31 au soir, c’est un peu le vide, la maison trop calme, les parents qui dinent tranquillement et Anca qui tourne en rond. Pas de sortie. Y a jamais de sortie. Pas même Nash ou Malo avec qui passer la bonne année. Juste du blanc, du silence, des regards lourds de sens de la part de Lucian, les sourires discrets de Lavinia, juste tous les trois. Elle voudrait que Ioan soit avec elle. Elle voudrait que Tereza et Mihail soient avec elle. Elle voudrait que Seven soit avec elle. Mais y a personne. Juste tous les trois.
Alors elle tourne, comme un animal en cage, hésite, reviens, le cerveau qui proteste. Elle ne sait pas quoi faire Anca. Y a le gâteau préparé cet après midi dans le frigo, le glaçage presque parfait, elle en est fière putain. Ptêtre que ça lui mettra un sourire sur les lèvres. Elle en sait rien.
Tant pis. Elle craque. « Je reviens dans une heure, je vais apporter ça à Seven ». Elle ne prend même plus la peine de mentir maintenant, le regard de Lucian qui devient glacial mais au fond elle s’en fout, des monstres elle en a assez dans sa vie maintenant, pour pouvoir les dompter le temps d’une soirée. Rapidement elle se prépare, enfile un pull, un bonnet, de quoi se protéger du vent et emballe son gâteau qu’elle positionne en équilibre sur son porte bagage.
Et la voila qui file dans la nuit.
Elle fait pas la fête elle. Mais les autres le font pour elle. La foule dans les rues de Savannah, la musique, les lumières, elle profite, s’imagine qu’elle est là avec eux elle aussi. Rapidement elle arrive chez Seven, grimpe à l’étage, toque doucement à la porte. Personne. Pas un bruit de toute façon, alors elle suppose qu’il est pas là. Pourtant il lui avait dit qu’il fêterait le nouvel an avec les YOBBO. Deuxième étape, elle ne baisse pas les bras, même si elle doit pédaler dans toute la ville, la respiration un peu sifflante et les joues trop rouges quand elle arrive devant chez Jimmy. Elle a le cœur qui bat fort, trop fort. Elle hésite à toquer, juste laisser le gâteau et partir, ne pas s’imposer. C’est pas son monde les Bo. Mais parfois elle aime bien se glisser dans l’arrière plan, les écouter parler, s’engueuler, rigoler, puis surtout jouer. Leur musique branlante, vacillante, pas encore au point mais qui brûle trop fort. Bon sang ce qu’elle les aime. Tellement.
Puis elle finit par se lancer, la main qui vient toquer contre la porte du hangar, au fond elle prie fort pour que personne ne réponde, laisser le gâteau là et partir doucement comme c’était prévu. Voilà, c’est un bon plan comme ça.

Y'a des fringues qui s'étalent jusqu'au pied du lit il a l'impression d'être dans un appartement de gonzesse. Joe dit toujours que ses motifs font pédé, mais le premier qui l'insulte finit avec le nez cassé. Il n'est pas à la bourre, d'ailleurs il sait même pas où il ira ce soir. Joe lui a dit de le rejoindre dans une espèce de fête techno bizarre où il n'a aucune envie d'aller, mais c'est toujours mieux que de passer le réveillon devant la télé. C'est d'une tristesse, et il a l'impression d'être abandonné. Alors ce soir il va aller danser peut être essayer d'oublier. Oublier qu'en ce moment tout le monde lui file entre les doigts qu'il sent sa vie s'échapper, foirer, vriller. Il a arrive encore à contrôler mais il sait pas jusqu'à quand ça pourra durer. « Putain ! » Il passe ses mains dans ses cheveux encore humides -oui, il les lave, parfois. Finalement, il opte pour la même chemise qu'il met trois fois dans l'année -aux enterrements, aux mariages, et quand ses parents le présentent à des gens un peu friqués. Il fait pitié mais au moins il est bien habillé. C'est là qu'il entend sonner. Pourtant il n'attend personne -Barbra est occupée, Seven risque pas de venir toquer, il est sûr qu'il veut même plus lui parler. La dernière fois que quelqu'un a toqué chez lui c'était JJ, alors il ne sourit pas quand il ouvre la porte d'entrée. C'est une Anca les cheveux ébouriffés et les joues rouges qui se retourne. « Salut An... » quand il baisse les yeux et qu'il voit le gâteau presque aussi gros que sa tête qu'elle porte, le « Yobbos » au glaçage vert foncé, il peut pas s'empêcher de rigoler. « Adorable. Tu sais que c'est pas mon anniversaire ? » Elle a l'air un peu perdue, à pédaler toute seule dans la nuit jusqu'ici. Il l'a toujours bien aimée. C'est sûrement la seule personne un peu douce qu'il arrive à apprécier. « Si tu cherches Sev, il est pas là. » Il se retient de dire que ça fait un bout de temps qu'il l'a pas croisé -pas depuis la dernière fois où il est venu chez lui tout rapiécé où il a cru qu'il allait le buter.

