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 i'm going slightly mad (jag)

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Jem Bogart

Jem Bogart
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MessageSujet: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyVen 8 Déc - 22:08

Le réveil est toujours dur.
C’était pas le cas, au début, les premiers mois, c’était pas le cas parce qu’il était, au début, frappé par l’immédiateté du souvenir, parce qu’il lui était impossible d’occulter l’infernale journée où sa vie avait basculé d’un seul coup dans un puits sans fond, dans un cauchemar qui trouvait sa source uniquement dans l’absence dévorante d’une partie de lui, parce qu’il ne pouvait pas faire comme si ça n’avait jamais eu lieu, comme s’il était toujours droit sur ses pattes, adolescent devenu soldat sans passer par la case adulte, parce que dès qu’il fermait les yeux il pouvait entendre les bruits comme s’il y était, voir les balles fuser devant son regard et le sang de ses équipiers rougir la terre sous ses pieds. La vérité trop assommante pour laisser place à l’imagination, aux fantasmes. Ç’avait été pervers, d’une certaine façon, parce qu’il avait passé des nuits sans vraiment cauchemarder, bien trop fatigué par sa rééducation, par sa nouvelle vie qui n’en était pas vraiment une, ç’avait été pervers parce qu’il avait passé des semaines sans entrevoir l’ombre d’une psychose, persuadé qu’il finirait par aller mieux une fois le deuil de sa jambe fait, jusqu’aux médicaments, jusqu’à la descente aux enfers et la paranoïa paralysante, jusqu’aux insomnies et aux cernes qui étaient apparus sous ses yeux. Ça lui avait fait du mal jusqu’à ce que ça ne fasse plus rien du tout. Le docteur lui avait dit que c’était sûrement parce que son seuil de tolérance à la douleur avait été franchi et qu’il pouvait maintenant endurer ce que beaucoup ne pourraient même pas envisager.
Mais c’est pas ça.
Ce qu’il se passe, c’est qu’il n’arrive plus à occulter ce qu’il mettait de côté fut un temps, l’escalade de violence sur le champ de bataille, le sable devenu rouge, les corps de ses ennemis inanimés et l’impression dévorante qu’il était devenu un assassin. Il est devenu un assassin, pas besoin d’employer le passé. Il a les mains écarlates et le cœur qui palpite trop fort lorsqu’il voit des cadavres, lorsqu’il sent l’odeur de rouille si caractéristique de l’hémoglobine qui s’écoule, lorsqu’il envisage une nouvelle fois de prendre les armes en sachant pertinemment qu’il ne le pourra plus jamais. Sa descente en enfer, il l’a entamée il y a des mois, des années. Sa sœur dirait qu’elle l’a perdu le jour où il a signé le papier pour s’enrôler, le jour où il a troqué ses Doc Martens de teenager contre des rangers bien lacées, le jour où il a laissé tomber ses mèches emmêlées, la crinière dressée sur la tête, contre un crâne fraichement rasé. Le jour où la transformation physique a engrainé la transformation mentale, un tour à 180 degrés auquel il n’a jamais pu réchapper.

On se lève, on se prépare, on sort. Il déteste ça, Jem, l’impression que les gens le dévisagent lorsqu’ils le croisent dans la rue, les murmures sur son passage, même pas trente piges et une canne à la main, les appuis faiblards alors qu’il aligne difficilement les pas. Rééducation mon cul. On s’habitue pas à avoir un bout de métal à la place de la guibole, on fait avec, c’est tout. On suit tous ces putain de cours qui n’y changent rien, qui n’améliorent pas les choses. Il préfèrerait parfois retirer cette foutue attelle et coller son cul dans un fauteuil roulant, histoire que l’infirmité soit visible. Là, sous les vêtements, ils savent pas. Sous les vêtements, sous la peau, sous les os, ils n’ont aucun idée de ce qu’a vécu le gamin qui marche bizarrement, aucune putain d’idée, et ils n’ont sûrement pas envie de savoir, d’ouvrir les yeux sur la réalité, sur la guerre qui se joue à des centaines de milliers de kilomètres, qui tue leurs enfants sans qu’ils ne le voient. Il n’est pas le seul à être revenu estropié, pour sûr. Mais il est peut-être celui qui s’est le plus ostracisé, depuis longtemps, à n’avoir jamais vraiment vécu quoi que ce soit avant de partir, à avoir à peine connu une paire de nibards, à avoir vécu à la fois seul et tellement entouré, dix années, dix interminables années. Dix années qui sont passées en un rien de temps, trop de potes perdus, trop qui sont encore là-bas, vivants ou morts, et lui entre les deux.
La porte de chez le psy est trop lourde, il est obligé de se faire aider pour entrer. Il dit à peine merci, ça le fait chier de se sentir impotent à ce point-là, de pas savoir quoi faire de ses os, de sa vie, d’être un putain de poids même pour des étrangers.

Il n’aime pas aller chez le psychiatre. Il n’a pas le choix mais il n’aime pas ça, vraiment. Le fait d’avoir l’impression d’être malade, d’avoir quelque chose à soigner dans sa tête, en plus du handicap bien visible, lui. « ‘Jour », il lance en entrant, s’annonce à la secrétaire, « Jeremiah Bogart, j’ai rendez-vous à dix heures », avant d’aller s’asseoir dans l’un de ces sièges qui font mal au cul. Il sait qu’il va attendre beaucoup trop longtemps. Rendez-vous à dix heures et il n’est que neuf heures trente, il avait rien de mieux à foutre que venir autant à l’avance ? Faut croire que non, même s’il sait depuis le temps que le docteur n’est jamais vraiment ponctuel. Il se rappelle d’une fois où il a attendu une heure au-delà de  l’heure à laquelle il avait rendez-vous. Tout ça pour s’entendre dire, au final, qu’il faut toujours prendre ses cachets et faire un effort sur lui-même. Il remet sa prothèse correctement une fois qu’il s’est installé, histoire de pas bloquer le passage, ouvre le livre qu’il avait pris sous son bras, Steinbeck, il en est juste au début mais il kiffe, ça lui rappelle vaguement Hemingway même s’il est carrément nul pour comparer les auteurs. Il préfère se contenter de savourer, d’apprécier, d’aimer. Petite bulle qu’il se construit pour une demi-heure, une heure. Il s’en fout. Autant qu’il le faudra.
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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptySam 9 Déc - 2:48

Tous les jeudi matins se ressemblent. Il rentre du travail, mange, boit, se douche, se rhabille, part chez le psy. C’est toujours la même routine, toujours la même chose. Il fait froid, il fait chaud, il y a du vent, de la pluie, il s’en fout, ça ne change rien, il pédale et il a envie de crever, il pédale plus fort et il espère chuter. Il déteste ce mec. Il déteste sa tête, il déteste son ton faussement aimable, il déteste la façon dont il croise les doigts sur son bureau quand il n’est pas en train d’écrire, comment il regarde partout sauf vers lui, comment il finit toujours par prescrire les mêmes médicaments à la fin de la séance. Il l’aime pas, ce type, il lui donne envie d’hurler, ce mec, de taper du poing et de crier, parce qu’il le regarde comme s’il transportait toute la misère du monde sur le dos, parce qu’il l’observe comme s’il était digne de pitié, comme s’il y avait quoi que ce soit de pitoyable chez lui, de cassé, de brisé. Il déteste ça. Il déteste sa condescendance et la façon dont il ouvre la porte, il déteste les inflexions de sa voix et la façon dont il écrit, il déteste tout, du papier peint fade sur les murs aux magasines débiles qu’il laisse traîner dans la salle d’attente, déteste tout particulièrement comment il est en retard, même alors qu’Eoin est le premier patient, comment il en a rien à foutre alors que tous les gens qui se pointent ici ont quelque chose sur le cœur et sans doute pas le temps d’attendre.

