FEODOR KOZLOV
NOM ▲ Kozlov. La langue s’emmêle, la gorge se serre. Syllabes tortueuses d’ailleurs, squelette russe dans son armoire. Patrie quittée sans un regret, sans un regard.
PRÉNOM(S) ▲ Feodor. Cadeau de Dieu, ironie du sort. Appellation d’auteur et même d’empereurs. Derniers vestiges de sa famille oubliée dans la neige, l’ambition d’une mère dont il peine à se souvenirs des traits.
ÂGE ▲ Quarante billets sales qui s'entassent dans les poches. Quarante adolescents fou furieux qui le suivent comme s'il était dieu.
LIEU DE NAISSANCE ▲ Dans froide pauvreté au cœur des ruines industrielles qu’on nomme Murmansk.
NATIONALITÉ ▲ Traître à la patrie d’antan. Ennemi public numéro un. Soviétique devenu américain. Léger accent comme seul témoin.
ORIGINE ▲ Rouge soviétique. Rouge communiste. Rouge sang sur la neige blanche. Racines piétinées pour la douce odeur de l’argent et la liberté.
EMPLOI ▲ Banquier des sales quartiers. Quelques crocs en or bien acérés. Il prête aux pauvres et aux désespérés, avec un immense taux d'intérêt. Diable aux billets verts, empereur des dettes infâmes. Gare à ceux qui ne remboursent pas à temps, ils en paieront le prix fort.
STATUT CIVIL ▲ Il les aime un peu trop jeune, un peu frêle et les cuisses faciles. Il les aime naïfs, manipulables et dociles. Il les aime enroulés autour du doigt, petites proies devant le terrible carnassier.
CARACTÈRE ▲ Roi des menteurs, prince des illusions doucereuses. Démon attirant, quelques mots pour vous entrainer dans la déchéance. Murmure pernicieux, marionnettiste hors pair, il tire les ficelles dans l’ombre, se terre entre les songes pour les noircir en cauchemars.
(UN) Septième enfant, l’heureux événement n’en est plus un. Une bouche de plus à nourrir, des soupirs quand il pleure. Gamin négligé, oublié, alors peut-être qu’ils l’ont un peu cassé. Môme un peu frêle, deux ou trois maladies qui ont menacé de l’emporter, personne n’aurait parié qu’il survivrait pour voir le prochain été. Les plus affamés imaginaient déjà la carcasse en casserole. Le mioche s’est battu bec et ongles rien que pour vivre, dérober ce qu’il ne pouvait pas acheter, pour éviter de couler.
(DEUX) Il n’a pas voulu finir à l’usine, s’user pour l’industrie et pour la gloire du pays. Il ne suivrait pas les traces de la fratrie, au dos déjà courbé par le labeur. Feodor a préféré s’enfuir, emporté par l’ambition, s’assurer un avenir. Il s’est mêlé aux tentacules du crime, les poches se remplissent de billets sales, la mafia paie mieux que l’usine. Mouflet aux grands airs innocents qu’on ne suspecte point.
(TROIS) Conscient de sa propre date d’expiration, il savait qu’il n’arriverait à rien de plus dans ces vastes terres gelés. Il fallait partir, loin, très loin, de l’autre côté de l’océan, au-delà des glaciers, vers le pays des opportunités, l’ennemi décrié à la télé. Premier grand mensonge du galopin, glissé parmi les familles judéennes, tous songeant au rêve américain. Profitant du chaos pour partir à la place d’un autre, mioche débarrassé dans la neige, tête baissée et silencieux pendant le long trajet. Premiers hivers difficiles, gosse laissé à lui-même dans une ville trop grande dont il ne parlait pas la langue. Des années de retard à l’école rattrapés du mieux qu’il a pu. Il est très vite retombé dans les mauvais cercles.
(QUATRE) Il n’est pas comme les autres, pas vraiment. Comme s’il lui manquait quelque chose, une pincée de sel dans la soupe, un je-ne-sais-quoi qui le rendrait
humain. C’est difficile de mettre le doigt dessus, il a appris à mieux le cacher. Trouble de la personnalité non diagnostiquée. Empathie atrophiée, néant émotionnel, indifférence exacerbée. Culpabilité inconnue à l’esprit, plaisir, de manipuler, terrible agressivité. Monstre crée, sociopathe, rejeton recraché des enfers.
(CINQ) Les mensonges comme l’arme sœur, il a le don des belles paroles, les mots qu’il susurre à l’oreille comme le pire des démons. Empereur des illusions, prodigieux tisserand de fables, serpent au venin charmeur. Intelligence supérieure, terrible calculateur. Diaboliques machinations, la patience d’attendre son heure dans la pénombre. Feodor il fascine, il séduit, il effraie.
(SIX) Famille reconstituée, triée, recrutée, entrainée, une horde de clébards pour le suivre dans ses plus folles idées. Électrons de son atome. Générosité singulière qui leur est accordé. Des années sur les routes, grands bandits des temps modernes, ivres de liberté. Désormais sédentaires, des suites d’un tragique incident, moins nombreux mais plus nantis que jamais. Tous sous le même toit d’une faste demeure.
(SEPT) Un empire de boue à ses pieds. Un chemin sanguinolent tracé à la lame de couteau, à entasser les cadavres pour mieux surmonter les obstacles. Il a trempé un peu partout, la drogue, les armes, les braquages et le trafic d’enfants, il s’est fait un nom dans les noirs milieux pour finir par monter sa propre affreuse affaire. L’empereur à la couronne d’épines, le trésor sale qui s’entassent derrière son trône. Le grand créancier qui fait régner ses lois obscènes sur le quartier. Petits et grands, tout le monde sait qu’on ne tarde pas sur ses paiements, sous peine de laisser plus que quelques plumes entre ses griffes acérées.
(HUIT) Aucun scrupule à l’horizon, aucune empathie envers ceux qui ne peuvent plus payer. Le démon ne juge pas, il condamne. Les clébards lâchés sur les proches, les crocs se plantent dans les chairs, parfois les coups s’abattent sur la peau, les os craquent sous leur violence, parfois les cuisses sont écartées de force. Terreur installée sur le trône. Si l’or ne change toujours pas de main, un tri se fait. Les belles formes sur les trottoirs, les familles chassées de leur toit, obligé à se terrer au coin des rues, la main tendue pour un peu de pitié. Jamais une larme à ses yeux, rien ne peut éroder le cœur de pierre dans sa cage en fer. C’est en marchant sur les autres qu’il a grimpé jusqu’au sommet.
(NEUF) Les exquises fleurs aux jolies couleurs entremêlées de mille fragrances parfumées. Timide admirateur de bouquets, grandes compositions florales, chaque chef d’œuvre végétal. Grand client des charmantes petites boutiques, la laideur dans le beau, poisson hors de l’eau. Un point d’honneur mit à l’envoi d’un bouquet de fleurs à la famille d’un décédé, ceux qui paient toujours à l’heure après des années. Roses et lilas, tulipes ou camélias, excuses parfumées aux compagnes du mois.
(DIX) Admirateur de la jeunesse, les années creusent son faciès mais les amants restent identiques, fixés dans le temps. Feodor ne court jamais après les sublimes, les femmes fatales aux lèvres vermillon, celles qui savent tuer d’un regard, celles qui respirent le pouvoir. Il leur préfère les poupées à casser, les jolies choses à abîmer, les grands sourires à effacer. Il enroule les ficelles autour des articulations, marionnettes qui dansent pour ses mots. Il leur murmure des mots doux pour mieux leur arracher le cœur plus tard.