✧ 01 les ryjkovs, c’est l’acidité du parjure au creux des entrailles, c’est le sang du scélérat dans les veines. une famille modeste comme il y en avait tant dans le monde, comme il pourrait y en avoir moins à moscou. des ouvriers en pagaille depuis des générations, sans jamais courber l’échine. prolétaires de la révolution, révoltés dans les grands éclats, jusqu’à l’exception, jusqu’à l’infidèle. jusqu’à ce que papa se perde dans les dettes, dans les indécisions, qu’il mène sa famille au bord du précipice, qu’ils n’aient d’autres choix que de trahir leur patrie pour l’ennemi du globe. sans un seul remord, il avait fait de ses enfants, la descendance d’un lâche.  ✧ 02 dans une société en décomposition suite à la chute de l’union soviétique, il ne faisait guère bon vivre pour les moscovites entre la corruption, les émeutes, la mafia et la paupérisation. famille mise à mal par les dettes et la misère, cette situation s’accentua de trop lorsque malo traversa la glace de la rivière moskova lors de l’hiver de ses trois ans. maman parla de la bonne étoile, de celle qui veillait sur son enfant pour le sauver de la noyade. mais papa savait très bien, qu’il payait ses dettes de sa chair, qu’il s’endettait d’autant plus pour recouvrir les soins de son fils. s'il crache aujourd’hui sur son héritage de paria, malo en a pourtant été une pierre à l’édifice. ✧ 03 des séquelles de cet accident, il en subsiste encore et non des moindres. sans évoquer les surfaces gelées qui peuvent céder sous un poids ou un heurt trop conséquent, la phobie de l’eau lui paralyse les sens à l’idée de la noyade, des vastes étendues dont on ne peut en voir le fond. ses failles, malo les porte depuis sa plus tendre enfance. ✧ 04 une famille austère sous les traits d’une ère soviétique démise dans un immeuble malfamé des recoins les plus abîmés de savannah, n’était pas en reste sur l’agitation du quartier. la marmaille ryjkov qui n’avait de cesse de s’agrandir, une bande de marmots qui assiégeait leur immeuble dans une conquête de territoire perpétuelle, ce fut dans ce chaos de bonne augure que naquirent les promesses à la lune, que se forgea l’amitié des mômes abandonnés. nash, promis, juré, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer. ✧ 05 malo, c’est le seul des gosses ryjkov à posséder des souvenirs tangibles de sa terre natale. emmêlés à l’éducation rustique de son paternel sous l’influence de leurs origines slaves, le môme s’est rapidement pris pour le caïd russe du quartier. encrassé jusqu’à la moelle dans les mauvaises fréquentations, les mauvais choix, jamais sur les bancs de l’école mais toujours à faire la mule avec son frère de sang. ✧ 06 gamin turbulent influencé par les mauvaises frappes, jusqu'à devenir le seul maître de sa délinquance. une part embarquée dans les mêmes emmerdes que nash sans jamais l’abandonner, une autre dissoute dans ses causes perdues, ses mauvais coups, ses erreurs. malo s’est construit un casier judiciaire compliqué à la bonne heure, et son tempérament s’est forgé non seulement dans la rue, mais également dans les centres de redressement, ces maisons de correction pour la délinquance juvénile. rééducation forcée aux pratiques disciplinaires douteuses, les derniers vestiges de son âme d’enfant n’en sont jamais revenus. des brisures d’existence sur lesquelles le loup des ryjkov s’est fait une place de choix dans son empire de fer et de cendres.  ✧ 07 la confrontation d’une existence bercée d’un côté du rideau de fer heurtée contre l’effervescence de l’autre côté ébranla les fondements même de la famille, et les parents ne s’adaptèrent jamais aux occidentaux. d’abord papa, enfermé dans la sévérité de son éducation, dans les remords de sa lâcheté, dans la crainte de n’être jamais assez. et puis surtout maman, effleurant-là une affiliation légère à son ascendance française sans jamais ne pouvoir l’atteindre réellement. onde de choc se percutant dans l’instabilité d’un foyer de misère, jusqu’au mot divorce éclatant telle une mise à mort. et maman s’envola loin aux bras d’un inconnu, beaucoup trop loin, à l’autre bout du pays pensaient-ils, toujours était-il qu’elle les avait tous abandonnés, la dernière encore dans le berceau. et papa disparut à son tour, dans sa honte, dans sa