C’est pas Seven qui ouvre la porte, et quand elle voit Jimmy dans l’embrasure elle a le sourire qui vacille un instant, avant de continuer à briller sur son visage fatigué. Salut An... Elle est là, sans un mot, le gâteau entre les mains et l’impression d’être un peu stupide. Mais c’est pas grave, pas comme si ça changeait de d’habitude. Adorable. Tu sais que c'est pas mon anniversaire ? Le rouge qui envahit ses joues, elle recule un peu, regarde son œuvre un peu bancale, bafouille. « Je sais enfin c’est pas pour toi » merde. Gaffeuse. « Enfin c’est pour vous tous » les YOBBO et pas juste Jimmy. Elle souffle un peu, essaye de reprendre un visage plus impassible, moins dépassé par les évènements. Si tu cherches Sev, il est pas là. Le sourire qui se tord encore une fois, un peu déçue de l’avoir encore raté. A croire qu’elle va passer la nuit à le chercher et ça ne l’enchante pas vraiment. « Je pensais que vous seriez ensemble » tous les YOBBO, à faire la fête, c’est ce que font les amis non ? Pourtant y a pas un bruit chez Jimmy, y a juste du silence et elle comprend qu’il est comme elle. Y a son cœur qui vrille un peu, elle peut pas s’empêcher d’être triste pour lui, tout seul dans son hangar. C’est pas vraiment beau. Pas vraiment festif. « Je peux entrer ? » qu’elle demande enfin, le regard qui vient chercher celui de Jimmy, elle lui tend le gâteau pour qu’il le prenne. « Enfin je veux dire, je pense pas avoir le courage de continuer à pédaler, donc tu peux le garder » puis elle l’aime bien Jimmy. Il est jamais méchant, toujours un sourire pour elle, un mot gentil, là où parfois les autres sont tranchants comme des rasoirs. Alors il mérite bien qu’elle lui donne quelque chose, un peu de chaleur, ce qu’elle donne sans compter pour ceux qu’elle aime un peu trop. De quoi se réchauffer quand il fait trop froid comme ce soir.

Elle ressemble à une mère de huit enfants –et au fond il sait que c’est pas loin d’être le cas. Il perce les gens, Jimmy, à force de les scanner, de vouloir tous les faire plier, de mentir et de les faire croire à leur futur, à son passé. Anca même silencieuse rêveuse dans le coin de la pièce sous leurs morceaux bancals elle était nébuleuse, les yeux qui brillent de fatigue et d’espoir. C’est ça qu’il manque un peu dans la vie de Jimmy : l’espoir, parce qu’il n’en a jamais eu, parce que la plupart des gens autour de lui l’ont perdu. Il sait pas comment elle fait pour avoir toujours le sourire avec une famille autour d’elle qui s’effondre, un frère qui se détruit. Il l’admire sûrement pour ça un peu aussi. Il prend un air offusqué quand elle lui dit que le gâteau n’est pas pour lui –même s’il le sait. Pas con, il ne la voit jamais quand Seven n’est pas là de toute façon, ou alors quand elle vient en panique pour lui demander s’il a encore été chercher des ennuis. Ils sont comme deux parents avec un gosse en pleine crise, sauf que Jimmy a décidé de laisser tomber. « Nan. » C’est tout c’qu’il répond parce que non, Seven n’est pas avec