Le plan était parfait. Junior, elle, la moto et le ciné. Un peu comme une habitude à instaurer, la confiance à distiller pour que tout se déroule comme prévu. C’est con comme plan, merci Tom pour le lui avoir soufflé. Le truc c’est qu’elle y prend peut-être plus de plaisir que prévu, sourire sincère sur le visage quand elle se prépare dans la salle de bain sous le regard un peu trop noir de Tex. Elle fait semblant de pas voir Penelope, évite de croiser ses yeux, se recule satisfaite. C’est maladroit un peu, besoin de s’y reprendre à trois fois avant de réussir à mettre le rouge à lèvre correctement, mais y a un truc en elle qui apprécie le rendu, laisser le garçon manqué couler un peu ça lui fait drôle.
Clin d’œil quand elle croise son frère, pas besoin de savoir qu’elle est parée, que ce soir c’est bon, ça va marcher. Et Penelope quitte l’appartement, véritable tornade, y a comme un battement irrégulier dans sa poitrine, l’adrénaline qui grimpe alors que y a aucune arme à sa ceinture, sourire débile au visage quand elle enfile le casque, fait vrombir la moto dans la nuit.

Même pas besoin de retrouver Junior au point de rendez-vous, parce qu’après quelques minutes dans les rues de Tybee elle l’aperçoit sur le côté, le regard qui s’accroche tout de suite à lui. C’est drôle. A croire qu’elle a une cible dans les pupilles. « JUNIOOOR » qu’elle gueule en ralentissant et lui qui se retourne, Penelope en profite pour lui faire un grand signe de la main alors qu’elle pose un pied au sol pour pas se laisser emporter par le poids de sa moto. Mais Junior l’ignore. Putain ? Alors elle recommence, ptêtre qu’il est sourd, ptêtre qu’avec le casque il ne la reconnait pas. Qui sait ? Elle reprend un peu plus fort. « HEY JUNIOR !!!!!! » toujours rien. « HEY PUTAIN JUNIOR TU M’IGNORE OU QUOI ? TU FAIS CHIER LA » ça lui échappe, les mots trop violents qui lui brulent la langue parce qu’elle maitrise pas, langage trop cru. L’habitude quoi.
QUOI ? Elle freine sec, relève sa visière pour mieux le regarder, sourcils dressés par la surprise. Si y a bien une chose qu’elle ne pensait jamais voir chez Junior c’était toute trace d’agressivité alors elle détaille un peu mieux, le regard un peu trouble la bouche tombante. Y a les mots qui montent en elle, ça gronde un peu, elle finit par retirer son casque pour lui répondre mais il ne lui laisse pas le temps. Ok écoute, j’suis vraiment pas d’humeur là. Une autre fois, tu m’envoies un message ? Génial, salut. « Pardon ? » la voix qui monte dans les aigus, elle a les yeux qui se plissent parce qu’elle essaye de faire la connexion entre les mots acides et le visage trop doux. Ca colle pas. Si ? Elle se sent paumé Penelope, parce que tout déraille et que ça devait pas du tout se passer comme ça. Merde. Le cœur qui palpite trop fort, panique, panique. Elle cherche un moyen de retourner la situation à l’avantage, s’apprête à balancer une connerie quand le blond reprend plus doucement. Ok, excuse… c’est pas ma journée. Désolé, vraiment. Soulagement surement bien trop visible sur son visage affolé, Penelope souffle un peu, expire, inspire, lui offre un sourire compréhensif. Qu’est-ce qu’il y a ? La béquille qu’elle place pour soutenir sa moto pendant qu’elle descend, fait face à Junior. « T’en fais pas, on a tous nos journées foireuses je comprends » clin d’œil pour lui montrer que c’est bon, elle lui en veut pas. Elle connait ça trop bien les sauts d’humeurs, les journées pourries, quand rien ne va et qu’elle a juste envie de bousiller le monde entier. « Et beh, j’allais à notre rendez-vous ? tu sais pour le ciné ? Et je t’ai vu et je me suis dis que je pouvais te proposer de te déposer ? » elle est un peu incertaine Penelope, se balance d’un pied à l’autre, soudain trop timide, le rouge qui grimpe un peu trop et ça l’agace. « T’as oublié ? » elle se veut nonchalante mais ça marche pas vraiment, la voix qui vacille un peu, trop faible bon sang, c’est ridicule tout ça.

