n'a pas l'temps pour tes conneries de mal aimé. » Dans une autre situation l'ironie de ses mots aurait pu le frapper, lui le vilain petit canard autoproclamé, mais là il a d'autres chats à fouetter. « C'est pas son genre d'aller te chercher, mais d'se tirer non plus. » Et puis c'était pas si improbable, comme idée. Seven le sait sans doute pas mais Mihail a appris y a quelques jours que leur mère a perdu un enfant et ne s'en est jamais vraiment remise, et en ce moment c'est la période où elle s'autorise à s'en souvenir. À défaut de pouvoir ramener celui-là, elle aurait pu avoir un sursaut, comme dit Seven, et se mettre en tête de renouer avec lui. C'est la deuxième chose qui est passée par la tête de Mihail, juste après la théorie de l'enlèvement. « J'suis sûr qu'il lui est arrivé un truc, tu t'en fous vraiment ? »

« Ta gueule putain. Même venant de toi j'y crois pas. On n'a pas l'temps pour tes conneries de mal aimé. » Et il aimerait lui dire que lui n'a plus le temps pour les conneries des Popescu, parce que la dernière en date fait encore trop mal. Pourtant il se tait, les dents aussi serrées que ses poings. « C'est pas son genre d'aller te chercher, mais d'se tirer non plus. » Il sait bien – c'est ça le problème. Il aurait voulu qu'elle se tire y a des années, ses gosses sous le bras. Elle l'a jamais fait et maintenant il est là ils sont tous là, fissurés, explosés, et il est pas sûr qu'il reste grand-chose à sauver.

« J'suis sûr qu'il lui est arrivé un truc, tu t'en fous vraiment ? » « Ouais. » Non. Mais sa voix est si assurée qu'on y croirait presque. « Si t'es si inquiet t'as qu'à aller voir les flics au lieu d'me faire chier, prends Lucian et Rez et Anca et– » Ça lui écorche la bouche de prononcer tous ces noms bordel il a l'impression d'avaler du verre pilé, s'il continue il va s'étouffer. « Putain ! » Son pied qui se lève et tape dans la table basse face à lui, le cendrier qui glisse sous la force de l'impact, tombe au sol et éclate en morceaux.

Il passe une main lasse sur son visage, clope toujours fumante entre les doigts. « Tu savais déjà c'que j'dirais t'façon, à quoi ça t'sert de m'appeler ? »

« Ouais. » Vautré sur le dos, les yeux rivés sur le sommier du lit d'au-dessus, Mihail pousse un soupir. Il a l'estomac en vrac à cause de l'alcool d'hier ou de la situation, il sait pas trop. « C'est ça. » Il y croit pas une seconde, il a pas envie d'y croire. Seven peut pas s'être à ce point coupé de Lavinia. Sinon ça veut dire que Mihail n'est plus rien pour lui non plus, comme il le prétend. Il voudrait réussir à faire aussi bien semblant que Seven, il voudrait raccrocher et faire celui qui s'en fout, mais faut toujours qu'il pousse son frère à bout, qu'il le fasse basculer un peu plus du côté de la colère et un peu moins de celui de l'indifférence. C'est tout ce qu'il peut obtenir de lui et il prend ce qu'il peut. « Si t'es si inquiet t'as qu'à aller voir les flics au lieu d'me faire chier, prends Lucian et Rez et Anca et– Putain ! » Mihail entend un bruit de verre brisé de l'autre côté du fil et il a envie de penser que c'est ce qu'il voulait, une preuve que les nouvelles de sa famille ne laissent pas Seven de marbre. Même si c'est tout aussi possible qu'il ait juste été maladroit. Peut-être qu'il s'est cogné le tibia dans un coin de table. « J'espère que t'es fait mal, » lance Mihail d'un ton qui se veut léger, mais l'illusion opère moins que d'habitude. « C'est déjà ce qu'ils ont fait, 'fin ou ils vont le faire j'en sais rien. » Y avait Rez et Lucian qui parlaient en même temps au téléphone, il a pas tout saisi.
« Tu savais déjà c'que j'dirais t'façon, à quoi ça t'sert de m'appeler ? »
« J'voulais être sûr que tu savais rien, j'aurais dû m'en douter mais bon. Au moins t'es prévenu comme ça, tu seras pas surpris si on retrouve son cadavre au bord du fleuve. On mettra pas ton nom dans la rubrique nécro t'inquiète. »