lui, non, Seven ne veut plus le voir. Il peut passer le nouvel an dans une cave ou sur le trottoir, cette fois il ira pas le chercher. Il refuse d’à nouveau essayer de le sauver, il a trop donné. Il sait que ça peut changer qu’il a un foutu syndrome et qu’il est trop attaché –il essaiera encore pour Seven même s’il doit le secouer jusqu’à le buter. Mais pas ce soir. Il veut oublier. Et il est seul, comme souvent ces derniers temps. Anca semble l’avoir remarqué, alors il s’écarte pour la laisser entrer, il n’attend même pas la fin de sa phrase. « J’allais sortir, mais en vérité j’préfère que tu sois là, c’est cool. » Il n’a jamais caché qu’il aimait sa présence, de toute façon. Elle est lumineuse même si autour d’elle tout est noir. Et dans cette ville ça devient beaucoup trop rare. « Tant pis pour les autres de toute façon. Ça en fera plus pour nous. Je vais te chercher un truc à boire ? »

Nan. Elle hausse les sourcils, intriguée, un instant, hésite à lui demander de développer mais finit par se raviser. Parce qu’au fond c’est pas ses affaires, qu’il n’y a que Seven qui l’intéresse vraiment dans tout ce bordel, même si elle a appris à apprécier les autres petit à petit. Elle demandera plus tard, repense aux mots de Seven quand il lui explique que les Yobbo c’est plus trop ça, surement qu’elle aurait du s’en douter, mais elle fait semblant, affiche un petit sourire désolé quand elle reporte son regarde sur Jimmy. J’allais sortir, mais en vérité j’préfère que tu sois là, c’est cool. Anca sourit, comme un sentiment de douceur qui l’envahit quand elle entend ces mots. C’est inattendu. Elle sait que Jimmy l’aime bien. Mais elle ne pensait pas que c’était comme ça. Et soudain ça la frappe, le vide, le manque, les amis qui disparaissent, s’effilochent, ceux qu’elle laisse s’échapper sans réussir à les rattraper. Peut être qu’elle peut le laisser combler le vide, juste un peu, juste une soirée, faire comme si le temps s’était arrêté. Tant pis pour les autres de toute façon. Ça en fera plus pour nous. Je vais te chercher un truc à boire ? « Hey ! c’est pas tout pour toi. » qu’elle s’exclame en rigolant, petite tape sur le bras qu’elle ose avant de poser ses yeux tout autour d’elle, le hangar transformé en habitat, elle est toujours curieuse. « Je veux bien un truc chaud si tu as, sinon t’embête pas avec ça tu sais » parce qu’elle ne veut pas s’imposer, ne veut pas l’embêter.
Sans plus attendre elle se glisse vers la cuisine, un peu comme un putain d’aimant, déniche deux assiettes, un couteau, découpe deux parts avec soin qu’elle dispose dans les assiettes, comme une chanson sur le bout des lèvres pendant qu’elle s’affaire, perdue dans un autre univers. « J’aime bien chez toi. C’est différent » t’es différent des autres, de Seven, parfois elle se demande comment ça peut marcher, elle comprend pas toujours, trop éloignée de leur monde, de leur bulle. « Tu me fais visiter ? » alors qu’elle lui tend une assiette, cuillère en équilibre sur la part, sourire timide sur le visage.

