Nouvel an, pas le sien, enfin celui de la terre entière. Sauf eux les juifs, coincés dans un autre calendrier, c’est pas pour tout de suite. Roch Hachana c’est en septembre, c’est retour en Israël, Tel-aviv qui l’appelle presque dans ses rêves. Alors en attendant, elle profite Moira, entraine les autres à sa suite, fonce dans la nuit parce que tous les prétextes sont bon pour faire la fête. Elle s’est faite belle, pour une fois, robe noire trop moulante, puis des palettes de couleur qu’elle ne verra de toute façon pas sur le visage. Parait que pour une fois elle est normale. Tant mieux. Mana est pas du genre à lui mentir quand elle lui demande de choisir les couleurs.
Elle aime l’ambiance dans les rues de Savanah, il fait presque pas bon, un peu d’alcool dans le sang pour oublier le vent, danser de bar en bar avec les autres, faire péter le champagne parce qu’au fond on ne vit qu’une fois et qu’il faut bien en profiter.
Alors elle profite Moira. Comme tous les soirs, peut être là un peu plus, se perd de bras en bras, valse contre des corps qu’elle ne connait pas, le sourire toujours greffé à ses lèvres, ce soir elle compte pas dormir. De toute façon elle dort plus vraiment, trop compliqué en ce moment.
A un moment elle perd le reste, y a plus qu’elle dans la rue, sans Mana pour la retenir, l’empêcher de faire des conneries, Moira en liberté c’est jamais bon, surtout après le rail dans les toilettes, tout qui carbure trop vite, à cent à l’heure, elle explose. Un instant elle s’arrête, se pose contre un mur et lève les yeux vers le ciel. La lune est là, toujours là de toute façon, et les étoiles qui se dessinent discrètement derrière les nuages. Sourire sur les lèvres, l’impression d’exister vraiment, ça fait du bien putain. Un peu plus et elle irait chercher sa planche, s’offrir un bain de minuit, fêter la nouvelle année avec son amante préférée. Mais non, faut retrouver les autres, le décompte trop proche, bientôt, elle se décroche Moira, et reprend sa marche un peu trop vite, s’emmêle les pinceaux et se rattrape à la première personne qui lui tombe sous la main. « Pardon pardon » la voix enjouée, le rire qui attend sagement pour s’échapper, elle se redresse un peu, rajuste ses cheveux avant de dévisager son soutient humain. Elle est jeune, enfin, dans ce genre de jeunesse qu’on sait pas trop où caser. Adolescente ou plus vraiment, la vingtaine surement, la gueule sans sourire, trop sombre pour une soirée aussi animée. Et la bouteille trop entamée qu’elle tient dans la main. Moira la dévisage un instant, se rapproche et vient poser ses doigts des deux côtés de la bouche de la jeune femme, dessine un sourire pas vraiment convaincant « Toi aussi t’es perdue ? Faut pas pleurer si t’es perdue, c’est pas le soir pour pleurer, ou pour détester » parce que c’est un peu de ça dont il s’agit non ?