Lui n’a pas le temps d’attendre, en tout cas. Il tourne et retourne, triture entre ses doigts le bas de son t-shirt. Il est fatigué, épuisé, à bout, il a pas envie d’être là et il a pas le choix non plus. Il lui lance un regard noir, lorsqu’il vient le chercher, enfin, et il sait que toute la séance est niquée de toute façon, parce qu’il est a envie de le crever et de faire brûler ce putain de cabinet, parce qu’il a la gorge serrée et la bouche sèche et qu’il est pas en état de discuter. Il a pas le choix, pourtant, alors il traîne les pieds et il s’assoit, déballe ce qu’il a à dire sans arriver à lâcher prise, parce qu’il a trop tiré sur la corde, déjà, parce qu’il a atteint le bout de ce que pouvait lui proposer ce type, parce qu’il peut plus le voir en peinture et qu’il le sait. Il sait que c’est fini quand le type tape du bout de son stylo contre son bureau, se lève comme un zombie pour se casser. Il dit pas au revoir, pas merci, parce qu’il mérite même pas ça. Parce qu’il a pas envie de lui accorder ça. Il hésite à lui vomir sur les chaussures, une seconde, finit par tourner les talons définitivement.

Lorsqu’il se retrouve dans la salle d’attente une nouvelle fois, il est surpris de tomber sur quelqu’un. Il sait que la nana après lui arrive toujours un peu en retard. Il l’a croisée plusieurs fois, avec ses cheveux roux et son air paniqué. Il se demande ce qu’elle vient foutre là parce qu’il voit pas comment ce psy peut l’aider. Il voit pas comment n’importe qui peut être aidé par ce type, de toute façon, mais c’est subsidiaire, peut-être, il sait pas. Ce qu’il sait, par contre, c’est que le rendez-vous d’après c’est pas ce type. Ce qu’il sait, surtout, c’est qu’il connaît ce mec. Ça lui retourne un peu l’estomac. Pas parce qu’il est là, pas parce qu’il a honte d’être là, pas à cause de la jambe qui manque ou de l’air épuisé qu’il a. Il a mal au bide parce qu’il sait pas quoi faire, parce qu’il se sent démuni, parce qu’il sait pas s’il l’interpelle ou pas, parce qu’il sait même pas si Jem se souvient de lui. Ça fait longtemps. Ça fait trop longtemps. Ça remonte à une époque où presque toute la famille habitait encore chez ses parents, où il regardait les amis de ses frères et sœurs avec des yeux bien trop grands.

« Jem ? » Il risque, finalement, et ses yeux volent sur son visage, écarquillés bien trop grands. « Je savais pas que tu étais à Savannah. »

Il a pas de raison de le savoir, de toute façon, ils étaient pas amis, pas du tout, il était juste le petit frère, le gamin toujours dans les pattes, rien d’important, rien d’intéressant. Il inspire et il sent qu’il a les mains qui tremblent et il sent qu’il a la tête qui tourne. Il sait qu’il a pas assez mangé, ce matin, il sait que le rendez-vous a été stressant, il sait qu’il est surpris et que c’est trop et il se laisse tomber assis sur un des sièges parce que ses genoux menacent de céder et qu’il veut pas se retrouver par terre, pas maintenant, pas tout de suite. Putain, ça fait chier, on dirait un putain de gosse et c’est pas ce qu’il veut être, c’est plus ce qu’il veut être. Il a changé, sa mère la pute, il a changé, il est plus ce gamin tout sourire qui faisait des blagues et qui riait trop fort, certainement pas un gosse impressionné de revoir un type qu’il admirait, surtout plus un minot choqué de revoir des années après une ancienne connaissance.

« J’ai la tête qui tourne. » Il explique, tout bas, se passe une main sur le visage, inspire aussi fort qu’il le peut. Ça va aller, il se répète. Ça va aller, ça va aller, ça va aller. Il cherche quelque chose sur quoi rebondir, refuse de lui demander ce qu’il fait là, parce que ça le regarde pas, parce qu’il sait ce qu’il fait là, parce qu’ils font tous la même chose ici de toute façon. « T’as une sale gueule. » Il dit, plutôt, parce qu’il est embarrassé et que c’est la seule façon dont il est capable de gérer. « Tu lis quoi ? »

Ça, c’est sûr, au moins, c’est pas compliqué, ça laisse le temps au monde d’arrêter de tourner.
Ça, il est capable de gérer.
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Jem Bogart

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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptySam 9 Déc - 16:54