« C'est ça. » Mihail veut pas l'croire et il n'insiste pas, même s'il ricane. Les yeux rivés sur les morceaux de verre éparpillés, les mégots et la cendre qui encrassent le sol d'une propreté déjà plus que douteuse. Y a plus personne pour nettoyer depuis qu'avec Anca tout a explosé encore une fois – celle de trop. « J'espère que tu t'es fait mal. » Non mais il aimerait aussi, au moins ça lui donnerait un truc auquel se raccrocher. « Va t'faire foutre. »

« C'est déjà ce qu'ils ont fait, 'fin ou ils vont le faire j'en sais rien. » Peut-être qu'il devrait s'inquiéter lui aussi, pour Lavinia, même pour Siam. Un mois qu'elle est pas rentrée alors qu'elle a laissé toutes ses affaires, y a même des restes de ses pâtes dégueulasses dans le frigo, qui ont fini par pourrir parce qu'il n'y a pas touché. Bien sûr il a pensé à toutes ces histoires de disparition mais il a pas envie de se pencher là-dessus. Pas l'temps pas l'énergie, l'esprit trop gangréné par le reste pour être réellement inquiet.

Il aurait préféré que Mihail n'appelle pas.

« J'voulais être sûr que tu savais rien, j'aurais dû m'en douter mais bon. Au moins t'es prévenu comme ça, tu seras pas surpris si on retrouve son cadavre au bord du fleuve. On mettra pas ton nom dans la rubrique nécro t'inquiète. » Encore une fois il ricane, à croire qu'il a plus la force pour rien à part ça et cogner ou chercher à se faire cogner. « Pour c'que j'en ai à foutre. M'appelle pas pour l'enterrement. »

Une pause. Il tire sur sa clope puis fait rebondir son pouce sur le filtre, regarde la cendre tomber par terre. « Tu veux savoir c'qui m'fait vraiment chier ? » Il renifle, lèvres tordues dans un sale rictus. « Quitte à c'que des Popescu disparaissent, autant prendre le mari avec la femme. Au moins on serait débarrassés. » Entre les lignes ça sonne comme on serait libérés.

« Pour c'que j'en ai à foutre. M'appelle pas pour l'enterrement. » Mihail ferme les yeux et secoue légèrement la tête, comme si Seven pouvait le voir. Ça doit être crevant d'être Seven, c'est déjà crevant d'être lui. Il a tout juste le temps de se demander s'il lui a raccroché au nez quand Seven le relance, et c'est déjà étonnant en soi. « Tu veux savoir c'qui m'fait vraiment chier ? Quitte à c'que des Popescu disparaissent, autant prendre le mari avec la femme. Au moins on serait débarrassés. » Un soupir. Si y avait pas l'intonation qui trahit le sourire tordu de Seven, cette sale expression qui lui donne l'air d'un détraqué et sans doute qu'il l'est un peu, ça ressemblerait presque à une conversation normale. Enfin aussi normale qu'une conversation entre deux gosses qui détestent leurs parents. Ou un de leurs parents. « J'te l'fais pas dire, 'fin j'les aurais bien échangés plutôt. » Y a toujours de la rancœur et il sait pas s'il se débarrassera un jour du mépris qui se mêle à sa compassion pour elle, mais Mihail ne s'est jamais senti aussi proche de Lavinia que depuis le début du mois, que depuis qu'il a quitté la maison, comme s'il avait besoin de cette distance pour la voir comme un être humain et pas juste une ombre trop silencieuse. Évidemment c'est maintenant qu'on la lui prend, comme on lui a pris Iulia quand elle était plus sa mère que Lavinia, c'est maintenant qu'elle s'évapore comme Elena ce matin-là, souvenir lointain qui lui brûle encore la gorge. Ça doit être la malédiction des Popescu qui éloigne tous ceux dont il est le plus proche et qui lui laisse le seul pour lequel il verserait aucune larme. Il se demande quand Rez le lâchera. « J'me suis cassé aussi. D'la maison. » Il sait pas pourquoi il lui dit ça maintenant, pourquoi c'est important alors que leur mère a disparu et est peut-être en train de se faire malmener par des putains de psychopathes. Comme si Seven était encore le grand frère qu'il a passé son enfance à vouloir égaler ou surpasser, selon les périodes, et pas le traître qui l'a abandonné aux mains de Lucian en sachant qu'à partir de ce moment-là Mihail prendrait pour deux. Fallait bien que Lucian passe ses nerfs sur quelqu'un. Mais Seven a pas tort sur un truc, c'est Lavinia qui aurait dû les emmener et se tirer loin d'ici. C'est juste un peu tard pour les regrets. « 'fin bref, t'es prévenu. »