Va te faire foutre Seven. Va te faire foutre Seven. Va pourrir en enfer, va crever dans un caniveau, va vomir tes tripes dans un égout. Va te faire foutre Seven. Nouvelle année nouvelle personne y a jamais rien eu de plus ridicule ou mensonger. Tu déambules dans les rues en crachant ta bile en mollards sur le trottoir pour que les gens s’éloignent, te corrompent pas avec leur joie ridicule. Comme une envie d’exploser ton téléphone par terre, sauf que contrairement à d’autres tu ne perds pas toute logique à la moindre contrariété, ta seule solution aux problèmes n’est pas de tout cogner ou tout lancer contre un mur. T’essaies de rester sur tes grands chevaux mais t’as l’impression d’être la gamine au collège qui est jamais invitée aux fêtes et qui fait semblant de n’avoir jamais voulu y aller. Il te ronge la vie plus sûrement qu’un acide, c’est à se demander pourquoi tu es encore affectée. Ce n’est pas de la surprise à chaque fois, c’est juste un peu plus de déception, un peu plus de rage, un peu plus de rancœur mais ce n’est jamais assez pour abandonner. Par que jour après jour tu te pointeras jusqu’à-ce qu’il cède, qu’il se tire une balle ou t’en tire une. C’est de l’acharnement pur et dur, ça te dérange pas, tu resteras jusqu’à-ce qu’il appelle les flics pour se débarrasser de toi. Au final, ses piques, son poison, ça a tendance à te glisser dessus comme si ta peau était impénétrable. Mais t’es pas à l’épreuve des balles. Et ce soir tu déambules comme un chien errant parce que t’as été mise au tapis. Bouteille de vodka à la main dans son ridicule sac de papier brun, tu tituberas bientôt parce que t’en es à la moitié mais que tu l’as achetée il y a dix minutes. Le gong de la nouvelle année il aura bien un air de glas ce soir. Putain il est qui pour gâcher ta soirée ? Putain t’as pas d’amis qui seraient contents de te voir pour fêter la fin de 2017. Tu seras ce genre de grincheux complètement saoul qui gueule aux passants qu’ils sont ridicules, que le bonheur c’est de la merde ça existe pas et qu’ils feraient mieux de retourner travailler. Quelqu’un te tombe presque dessus et tu essaies vivement de te dégager, t’es pas là pour servir de poteau. Sauf que c’est pas une espèce de gros lourd pochtron qu’est arrivé pour te vomir dessus et déjà c’est un bon point. Même si la brune t’as pas l’intention de lui donner une accolade pour autant. Ses excuses tu essaies de les balayer d’un revers de la main pour continuer ton chemin tranquille sauf qu’elle ne te laisse pas partir. Comme une putain d’illuminée elle prend ta tête entre ses mains, manipule ton visage, t’essaies de reculer. « Toi aussi t’es perdue ? Faut pas pleurer si t’es perdue, c’est pas le soir pour pleurer, ou pour détester. » Une hippie super, t’adores ça. « Je t’ai sonnée ? Si je veux des conseils de vie j’irai voir un psy. Si je veux faire la gueule je le ferai d’autant plus que ça te fait chier, parce qu’on est dans un pays libre à ce que je sache. » Land of the free indeed. Elle ne te lâche pas mais tu n’as pas envie de lui faire mal, de la faire tomber. Humeur massacrante peut-être, humeur violente pas encore.

Elle a pas l’air commode la fille, et là où Moira est soleil, elle semble orage. Mais ça n’arrête pas Moira. Loin de là. Elle voit jamais tout ça, le regard fatigué des autres, l’expression usée des passants qui en ont assez de sa bonne humeur débordante. Elle voit pas parce que c’est bien plus facile comme ça, de se persuader que le monde ne tourne qu’autour d’elle et que les autres ne sont que le résultat de causes à effets. Egocentrique, beaucoup, elle ne le voit toujours pas, même après toutes ces années. Je t’ai sonnée ? Si je veux des conseils de vie j’irai voir un psy. Si je veux faire la gueule je le ferai d’autant plus que ça te fait chier, parce qu’on est dans un pays libre à ce que je sache. C’est qu’elle pique la gamine. Ca la fait rire Moira, ptêtre que l’alcool aide un peu trop aussi, ça rend les choses trop faciles. Elle rigole s’écarte un peu en levant les mains, comme pour se dédouaner d’un crime qu’elle n’a de toute façon pas commis. « Ah non mais ça ne me fait pas chier du tout hein » loin de là. Au pire elle en a rien à foutre qu’elle fasse la gueule ou qu’elle soit folle de joie, ça risque pas vraiment de changer quoi que ce soit pour Moira. « Tu pourrais danser la samba que j’en aurais rien à carrer » et soudain elle l’imagine, elle et sa tronche de grincheuse, à remuer les fesses et ça la fait marrer. « C’est juste, c’est le nouvel an, faut pas se laisser abattre voyons » de nouveau elle vient chercher le contact, passe un bras par-dessus son épaule pour s’appuyer un peu contre elle. « T’es toute seule pour le nouvel an ? T’as perdu tes amis ? » elle la dévisage un instant, détaille ses traits, plutôt mignonne pour une grincheuse, pas tout à fait son genre. « Moi aussi j’ai perdu les miens. Mais je t’ai trouvé toi » le doigt qu’elle vient poser sur le bout de son nez en rigolant un peu plus, complètement emportée par l’alcool, la tête qui tourne un peu plus. Surement qu’elle doit passer pour la folle de service, surement qu’elle doit agacer sa pauvre victime. Pas grave, elle s’en fiche. Comme elle s’en fiche de faire du mal aux autres en les ignorant, comme elle s’en fiche de mettre toujours les pieds dans le plat au mauvais moment. Ça lui passe par-dessus là tête, et elle ne prend même pas le temps de s’en rendre compte.
