Tic, tac.

Elle a jamais été confortable cette chaise. Jamais. Achetée dans le dépôt-vente le plus pourri d’la ville. Même si ça lui avait fait plaisir à Toad. De s’acheter ses propres meubles. Pour leur chez eux, à eux deux. Cet air de victoire sur le visage, qui faisait étinceler ses iris bleus. Quand il lui a tendu cette bague en plastique à un dollar. Quand ils ont signé le bail de ce neuf mètres carré pourri. Quand ils sont passés à la mairie pour s’marier. Et à chaque fois qu’ils passaient le seuil de leur chez eux. Jusqu’à c’que son regard se mette à briller à cause d’autres stimulants. Et qu’il la passe de plus en plus rarement cette porte. Jamais à la même heure. Jamais à la bonne heure. Alors il attend Seth, sur c’te chaise pourrie qui lui ronge les vertèbres minutes après minute. Il est pourtant pas capable de s’lever. Capable de rien. Jointure des mains blanchies, pression de l’une refermée sur l’autre. Coudes posés sur la table. Le cœur qu’a arrêté de battre, parce que c’est plus simple d’attendre comme ça.

Tic, tac.

Il  peut rien faire. Même pas boire. Même pas fumer, putain. Les doigts déjà brûlés par deux mégots allumés, puis oubliés. Abandonnés là, devant lui, à côté de la canette qui leur sert de cendrier. Auto-consumés, jusqu’au bout, jusqu’à ses phalanges, son épiderme grignoté quelques secondes avant qu’il s’en rendre compte. Le cerveau qui part en cendre à chaque seconde qui passe. Les nerfs partis en fumée. Ça fait moins mal d’attendre comme ça.

Tic, tac.

T’es où, putain. Pourquoi tu rentres pas ? Il attend, Seth. Il attend qu’il rentre, yeux fixés sur la porte. Il attend qu’on l’appelle, qu’on lui dise qu’il est mort. Les yeux fixés sur son téléphone. Sonne, putain. La voix de Toad qui s’excuse, qu’il a pas vu l’heure, un rire gêné, j’arrive tout de suite mon amour, j’achète quelque chose à manger. Ou la voix de Toad, floue, loin, j’ai encore merdé Seth, s’te plait, vient me chercher. Ou la voix vaguement connu d’un de ses « potes », putain Seth j’crois qu’il en a un peu trop pris Toad, il est pas bien, tu peux v’nir. Ou la voix d’un inconnu, on a votre mari au poste, il est en cellule de dégrisement, faudrait venir le chercher. Ou celle d’un autre, monsieur Inuzuka, je suis désolé, on a retrouvé votre mari… STOP.

Tic, tac.

Il attend que ce soit l’heure. Les yeux fixés sur la pendule. Sur cette conne te trotteuse et son battement incessant. L’heure du film, pour qu’il rentre. Ils repassent un Fast and Furious ce soir. Oué je sais, j’aime pas c’genre de film, mais toi t’aimes bien. Alors rentre, on le regardera ensemble. Promis je râlerais pas. Promis j’me moquerais pas de toi et d’ton étrange passion pour les films à gros chauves balèzes qui sauvent le monde. Mais s’il te plait, rentre.

Tic, tac.

L’heure du porno du soir. Des fois que ça t’intéresses plus pour aujourd’hui. Et si ça t’inspire tu pourras toujours faire c’que tu veux de moi. Même les trucs que j’veux pas d’habitudes. Ou bien à un autre. Des autres. J’m’en fous. Ça a plus trop d’importance. Mais rentre, s’il te plait.

Tic, tac.

L’heure de plus rien. Sinon de dormir pour les gens bien. De s’autodétruire pour le reste. S’te plait, soit pas de ceux-là. L’heure d’étrangler sa femme, d’enterrer la voisin dans le jardin, de cogner sur les gosses sans qu’les voisins s’en inquiètent. Tu peux rentrer pour ça aussi si tu veux. Si t’es encore en colère contre moi, comme quand j’suis parti c’matin. Tu pourras m’cogner dessus si tu rentres. J’ai déjà un bleu sur l’avant-bras, d’nôtre dernière dispute. Mais j’te le montrerai pas t’inquiètes. Je t’en veux pas. Tu peux recommencer. Rentre, putain.

Tic, tac.

L’heure de s’lever, d’aller bosser pour ceux qui doivent traverser la ville. Les rayons du soleil qui rentrent par la fenêtre. A travers la crasse qu’ils ont la flemme de laver.  Y a toujours rien qu’à bouger. Toujours deux mégots sur la table. Toujours la canette pleine de mégots qui pue la cigarette froide. Comme le reste de l’appart. Y a toujours rien qui bouge. Rien d’autre que la trotteuse dans cette putain de pendule.

Tic, tac.

Les rayons qui filtrent à travers les carreaux justes translucides. Qui glissent sur les draps restés froids du lit dit conjugal. Matelas miteux à même le sol. Sur les canettes par terre, pas ramassées, jamais ramassées. Sur les quatre casseroles abandonnées, utiles à Seth pour faire à manger à son stupide mari, pas fichu de faire des pattes dans brûler l’appart. Inutiles depuis qu’il rentre plus pour manger, et depuis que Seth à arrêter de manger. Sur les bosses dans le mur, la lampe toujours par terre, ampoule fracassée, morceaux de verres sur le sol. Reliques de leurs disputes. Sur la liasse de billet qui trône sur la pile de linge sale qui sera sans doute pas lavé. Aussi thune aussi crade que les vêtements en-dessous. Ramenée par Toad, ignorée par Seth.

Tic, tac.

Avant de disparaitre, les rayons d’soleil passent sur la porte d’entrée qui s’ouvre. Seth qui rentre du taf. Toad qu’est pas là. Tant mieux. Il aura pas à le ramasser cette fois. A lui retirer une aiguille du bras. Ils s’engueuleront pas non plus comme c’matin, quand il voulait pas qu’Seth sorte du lit, pour aller bosser. Mais y a quand même le cœur qui ralentit, le cerveau qui s’effrite, les nerfs qui s’atrophient. Il a plus qu’à s’asseoir, Seth. Sur c’te foutue chaise pas confortable. Essaye de fumer. Attendre que ce soit l’heure. L’heure de film. L’heure du porno. L’heure de dormir. L’heure de tuer. L’heure de s’lever. L’heure que Toad rentre à la maison.

S’il te plait.