Elle devient folle à chercher partout un fantôme. Et les infos qui n'arrêtent pas de parler de ça. Des nouveaux kidnappings, de plus en plus de gens qui disparaissent. La police qui va de piste fumeuse en piste fumeuse. Aucun lien établit entre les victimes. Le prochain pourrait être n'importe qui. Le prochain, ça pourrait être elle. Elle se sent fragile et elle devient parano. Elle a l'impression que tout le monde représente un danger autour d'elle. C'est pour ça qu'elle est allée chez Malo. Puis au bar puisqu'il n'était pas chez lui. Mais il reste introuvable. Elle s'attable au fond du bar, c'est assez calme la journée. Et elle l'appelle sans plus attendre, une idée fixe en tête, le souffle court. Quatre sonneries et il finit par décrocher. Elle a bien cru qu'elle allait tomber sur la messagerie.

— MALO ?
Elle hurle sans savoir pourquoi. Les nerfs qui lâchent, c'est n'importe quoi.
— T'es où ? J'te cherche partout !

Sa main qui serre le combiné tellement fort que ses doigts blanchissent.

— J’vais chez les flics.
Trois secondes de flottement avant qu'elle se mette à nouveau à lui hurler dans les tympans.
— QUOI ?!

Quelques décibels plus haut que le premier cri, la voix qui part dans les aigües sous le coup de l'émotion. La frayeur qui lui glace le sang alors qu'elle a l'impression de revivre cet instant de cauchemar quand il est parti en prison la première fois.

— Pourquoi tu gueules ?

Elle ignore sa question, bégaie un peu, les pensées embrouillées. Elle ferme les yeux et agite sa main devant elle, histoire de se reprendre.

— Attends, attends, les flics ? P-pourquoi les flics ?
Déconne pas Malo, déconne pas, c'est pas l'moment.

— Respire ! J’fais juste un aller-retour pour rien.

Elle respire, un peu, juste un peu. Malo ne va pas en prison. Malo n'a pas merdé, Malo n'est pas arrêté. Alors c'est quoi pour rien ?

— Ils pensent que j’suis impliqué dans les disparitions.

Silence. Interminable. Elle finit par échapper un petit rire nerveux. Ça finit par se transformer en fou-rire, un truc complètement bancale. Les émotions qui explosent et ses rires se transforment en sanglots. Voilà qu'elle se remet à chialer.

— C'est putain d'n'importe quoi...
Elle craque. Elle a besoin de lui. Besoin qu'il soit là, qu'il lui prenne la main, qu'il la prenne dans ses bras, qu'il lui dise que ça va aller.
— J'en peux plus d'ces incompétents.

Elle passe une main sur son front en soupirant bruyamment, à fleur de peau. Elle va les voir tous les jours, sans relâche, mais elle n'obtient jamais rien. Ils n'avancent pas et Sid la fuit, elle en est persuadée. Elle ne sait pas pourquoi. Elle déglutit, sa voix qui se brise, comme un murmure.

— Malo... ma mère a disparu.
Elle voudrait être près de lui ; il est ce qui ressemble le plus à une famille pour elle.

— T’as des problèmes avec eux ?

Si seulement ce n'était que ça. Elle ferme les yeux, respiration tremblante tandis qu'elle rassemble le peu de courage et de lucidité qui lui reste pour lâcher la vérité. Et prononcer ces mots, ça lui fait mal. Une douleur vivace qui s'étend un peu plus chaque jour, au fur et à mesure que l'espoir s'amenuise. Elle le sait très bien, plus quelqu'un disparait longtemps moins y a de chances de le retrouver. Et au vu de hécatombe qui touche Savannah, elle a bien peur de ne jamais revoir sa mère.

— Depuis combien de temps ?

Malo et son pragmatisme. Cette façon qu'il a de tout contenir, de rester calme en toutes circonstances. C'est sûrement pour ça qu'ils s'entendent si bien, parce qu'il la tempère. Sid a longtemps eu ce rôle aussi, avant d'être la cause principale de sa tempête intérieure.

