De tous ces vents, un seul m'emporte

Lorsque ton ombre passe ma porte

Il oublie
il vacille
tourne la tête et les hanches et les filles
Rhoan n'est pas très doué en sentiments. Il n'a jamais été bon avec les gens. Mauvais en paroles et mauvais en relations. Il y a au creux de son cœur les cheveux blonds et l'air faussement angélique d'un prince et pourtant Rhoan se gâche et se ruine et finit dans ces boîtes glauques. Sa main contre les fesses d'une inconnue et sa langue dans sa bouche, c'est sale et vulgaire, comme lui, comme dans sa tête. Il oublie River et il oublie sa vie pour se perdre entre des bras qui sentent la sueur et les cachets. Et demain il s'en voudra, pour mieux recommencer. Il n'a jamais connu l'exclusivité. D'ailleurs ils ne sont pas ensemble, non ? Il ne lui a jamais posé la question. Ce soir là dans la chambre d'hôtel, c'était comme assister à un spectacle de feux d'artifice. Les explosions qui fascinent et la beauté qu'on admire,
de loin
comme détaché de son propre corps.
Rhoan était un autre lorsqu'il était avec River, cette nuit-là. Débarrassé du monstre et de ses peurs tacites, un animal doux sous la peau qui avait calmé le féroce habituel. Les baisers et les caresses ne lui appartenaient pas, pas vraiment. Ou si, elles lui appartenaient, plus que d'habitude. Ce soir-là, River avait fait de Rhoan quelqu'un de meilleur, quelqu'un capable d'aimer. Et ça lui faisait peur. Alors il faisait ce qu'il faisait le mieux. Il oubliait, parfois ça l'arrangeait d'avoir la cervelle cassée. Il oubliait tout, et surtout lui, sortait trop tard la nuit, solitaire loup au milieu des brebis égarées jusqu'à choisir une proie. Corps frêle plaqué contre la benne et Rhoan volait l'âme de la fille qui en redemandait. Il la traitait comme un objet
il la traitait comme il n'aurait jamais pu traiter River
car avec River, il avait un cœur,
et ce dernier lui faisait mal.
Tellement mal qu'il ne sent pas le regard dans son dos. Tellement mal qu'il ignore sa migraine, celle qui tambourine, habituelle rancoeur. Rhoan ne devrait pas faire ça et il le sait, mais il n'a jamais rien promis et il continue de s'enfoncer dans sa routine de petit con.
Persuadé qu'il ne va pas tout perdre.

Les papillons n'ont pas cessé de lui chatouiller le ventre depuis la dernière fois. Ils s'affolent dès qu'il pense à Rhoan, quand il reçoit un message de Rhoan qui l'invite à un concert et la soirée d'after. C'est surtout ça qui intéresse River parce que c'est là qu'il pourra vraiment voir Rhoan, lui parler, être avec lui. Il aurait voulu emmener Merle au concert mais il n'est pas dans le coin en ce moment, ou Lenny même s'il ferait tâche dans cet univers, mais de toute façon il a ses cours demain. Alors il y va seul, plein d'hésitation, et il se surprend à aimer la transe dans laquelle le plonge la musique des STELLARR 505, sans besoin des cachets et autres buvards qui circulent partout autour de lui et qu'il refuse systématiquement. Il s'imagine déjà ce genre d'événements faire partie de sa vie, il s'imagine une nouvelle vie avec Rhoan au premier plan et il en oublie même de douter de lui, tant ça lui fait du bien d'imaginer, il en oublie même de se rappeler que lui-même ne sera jamais au premier plan dans la vie de personne. C'est pour ça qu'il ne réalise pas vraiment que Rhoan l'a oublié quand il ne répond pas à son portable. Il se dit qu'il est juste occupé, sollicité par tout un tas de gens. Alors il rejoint la boîte tout seul en espérant l'y retrouver. Il tourne un moment à l'intérieur, dégage des mains qui l'agrippent au passage, fait même une visite des toilettes qui lui rappellent des mauvais souvenirs, avec les portes de cabine qui tremblent mystérieusement et les cachets qui changent de main. Pas de Rhoan à l'horizon. Il finit par sortir et s'isole dans un coupe-gorge qui longe le bâtiment pour essayer de l'appeler. Il entend du bruit près d'une benne, à peine deux mètres plus loin, et pense d'abord à un clochard, mais il plisse les yeux et le reconnaît, même de dos. Il l'a souvent vu de dos, quand il quittait la chambre d'hôtel sans rien dire, sans le toucher. C'était avant que tout ne change bien sûr.

Les papillons s'affolent encore dans son ventre mais cette fois ils se crament les ailes et River sent de l'acide lui remonter dans la gorge et lui picoter les yeux. Il doute de tout maintenant. Tout revient comme une lame de fond, toutes ses incertitudes et ses angoisses, tout ce qu'il avait réussi à surmonter grâce aux mots et aux gestes d'un Rhoan transformé. Il avait eu tort de croire que la métamorphose était définitive, apparemment. Il aurait dû se douter que son conte de fée s'arrêterait à minuit. Ils se sont mal compris finalement, il a du se faire des idées comme d'habitude. Il avait pourtant insisté pour être sûr de ne pas se planter. Ce qui lui fait le plus mal c'est qu'il est évident maintenant que Rhoan avait complètement oublié qu'il l'avait invité ce soir, sinon il aurait évité ça. Faut vraiment qu'il arrête de penser qu'il peut avoir de l'importance.