Une perte de temps. Une putain de perte de temps à cinquante balles la séance, encore heureux que ça soit pris en charge par l’Etat, comme s’il se sentait redevable de ses services, comme s’il s’en voulait quelque part pour l’avoir bousillé. Sauf qu’un être humain, c’est pas un objet qu’on raccommode, suffit pas de coller un bout de ruban adhésif sur ce qui a été cassé pour que ça fonctionne à nouveau. Ça serait trop simple, trop rapide, ça viderait d’un coup tous ces groupes de vétérans qui se sont multipliés depuis ces dernières années, ça ferait de la place dans les cimetières, aussi. Pas étonnant que Jem se dise parfois qu’il aurait préféré ne pas rentrer du tout, ou alors dans une petite boite, histoire qu’on le foute dans la terre et qu’on n’en parle plus, qu’il coûte pas plus cher à la société, qu’il arrête d’être un fardeau comme quand l’obus a fait mouche et qu’on a dû le trainer hors du terrain pour pas qu’son corps se transforme en chair à pâtée. Le psy, c’est une perte de temps parce que sa santé mentale, il l’a laissée là-bas, parce que ça sert à rien de vouloir la retrouver ici, de gratter au creux de sa tête pour voir s’il y a encore une once de sagesse, de douceur. Ça sert à rien parce qu’il a perdu un bout de lui là-bas, et pas que la jambe, parce qu’il aura beau remuer ciel et terre, ce petit morceau ne lui sera jamais rendu, ou seulement contre sa vie. Ça sert juste à ça, donc, les petits cachets et le docteur faussement intéressé, ça sert juste à ne pas se coller le canon d’un flingue entre les dents. C’est quelque chose qui a toujours laissé Jem sur le cul, cette obstination qu’a l’être humain à ne pas vouloir laisser crever ce qui ne demande que ça, à refuser d’octroyer la mort aux déchets les plus dégueulasses qui rôdent sur terre, les causes perdues, les putain de taulards qu’ont baisé des gamins de cinq ans et les assassins, et lui, eux, les militaires dégénérés qui reviennent pas tout à fait conscients, qu’ont le droit de porter une arme en pleine rue alors qu’ils se croient encore au Moyen-Orient. C’est quelque chose qu’il n’arrive pas à comprendre parce que si ça ne tenait qu’à lui, il se jetterait d’un pont direct, vu qu’il est irrécupérable, vu qu’on ne peut plus rien en faire. Mais non, faut croire qu’on a encore du fric à foutre dans les soins palliatifs, parce qu’il y a ça, y a les thérapies de groupe, y a les pilules tous les matins et y a la rééducation, ce qui explique sûrement que ça rente soit ridicule à la fin du mois. Tiens, tu peux vivre mais tu pourras plus bouffer qu’des pâtes. Merci, vraiment.
C’est peut-être pour ça qu’il s’évade par le biais de la lecture, Jem, parce que la vraie vie est acide et brutale, parce qu’elle ne vaut plus vraiment la peine d’être vécue et qu’il se contente, la plupart du temps, de survivre comme il peut. Les yeux sur les pages, les mots qui défilent et son cerveau qui ingère, digère, qui bouffe des romans à la pelle, comme pour compenser le manque de couleurs dans son existence, comme pour y insuffler quelque chose de neuf et de rafraichissant. C’est comme ça qu’il à commencé à sortir la tête de l’eau, comme ça qu’il a cessé d’avoir une vision de la vie en teintes de gris. Et le retour à la réalité est toujours brusque, toujours dérangeant, toujours perturbant et nerveux. C’est son prénom qui le tire de ses pensées, qui lui fait lever la tête, le diminutif lâché par une voix d’homme qui ne lui est pas familière, et il lui faut un petit moment avant d’accrocher les yeux d’Eoin, quelques secondes supplémentaires avant de le replacer. « T’es le frangin de Ciarán, c’est ça ? » Pas mieux, il a bouffé son prénom, ç’a toujours été le gamin qui se foutait dans leurs pattes au moment le moins opportun, qui voulait faire comme eux, comme les grands, à jouer à la guerre quand il aurait pu passer son temps à d’autres choses. A jouer à l’enfant. Supposons que la vie, c’est comme ça, que c’est dans la nature des gosses de vouloir grandir trop vite, d’avoir envie de troquer les flingues en plastiques pour des vrais, de vouloir être un héros à sa manière. Y a une part de lui qui est contente que le petit n’ait pas voulu poursuivre dans cette voie, qu’il soit resté bien tranquillement à Savannah, histoire de pas s’faire trop de mal tant qu’il peut l’éviter. Sauf qu’il a bien dû avoir son lot d’ennuis, il a l’air ailleurs lui aussi, à mi-chemin entre déraison et simple fatigue, à se retrouver le cul sur une chaise parce qu’il a la tête qui tourne. Jem fronce les sourcils, le détaille, sans trop savoir s’il devrait s’inquiéter ou non. C’est pas son frangin, il est même trop jeune pour avoir été un pote aux jumeaux, dans son souvenir il avait à peine cinq piges quand il trainait avec eux, adolescents attardés. Il devrait s’en foutre, donc, ne pas vraiment se préoccuper de son sort. Surtout qu’il lui dit explicitement qu’il est moche. « Ton frère était vachement plus poli qu’toi. » C’est dit doucement, la voix trop calme pour répondre à un t’as une sale gueule clairement justifié mais certainement pas mérité. Il a pas envie qu’une rixe éclate, c’est clairement pas le but, même s’il aime pas qu’on critique sa gueule, déjà qu’il trouve pas qu’il ait une tête de mannequin. « On peut pas tous ressembler à l’autre connard qui joue Anakin là, dans les derniers Star Wars », il a bouffé le nom, ça va lui revenir, il trouve que le petit lui ressemble grave mais il en dira pas plus. Et il perd pas une seconde pour se replonger dans le bouquin, en espérant que le gosse comprendra le message. Sauf qu’il s’accroche, pour une raison qu’il ignore. Ou plutôt, il sait, il sait qu’il admirait les amis de son frangin, il sait qu’il l’admirait lui, tout court, parce que Jem était drôle, gentil, parce qu’il avait cette aura que les autres lui enviaient, qui lui donnait la possibilité de proférer les pires horreurs sans qu’on ne s’en formalise. C’est sûrement pour ça qu’il ne soupire pas lorsqu’il lui demande ce qu’il lit, pour ça qu’il relève la tête et ose même un sourire. « Des souris et des hommes. » Et avant qu’il n’ajoute un mot, il corne le bout de la page, referme le bouquin. « Et t’as pas intérêt à me spoiler si tu l’as lu parce que j’en suis qu’au début. » Et je serais vraiment capable de t’éclater la tronche contre ce lino dégueulasse, fais pas le pari, c’est une guerre que tu ne gagneras pas. Il ignore à quel moment il est devenu aussi ours, à quel moment il a cessé de s’ouvrir aux autres pour refermer ses bras sur lui-même, pour ne pas vouloir communiquer, débattre, plaisanter, rire. « J’crois qu’c’est une histoire de chasse à l’homme un peu, genre y a un mec un peu teubé qui bute quelqu’un sans faire exprès et ils s’mettent en tête de lui faire sa race. » C’est dit simplement, comme il l’aurait fait en y mettant les formes, sauf qu’il a pas le temps de trouver les bons mots, les bonnes phrases, il a pas le temps pour la poésie ou même pour la pertinence. Et il n’a pas l’envie, surtout. « Qu’est-ce que tu fous là, toi ? T’as un pète au casque aussi ou c’est juste pour le plaisir ? » Et il sourit, cette fois beaucoup plus, comme pour lui faire comprendre que c’est pas grave, que ça arrive, qu’il n’en est pas moins quelqu’un de bien, sans doute, quelqu’un qui vaille la peine qu’on referme deux secondes son roman pour lui accorder un minimum d’attention.
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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyDim 10 Déc - 17:47

Il devrait être outré que Jem se souvienne plus de son blase. Il devrait froncer les sourcils et tourner les talons et claquer la porte, prendre ses cliques et ses claques parce qu’il existe en tant que lui-même, parce qu’il est pas le frère de ou le fils de ou le x de qui que ce soit, parce que ça l’emmerde qu’on le réduise juste à ça, l’ombre d’un grand-frère ou d’une sœur aînée, pas le petit dernier prodige et pas l’aînée qui a tout déblayé devant elle, pas assez vieux pour avoir fait grand-chose et pas assez jeune pour être encore émerveillé. Il devrait lui faire un doigt, vraiment, et laisser tomber, parce que c’est ce que les gens font dans ce genre de situation, parce qu’il est même pas sûr que Ciarán ait gardé contact avec ce mec, parce qu’il sait pas trop pourquoi ça le perturbe autant de le voir là. Il a la mâchoire qui se crispe, à peine une seconde, le temps d’encaisser la colère et puis de la laisser partir, parce qu’il était trop petit à l’époque pour être digne d’intérêt, parce qu’il était juste un gosse et que de toute façon il devait pas beaucoup marquer. Il est pas sûr de marquer aujourd’hui non plus, même s’il a gagné en charisme, même s’il a pris en assurance, pas sûr non plus que ce soit important, parce qu’il le croise cette fois et qu’il le verra sans doute plus jamais, parce que c’est comme ça que ça se passe, maintenant, les gens qu’ils croisent sont tous des fantômes de gens passés. Il déglutit pour ne pas hurler. C’est pas le lieu pour faire du bruit, pas l’endroit pour protester. Il élèvera peut-être la voix s’il arrive à caser que le psy est un putain de connard mais pas avant, parce qu’il est occupé à étudier le visage qui lui fait face, parce qu’il est occupé à chercher un bout de sens pour recoller les morceaux de ce qui s’est passé pendant tout ce temps. C’est de la curiosité un peu malsaine, peut-être, comment t’as réussi à te flinguer à ce point, pourquoi t’es arrivé là, c’est quoi le cancer qui te ronge le cerveau, combien de pilules tu prends avant de dormir, c’est de la curiosité qui grouille et qui pullule, qui veut du mal, qui veut plonger des doigts dans des blessures pour mieux les observer, rouvrir les cicatrices et jamais les laisser se fermer. Il est horrible, Tag, pas aimable, pas doux, pas délicat, il avance droit devant lui, il met les deux pieds dans le plat.