— Une semaine et deux jours.
Une semaine et deux jours de trop.

— J’peux t’aider Mads.
Évidemment. Elle a toujours pu compter sur lui. C'est bien pour ça qu'elle l'a appelé.
— Dis-moi et je le ferais.

Elle inspire très brièvement, n'hésitant pas une seconde de plus avant de formuler sa demande. Sûre d'elle. Peut-être un peu trop.
— Un flingue. J'ai besoin d'un flingue.

Sa voix ne tangue pas, sa respiration est redevenue calme. Il lui faut une arme. Pour se protéger. Pour protéger sa mère, même si c'est trop tard, même si c'est absurde. Elle n'a jamais tenu une arme à feu de sa vie mais elle s'en fout. Elle s'est mise en tête d'en avoir une, pour sa survie. Et elle est persuadée que Malo peut l'aider à en trouver un. Il ne fréquente pas que du beau monde, il doit bien avoir ça dans ses contacts.

— Quoi ? Comment ça un flingue ?
Elle soupire bruyamment, râle agacé. Les yeux qui se lèvent au ciel et même s'il ne peut pas la voir, il peut largement deviner. Elle se doutait qu'il n'allait pas très bien prendre sa requête, mais en vérité elle ne lui demande pas franchement son avis.
— T’es sûre que c’est une bonne idée ?
Elle retient un deuxième soupir, n'appréciant pas le fait de devoir se justifier. Est-ce qu'il lui demande son avis lui pour faire des conneries ?
— Oui ! Qu'elle grogne.
— Ce qui serait une mauvaise idée se serait de me laisser désarmée et sans défense alors que la moitié de la ville se volatilise on ne sait où.
Elle passe une main sur son front, ses mots la rendent fébrile. Elle est terrifiée pour sa mère. Mais terrifiée aussi à l'idée qu'il puisse lui arriver quelque chose à elle.
— Franchement Malo, j'pense pas que tu sois bien placé pour me dire ce qui est bien ou mal, tu crois pas ?
C'est un coup bas, elle le sait. Mais elle est trop à fleur de peau pour se soucier des conséquences que pourraient avoir son attaque puérile. Elle veut cette arme et elle ne connait personne en dehors de lui qui pourrait lui en fournir une. Et histoire de le décider à se convaincre un peu plus vite, elle ajoute.
— De toute façon, si c'est pas toi qui m'en donne une, j'en trouverais ailleurs. Quitte à en voler une au commissariat.
Pire idée de l'univers, elle le sait, Malo le sait, et elle espère que ça suffira à le faire céder.

— Armer une meuf qui n’a jamais tenu un flingue de sa vie, c’est clairement plus intelligent oui.
— Clairement, oui.
Qu'elle riposte, n'appréciant que moyennement son ton aussi blasé qu'ironique. Elle en rajoute d'ailleurs une couche, créant un froid qui la laisse de marbre.
— Fais gaffe à c’que tu me dis.
Il ne la voit pas mais elle hausse les épaules, ne regrettant pas un instant les mots prononcés. Comme s'il les avait cherché, bien mérité. Faut croire qu'elle n'a toujours pas digéré son séjour en prison. Nash et Malo, même combat. Crétins. Elle continue, le pousse à bout pour le faire craquer, quitte à en rajouter un peu trop, quitte à mentir, tant pis. Ça fonctionne.
— блядь Mads !
Elle l'imite en silence, les yeux levés au ciel, heureusement qu'il ne peut pas la voir. Sale gosse insupportable. Long silence. Il réfléchit et elle sent déjà la victoire pointer le bout de son nez. Et ça ne rate pas. Malo abdique, dépité, résigné.
— OK. J’ai un flingue chez moi, prends-le. Fouille dans la chambre, ne laisse pas l’chien se barrer.
Elle couine de joie et se met à sautiller sur place comme si elle venait de remporter le gros lot.
— SUPER MERCI !
Et sans plus attendre elle raccroche, sans se soucier un seul instant de son état à lui, nombriliste hors paire. Demi-tour, direction l'appartement de Malo.