Dans le brouillard, il laisse tomber son téléphone à ses pieds et enclenche le pilote automatique, s'éloignant de la scène en silence, les oreilles qui bourdonnent encore de la musique trop forte. S'il a eu envie de se battre pour lui pendant une fraction de seconde, ça lui est passé. Rhoan n'a pas envie que River se batte pour lui. Personne n'a besoin de lui, c'est pas nouveau. Il ne regarde pas vraiment où il va, il traverse la route sans vérifier que le champ est libre et évite les passants qui eux ne le remarquent même pas. Il se sent comme un fantôme et l'idée lui traverse l'esprit d'aller se jeter dans le fleuve qui borde la grande rue, histoire de ne plus s'embarrasser d'un corps qui ne lui sert à rien. Mais il sert à d'autres parfois, il se dit. Y a qu'à ça qu'il sert, d'ailleurs, River. Alors il repère un spot et se plante là, dans une attitude qui ne trompe personne. Ce n'est pas son coin habituel et il n'est pas certain de trouver preneur, mais il s'en fout, au fond, il se contente de répéter une vieille habitude et ça a quelque chose de réconfortant.

Pourquoi tu fais ça, Rhoan ?
Il s’obstine à vouloir se gâcher, comme si ça lui donnait de l’importance. À faire du mal aux gens, aux autres, à lui-même puisque de toute façon il n’est bon qu’à ça. Incapable d’aimer ou du moins de le prouver, y’a dans le cœur de Rhoan des milliers de barbelés, qui serrent et font saigner l’organe quand il bat plus fort. Il n’a pas supporté cette danse abjecte des sentiments, l’odeur de River toujours ancrée dans ses poumons, son image au creux de sa rétine. Chaque fois qu’il ferme les yeux, il le voit, et ça le rend dingue, c’est pas lui ça, lui qui d’habitude oublie tout et tout le monde, cœur de pierre qui se refuse à l’affection. River c’est comme une malédiction, un virus qui lui donne envie de s’arracher les veines, il ne supporte pas de l’avoir autant dans la peau. Avant, c’était différent, avant il était accro mais il pouvait mettre ça sur le compte du sexe, se dire que c’était la seule chose qu’il y avait entre eux, que c’était pour ça qu’il pensait sans cesse à lui, qu’il se ruinait en chambres d’hôtel pour pouvoir mordre  sa peau, une envie charnelle, tête déconnectée. Il mentait bien mais se mentait mal à lui-même, et il était pathétique dans cette ruelle, la langue dans la bouche d’une inconnue dont il n’avait même pas envie, la tête embrumée par des substances qu’il essayait de fuir et le visage d’un prince dans la tête qui tournait comme la vision d’un fantôme. Fantôme trop proche, il tourne la tête un instant à peine et c’est un mirage qu’il voit, il n’est pas sûr, la vision floue et le pas trop rapide, il a déjà disparu, mais Rhoan connaît par cœur la silhouette, la démarche et la douleur qui émane de lui, celle qui l’attire tant, comme un insecte attiré par la bougie. Il s’essuie la bouche et se détache de la fille comme si elle le brûlait, dégoûté, par lui-même plus que par elle. « J’peux pas. » Il dit et avoue sa faiblesse. « Tu t’fous d’moi ? » qu’elle réplique, son regard qui brûle et elle a les mêmes cheveux blonds que lui. « Désolé », il murmure parce que s’excuser même pour si peu, ça lui pique la gorge et il a subitement envie de vomir.
Il ne demande pas son reste
Il court
Sans but précis
Court jusqu’à la première voiture venue. Son reflet dans la vitre sale le dégoûte, et regarde toi Rhoan, t’as l’air pire qu’un cadavre, le teint cireux les yeux tirés, constamment l’air de t’être fait tabasser. Son souffle est court mais rien à voir avec les baisers, et ses mains qui tremblent se referment sur la poignée de la portière
Qui s’ouvre
Il tombe presque à l’intérieur sans se poser de questions. Il a besoin de rouler mais évidemment son van est trop loin, il n’a même plus le permis, mais il faut qu’il s’en aille, avant de faire une connerie, avant que le souffle ne se coupe pour de bon, sa tête vrille comme si on lui plantait des clous dans le crâne. Rhoan se penche et en quelques mouvements seulement il réussit à allumer le contact, pas très fier de ses dons de voleur, pas le temps d’y penser. C’est juste l’heure d’oublier. La voiture ronronne et dans sa tête ça crie, la route défile et il se retient de fermer les yeux. Le quartier est aussi beau qu’effrayant, la nuit, portières des bagnoles verrouillées pour la sécurité et les néons qui brûlent la rétine, les errants sur les trottoirs qui donnent la nausée. Errant qui lui ressemble, à lui, Rhoan passe devant le trottoir et fronce les sourcils mais une voiture s’arrête au même moment alors il ne voit plus, continue son chemin, c’est pas possible, ça ne peut pas être River, pas maintenant alors qu’il essaye de le sortir de ses pensées. Quelques secondes passent,