« Anakin version zombie, si tu tiens vraiment à cette comparaison toute pourrie. » Il a trop de poches sous les yeux pour être un jedi, même un qui finit par tourner mal. Il les aime pas, de toutes façons, les putains de jedi, il les trouve débile, pas impliqué, trop en retrait. Ça lui brise les couilles, c’est pas pour ça qu’il a signé. Peut-être qu’il aurait mal tourné, en fait, lui aussi, si on lui avait filé un sabre laser, peut-être qu’il aurait tout bousillé, sans doute qu’il aurait fait tout exploser. Il sait pas trop, parce que c’est un sujet épineux, parce qu’il a des envies d’explosions et de cendres mais pas les dynamites pour tout faire péter. Il sait pas ce qu’il fera lorsqu’il aura de quoi foutre le gouvernement à feu et à sang. Il sait même pas si ça arrivera un jour, en fait, pour le moment. « Je m’appelle Eoin. Ça s’écrit pas comme tu le penses, le visualise pas. » C’est n’importe quoi, cette conversation, putain, il pense. C’est n’importe quoi parce qu’il a l’impression de se représenter une deuxième fois à sa grand-mère qu’a choppé Alzheimer, parce qu’il sait que Jem s’en fout de l’orthographe de son prénom mais qu’il a trop l’habitude de balancer ça quand il se présente, parce que ça le fatigue de se voir mal orthographié partout, mal présenté, mal représenté, parce que c’est une partie de ce qu’il est et qu’il supporte pas de la voir transformé par d’autres. « J’ai jamais lu ton bouquin, m’emmerde pas, je te spoilerais pas. »

Le dernier bouquin qu’il a lu, c’est Neverwhere, de toute façon, et ça remonte à y a six mois. C’est pas qu’il lit pas ou qu’il déteste les romans mais il a pas non plus franchement le temps pour la lecture, trop occupé qu’il est à se débattre pour garder la tête hors de l’eau et pour éviter de se noyer. Il a l’air intéressant, le bouquin, pourtant, et Eoin est presque sûr d’avoir lu un résumé pour pouvoir écrire un papier dessus pour son cours d’anglais. Il est presque sûr qu’il était censé avoir lu le bouquin entier mais c’était pas très important, à l’époque, il voulait juste une bonne note au bout du compte, une chance de foutre le camp, la possibilité d’avoir une bourse et d’aller faire de grandes choses loin d’ici. Y a pas d’avenir, à Savannah, y a qu’une réalité poisseuse et désincarnée qu’il a pas envie de regarder, quelque chose d’étouffant et de terrible qui lui donne envie de crever. Y a pas d’avenir, ici, il le sait, tous ses frangins se sont barrés, c’est pas pour rien, toute sa famille s’éparpille et y a que lui qu’est coincé là comme un crevard, lui et Deirdre, et il a envie de faire imploser la putain de mairie pour se venger.

« Ça me fait penser aux Chasses du comte Zaroff. » Vaguement, en tout cas, c’est l’histoire de chasse à l’homme, peut-être, ou la sauvagerie de l’être humain, il sait pas. Ça lui fait penser à l’Île du Docteur Moreau, aussi, mais ça sert à rien de l’ajouter, y a trop de bouquins sur ces thèmes là, de toute façon, beaucoup trop de livres qui appuient sur le peu d’humanité que l’on a. « Une histoire de type qui prend son pied en chassant des humains. Je suppose qu’on a tous un putain de prédateur quelque part à l’intérieur. » Il sait que lui en a un, en tout cas, un animal sans compassion et sans empathie, quelque chose de sauvage et de destructeur, une bombe dans un paysage déjà désolé. Il se racle la gorge, à la question d’après, se fend d’un sourire en couteau, quelque chose de désagréable et d’à vif, quelque chose d’amer et d’acide, du citron dans les plaies. « Je fais un safari en terre médical, ça se voit pas ? » Il y a presque comme de la menace quelque part derrière la joie factice, quelque chose d’épais et d’étouffant. « T’es généreux quand tu me demandes si j’en ai qu’un seul. Quatre ou cinq et t’es plus dans le vrai, sans doute. »
.
Quatre ou cinq c’est le nombre de cachet, deux le matin, trois le soir, parfois plus, les jours où il a envie de tout arrêter, parfois moins, quand il s’endort sans y penser. Quatre ou cinq, c’est le nombre d’année qu’il a passé sans que Deirdre lui parle, quatre ou cinq c’est le nombre de fois où il a pensé la passer par la fenêtre.

« Et toi alors, t’es là pour péter la gueule du médecin ou c’est ton amant et tu viens lui demander de t’épouser ? »

Merde, c’est presque plus probable que de le croiser par hasard ici. Il espère qu’il est là pour le défoncer, honnêtement, il se fera un plaisir d’admirer.
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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyMar 12 Déc - 19:32