Moira s’apprête à reprendre la parole, surement pour sortir une connerie comme d’habitude, mais c’est les voix dans la rue qui la coupent, le décompte qui commence et elle lève son bras libre, hurlant avec le reste tous les chiffres qui défilent. Puis quand le zéro raisonne, elle vient attraper une nouvelle fois le visage de la jeune fille entre ses mains et dépose un baiser sur ses lèvres. Pas invasif, rien de méchant. Juste un baiser avant de s’écarter, sourire satisfait. « Tu vois t’étais pas seule. Bonne année hein » et bonne santé, le rire qui la transperce de nouveau, elle se laisse aller à l’euphorie. Tellement plus simple. Moins compliqué.

Tu n’es pas comme ça d’habitude, pas du genre à cracher sur les gens qui te font des remarques, à les insulter, à être agressive. Non, ça c’est plutôt quelque chose que lui ferait. Finalement peut-être qu’il a réussi à déteindre sur toi. Normalement tu n’aurais lancé qu’un regard méprisant, peut-être juste un ‘ta gueule’ et puis tu l’aurais ignorée, tu te serais éloignée, ça aurait glissé sur toi. Tout devrait glisser sur ta peau, c’est toujours comme ça que ça a été. Il faut croire que le vernis est craquelé, que l’eau s’infiltre, que la haine arrive à t’atteindre. Il faudrait pour tant que tu laisses un peu de joie t’atteindre. Elle a un peu trop bu la brune, elle tangue, sa voile prend le vent, mais elle a l’air de faire un beau voyage sur des eaux douces. « Ah non mais ça ne me fait pas chier du tout hein » La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe c’est ça ? L’indifférence te manque. La sienne, bien sûr, a l’air largement plus heureuse que la tienne ne l’a jamais été mais ce n’est qu’un détail qui ne te dérange guère. « Tu pourrais danser la samba que j’en aurais rien à carrer. » Tu ne sais pas danser la samba, tu ne sais danser que ce que tes parents te faisaient danser dans leurs bals de riche et encore tu n’as jamais brillé sur la piste et l’a toujours fuie quand ton devoir était accompli. Mais l’escrime médiévale c’est presque de la danse quand on y pense, non ? En plus utile. « C’est juste, c’est le nouvel an, faut pas se laisser abattre voyons » Rien ne t’abattra jamais, tu te relèveras toujours, même s’il faut en arriver au ridicule du chevalier noir. Le nouvel an ça ne sert à rien, c’est un jour comme un autre pour se sentir comme une merde, c’est même un jour particulièrement salutaire pour l’occasion en l’occurrence. Comme ça tout a l’air un peu plus noir. « T’es toute seule pour le nouvel an ? T’as perdu tes amis ? » ‘J’ai pas d’amis’. C’est ce qui manque de t’échapper. Y en avait deux ou trois, ils sont partis, ou bien tu n’arrives plus à les reconnaître quand tu les regardes dans les yeux. Quand tu le regardes dans les yeux. « Moi aussi j’ai perdu les miens. Mais je t’ai trouvée toi » Tu fuis son contact plutôt que de la laisser poser ses doigts sur ton nez comme sur celui d’une gosse. « Tu veux pas aller les chercher plutôt que de m’emmerder ? Chuis sûre que tu leur manques terriblement. » Peut-être qu’ils l’ont fuie intentionnellement parce qu’elle était devenue trop chiante, ça ne t’étonnerait pas tant que ça. Le décompte commence et toi tu titubes encore, tu n’as pas la présence d’esprit de fuir en profitant de l’occasion. Tu restes bras