Et il fait demi-tour.
Ça ne coûte rien de vérifier, si ?
Il suffit de quelques secondes et Rhoan regarde d’un œil soucieux par la fenêtre. Il ne s’inquiète jamais pour personne, imperméable aux émotions, et pourtant, quand il le voit, y’a son cœur qui bondit, l’effet d’une bombe, ses poings qui se serrent. C’est lui, et même s’il le voit partout même quand il rêve, il sait que cette fois il est éveillé ou dans un cauchemar. Y’a un mec, plus vieux, plus grand, qui le guide jusqu’à sa voiture, et Rhoan reconnaît les yeux morts de celui qui le hante, il a l’air encore plus pâle que d’habitude, son fantôme.
Il n’hésite même pas avant de freiner violemment, puis de sortir de la voiture, chevalier bancal dont l’épée transperce les cœurs plus qu’elle ne sauve. Mais y’a quelque chose en lui qui déclenche l’orage. La colère, la frustration
La jalousie.
« Lâche-le. »
Son ton est calme. Et pourtant dans sa tête y’a des milliers d’ouragans. Il n’ose pas croiser le regard de River, juste celui du type qui le répugne, qui a toujours sa main dans le dos de SON River, LE SIEN.
« Et sinon quoi ? »
C’est la phrase de trop, et il en faut peu pour que la tête de Rhoan explose. Une provocation, un mot mal placé. C’est encore pire quand il s’agit de River. Il se jette presque sur le mec, l’agrippe par le col, l’éloigne de River et le plaque contre le mur. Un coup de poing dans la mâchoire. Pourtant il n’avait pas prévu de s’énerver.
« J’me répèterai pas deux fois. Tu dégages et tout de suite. »
L’autre est plus grand et plus musclé que lui, mais on ne soupçonne jamais la force de Rhoan, apparence frêle mais la combativité d’un tigre, qui s’acharne jusqu’à ce que sa proie soit déchiquetée entre les crocs. Sa main serre la gorge et ses yeux brûlent, brûlent, éclairs permanents. Puis il le lâche et le pousse vers sa voiture, le mec qui s’en va sans même un regard en arrière sinon celui de la honte et Rhoan qui reste avec ses poings toujours tremblants, la tête en vrac. Y’a son astre près de lui et il lui saisit le poignet, c’est la première fois qu’il le regarde et son estomac remonte un peu, il pense à ce qu’il a fait et ce qu’il ne devrait pas faire. Y’a sûrement encore du rouge à lèvres sur son menton et il fait le bel hypocrite à être jaloux alors qu’il n’est pas à lui. River ne sera jamais à lui. Pourtant la poigne de Rhoan est ferme et il n’est pas prêt à le laisser partir. « Dans la voiture », il murmure.
 « Maintenant. » Et dans ses yeux il ne veut pas lire de la peur, sûrement qu’il en crèverait. Il préfère regarder leurs mains, la sienne qui glisse jusqu’à celle de River, qui la serre moins fort, comme si elle avait trouvé sa place. « River. » Et son ton est presque suppliant. Il ne peut pas le laisser là, sur le trottoir. Même si ses mains tremblent encore et qu'il doit ressembler à un putain de prédateur. Y'a son point faible accroché à sa main et il ne partira pas sans lui.

Il est un peu étonné de voir une voiture ralentir près de lui après si peu de temps. Il ne savait pas que River Street grouillait de clients potentiels comme son spot de City Market. Mais peut-être que ça fait longtemps qu'il est planté là, peut-être que ça fait cent ans et qu'il n'est plus qu'un fantôme qui hante sans relâche le lieu de sa mort et qui chaque nuit oublie la précédente. Il ne sursaute pas en entendant la portière claquer, ni en reconnaissant un homme qui l'a déjà payé deux ou trois fois. Il ne répond rien à ce qu'il lui raconte — qu'il ne s'attendait pas à le voir là, qu'il n'avait pas prévu de se payer un joli garçon ce soir mais qu'il n'a pas pu résister en le voyant là, mais il n'a pas le temps, alors vite fait, dans la voiture, on se trouvera un coin, viens, etc. River le suit comme si ça lui était égal, comme si tout lui était égal et lui glissait dessus sans le vraiment toucher. C'est l'état qu'il cherche à atteindre chaque fois qu'il se vend, comme un état méditatif, l'un de ces talents étranges et honteux qu'il a développés avec le temps. Ça fait partie des choses que Rhoan lui a arrachées quand ils étaient ensemble dans ces chambres d'hôtel trop chères. Il n'y arrive plus aussi bien maintenant, parce qu'il n'arrive pas à faire illusion et son client se plaint, le trouve trop inerte, lui demande s'il a pris de la drogue. River secoue la tête et finit par daigner lever les yeux sur lui. C'est là qu'il entend les freins crisser juste à côté et une nouvelle portière claquer, plus violemment celle-là.