Eoin. Eyouwin. C’est bizarre, ça sonne bof, ils devaient avoir un problème ses vieux pour lui donner un nom pareil, un truc aussi imprononçable, incompréhensible. A croire que la névrose se transmet de père en fils, du coup, parce qu’il a l’air encore plus jeté que lui, si c’est seulement possible. Bien sûr que ça l’est, tss, il a pas grillé tous ses fusibles, Jem, pas ceux qui étaient à l’épreuve des balles et du feu, il a pas encore laissé la couche caramélisée recouvrir le reste du gâteau, le rendre poisseux et immangeable. Ça lui parait donc évident de déduire qu’Youwin est forcément moins dérangé que lui. Il fronce les sourcils, tripote machinalement son livre du bout des ongles, le cornant encore plus qu’il ne l’était déjà. « J’peux t’appeler Taggart ? » Il demande parce qu’il a vu qu’il était vexé qu’il ne se souvienne pas de lui et qu’il refuse de faire un esclandre, c’est vraiment pas son genre. Quand je dis vraiment, c’est vraiment, il ose à peine dire au serveur quand son plat est froid alors risquer de froisser une personne qu’il connait vaguement, c’est carrément pas envisageable… à moins évidemment que cette personne ne le taquine en retour, comme semble le faire le gosse à cet instant. Le gosse ouais, parce qu’il ne peut pas s’empêcher de le revoir courir après eux comme un dératé alors qu’il avait toujours une couche sur le cul, parce qu’il s’imagine son visage de poupon comme s’il l’avait en face de lui, à se plaindre de Ciarán parce qu’il le snobait beaucoup trop souvent, sans s’en rendre compte, déjà adulte dans un monde qui bouge trop vite. Il devient quoi d’ailleurs, Ciarán ? Ça serait peut-être malvenu de poser la question, de revenir une fois encore sur son frère alors qu’il lui a déjà fait sentir qu’il n’avait pas envie de parler de lui. D’un autre côté, ne pas en parler peut montrer un désintérêt, mais il préfère ça à l’offense directe. Dans le pire des cas, il mettra ça sur le compte de sa nonchalance, de son égocentrisme (c’est ce que le docteur avait dit la première fois qu’il l’avait vu, le monde ne tourne pas autour de vous ou un truc du style).
Il est attachant, le petit Taggart. Il est attachant quand il fait des gestes, quand ses yeux s’allument parce qu’il parle d’un sujet qui le passionne, parce qu’il a l’impression qu’il aime les livres presque autant que lui. Presque, seulement, Jem aime se dire qu’il n’y a pas plus rat de bibliothèque que lui, à écumer les rayons librairie des grandes surfaces toutes les semaines en quête de nouveauté. Lire pour pas se laisser aspirer, pour pas tomber dans la spirale sans fond, le gouffre, le néant. « Je sais pas c’est quoi mais ça a l’air cool ton truc. » Cool jusqu’à ce qu’il lui parle du prédateur qui sommeille en chaque homme, y a le loup qui se réveille chez Jem, le loup qui lui donne envie de se refermer un peu plus sur lui, son sourire qui s’évanouit. Il n’a pas envie d’en parler, pas vraiment, de la guerre, de la traque, l’impression d’être du gibier, d’être une proie trop facile pour des chasseurs armés jusqu’aux dents. Jusqu’à ce qu’il soit le chasseur à son tour, qu’il guette, qu’il soit à l’affût du moindre son, du moindre geste, à ne plus vivre qu’en écoutant les autres et en s’ignorant totalement, jusqu’à sa propre respiration. Ça fait bizarre de l’entendre, de dormir au calme et de sentir son cœur qui bat, le souffle qui quitte ses lèvres, rentre par ses narines, c’est étrange de ne plus dormir sur une seule oreille, de vraiment profiter des nuits, hormis pour les cauchemars. C’est peut-être ça, en fait. C’est peut-être trop calme. Du coup, il préfère rien dire, faire comme si Taggart n’avait jamais parlé de ça, comme si c’était anecdotique, un bon mot au détour d’une conversation, hahaha prédateur oui oui c’est très drôle. Pas de sourire, pas moyen de savoir ce qui se trame derrière sa caboche parce qu’il ne laisse rien filtrer, parce qu’il est fermé, complètement fermé, qu’il ne s’ouvre pas davantage lorsqu’on lui demande ce qu’il fait ici.

On commence par quoi, quand on a un fusible qui disjoncte, quand les neurones s’connectent pas vraiment ? On parle du beau temps, on élude, ou on se dévoile ? Il n’a jamais été très bon pour ça, Jem, les effusions, les débordements, il n’a jamais été très bon pour parler de lui et parler de ce qu’il ressent, c’est sûrement pour ça que la psychanalyse ne fait pas effet. Il observe un instant Eoin, pas certain qu’il devrait vraiment se confier, il ne lui doit rien, ne le connait pas, n’a pas envie de le connaitre. Et en même temps, c’est peut-être la première personne de son passé avec laquelle il parle autant depuis Billie et les retrouvailles ratées sur le perron de sa baraque, Billie et le gamin blond comme les blés, un peu plus de dix piges, qui lui ressemble un peu trop, il a pas demandé, ça servirait à rien, Billie et sa petite vie bien rangée, à surtout plus dessiner sur les trottoirs et fumer des joints à l’arrière de l’école. C’est la première personne à laquelle il parle vraiment depuis ça, en fait, depuis les constatations désastreuses des terres désolées qu’il a laissées derrière lui. Du coup, il hésite un moment et finit par le faire, par poser son bouquin sur la chaise libre à côté de lui et soulever légèrement son pantalon pour dévoiler la jambe de fer, qui s’remarque pas au premier abord parce qu’il s’emmerde à foutre des chaussettes, une basket, à maintenir l’illusion autant que possible histoire de pas repousser les gens. Pas un mot lorsqu’il montre la prothèse, pas un non plus lorsqu’il laisse le jean retomber, qu’il plante son regard sur l’affiche qui lui fait face, un truc sur la thérapie par les plantes ou une connerie du genre. « Ouais, donc », il se contente de dire, succinct, débile, ouais donc j’suis plus tout à fait entier, tu vois qu’y a plus pété que toi. Toi le petit Taggart qu’a toujours eu ce que tu voulais, la famille parfaite, la jeunesse parfaite, l’avenir parfait. « La thérapie marche pas des masses », il avoue dans un souffle, les doigts qui tapotent son genou, celui qui est encore en chair et en os. C’pas grave, il s’attendait pas à un miracle en venant ici. Un espoir, mais pas un putain de miracle. « Il fait quoi d’beau ton frère ? » C’est vraiment le moment pour en parler, ouais, le moment pour se rendre compte que sa vie à lui est minable, que sa vie à lui ne compte plus autant. Petit sourire pour faire passer la pilule, il trompe personne, putain, même pas lui-même. « Tu fais quoi d’beau, toi ? » C’est mieux.
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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyMer 13 Déc - 16:29

Il est mélancolique, Eoin, lorsqu’il regarde Jem. Il est mélancolique, derrière les cils qu’il baisse pour regarder à nouveau la couverture du bouquin, mélancolique, et ça revient comme une gifle dans la gueule, mélancolique parce qu’il appartient à un temps où il n’était pas seul, à une époque où la maison était encore plus remplie mais que rien n’était étouffant, à une époque où tout semblait plus simple. Il est mélancolique parce qu’il sait qu’il existe dans les souvenirs de ce mec un Eoin qui n’existe plus, parce qu’on lui a coupé les ailes et brisé les jambes, parce que la vie lui a roulé dessus et qu’il rampe à présent avec la rage au ventre et l’envie de meurtre quelque part dans la gorge. Il a plus rien du gosse qui riait, plus rien du gamin qui courait après un ballon, comme s’il avait laissé sa mue quelque part autour de ses quinze ans et qu’il était devenu complètement différent, l’opposé de lui-même, le fantôme de ce qu’il aurait pu être, le visiteur d’une ligne temporelle parallèle. Il se demande ce que Jem voit, lorsqu’il le regarde, s’il voit le temps qui passe et les changements, s’il voit l’enfant d’avant avec des trous à la place des dents, s’il voit son frère ou s’il voit personne, s’il est juste poli, dans le fond, parce que c’est ce que font les gens. Il sait déjà qu’il le remet pas, pas complètement, qu’il n’est qu’une bribe, un bruit de fond, un souvenir passager, ni plus ni moins. Il sait pas si c’est important, sans doute pas, peut-être pas, est-ce qu’il a envie que ce le soit ? Certainement pas, même si ça pulse quelque part, que ça le réchauffe, qu’il a envie qu’il se souvienne de plus, qu’il remette bout à bout les pièces de qui il était, de qui il a perdu, de comment il s’est effacé. Il dira rien, bien sûr. Il dit jamais rien, de toute façon, Eoin. Ça vaut jamais le coup de parler de soi, il le sait trop bien, tout le monde s’en fout que ça aille bien ou pas, tout le monde s’en cogne de ce que t’as à dire, tout le monde pose des questions en espérant que tu dises que ça aille, le mensonge pieux pour assurer la paix mondiale, bien sûr que ça va, mec, ouais, bien sûr, t’inquiète, tout va bien, promis on parlera pas des nuits sans sommeil et des envies de mourir, on parlera pas des médicaments non plus et des vomissements, de l’angoisse qui rampe et de l’anxiété qui hurle, du Désespoir et de la Colère qui s’embrasse dans son crâne, promis, promis, on passera tout ça sous silence, parce que personne veut l’entendre, parce que ça intéresse personne, parce que le cracher dépasse la bonne volonté que sont prêt à mettre les gens dans la conversation. Il dit rien, Eoin, alors, il camoufle tout, il sourit, étend les jambes, fait l’air de rien. Ils sont là, ouais, et puis quoi alors, ils sont là et puis tant pis, on s’en fout, tout le monde s’en carre, surtout le médecin qui encaisse leur thune alors que c’est le seul qui est censé s’en soucier.