Y a quelque chose de différent avec Junior, quelque chose de plus brut, moins doux, sans doute rugueux. Elle sait pas trop comment expliquer ça, ni même où commencer. Mais y a quelque chose de différent. Pourtant elle écarte les questions, préfère se concentrer sur ses mots, comment lui parler sans avoir l’air trop débile, trop gauche, Tom lui a dit de ne pas jouer les garçons manqués. Dur quand on a que des garçons pour modèle autour de soi. Mais elle fait un effort Penelope, se concentre sur ses mains, son visage, reste bien droite, pas avachie. Sans doute pour ça qu’elle ne voit pas le temps de latence quand elle lui demande s’il a oublié pour le cinéma, sans doute pour ça aussi qu’elle ne relève pas tout ce qui diffère de d’habitude, l’odeur d’alcool peut être un peu trop forte et la mâchoire qui se contracte. . Ouaaais, notre rendez-vous… Comme de l’hésitation dans la voix, elle le dévisage, fronce les sourcils. Il a oublié. C’est certain. Pas besoin d’être devin pour le voir. Ca fait un peu mal, dans le creux de la poitrine, de se sentir effacée comme une rature dans une marge de cahier. Oublié ? Non, arrête tu rigoles, évidemment que j’ai pas oublié, j’y allais justement je…Menteur. Mais elle fait comme si, serre les dents un peu plus, les poings aussi, pour pas éclater, pas se mettre en colère parce qu’elle se sent frustrée. Ridicule. Elle range ses mots brulants, ses gestes provoquants, se contente d’afficher un sourire un peu fade pour lui montrer que c’est pas grave.
Parce que c’est pas grave après tout non ? Les choses peuvent encore se rattraper. Ils peuvent encore aller à ce foutu rendez vous et Penelope peut encore réussir à faire ce que Tom lui a demandé. Fais le tomber amoureux de toi. Murmure entre tous les deux un soir, à table, trop sérieux. Elle a pas compris au début, puis il lui a expliqué le plan, il lui a parlé du jumeau, du cerveau aussi, de ce que tout cela leur apporterait. Fais le tomber amour de toi. Pour le maitriser, faire de Junior leur marionnette pour continuer. Elle a dit oui Penelope. Parce qu’elle dit toujours oui à Tom. Toujours. Elle crèverait pour lui. Brulerait pour lui. Pour son frère. Sa famille. Unique. Alors pas question de tout foirer.