Il a toujours le même sentiment d'irréalité, d'être déconnecté de ce qui lui arrive, mais il note quand même que c'est étrange comme il a su immédiatement que c'était Rhoan qui venait de freiner brusquement là, même avant de le voir. Peut-être que c'est juste qu'il l'espérait un peu trop. Il a beau lui avoir encore prouvé ce soir qu'il n'avait rien du prince charmant, il y a quelque chose en River qui s'obstine à le voir comme tel, à attendre de lui qu'il le sauve. Il s'était pourtant juré de ne plus jamais attendre qu'on le sauve. Rhoan fout tout en l'air.

Et il le voit là et il revient enfin dans le présent, dans son corps. Plus tout à fait fantôme, il remarque le visage mal en point de Rhoan et il n'a ni envie de lui en vouloir, ni de mourir, juste de lui demander ce qui lui est arrivé et s'il va bien. Mais Rhoan saute sur son client et il reste planté là à les regarder lutter, l'autre battre en retraite. Il a un mouvement de recul quand son chevalier servant l'attrape par le poignet, encore dans son élan de violence. Il y a le ton autoritaire, l'ordre qui ne plaît pas à River même s'il sait qu'il sera incapable de lui dire non. Et puis ses doigts descendent pour s'entrelacer dans les siens et son ton s'adoucit, la bête pas encore apaisée mais au moins contenue. River voudrait avoir suffisamment de combativité, de volonté en lui pour lui dire d'aller se faire foutre sur un ton de défi, parce qu'il se réveille enfin et la rancœur surgit de nulle part. Comme d'habitude il ne sait pas pourquoi il lui en veut le plus, mais d'une façon ou d'une autre c'est sa faute s'il est ici maintenant, dans cet état. Il se détache des doigts qui le retiennent et s'engouffre dans la voiture, écœuré comme toujours par sa docilité. « J'ai pas envie de te détester Rhoan, » il fait quand il entend l'autre portière se refermer. « Tu sais que je t'ai vu hein ? » Il ne fait aucun commentaire là-dessus. Ses yeux évitent ceux de Rhoan et balayent l'habitacle de la voiture qu'il ne connaît pas. Il tapote la boîte à gant. «  Elle est à toi la caisse ? » Il a comme une intuition.

Il devrait pas lui prendre le poignet comme ça, comme s'il était acquis, Rhoan le sait, il considère River comme une propriété, un jouet d'enfant capricieux et pourtant il s'en veut. Il s'en voulait déjà avant, avec les marques et les coups et les bleus quand il se disait que River n'était qu'une simple pute trop docile et qu'il faisait son boulot et qu'il n'avait pas à regretter, mais il y pensait trop souvent, il pensait trop souvent à lui et pas qu'à son corps qu'il aimait tant faire ployer c'est sûrement pour ça qu'il a câblé, la nuit de douceur comme un coup de grâce dans le cœur et maintenant il ne reste que des miettes, que sa propre rancoeur. Il mérite mieux River, mieux qu'un gosse paumé avec une lame à la place du cœur. Pourtant Rhoan est là avec sa poigne de fer cachée derrière une main douce, il est là à vriller au premier mec qui pose sa main sur River, il le veut pour lui, toujours, il ne sait juste pas comment lui dire et en dehors il se rate il se gâche dans les corps des autres en essayant de l'oublier. Le parfait connard c'est lui, il n'est juste pas prêt à assumer. Mais y'a le soulagement lorsque River lui obéit, qu'il monte dans la voiture. Rhoan ne veut pas en parler. Il veut juste rouler, n'importe où, loin. Il veut le retrouver encore et se dire que c'est pas grave si sa tête flanche si son cœur s'emballe. Faire taire ses propres pensées. Mais la mâchoire de River est serrée ses yeux sont noirs et il n'aime pas ça. Le souffle qui se coupe, lorsqu'il lui avoue qu'il n'était pas un fantôme, le mirage de la ruelle. Ou alors il parle d'autre chose ? Non, ça ne peut pas être autre chose. Rhoan garde le silence, silence glaçant silence des sentiments, quand il démarre, ses mains crispées sur le volant. Qu'est-ce qu'il lui reste à dire ? Désolé ? Ils ne sont même pas ensemble. Est-ce qu'ils le sont ? Il ne lui a jamais posé la question, pour Rhoan ça a toujours été non, définitivement non, puisqu'il ne pourra jamais donner sa vie à quelqu'un, il a déjà du mal à la tenir entre ses mains. Et évidement que la caisse n'est pas à lui évidement qu'il a foiré évidement qu'il s'est mal comporté, mais il fonce sur la route sans faire attention à la vitesse, dents serrées, la seule raison pour laquelle il ferme les yeux c'est parce qu'il ne veut pas se crasher. Il aurait été tout seul, il l'aurait fait. Mais y'a un trésor dans la voiture qu'il ne cesse d'abîmer. « J'savais pas que tu faisais encore le trottoir. » Il évite la question, retourne le reproche, le couteau dans la plaie. Ses phalanges lui font un peu mal à force de serrer de cogner. Mais les yeux sur la route il décide de ne rien assumer. Et il ne sait pas ce qu'il ferait si River arrivait un jour à le détester.