Il ferme les yeux, une seconde, lorsque Jem relève son pantalon. Il est concentré, pas embarrassé, pas triste. Ça arrive, quand tu décides d’aller faire la guerre, il suppose. Ça arrive et ça laisse des traces, mais ça arrive, il en a vu d’autre des amputés, des moitié de robots, des estropiés. Il sait pas ce qu’attend Jem, s’il doit s’apitoyer ou avoir l’air désolé, s’il est censé verser une larme ou le remercier pour ses bons services au nom de la patrie. Il sait pas trop ce qu’il attend de lui mais il hausse les épaules, doucement, parce que ça revient au même, pour lui, qu’il ait une jambe ou deux, ou trois si ça lui chante, mais qu’il se doute bien qu’en pratique ça doit pas être la même chanson, que ça doit être douloureux et étrange, un mélange entre le traumatisme d’avoir perdu un membre et la fatigue de la vie après ça. Il se doute bien, mais il a jamais vécu ça, lui, alors il hausse les épaules parce que y a rien qu’il pourrait dire qui lui rendrait une jambe, de toute façon, et qu’il a pas de pitié à donner, parce que ça apporte rien à personne.

« Appelle-moi Tag. » Il lui lance, à mi-voix, parce qu’il se sent pas d’hausser la voix. Taggart c’est trop formel, Taggart, c’est pas pareil, Taggart c’est trop long et puis c’est son nom de futur dirigeant de croisades et de révolutionnaire, et puis c’est comme ça qu’il s’appelle lorsqu’il mène une croisade. Il conduit pas un combat, là, il en a jamais mené devant Jem. Il a pas de raisons de l’appeler Taggart, Tag ça suffit. « J’ai plus qu’à t’offrir une tenue de power rangers et c’est good, non, vu que t’as une jambe bionique maintenant. » Il s’étire, de tout son long, retient la question, le comment c’est arrivé parce qu’il se doute bien que c’est pas l’histoire la plus fun que Jem peut lui raconter. Il pourrait mettre les deux pieds dans le plat, juste pour se venger de la conversation qui revient sur son frère, une fois de plus. Il pourrait mais il a pas envie, parce qu’il veut pas foutre un coup de couteau de plus dans le gamin qui vit encore dans le souvenirs de Jem, parce que c’est logique comme question, parce qu’il peut pas le lui reprocher, il suppose, parce que c’est juste comme ça que les choses sont. À la place, il soupire : « C’est parce que c’est pas une thérapie, qu’il te faut, mec, il te faut un gros robot. Comme ça tu finirais star d’une série télé et les transhumanistes te kifferaient sans doute et tu pourrais fonder une secte, sans doute. Ça a quand même plus de gueule qu’une thérapie pourrie. »

Si on aime les religions organisées, en tout cas.

« Ciarán est devenu animateur pour un studio indépendant de jeux vidéos. Il est parti. » Lui aussi, comme tout le reste de la fratrie, qui est parti faire sa vie loin d’ici. « Moi je fais péter des voitures et je taggue la mairie. » Il guette une réaction dans les yeux de Jem. « Comme tu vois, j’ai pas bougé de là. »

Il pourrit ici, même, il stagne, il boit la tasse, il disparaît petit à petit, mais ça, personne a besoin de le savoir.
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Jem Bogart

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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyDim 17 Déc - 12:10

Ne pas se forcer, jamais.
Ne pas se forcer quand on a le choix, quand on peut ignorer, passer outre, tourner le dos et avancer droit devant sans faire volte-face. Ne pas s’obliger à faire des courbettes, des sourires du bout de la lippe, dents rentrées, carnassier domestiqué, ne pas baisser les armes quand on a envie de planter le poignard dans la peau de l’ennemi juste pour l’entendre hurler, juste pour la sensation de la lame qui transperce la chair. Ne pas se détourner de sa nature, toujours rester fidèle à ce que l’on veut faire, ce qui nous correspond absolument, en tous points, ce qui se fond avec notre tempérament comme un fauve se confondrait avec la couleur des herbes hautes. Il devrait lui dire de se barrer quand il tourne en dérision le fait qu’il ait une jambe de fer, il devrait ôter son sourire de ses lèvres trop fines, trop muettes, lui laisser juste le regard glaçant qui camoufle trop souvent ses réelles intentions, la mâchoire crispée, il devrait ne plus prononcer un seul mot, attendre que le petit Taggart se fatigue tout seul, qu’il aille voir ailleurs s’il y est. C’est fatigant de faire semblant, éreintant de prétendre ne pas avoir mal quand on évoque la perte de son membre comme on parlerait d’un nouveau gadget, harassant de devoir faire comme si ça ne l’atteignait absolument pas et que les mots glissaient sur lui comme de l’eau sur une surface imperméable. C’est usant de se retenir, de ne pas expliquer que la rééducation l’épuise, qu’il aurait préféré crever directement, pas être maintenu en soins palliatifs. Y a pas grand-chose qui le retienne sur terre actuellement, pas grand-chose pour faire contrepoids face à tout ce qui déconne, sa jambe, sa solitude, son manque de fric, son invalidité qui le rend incapable d’exercer un vrai boulot. Il sait pas pourquoi vivre, comment vivre, il sait pas s’il devrait immédiatement baisser les bras ou s’accrocher encore un peu, du bout des ongles, quitte à se péter les phalanges à force de trop tirer.
Du coup, il reste muet, parfaitement conscient que s’il parle, il risque de dire quelque chose qu’il va regretter. Ou pas. Ça lui arrive rarement, de regretter, parce qu’il ne se préoccupe pas suffisamment de ce que pensent les autres, égoïste a dit le psychiatre, y a sûrement un peu de ça, un peu d’auto-contemplation, suffisamment pour qu’il ne pense pas au fait qu’il pourrait blesser son interlocuteur en choisissant le mauvais mot au mauvais moment. Y a la chaleur qui monte, la vapeur qui se condense à l’intérieur de sa caboche, il est à deux doigts d’exploser mais reste droit, stoïque, immobile, attend que Tag ait fini de parler, de raconter qu’il pète des bagnoles et gribouille sur des bâtiments publics, pour lesquels ses impôts payent le nettoyage après coup, pour le regarder et balancer brusquement : « tu trouves ça drôle ? » C’est une question qui n’appelle pas de réponse, il espère fortement qu’il n’aura pas le culot de sortir l’une de ses répliques, le soliloque du gamin insolent pour lequel il veut se faire passer. Tu trouves ça drôle que j’sois éclopé, tu trouves ça drôle de te vanter d’être un sale gamin, tu trouves ça drôle de te plaindre de ta vie alors qu’à ton âge, j’étais déjà au combat, la mitraillette à la main, à buter des types que j’connaissais même pas ? Tu trouves ça drôle d’être droit sur tes pattes alors que t’es un petit connard, que moi j’sois obligé de marcher avec une canne juste parce que j’ai servi mon pays, juste parce que j’ai été patriotique, dix fois trop sans doute, pour rattraper tous les petits merdeux comme toi qui n’ont aucune espèce d’amour pour les Etats-Unis ? « Tu crois qu’c’est marrant d’me faire foutre de ma gueule partout où j’vais parce que j’ai une jambe en moins, parce que j’marche pas droit et qu’des fois j’me gamelle devant tout l’monde ? » Sa voix est trop discrète, il a pas envie de faire un esclandre juste pour une remarque qu’il a mal prise. Il a pas envie de trop attirer l’attention, mais par contre il se moque de ce que peut ressentir Eoin, la gêne peut-être, la culpabilité, il s’en fout comme de sa première chemise et ne cessera pas de s’en foutre tant qu’il n’aura pas présenté des excuses. Putain il raconte quoi, même les excuses il s’en branle, il n’a jamais été du genre à quémander auprès des autres, à réclamer des bons sentiments, un peu d’attention, de la compassion, de la miséricorde. C’est vraiment pas son style de mendier pour de l’amitié, pour des bons sentiments, de demander qu’on lui accorde du répit, de l’affection. C’est vraiment pas son style parce qu’il a l’habitude, depuis toujours, qu’on le traite comme un moins que rien, comme quelqu’un qui ne mérite pas qu’on s’intéresse à lui. De la mauvaise graine, ils avaient souvent dit, toutes les familles adoptives, jamais bien affectueuses, jamais bien aimantes. Peut-être que c’était tout ce qu’il méritait, d’être né dans une famille trop pauvre pour pouvoir assurer qu’en cas de disparition, les mômes échoueraient chez des gens bien, des gens qui s’occuperaient d’eux, qui feraient pas ça pour le fric ou pour l’estime des autres, de ceux qui leur diraient qu’ils avaient bien du courage pour recueillir le genre de vermine que Jem était à l’époque. « J’ai pas b’soin d’tes conseils, j’ai pas besoin qu’tu fasses semblant d’être intéressé par ma vie. » J’ai pas besoin de toi, j’ai besoin de personne.
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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyLun 18 Déc - 15:17