misère, dans sa tristesse peut-être, sans un regard en arrière. la bonne étoile des ryjkov s’était éteinte, eût-elle existé un jour. ✧ 08 malo avait dix-sept ans quand papa cessa définitivement de leur donner des signes de vie. dix-sept ans, beaucoup trop d’emmerdes à son actif, et cinq mômes sur les bras. mauvais bail. une seule résolution, menée d’une volonté sans faille, celle de tenir sa famille éloignée des services sociaux. il y est parvenu, non sans peine, non sans prendre les mauvaises décisions, avec l’aide des rescapés les plus proches dans son entourage. l’aîné ryjkov a gagné le respect des vieux de l’immeuble, des malfrats du quartier, le loup s’est élevé à leur rang au détriment de sa place dans le cœur de sa fratrie. le mal était fait ; mais l’attention portée sur lui, et sa famille à l’abris des murmures indiscrets. ✧ 09 il y a eu un phare dans tout ce chaos, pourtant. une âme éteinte, mais une lueur quand même. il y a eu lula, d’un immeuble voisin, du café du coin. lula, sa peau de perle et ses cheveux sombres, les traces du ravage de son existence sur l’épiderme mais toujours cette esquisse sur les lèvres. son propre abandon dans le regard mais la volonté d’aider les autres à survivre. ça n’aurait pu être qu’une histoire de quelques temps, de la maladresse entre ces deux âmes décharnées oubliées par la vie, mais c’est devenu tellement plus. elle est restée jusqu’aux derniers instants, dans les absences de malo, dans leurs erreurs, contre vents et marées. elle n’a jamais lâché, dans la promesse de l’éternel, dans l’échange des vœux, dans l’amour jusqu’à ce que la mort ne les sépare. ✧ 10 malo, c’est la mauvaise graine devenue gangrène. ce sont les courses poursuites qui se sont muées en arrestations, les murs insipides des camps de redressement qui ont laissé place aux barreaux. il n’a jamais plongé longtemps mais il a déjà purgé plusieurs peines, assez pour y faire ses marques. laisser sa trace, se faire un nom, avoir une réputation dans la rue. tout le monde disait que ça allait lui passer, mais le délinquant est devenu criminel, et à son tour la mauvaise influence des insouciants. ce n’était jamais assez, comme une insuffisance d’usure dans sa carcasse. à voir toujours plus loin, toujours plus grand, dans la conquête d’une gloire à la saveur âcre, à fortifier les débris de son empire, du royaume du néant. ✧ 11 la plus belle de ses œuvres au commencement de son règne de souffre, c’est bien plus que dans la rue qu’elle est née. elle s’est immiscée au cœur des foyers, dans les bras d’inconnus, sur leurs chairs et dans leurs pensées, dans la frustration des plus âgés épuisés par leur existence, dans la quête d’adrénaline des jeunes inconscients. inquisitrice à la nuit tombée, salvatrice des maux récurrents d’âmes éperdues. de l’argent sale acquis dans les tâches vermeilles asséchées sur le bitume, dans les craquements sourds des squelettes fracassés, dans les grognements rauques soufflés dans la sueur. malo s’est façonné un empire du mal sur les combats illégaux, assiégeant son quartier de sa main de maître en la matière. depuis, rien n’a jamais cessé. ✧ 12 sa nécrose, malo l’a traînée également jusqu’au smoking dog dans le fond des liqueurs, sur les visages abîmés des abandonnés, des conquérants pour quelques grammes d’alcool à défaut de ne l’avoir été dans leur existence. héritage égaré d’un oncle cancéreux dans la famille caldwell, la mauvaise graine s’est imposée naturellement aux côtés de son frère de toujours. nash et malo comme acolytes de mauvaise augure, à asseoir leur emprise sur les âmes abandonnées, les mortifiés de la vie, les reliquats des coins les plus sombres de savannah, à faire courber l’échine en échange de quelques litres de délivrance, d’une promesse bien lointaine, celle d’oublier le temps de quelques instants les problèmes dont les accable le destin, ou la fatalité. ✧ 13 bien plus que les enfants aux promesses emballées, que les adolescents au pacte de sang à la misérable entaille dans leur paume, que les co-gérants assoiffés dans leur bar miteux, nash et malo sont les deux fragments d’une même machinerie. deux âmes fracassées par ce qu’aucune bonne étoile n’a pu leur épargner, malmenées par les abandons successifs et les pertes accablantes, égarées