River fixe la route qui défile devant eux et il se demande si c'est toujours lui qui vit au ralenti ou si Rhoan roule vraiment trop vite. Il s'en fout au fond, il veut bien qu'ils aient un accident qui les tue tous les deux, au moins il n'y aura plus à se poser de questions. C'est bien la première fois qu'il est prêt à emporter quelqu'un avec lui dans ses envies de néant et il se demande si c'est ça, l'amour. Mais ce n'est sans doute pas ça non. L'amour c'est beau, c'est lumineux, ça fait faire de grandes choses. L'amour c'est un truc dont les gens comme Felix et Lenny sont capables mais pas les gens comme lui et peut-être même pas Rhoan. Sûrement pas Rhoan. Il faut qu'il arrête de se voiler la face. Ce qu'il a avec Rhoan, ce qu'il ressent pour Rhoan, c'est à la fois beau et grand et moche et sale. C'est peut-être un peu de la passion, la passion ce n'est pas l'amour parce qu'on parle de crimes passionnels mais pas de crimes amoureux, parce qu'on peut vouloir tuer par amour mais seulement pour défendre ou pour venger, alors que par passion on peut tuer celui qui en est l'objet. Rhoan aussi pourrait le tuer, sans doute, il lui a déjà semblé sur le point de le faire quand il avait les doigts serrés autour de sa gorge. Ce n'est pas de l'amour, voilà, il a encore été naïf d'y croire, d'écouter le gosse avec des étoiles dans les yeux qui survit encore au fond de son cœur. C'est de la possessivité, par contre, Rhoan lui montre bien quand il lui saisit le poignet comme quand il l'attrape pour le jeter sur le lit, et River sait qu'il attaquera tous ceux qui l'approchent de trop près comme le client de tout à l'heure, non pas parce qu'il veut le protéger mais parce qu'il veut qu'il ne soit qu'à lui. Il en a eu d'autres des clients comme ça, il a même fui une ville à cause de l'un d'entre eux. « J'savais pas que tu faisais encore le trottoir. » Il aurait presque envie de sourire s'il n'était pas si dépité, paumé dans ses propres pensées. Il se demande pourquoi il a cru que Rhoan pouvait l'aimer. Il lui a dit qu'il n'aurait pas pu se passer de lui, il lui a dit des choses comme ça, mais on ne peut pas se passer de manger et de respirer et pourtant on n'est pas forcé d'aimer ça. « Moi non plus. » Lui non il ne savait pas qu'il faisait encore le trottoir. Il ne l'a pas fait depuis la dernière fois.

Il finit par lâcher la route des yeux et observe le visage crispé de Rhoan, ses yeux à lui braqués droit devant, ses sourcils un peu froncés. Même comme ça il le trouve beau, même quand il a l'air sauvage, l'air prêt à déchirer. Il l'a trouvé beau quand il a bondi comme un fauve sur son client. Après tout peu importe qu'il l'aime ou qu'il veuille seulement le posséder. Peu importe qu'il lui fasse mal et peu importe qu'il le méprise. Ce qui est sûr c'est que River non plus ne peut pas se passer de Rhoan alors qu'il peut très bien se passer d'amour. L'amour c'est un bonus. L'amour c'est le parfum de vanille dans l'air ; Rhoan c'est juste l'air. « C'est pas que ça me faisait plaisir je t'assure. Je sais pas ce qui m'a pris. » Il sait très bien. Il est possessif lui aussi, il est jaloux, mais il n'en a pas le droit alors il fait semblant. « C'est pas grave si tu baises d'autres gens Rhoan, je m'en fous. »

Menteur. Il entend le gosse de son cœur qui proteste. Le gosse a encore du défi dans l'âme, c'est celui qui gouverne ses accès d'insolence et de témérité. Mais quand il est avec Rhoan, il laisse le gosse dormir, comme quand il était un client. Quand il est avec Rhoan, il est docile et soumis. Alors il essaie de le retenir, tant bien que mal. Il lui chante une berceuse pour qu'il retourne au lit. Tu te réveilleras plus tard, petit, t'iras faire le con avec Ariel, t'emmèneras encore Lenny se ronger les ongles devant un film d'horreur, t'iras à contre-courant, mais là c'est pas le moment. Dors laisse-moi gérer.