Ah.
Ça fait ding dans son esprit, dingdingding, nous avons un vainqueur, ding, Jem est comme tous les autres, ding, Eoin sait comment gérer ça, ding, il est injuste, ding, il y a quelque chose comme une plaie à vif dans son cœur et Eoin ne veut pas y penser. Il peut pas le reconnaître qu’il est blessé, il peut pas admettre que ça coupe trop profond dans sa chair, il peut pas cracher qu’il aurait espéré autre chose, il peut pas parce que ça voudrait dire espérer et il a plus une once d’espoir, parce que ça voudrait dire le laisser gagner et il a trop de fierté pour laisser le plaisir à qui que ce soit, parce que ça voudrait dire baisser la tête et il peut pas faire ça. Il a les yeux qui brillent, Eoin, et c’est pas des larmes qui font ça, et c’est pas la tristesse qui fait ça, c’est la colère qui le prend et qui lui torpille le crâne, la colère qui explose le long de ses veines comme des pétards. Il est furieux, Tag, et ça tourne et retourne. Il est furieux et il essaye de réguler le volume de sa voix, parce que ça ne sert à rien de crier, parce que crier ce serait le laisser gagner, comme lorsque Marat hurle sur Olympe, comme lorsqu’il élève la voix après Deirdre. Il ne peut pas laisser Jem gagner, parce que ce serait accepter d’être encore un enfant quand on a tout fait pour l’en sortir, parce que ce serait être balancé dans une tombe dont il a mis des années à sortir. Il a plus cinq ans, il en a plus dix, il en a plus quinze, il en a vingt-et-un et un champ de merde derrière lui, vingt-et-un et personne a jamais compati pour lui. Il en veut pas, de toute façon. Il veut pas de je suis désolé pour ta sœur ou de comment tu vas ou de ça va ou de connerie comme ça, il veut pas de cette putain d’hypocrisie que le monde a à lui offrir maintenant quand tout le monde en avait rien à foutre maintenant, il veut pas. Il redresse le menton, les yeux plantés dans ceux de Jem et pas une once de peur à l’intérieur, parce qu’il est trop stupide pour avoir peur, parfois, trop déconnecté pour s’inquiéter pour lui-même quand ça le prend, trop prompt à se jeter d’un pont quand il en a l’occasion.

« Va te faire foutre, Jem, personne a besoin de moi et personne a besoin d'un estropié qui espère qu'on lui geigne dessus non plus. » Et il balance son costume d’enfant sur le sol, troque les sourires pour le poison, devient serpent, plutôt. Il a rien, dans la voix, parce qu’il a maîtrisé le fait de gommer ses émotions depuis trop longtemps déjà, parce qu’il a appris que c’était la meilleur façon de rien donner, de rien offrir, de pas donner de possibilité de rebondir. Va te faire foutre, Jem, qu’il lui dit, mais y a pas d’émotions dans sa bouche, juste un désert glacé et une plaine aride, juste les contours des mots et rien de plus. Va te faire foutre, Jem, et toute la rage est dans ses yeux, une lueur trop vive et trop intense, et toute la colère réside là, parce que Jem lui a demandé s’il trouvait ça drôle et que la question est d’une imbécillité crasse. Bien sûr, qu’il trouve ça drôle, Eoin, parce qu’il a pas envie de pleurer, parce que ça mène à rien de se morfondre, parce qu’il passe sa vie dans le brouillard et que ça l’a anesthésié, parce qu’il a jamais eu les idées plus claires, jamais eu une conscience aussi aiguë du paradoxe que lancent les gens, à réclamer de la compassion mais à cracher sur la pitié, à vouloir qu’on s’arrête sur eux mais à pas supporter que l’attention ne soit pas exactement ce qu’ils attendent des autres. C’est lui qui a balancé le sujet sur la table, lui qui a poussé la discussion dans cette direction et Eoin a rien demandé, rien exigé, rien. Il s’en fout, lui, de sa jambe en métal, il aurait même pas pensé deux fois à l’aider à se redresser s’il avait eu besoin parce qu’il a appris à jamais laisser personne derrière, il aurait sans doute été caillasser les mecs qui se foutaient de lui, pas par compassion, même pas, mais parce qu’il déteste les vautours, mais ça aurait pas plu à Jem, de toute façon, s’il avait fait ça, même s’il est incapable de l’avoir, même s’il l’admettra jamais. Ça a rien à voir avec lui, cette conversation, parce que le type en face de lui chiale sur une jambe qu’il aura jamais plus, dans le fond, pas sur ce que lui a dit. « T’aurais préféré que je me mette à chialer, c’est ça ? » Qu’il lui balance, et il y a de l’acide sur le bout de sa langue et il fronce les sourcils. « Que je me jette à tes pieds en pleurant jusqu’à ce que j’ai plus rien ? Que je te raconte que ça va s’arranger ? Parce que breaking news, je pensais que t’avais compris que ça va pas s’arranger, que le monde autour va pas changer, que le seul qui peut changer c’est toi parce que personne le fera pour toi. »

Parce que personne l’a fait pour moi quand j’en ai eu besoin, il pense et il a envie de dire, mais ce serait réclamer quelque chose de Jem qu’il ne peut pas lui offrir. Sa mère a rien fait, son père a rien fait, ses frères et sœurs ont rien fait, Deirdre a disparu et tout son monde s’est retrouvé au chiotte et personne n’a battu d’un cil, et personne n’a réagi. C’est comme ça pour tout le monde, et peut-être qu’Eoin y a pas perdu une jambe mais il y a perdu l’esprit, quelque part, la sanité, le bonheur, l’espoir et ce genre de trucs inutiles, ce genre de trucs qui aident pas à continuer jour après jour, qui aident pas à respirer ou à progresser, qui aident pas à survivre.