ballants à regarder autour de toi comme une idiote. Au zéro, ce qui devait arriver arriva. Les mains de la brune entourent à nouveau ton visage et elle dépose sur tes lèvres un léger baiser, rempli de joie. « Tu vois t’étais pas seule. Bonne année hein » Tu t’écartes, tu la bouscules, tu fuis. « Tu fais chier sérieux. » Sans dire que c’était pas si mal, qu’un peu de contact c’était ce qui te fallait, que tu la crois quand elle te dit que t’étais pas seule. Tu fuis mais ton cœur remonte un peu dans ta poitrine et tu jettes la bouteille sur les pavés, tu te retournes. « Bonne année. »

Elle tangue Moïra, trop ivre, l’alcool qui remplace l’eau dans le corps, sourire stupide sur le visage et même pas foutue de voir vraiment à qui elle parle. C’est des traits furieux, une voix cassante, une colère qui gronde. Mais elle s’en fout Moira. Comme elle s’en fout des autres, continuellement, perpétuellement, tant que ça ne la touche pas elle et son petit confort, le monde autour d’elle peut bien cramer qu’elle ne bougera pas le petit doigt. Les étoiles elles sont trop belles ce soir qu’elle voudrait dire, étaler un peu le reste aussi, s’accrocher à ce semblant de compagnie. Mais la jeune fille la fuie, l’envoi bouler trop sèchement. Tu veux pas aller les chercher plutôt que de m’emmerder ? Chuis sûre que tu leur manques terriblement. Peut être. Peut être pas. Elle hausse les épaules Moira, trop bourrée pour mentir, dire que ses amis sont surement entrain de la chercher désespérément. La vérité c’est qu’ils ont du continuer leur route, comme toujours, avec ou sans elle, parce que ça n’importe pas vraiment. Parce qu’elle n’est pas un pilier de la bande, parce que ce n’est pas Meora, Rose et Adam, parce que ce n’est pas non plus Leo ou Ryan, parce que c’est que du vent pour remplacer un peu le vide. Un publique pour son spectacle affligeant.
Alors à la place elle attire la jeune femme vers elle, ptêtre que si elle était moins bourrée elle la trouverait jolie, un peu jeune pour elle sans doute, mais quand même jolie. Le genre de beauté brute à vous faire retourner l’estomac, à vous demander comment ça serait de tracer sa peau du bout des lèvres. Mais Moira ne voit pas. Elle voit juste une âme à laquelle s’accrocher, l’embrasser avec joie quand résonne la nouvelle année. Bonne année t’es pas seule et puis moi non plus. Elle s’écarte pour ne pas abuser, ne pas l’envahir et manquer de se faire frapper. Il lui reste un minimum de savoir vivre, heureusement. Tu fais chier sérieux. Elle la bouscule, Moira titube, un rire qui lui échappe un peu stupide alors qu’elle se rattrape au poteau le plus proche pour ne pas tomber. « Quoiiiii alleeeeez râle pas !!!! » qu’elle lui lance quand même, mélange entre éclat et supplique. Bonne année. « Bonne année » qu’elle répond en écho quand la bouteille se casse, comme un cri de libération, chaleur dans le cœur aussi, effrayer le reste. « Moi c’est Moira au fait ; Si jamais. Un jour. Tu verras. » Pas cohérente pour deux puis aussi ça sert à quoi ? Surement qu’elle s’en fout de son nom alors qu’elle s’en va déjà. Apparition de minuit, gout d’alcool sur les lèvres, elle tourne le dos pour se mélanger de nouveau à la foule, chercher quelqu’un contre qui se fracasser ce soir, pour commencer l’année en beauté.