Il n'hésite même pas avant de la faire entrer, avant d'annuler mentalement sa soirée sans prévenir. Elle avait l'air perdue, trempée, sur son vélo à espérer. Il ne sait pas ce que ça fait d'avoir une famille, une vraie, un frère à chercher. Les Yobbos sont sa seule famille mais il se sent plus comme un père à les pousser les engueuler et à avoir parfois envie de les déshériter. Il lui prend le gâteau des mains pour aller jusqu'à la cuisine. « Si c'est tout pour moi. » Parce que les autres ne viendront pas, mais ça il lui dira pas. « Fais comme chez... » quand il relève les yeux elle s'affaire comme une ménagère à couper des parts, maîtresse de maison. Elle fait un peu tâche dans le décor, le visage de poupée au milieu des meubles assemblés rapiécés presque pétés, ça le fait sourire. « Toi. Tu veux quoi ? Un thé ? » Quand elle lui tend la part il la remercie d'un signe de tête, son ventre qui gargouille déjà. Il pensait ne pas manger autre chose qu'un kilomètre de shots pour la nouvelle année -haine de l'alcool mais besoin d'oublier. Ça c'est mieux, ça c'est bien. Le feu qui crépite et le regard embué d'Anca. Quand il pose sa part sur la table basse il hoche la tête. « Avec plaisir, ça a un peu changé depuis la dernière fois que t'es venue. J'ai encore mes décos de Noël t'as vu ? » Il lui montre le sapin orné de choses qu'il a récupéré, qu'on croirait sorti d'une décharge. Les guirlandes qu'il a découpé comme un gosse sur les escaliers. Les petites lumières qu'il a accroché à la cheminée. « Pas envie de les enlever. Viens suis-moi ! » Il prend sa main, pour l'emmener jusqu'à l'escalier en ferraille qui fait un bruit de mort dès qu'on y pose le pied. C'est pas grand chose, un hangar, le plafond et haut et son étage a mis des mois à se construire, alors il en est fier, au fond. « J'ai trois chambres. Une pour le maître -c'est moi, et une autre pour quand les guignols veulent pas rentrer chez eux, ou qu'ils ont trop bu. » C'est un peu le repère des enfants perdus. Il ouvre une pièce, un matelas par terre, une caisse en guise de table de chevet. C'est sommaire mais c'est propre, et ça suffit. C'est même un peu trop grand pour lui ici. Il se cale au coin de la porte, la regarde observer partout. Ça lui fait bizarre, d'avoir les yeux fixés sur elle quand elle ne regarde pas. Petite poussière dans le dédale immense de son labyrinthe à lui. Comme une étrangère dans son monde mais qui s'y sent à l'abri. Il a envie de lui montrer ses trésors, comme un gamin fier de ses dessins. De ne plus lâcher sa main. C'est peut être pour ça qu'il s'approche d'elle et passe une main dans ses cheveux encore humides. « Avec la lumière on dirait que t'es rousse. »

Si c'est tout pour moi. Comme un sale gosse qui veut pas partager, ça la fait sourire, elle secoue la tête. Il lui rappelle Seven. Pas sur que ça le fasse rire si elle le dit à voix haute, mais ça n’empêche qu’elle le pense, un peu. D’ailleurs c’est comme chez Seven, déjà elle trouve la cuisine, sort les assiettes et coupe le gâteau, putain d’aimant, une habitude de jouer les mamans de substitution. Toi. Tu veux quoi ? Un thé ? Elle relève la tête, dévisage Jimmy, ça semble l’amuser. Il a l’habitude depuis le temps, quand elle passe discrètement pour déposer de quoi manger à leurs réunions, trop heureuse de pouvoir avoir un aperçu des amis de Seven. « Un thé oui c’est bien, merci » mais le thé attendra puisque déjà elle change de sujet, assiette posée elle regarde autour d’elle, curieuse, amusée. Elle est déjà venue mais au final elle n’est jamais restée très longtemps, pas assez pour fureter un peu. Alors elle ose, demande à Jimmy s’il peut lui faire visiter. Avec plaisir, ça a un peu changé depuis la dernière fois que t'es venue. J'ai encore mes décos de Noël t'as vu ? Elle a le regard qui dérive sur le sapin qui commence à tirer la gueule, dernier jour de décembre il faudra bientôt songer à le jeter. Pas envie de les enlever. Viens suis-moi ! Elle peut comprendre Anca, qu’on ai pas envie d’enlever tout ça, garder l’esprit des fêtes encore un peu, avant le début d’une nouvelle année. Alors elle fait comme Jimmy l’espace d’une soirée, se laisse entrainer derrière lui, sourire d’enfant sur les lèvres parce qu’elle a l’impression d’être tirée dans un autre univers.
J'ai trois chambres. Une pour le maître -c'est moi, et une autre pour quand les guignols veulent pas rentrer chez eux, ou qu'ils ont trop bu. « On dirait que t’es leur père » qu’elle glisse doucement en rigolant. Parce qu’elle l’admire pour ça, de gérer un groupe de gosses perdus pareils, au final ça la rassure un peu de savoir que Seven a quelqu’un comme lui pour le canaliser. Du moins c’est ce qu’elle pense. Curieuse elle se glisse dans la chambre, main toujours dans celle de Jimmy, elle n’y pense même plus. Combien de temps depuis qu’elle n’a pas touché quelqu’un d’autre ? Pourtant ça ne la brule pas comme ça devrait, ptêtre parce que son esprit est trop occupé. « J’aime bien » qu’elle souffle tout bas en regardant la pièce. Surement qu’il y a un peu d’envie dans sa voix, parce qu’elle se dit parfois qu’elle aimerait avoir son appartement à elle, juste à elle, sa chambre sans personne d’autre dedans.