« Ressaisis-toi, Bogart. » Et le nom roule tout seul sur sa langue alors  qu’il serre les dents, carre les épaules. « Tu marches pas droit parce que tu te fais enculer par le système et que tu le laisses faire en attendant des autres des trucs qu’ils peuvent plus donner. Personne te sauvera. C’est pas comme ça que t’arrêteras de boire la tasse. »

C’est pas comme ça qu’Eoin arrêtera de se noyer non plus et il dissimule ses mains qui tremblent un peu sous ses cuisses. Il aimerait partir, à ce moment-là, mais il est incapable de se lever.
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MessageSujet: Re: i'm going slightly mad (jag)   i'm going slightly mad (jag) EmptyMar 26 Déc - 20:30

Il y a quelque chose d’injuste dans les mots sifflés entre les lèvres d’Eoin, quelque chose de foutrement détestable, une auto-complaisance que Jem a du mal à supporter, lui qui n’a pas grandi dans un cocon familial exemplaire, bringuebalé de famille en famille avec toujours le même sentiment de ne pas être à sa place, d’être de trop, l’avorton dont personne ne veut et que tout le monde se refile. Pas de vrai foyer, pas de vrai amour, la foi comme seul truc un peu palpable auquel se raccrocher, il connait toutes les églises de Savannah par cœur et peut réciter le moindre psaume sans faire de faute. Ouais, quelqu’un comme le jeune Taggart trouverait sûrement ça débile, se mettrait à se foutre de sa gueule si seulement il savait qu’il tient juste parce qu’il prie, trop con, trop naïf, trop bousillé surtout, prêt à se raccrocher à n’importe quoi pour ne pas sombrer. Y a pas de drogues dans la vie de Jem, pas de délinquance, surtout pas de violence quand il peut s’en empêcher même si ça dégénère trop souvent, même s’il préfère parler avec ses poings qu’avec ses lèvres. Il a toujours été comme ça, à ne pas savoir mettre des mots sur ses émotions, à avoir l’impression d’être beaucoup trop inculte dès qu’il se met à ouvrir la bouche. C’est pour ça qu’Eoin est injuste, ingrat, indélicat, pour ça que Jem le laisse déballer sa litanie sans le quitter des yeux, les iris férocement gravés dans les siens, il s’barrera nulle part avant qu’il ait fini et qu’il puisse lui dire ses quatre vérités, lui déballer ce qu’il a toujours pensé de sa putain de famille parfaite, trop propre sur elle, Deirdre trop belle, Ciarán trop populaire, cette foutue condescendance qui a toujours émané de chacun de ses putain de membres sans qu’aucun ne s’en rende vraiment compte. Il ne leur en a jamais voulu, au final, parce que ça doit être dur de s’en rendre compte quand on baigne dedans, quand avoir un toit, des frères et sœurs, des parents aimants constitue un minimum vital, quand la plus grosse préoccupation est un simple article de presse qui a provoqué les foudres d’Internet. Il est au courant, ouais, comme chaque foutu samaritain de cette bonne vieille Savannah, au courant que la sœur a grillé un câble et que c’est pour ça que tout part à la dérive, qu’y a plus de garde-corps pour les retenir, cette bande de riches casse-couilles qui pense que le monde est fini parce que la grande est déprimée, qui se complait dans son malheur pendant que des gamins meurent sous les bombes ou crèvent la dalle sur leurs trottoirs. Ça bougerait pas le petit doigt pour les aider, les miséreux sur lesquels ils écrivent, ça sert juste à échafauder des plans sur la comète, à s’ériger en sauveurs d’un monde déjà foutu, à pas voir qu’ils ne servent à rien, que tout ce qu’ils feront sera éternellement vain. Ressaisis-toi Bogart, il dit l’autre con, ça ressemble vraiment à un ta gueule et les mots qui suivent sont ceux de trop, y a tout qui se déchaîne, sa vue qui s’obstrue, l’envie de serrer son cou jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’air, qu’il devienne bleu, qu’il crève entre ses phalanges, même pas l’appréhension qu’on pourrait ressentir à l’idée que la police ne se pointe et l’embarque, ça aura tellement valu le coup. Elle le submerge, cette violence, parce qu’il sait mieux s’exprimer comme ça, parce qu’il a peur de mal choisir ses mots, de ne pas être assez intelligent. Mais faut pas. Faut pas, et il finit pas siffler, les yeux plantés dans les siens : « Espèce de petit connard. »
Le souffle court les dents serrées, il hésite un instant. Il ne lui en faudrait pas tellement plus pour que ça parte en sucette, en cauchemar, pour qu’il se mette à dire des atrocités et qu’il en soit très fier, pour peu que ça énerve Eoin, que ça le vexe, que ça le blesse. Il veut lui faire mal, remuer le couteau dans la plaie encore trop fraîche. « J’en ai rien à foutre que tu te lamentes sur moi, j’ai juste à sortir dans la rue pour qu’on m’regarde avec pitié, tu crois vraiment qu’j’attends qu’tu daignes poser tes yeux de biche sur moi et qu’tu me dises que t’es désolé ? Tu peux pas juste comprendre que j’ai pas envie qu’on m’parle de ma jambe, que c’était juste pour t’expliquer pourquoi j’suis là, à m’coltiner des séances de psy hebdomadaires avec des bourgeois comme toi qui s’payent une thérapie pour avoir l’impression qu’ils ont eux aussi des problèmes ? T’es con à c’point ? » Il s’est rapproché, presque carnassier, mâchoire serrée et paumes vissées sur ses genoux, celui en métal qui lui fait un peu mal, qui agresse un peu son épiderme, trop de mal à s’habituer, encore aujourd’hui. « T’as l’culot d’me parler du système qui m’encule alors que l’système, c’est toi et ta putain d’famille parfaite à en gerber. » Le système, c’est tous les gens comme lui, tous ceux qui s’pensent meilleurs parce qu’ils savent bien parler, parce qu’ils sont nés dans le bon foyer, ont fait les bonnes études, ont côtoyé les bonnes personnes. Le système, c’est tous les gens qui participent à cette guerre des castes, qui a le portefeuille le plus gros et la bite qui va avec, qui peut s’payer le monde et laisser le reste de l’univers crever la bouche ouverte. « Regarde-toi avec tes petits problèmes de gosse de bonne famille, t’as aucune idée de c’que c’est qu’d’essayer d’survivre, t’as aucune idée de c’que c’est qu’de vivre sans pognon, de s’demander si tu pourras bouffer demain. Alors j'te retourne la politesse, va te faire foutre. » Et le psy qui ouvre sa porte, l’appelle. Pile le moment pour s’casser, pas s’éterniser, surtout pas rester à discuter avec Eoin dans ce dialogue de sourds dont aucun ne ressortira intact. Et alors qu’il entre dans la salle en boitillant, il ne lui adresse même pas un seul regard. Ouais, va te faire foutre, Taggart.
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