Elle s’apprête à reprendre la parole mais Junior la coupe, yeux dans les yeux, il a l’air de s’en vouloir vraiment, de chercher des excuses, qu’elle lui pardonne. Ok, j’avais oublié. Oublié que c’était aujourd’hui. Comme je te l’ai dis, je passe une sacrée journée de merde. J’suis désolé, vraiment. Ca la rassure Penelope, souffle qui lui échappe elle se met à rire en secouant la tête. « T’en fais pas Junior, jvais pas te frapper, t’aurais du me le dire dès le début que t’avais oublié » légère reproche dissimulée, pour lui faire comprendre qu’il l’a un peu blessé. Du moins, c’est ce qu’elle laisse insinuer. Mais tu m’as trouvé, on peut dire que c’est un coup d’chance. Y a une certaine confidence qui se dégage de Junior, encore une fois ça la ramène au bug de départ, un truc pas à sa place quand elle le regarde sortir le deuxième casque de moto. Ca la fait froncer les sourcils, avant de se reprendre pour répondre. « Ouaip vrai coup de chance, d’après mon frère j’ai été bénie par quelque chose ou une connerie du genre tu vois ? » non surement qu’il voit pas mais ça la fait marrer d’en parler. Jamais de malchance pour elle, toujours la réussite, viser la cible, tirer, marquer. Bang. Pas compliqué. Toujours d’accord pour la moto ? J’peux conduire ? «oula doucement cow-boy » elle se rapproche de lui pour tapoter sur son casque avant de reprendre « t’as bu combien de bières ce soir ? En fait réponds même pas, t’es pas en état de conduire et j’ai pas envie de crever » puis surtout sa moto, c’est la sienne, son bébé, son amour, son bijou. Sa moto personne n’y touche, pas même Tom ou Billy, ni même Tex. Pas assez fou pour réclamer le droit de conduire, ils se rangent tranquillement dans la voiture familiale. « D’ailleurs vu comment t’as réagis la dernière fois, j’pense pas que ça soit une bonne idée pour toi de prendre le volant » la dernière fois quand elle l’avait forcé à monter derrière, quand il lui avait hurlé dans les oreilles pendant tout le trajet, tremblant comme une feuille, trop impressionné. Elle croise les bras, s’approche un peu plus, comble la distance pour mieux pouvoir l’observer. « T’es sur que tu veux faire de la moto ? T’as plus peur ? La dernière fois tu m’as bousillé le tympan à trop crier comme une gonzesse » sourire solaire elle lui donne un coup de coude dans les côtes avant de se reprendre rapidement, le rouge aux joues. Féminine on a dit et pas ce foutu garçon manqué qui prend trop de place quand elle se met à jurer.

Elle ne voit rien Penelope, ou alors fait semblant de ne rien voir parce que c’est plus simple comme ça. Fermer les yeux et foncer dans le vide, tête la première, sans protections. Ca a toujours été comme ça pour elle, laisser Tom réfléchir pendant qu’elle fait marcher ses muscles, pas le cerveau de la bande, loin de là et ça marchait. Jusqu’à maintenant. Parce qu’en face d’elle y a ce Junior surement trop bourré et que ça ne colle pas, y a ce Junior qui oublie leur rendez vous, y a ce Junior qui lorgne sur sa moto alors que d’habitude y a cette espèce de peur dans le regard. Mais Penelope tourne la tête, ferme les yeux. Elle enchaine les banalités, parle trop vite comme d’habitude, sens son cœur qui bat trop vite et trop fort. Ca pompe sa concentration. Je.. je voulais pas te faire de peine. Et le revoilà, le Junior si fragile, comme une porcelaine qu’on regarde dans la vitrine, boucles blondes et sourire trop doux. Ca la retourne, sans qu’elle comprenne pourquoi. Fais attention Penelope, au fond c’est sur toi que le piège se refermera. « T’en fais pas » balaye le reste d’un geste de la main, lui faire croire qu’elle est comme ça : chill. Tu parles.
La discussion dérive sur la moto, surprise qui doit se lire sur le visage de Penelope et léger froncement de sourcils devant la soudaine fascination de Junior pour la moto. Non. Ca marche pas comme ça. Puis surement pas qu’elle le laissera conduire son bébé, flirt ou pas flirt. Même Tex n’y a jamais eu le droit. Jamais. Puis il a bu, ça se voit, ça se sent aussi, non pas que ça la dérange plus que ça – ou peut être un peu mais elle ne l’admettra pas – c’est plutôt la réponse trop insolente de Junior qui la fait tiquer. J’sais pas, y en a combien dans un sixpack ? « C’est pas toi le génie des maths ? » réponse du tac au tac, sourire amusé sur les lèvres, un côté qu’elle n’aurait jamais pensé trouver chez le blond, trop frêle, fragile, effrayé par la vie elle-même. Ca lui plait. Sauf que voila, à peine monté au sommet, c’est la redescente, quand il enfile son casque et se résigne. T’as raison, j’dois être bourré pour vouloir conduire ta bécane. Une note un peu étrange, elle soupire, secoue la tête et enfile son casque à son tour et rabat la visière pour cacher l’incertitude qui commence à prendre de la place. Allez, on décolle. « Aye aye capt’ain » qu’elle marmonne dans sa barbe avant d’enfourcher sa moto, attendant que Junior fasse de même avant de démarrer.