Mais il ne gère rien du tout. Il se laisse faire, il suit le courant, et le courant c'est Rhoan qui en détermine la direction et la vitesse. Sauf que Rhoan n'est plus un client et le gosse n'est pas d'accord pour la fermer. « Par contre m'invite pas si c'est pour que je te regarde te taper une nana contre une poubelle. J'pouvais m'en passer. » Il s'en mord les doigts avant même d'avoir achevé sa phrase. Il ne veut pas que Rhoan se rende compte qu'il est une complication dans vie et pas juste un défouloir pratique, ou même un passe-temps agréable. Il a peur qu'il l'abandonne maintenant, qu'il réalise qu'il n'en vaut pas la peine et qu'il le laisse sur le trottoir. Il est terrorisé.

Il ne répond pas quand River essaye de se justifier. Il ne répond pas aux excuses aux questions qui flottent aux l’air aux accusations, parce que River n’est jamais clair on dirait qu’il lui pardonne tout sans hésitation, c’est pas normal, il mérite pas ça il mérite pas ses yeux même quand ils lancent des éclairs et il ne devrait même pas être là avec lui c’est pas juste et il se demande à quel moment ça a foiré, pourquoi River retourne son cerveau son cœur et ses pensées et il se met à freiner parce que c’est trop il a l’impression d’étouffer. Il reprend son souffle comme s’il venait de courir le marathon, ils sont au bord d’une route tout est désert comme si le temps s’était arrêté pourtant dans sa tête ça tourne à deux mille y’a River et puis les autres et puis River et puis la fille dont il ne connaissait même pas le prénom et River avec ce type et River River River qui le regarde il ne veut pas qu’il le regarde il ne mérite pas qu’il le regarde il veut qu’il le regarde tous les jours, le matin au réveil le soir en s’endormant il ne comprend plus rien du tout. C’est comme s’il était une cocotte minute et ça siffle ça explose il a trop chaud son visage qui se tourne vers celui de River et quand il enroule sa main autour de son cou c’est comme un baiser.
« Ça te dérange pas hein ? Ça te dérange pas quand j’baise d’autres gens ? »
Il sait que c’est faux et il sait que River ment, il veut pas qu’il soit indulgent le silence c’est pire que tout, il veut des cris il veut qu’il le frappe qu’il le renie qu’il fasse quelque chose mais pas ce putain de pardon sans limite il en a marre de passer pour le saint alors qu’il est tout le contraire, le démon, celui qui l’emmène en enfer, sa main serre serre serre sa voix tremble vibre crie.
« Moi ça m’dérange quand tu fais le trottoir comme un putain de déchet ça me dérange quand j’vois tous ces types te regarder te toucher ça me putain de dérange parce que t’es à moi c’est compris ? »
Il lui dit pas qu’il est désolé, il ne lui dit rien de tout ça, il sait pas comment on fait pour s’excuser pour s’aimer correctement, il sait même pas s’ils sont faits pour s’aimer, il ne connaît que le souffle de River sur sa peau et sa gorge au creux de sa main comme si elles étaient faites pour s’imbriquer, il ne veut pas de sentiments c’est trop compliqué et dans sa tête ça a déjà commencé à exploser. Quand il le lâche c’est pour prendre sa tête entre ses mains et il ne sait plus où il en est.
« Qu’est-ce que tu m’as fait… »
Qu’est-ce qui m’arrive pourquoi t’arrives à faire battre mon putain de cœur je pensais l’avoir déjà jeté.

Il le sent qui freine ou peut-être que c'est lui qui a rallié le rythme de Rhoan, c'est vrai que son cœur bat plus vite et il accélère encore à mesure que la voiture ralentit. Il tambourine jusqu'à faire trembler ses tympans et tout ça explose quand Rhoan le cloue par la gorge au dossier de son siège. Voilà il avait raison, il était sûr que Rhoan pouvait le tuer. Il est pétrifié et ses mains se crispent sur les bords du siège mais dans le regard qu'il lance à Rhoan, le regard qui dit « vas-y tue-moi », il y a autant de défi que de supplication. Vas-y tue-moi je saurai que j'avais raison. De toute façon quitte à me priver de toi autant me priver d'air, autant me priver de vivre. C'est pas comme si la vie était belle, c'est pas comme s'il manquerait à quelqu'un. Il est injuste de penser comme ça évidemment, il oublie tous ceux qu'il aime quand il pense comme ça et il est pas mieux que Rhoan mais Rhoan le rend égoïste. Il se dit qu'il est fou définitivement quand il se sent heureux d'entendre Rhoan le traiter de déchet et lui dire qu'il est à lui. C'est bon il a décidé qu'il s'en foutait de l'amour, tout ce qu'il veut c'est Rhoan peu importe comment. Il aimerait juste savoir ce qu'il doit faire pour le garder. Il aimerait savoir s'il veut la pute docile ou s'il veut le gosse insolent. Il aimerait savoir quel rôle il doit jouer et s'il peut se permettre de ne plus jouer de rôle du tout, mais il ne sait pas s'il en est encore capable, il ne sait pas s'il sait encore qui il est parce que même avec Merle et Lenny et Ariel et Otto il joue un rôle, il cache des choses, il omet tout un pan de sa vie. De toute façon il y a longtemps qu'il a abandonné l'idée qu'on puisse l'aimer pour ce qu'il est vraiment mais on ne peut pas aimer une façade non plus, alors autant miser le tout pour le tout. Et s'il est un enfant perdu et détraqué, s'il est passé de victime abusée à sale tordu qui aime sentir les doigts d'une brute marquer sa gorge, écraser sa trachée, eh bien tant pis amen il sera ce tordu.