« J'te l'fais pas dire, 'fin j'les aurais bien échangés plutôt. » Silencieux, il se contente de hausser les épaules même si Mihail ne peut pas le voir. Pour lui c'est du pareil au même, si sa haine envers Lucian est sans égal, Lavinia gagne la palme de son mépris. Il ne les respecte ni l'un ni l'autre – même s'il craint les mots et les regards de son père – et y a des jours où il sait pas auquel des deux il en veut le plus.

Sa cigarette qui se termine, les dernières taffes qu'il aspire avant de jeter le mégot au sol encore jonché par les restes du cendrier. « J'me suis cassé aussi. D'la maison. » Ça le fait tiquer. Des derniers habitants de la baraque, il pensait pas que Mihail serait le premier à enfin se tirer. Ou si, mais avec Rez. S'il la mentionne pas c'est qu'il est parti sans, qu'il habite seul ou en tous cas pas avec elle. Il espère qu'elle suivra. Il espère qu'Anca fera pareil avant d'être réduite à néant, qu'elle se cassera loin de Savannah et des connards qui la brisent – loin de lui aussi. Il est pas sûr que Ioan aura les couilles de partir un jour, mais il espère quand même que les autres finiront par le tirer d'là. Personne mérite de rester là-dedans, juste Lucian et Lavinia jusqu'à ce qu'ils soient désintégrés par la colère pour lui, le chagrin pour elle. Il a rien de bon à souhaiter à ses parents. « Cool pour toi, j'm'en fous. » Il ment. Y a une pointe de fierté qui tire sur le coin de ses lèvres, qui transparaît à travers sa voix et qu'il ravale rapidement, à tout enfouir en espérant que l'autre ne se rende compte de rien.

« 'fin bref, t'es prévenu. » Il a déjà relayé la nouvelle dans les trucs pas importants parce que son esprit est déjà trop occupé à tourner en boucle sur sa rage, parce qu'il a pas la place pour l'inquiétude, pour rien du tout en réalité. Rien d'autre qu'une colère incontrôlable, et une fatigue si profonde qu'elle le ronge à petit feu. Ça suffit à couvrir cette sensation qui lui tord les tripes, lui serre le cœur. Ce truc douloureux quand il s'dit qu'il pourrait ne jamais revoir sa mère.

Et ça lui fait bizarre d'avoir une conversation presque normale avec Mihail comme une accalmie dans la tempête, après des mois sans s'être parlé – mis à part quelques pauvres textos, comme ceux échangés à l'approche des fêtes. Soudain ça le frappe. Le tag ridicule sur sa porte et l'insulte qui l'accompagnait, ses soupçons dirigés sur Mihail, entre autres. La vérité c'est que sa liste de suspects est aussi longue que son bras alors il n'a rien fait pour trouver de qui ça venait, c'est à peine s'il a fait quelque chose pour laver l'affront. Il a acheté une bombe de peinture pour recouvrir le tag, et maintenant il se retrouve avec une énorme tache noire sur sa porte. Il s'en fout un peu, même si sur le coup il a ragé et eu envie de tout casser. « Au fait, c'pas toi qu'est venu taguer ma porte par hasard ? Le sapin-bite de Noël ? »

Il est pas surpris par le silence de Seven quand il dit qu'il aurait préféré que Lucian disparaisse à la place de Lavinia. Au fond il le comprend, et même un peu plus qu'il le voudrait. Il a beau idéaliser leur mère, surtout maintenant qu'il risque de la perdre, un mois plus tôt il aurait sûrement été de l'avis de Seven. Pas de là à souhaiter la voir volatilisée, mais lui aussi aurait pu mettre Lucian et Lavinia dans le même panier — Lucian plus au fond, quand même, avec la merde et les serpents.