dans une conquête sans aucun sens. des frères de sang, des frères d’armes. le combat de la vie abandonné pour mieux se perdre dans celui des billets verts. ✧ 14 fortune de vautours dans l’opportunité de l’insécurité, deux années qu’ils amassent des liquidités sous la couverture de leur enseigne. des breuvages pour quelques pécules, et des armes en pagaille pour plus d’oseille. dans les silences de la nuit, dans les interdits des heures oubliées, c’est un trafic encore un peu maladroit, qui se fait pourtant une place assurée au cœur de la corruption putride de savannah. prestige de la malversation, puissance des dominants, ce n’est qu’une pierre de plus pour leur trône de poussières. ✧ 15 dans leur ombre, c’est aussi captain. captain le fier, le fidèle, bien plus que la mascotte, le troisième conquérant. celui qui veille sur eux, qui a certainement bien plus d’insouciance sur le monde qu’ils ne peuvent encore en avoir. doberman abandonné dans la rue alors qu’il n’était qu’un chiot, il est devenu le rescapé supplémentaire dans leur bande éreintée. une âme farouche comme ils en avaient besoin dans leur existence, peut-être même bien plus maline qu’ils ne le sont tous les deux. il avance à leurs côtés comme un souffle renouvelé, siégeant fièrement au smoking dog où nul ne sait vraiment qui des gérants ou de captain fait vraiment la loi. ✧ 16 malo, c’est le passif trop lourd, celui qu’on pointe du doigts discrètement, dont on sert comme exemple pour montrer aux enfants ce que deviennent les autres. les mauvais, les fautifs, les erreurs. c’est celui dont on ne connait que les passes sombres ou les crasses mémorables, mais qui a pourtant fait trop de sacrifices égarés dans le silence. il a perdu le souffle dans les efforts, dans l’envie de devenir quelqu’un. mais dans le souhait d’être celui dont on serait fier, il est devenu le miséreux qu’on accable qu’on exècre qu’on abandonne. dans son indifférence feintée, la carcasse épuisée continue de veiller au grain sur sa famille, de s’assurer qu’aucun ne terminera sa course effrénée contre un mur, comme lui. ils n’ont tous eu d’autres choix que de faire des études aussi minimes et de quelque nature furent-elles, ainsi que de ramener de l’argent en toute légalité afin d’éloigner le mauvais œil. tous le respectent, mais beaucoup lui en veulent. malo, c’est celui qui a toujours fait les choses de travers, mais qui a su maintenir le navire à flots. ils serait prêt à recommencer sans l’ombre d’une hésitation, il ne regrette rien, si ce n’est ceux qui ne sont plus là. ✧ 17 dans son ascension dans les mœurs de la rue, le loup ryjkov ne s’est pas exclu des rivalités, à se faire des ennemis en pagaille comme des miettes parsemées sur son chemin. macchabés sur le béton, dans les guerres perpétuelles de gloire et de territoire, dans les accords déchus et les endettements à la chair et au sang. des représailles l’ont abattu dans l’âme comme personne d’autre n’avait jamais osé faire, mais c’était ce qu’il y avait de mieux pour l’atteindre, que d’ébranler le piédestal dans ses fondations. malo, c’est aussi le cœur éteint, qui ne bat plus vraiment. que le temps a balancé dans le caniveau, aux côtés de sa femme froidement assassinée par des charognes pour ne plus être qu’un cadavre lâchement abandonné dans une ruelle misérable. quatre ans que son myocarde ne sait plus comment fonctionner, qu’il n’a plus de place pour personne. les dernières brisures échouées entre les mains de sa famille et de nash. on a tous une lula dans nos cœurs, on a tous une lame de rasoir qui vient pour nous tailler le cœur et ma sale gueule dans le miroir. ✧ 18 débris ruisselant dans l’amertume et la mélancolie, coincés quelque part entre le passé qu’il ne voudrait pas oublier et le présent dans lequel il est incapable d’avancer convenablement, il n’est qu’un rien de plus dans une infinité de d’insignifiance. malo, c’est bien plus qu’une ombre dans la nuit, dans tous les sens du terme. de son hypersensibilité à la lumière aux ombrages de son existence, il est l’âme errante au volant de sa vieille bagnole dans les recoins des ténèbres dans l’attente du crépuscule. il est l’infection qui ne cessera jamais de s’étendre, faisant de ses mauvaises graines la gloire d’un monarque de cendres.