Elle avait toujours trouvé quelque chose de réconfortant dans la moto, la vitesse, les lumières qui deviennent floues au fur et à mesure. Oublier tout, le reste, Junior aussi. Ouais. La moto avait pris la place que Tex avait laissé, plus simple, moins compliquée et moins têtue. Son unique amour qu’elle balance trop souvent pour rigoler. Alors elle oublie son passager un instant, laisse le vent lui faire oublier son stress, ses doutes, ses questions. Elle se détend, arrête de tendre ses foutus muscles, de grincer des dents. Rire intérieur, elle se sent de nouveau vivante.
Puis le voyage prit fin. A peine le moteur fut-il coupé que Junior descendit de la moto, retirant son casque. Pas étonnant, d’habitude il passait plus de temps à lui hurler dans les oreilles qu’à se taire. Alors elle attrape le casque, enlève le sien et les range dans le coffre avant de chercher un sujet pour relancer la conversation, noyer sa gène un peu trop présente. « Alors ? Ca va ? Pas trop peur ? C’est quoi la troisième fois ? t’as pas pleuré aujourd’hui, chui fière de toi » rien de mieux qu’une petite pique pour relancer la discussion non ? Non. Idiote. Mais Junior ne dit rien, se contente d’avancer. « Attend c’est par là la queue pour… » phrase qui meurt sur le bout de ses lèvres quand il continue son chemin alors elle le suit, ferme la bouche et se mord l’intérieur de la joue. L’alcool ? Surement. Il est différent. Différent. Et même si elle refusait de le voir, ça commence à devenir évident.
Il est là Junior, à côté d’elle et pourtant si absent, ou concentré peut être, quand il se rapproche imperceptiblement d’un couple assis, la connexion se fait dans son cerveau. Technique vieille comme le monde, il attrape les billets agilement et y a comme un sourire de fierté qui se dessine sur le visage de la blonde. Combien de fois a-t-elle fait le coup avec Tex, souvenirs qui reviennent, ça la rend nostalgique. Amour à mort. J’espère que ça te va. « Tout me va » même si c’est pas vrai, ce soir elle fera pas de chichi. Surement qu’elle mangera le popcorn ramassé dans la poubelle parce qu’elle voit où il veut en venir, parce que dans son cerveau ça travaille à plein pot, parce que soudain y a plus les mots qui viennent briser le silence.
Elle marche tout simplement, sourcils froncés, ouvre la porte pour laisser Junior entrer, le laisse s’installer sur un côté de la salle, rangée encore presque vide. Voilà le plan et dans sa tête elle retourne encore et encore les paroles de Tom, le plan, Junior, pourquoi Junior ? Parce qu’il est intelligent. Parce que c’est un génie. Parce qu’il aura toujours un alibi. Michael. « Et merde » ça lui échappe tout bas alors que les lumières s’éteignent. Et c’est plus fort qu’elle. Déconne pas Penelope. Déconne pas. Ils comptent tous sur toi..
« Pourquoi tu fais ça » un murmure qui franchit ses lèvres malgré son intention de se taire, elle attrape le pot de pop corn pour le forcer à la regarder. Il fait noir, mais l’écran lui permet de le dévisager, remarquer enfin les quelques différences qu’elle avait loupé jusque-là. « hein Michael ? » c’est pas méchant, juste curieux. Toujours curieux. Rencontrer l’autre, celui qu’elle doit éviter, comme d’hab, mettre les pieds dans le plat. Tout faire rater.