« Cool pour toi, j'm'en fous. » Mihail fait une grimace au sommier de son lit, à défaut de mieux. « Je sais. » Mais il s'en fout, lui aussi, il avait quand même envie qu'il sache. On peut se casser et pas tomber aussi bas que toi, ducon. Enfin ça il le garde pour lui. Il a envie de raccrocher maintenant mais il hésite entre lui raccrocher au nez et lui balancer une dernière vacherie avant, peut-être sous couvert d'un mon frère chéri, Seven déteste ça. Mais il le surprend encore. « Au fait, c'pas toi qu'est venu taguer ma porte par hasard ? Le sapin-bite de Noël ? » Mihail est tellement pris de court qu'il lâche un rire. C'est le premier de la journée. Ça fait longtemps, cette histoire, quasiment deux mois, s'il devait en entendre parler il s'était attendu à ce que ça arrive avant. Là, il y pensait même plus, surtout aujourd'hui. « Ça t'a plu ? J'pense que j'suis le nouveau Banksy. » Au moins. « Estime-toi heureux, c'était gratuit. » Et il a son sourire narquois sur les lèvres, une jambe pliée sur l'autre qui se balance comme si c'était le moment d'être insolent. À croire qu'il est jamais fier de lui autrement que pour ce genre de conneries.

« Je sais. » Bien sûr qu'il sait, tout le monde sait qu'il s'en fout – il le répète assez souvent et surtout assez fort pour s'assurer que la planète entière soit au courant. Même s'il ment.

Quand il demande s'il est le coupable pour sa porte il s'attend à pas grand-chose, une moquerie peut-être, un « j'sais pas j'm'en fous » pour faire écho à ses propres mots. Pourtant quand il l'entend rire il sait que c'est lui, et il sait surtout qu'il en est fier. Peut-être qu'il lui aurait foutu un coup s'il l'avait eu en face de lui, pour la forme plus qu'autre chose. Ça lui paraît si insignifiant comparé à tout ce qui déraille dans sa vie qu'il aurait presque eu envie de rire avec lui, s'il en était encore capable. Tout ce qu'il est en mesure de faire là tout d'suite, c'est soupirer. « Ça t'a plu ? J'pense que j'suis le nouveau Banksy. » Il lève les yeux au ciel. Rien qu'ça. « Estime-toi heureux, c'était gratuit. » « Oh ta gueule. » Au moins ça veut dire que Mihail pense encore à lui, parfois.

Et il voudrait lui demander comment va Anca, s'il l'a vue dernièrement, mais les images lui reviennent en tête et il serre les dents, les doigts cramponnés au combiné. Il voudrait savoir si Rez le déteste toujours autant et si Ioan continue de s'laisser crever doucement, mais il en a pas la force. Ça l'énerve de vouloir savoir et ça l'énerve encore plus d'être énervé. Pour ça. Pour eux. Ça vaut pas le coup – il se l'est répété si souvent qu'il a fini par y croire.

« M'appelle plus, même pour une urgence à la con. » Il se promet que la prochaine fois, il décrochera pas. « Et arrête de la chercher. Moins y aura de Popescu dans ta vie, mieux tu t'porteras. » Pourtant il a essayé Seven, il les a presque tous dégagés et tout ça pour quoi ? C'est peut-être lui le plus raté de tous, maintenant.

Il ne dit pas au revoir avant de raccrocher.

« Oh ta gueule. » Ça n'efface pas le sourire de Mihail, au contraire, il reste logé là dans le coin de sa bouche. Oh ta gueule, ça ressemble plus à l'exaspération de Taggart quand il le fait chier qu'au venin de Seven auquel il s'est habitué. Si y avait pas autant de glace entre eux ça lui ferait presque chaud au cœur, mais il en faudra plus que ça. « M'appelle plus, même pour une urgence à la con. Et arrête de la chercher. Moins y aura de Popescu dans ta vie, mieux tu t'porteras. » Mihail soupire. « Et pourquoi j't'écouter— Putain, fait chier. » Seven lui a volé le plaisir de lui raccrocher au nez. Il pousse un nouveau soupir et se relève pour aller voir où en est Taggart dans ses tentatives pour contacter Veronica. S'il s'avère qu'elle a disparu aussi, ils auront vraiment de quoi s'inquiéter, et lui qui parle à la légère du cadavre de sa mère. C'est Seven qui le rend con.