Il n'est plus scindé en deux. Il est encore éclaté en mille morceaux parce qu'il le sera toujours et que Rhoan ne pourra rien changer à ça, même Felix n'a rien changé à ça, mais il n'y a plus la pute et l'enfant qui luttent dans cette voiture dans ce crâne dans ce cœur, il y a juste River qui reprend son souffle quand les mains de Rhoan le libèrent. Ce qu'il lui a fait, il n'en sait rien. Il ne peut pas croire qu'il y ait quelque chose d'assez fort et d'assez vivant en lui pour atteindre quelqu'un aussi loin. « J'veux pas le faire de toute façon. J'voulais même pas de toi au début tu le sais. » Ce n'est pas un aveu même si c'est la première fois qu'il l'admet parce qu'il sait que Rhoan n'était pas dupe. Sa voix est un peu rauque et sa gorge le fait souffrir. Il aura de nouveaux bleus à camoufler demain matin pour éviter que quelqu'un ne lui demande qui lui a fait ça. « J'veux être à toi, j'veux juste être à toi. Mais j'veux pas te retenir, j'veux pas être un fardeau, j'veux pas que tu te sentes enchaîné à cause de moi, sinon tu me quitteras et ça je veux pas. Alors non j'm'en fous pas, pas vraiment, ça m'a fait mal et j'ai rien compris, j'étais dans le brouillard après et j'ai même pas réalisé ce que je faisais. Je cherche pas d'excuse j'ai même pas à m'excuser, je t'explique juste. » Et putain que ça fait du bien d'être honnête et de dire ce qu'il a sur le cœur et de se donner le droit de ne pas demander pardon pour une fois. « Quoiqu'il arrive c'est pas moi qui te quitterai. Pas pour ça. Pour rien. C'est toi qui finiras par me lâcher. » Il va trop loin parce qu'il est lancé et qu'il n'arrive plus à s'arrêter, parce que ça ne lui est pas arrivé depuis des années, des siècles, toute la vie. Mais sa vie Rhoan a décidé d'y foutre un bordel cosmique et tout ce bordel flotte dans l'espace de sa tête dans le désordre et il prend ce qui vient comme ça vient. Rhoan est son Big Bang.

Il est beau quand il s’étouffe sous ses doigts quand dans ses yeux y’a des éclairs qui le foudroient, quand il se courbe, Rhoan se sent puissant et c’est ça qu’il aime quand il est avec lui, sa docilité et sa capacité à plier, mais y’a aussi une part de Rhoan qui supporte pas ça car il sait qu’il ne mérite pas car il aimerait que River parle, lui tape dessus, lui dise les choses, calme ses pensées. Il sait plus quoi faire il est désespéré. Et il ne sait pas s’il préfère le River amoureux le River loin de lui le River qui se gâche qui se fâche qui le fuit, parce qu’il veut tout de River, son âme et son cœur il veut lui voler jusqu’à son dernier souffle pourtant même ça il n’arrivera pas à rendre ça beau, s’ils étaient dans une tragédie les deux héros il serait sûrement le dernier à mourir de désespoir après lui avoir planté dans le cœur un couteau. Il ne peut pas s’en empêcher, c’est comme s’il détruisait tout et avant çà le dérangeait pas de gâcher les gens de les écraser entre ses doigts, mais River c’est différent, River il le blesse laisse ses marques et puis il a envie de l’embrasser de le protéger comme un trésor de le voir mort de lui dire de vivre encore. River est gravé dans son cœur il est comme une brûlure qui fait mal jusque sous la peau, une putain de contradiction qui lui retourne totalement le cerveau, et il est foutu, c’est sûrement de l’amour mais il ne veut pas en voir la couleur. La couleur de l’amour c’est celle de ses yeux quand il est au-dessus et qu’il le regarde gémir de douleur il ne veut pas en savoir plus.
Et finalement River parle y’a sa langue qui se délie le cœur de Rhoan qui bondit, il ne laisse rien transparaître mais il écoute il digère il subit, y’a toute la détresse de River qui le transperce comme un couteau et il est encore plus perdu qu’avant parce que même s’il savait tout ce qu’il lui dit, c’est pire de vive voix, c’est bien pire, y’a tout qui surgit la culpabilité le doute les remords. River ne devrait même pas être dans cette voiture avec lui pourtant il est là et y’a le Je voudrais juste être à toi qui se grave dans sa tête au fer rouge ça s’en ira pas il le sait, c’est comme une cicatrice une plaie béante. Rhoan regarde devant lui mais y’a rien, des champs à perte de vue et son cœur sur la route piétiné. Il peut pas faire ça il ne peut pas lui jurer fidélité ça serait pour mieux le briser après et Rhoan ne sait pas parler, pas bien pas sans blesser, alors il saisit le col de River et il l’attire à lui ses lèvres qu’il vient dévorer, c’est brutal et violent c’est surtout désespéré quand sa langue trouve la sienne quand il fait tout pour ne plus respirer, comme s’il voulait crever entre les lèvres de River et il se dit quelle belle mort ça ferait. Y’a dans son baiser toutes les choses qu’il n’ose pas lui dire et tous les désolé qu’il ne sera jamais capable de murmurer. Et quand finalement il s’éloigne de lui juste de quelques centimètres qu’il sent ses yeux clos son souffle sur sa peau qu’il vient juste de couper, c’est un murmure tout juste audible qu’il ose enfin prononcer.
« Insinue plus jamais que j’puisse te lâcher j’ai besoin d’toi comme j’ai besoin d’respirer. »