Avec la lumière on dirait que t'es rousse. Ca la surprend un peu, quand il passe une main dans ses cheveux, y a comme un truc qui fait mal dans sa poitrine, sans qu’elle sache vraiment pourquoi. Pâle sourire sur le visage, au loin ça résonne les hurlements, cris de joie, feu d’artifice qui s’envole dans le ciel. Un peu cliché. Mais on s’en fout pas vrai ? « Bonne année Jimmy » et elle ferme les yeux, se penche pour déposer un baiser sur sa joue. Sauf que c’est pas sa joue qu’elle vient embrasser. Tête tournée maladroitement, volontairement ou non, c’est contre les lèvres de Jimmy qu’elle vient s’échouer. « Je. » cœur qui manque un battement, elle panique un instant quand elle recule, le rouge qui grimpe un peu trop vite aux joues. « Pardon »

Il aime penser parfois qu'Anca est une fée. C'est faux, aucun d'entre eux n'a de pouvoirs, ils sont beaucoup trop humains pour supporter les coups de la vie à répétition. Ça se voit sur leurs corps, Anca trop maigre et les yeux trop vides, Jimmy fatigué le sourire trop faux. Mais il se change en vraie tendresse quand elle est là, et c'est sûrement ça, son plus grand pouvoir. Accoudé contre la porte grinçante il sourit, parce qu'il n'est plus seul, et qu'elle aussi pourrait le laisser, elle a sûrement mieux à faire. Ça le touche plus qu'il n'aimerait l'avouer qu'elle décide de rester. Jimmy maître des illusions qui prétend n'avoir besoin de personne est sans doute trop dépendant des autres. Le regard des autres pour exister, la reconnaissance et la vengeance comme seuls motifs, et au fond, il faudrait qu'il apprenne à vivre pour lui mais il n'a jamais été habitué. Elle prend une place dans l'entrepôt transformé aux airs chaleureux mais toujours aussi solitaire. Pièces vides, pièces vides partout, souvent Jimmy s'endort seul sur son canapé usé parce qu'il ne supporte pas la froideur des draps -ça lui donne envie de se mettre des claques quand il s'en rend compte. On dirait que t'es leur père, et elle ne sait pas à quel point elle a raison. Les Yobbos ont toujours été une famille, jamais trop soudée, avec les trahisons qui vont avec. Il hausse les épaules là où il devrait serrer les poings, parce qu'il a trop souvent l'impression d'être un parent, de devoir rattraper les erreurs, de supporter les abandons. On se retrouve toujours seul à la fin, il paraît.
Il entend le vacarme des familles alentour. Le quartier était calme avant qu'une ribambelle de gosses s'y installent et s'il leur fait la guerre, il y a au moins une utilité, celle de savoir quelle heure il est. Dans les clubs et les bars les gens doivent être en train de s'embrasser et un instant il se sent coupable de la retenir dans sa maison trop vide et trop silencieuse. L'impression d'être un vieillard muré dans sa solitude, la chemise qu'il a mise il y a quelques heures pour sortir et faire semblant de s'amuser lui colle à la peau. Désolé Anca. Il n'y a rien de joyeux dans ce nouvel an là. Et pourtant elle s'approche et s'il se raidit instinctivement, quand elle pose ses lèvres sur les siennes comme une caresse, quelques étincelles se rallument sur la peau glacée par le froid de Décembre. C'est petit, pas une explosion, une étoile qui meurt, c'est doux comme le début d'un feu de cheminée, comme les lumières de la ville qu'on observe de haut. Il sourit en coin quand elle rougit et s'excuse et se penche pour déposer un baiser sur son front. Peu approprié de sa part de répondre sur les lèvres. « Je savais que tu avais toujours été folle de moi. » No big deal. Même s'il sait que de la soirée il n'aura plus froid. Et quand elle ouvre de grands yeux il éclate de rire et ébouriffe ses cheveux. « Bonne année à toi aussi Anca. Tu le veux toujours, ce thé ? »