Il l'étouffe encore mais cette fois c'est avec ses lèvres, sa langue, un baiser comme seul Rhoan peut lui donner parce que c'est le seul dont il veut. Il aime comme ça lui coupe le souffle, Rhoan qui bouffe ses lèvres constamment gercées, Rhoan qui en veut plus comme s'il cherchait à l'absorber pour qu'il soit à lui pour toujours. Il veut être à lui, maintenant, tout le temps, pour toujours. C'est ce qu'il veut maintenant en tout cas. Il ne se fait pas d'illusions ça ne durera peut-être pas mais de toute façon il mourra sûrement avant que ça cesse. Il glisse une main sur sa taille l'autre sur son crâne rasé. Il caresse sa nuque, ses cheveux qui grattent quand il remonte à contre-sens et son oreille et la naissance de sa mâchoire. Il veut que Rhoan soit à lui aussi et c'est la première fois qu'il ressent quelque chose comme ça.

Il voudrait bien croire que Rhoan ne le lâchera jamais comme il le lui assure. Il sait que Rhoan y croit et d'ailleurs c'est vrai, là, maintenant, sous cette lune, dans cette voiture volée au bord de cette route. Ce sera peut-être encore vrai demain, dans un mois, dans un an ou même plus qui sait. Mais il se lassera de lui, ça finira forcément par arriver. Ce n'est pas triste, c'est normal, c'est lui qui induit ça chez les gens, il les comprend. Il s'en fout demain, dans un mois, dans un an, c'est pas grave, tout ce qui compte c'est maintenant et maintenant c'est vrai, Rhoan a besoin de lui comme il a besoin de Rhoan. Ça lui suffit. Ils sont le masque à oxygène l'un de l'autre et c'est la première fois ça aussi, c'est la première fois que River connaît une telle réciprocité. Alors il l'embrasse encore et il sourit contre ses lèvres. « On est pareils alors. » Parce que Rhoan lui vole ses mots sans le savoir, il lui vole son air et lui insuffle le sien à la place, et si un jour il arrête peut-être que River suffoquera mais c'est pas grave, c'est pas grave, ça fait longtemps qu'il ne vit plus que pour le présent.

Il repense au fait que quelques secondes plus tôt il l'a encore étranglé. Il se dit que ça va continuer. Il aura encore des ecchymoses, des marques de coups, la trace de ses griffes dans son dos et sur ses cuisses. La première fois aurait dû être la dernière, c'était sa règle, et au lieu de ça il y est retourné avec toujours plus d'envie de le revoir. Il ne sait pas quand ça a commencé, quand être avec Rhoan a cessé d'être juste une corvée, quand il a commencé à attendre leurs rendez-vous et plus seulement à les redouter. Peut-être que c'était dès le début, peut-être qu'il espérait qu'il le tue sauf qu'au lieu de le tuer Rhoan s'est mis à l'embrasser et c'est là qu'a eu lieu le Big Bang, une destruction et une genèse. Et il ne sait pas ce qu'il a tué en lui Rhoan ni ce qu'il y a fait naître, mais depuis plus rien n'est vraiment pareil. « Et toi qu'est-ce que tu m'as fait ? » Il l'a rendu fou et c'est de pire en pire cette folie de lui. Il n'a ni détruit ni restauré son instinct de survie boiteux il l'a juste déplacé, il a juste fait en sorte que River place sa vie entre ses mains mais plus jamais celles de personne d'autre. Il ne peut pas tout lui dire, il a des questions qui se bousculent sur sa langue mais qu'il a encore peur d'articuler.
qu'est-ce qui te plaît chez moi
tu préfères m'embrasser ou m'étrangler
est-ce que tu me feras toujours mal
est-ce que j'aimerais ça de plus en plus
es-tu le meilleur ou le pire de tous les hommes qui m'ont touché
« Est-ce que tu sais que t'es le seul que j'ai jamais aimé ? » Il dit aimer et il ne sait pas ce qu'il veut dire par là, s'il parle de cet amour dont il n'a pas besoin ou juste de l'amour entre les draps. Quoiqu'il en soit il est le seul, il est le premier, sans doute le dernier, il est celui qui lui fait se poser des questions qui le dérangent, celui qui achève d'entacher son innocence, celui qui lui paraît plus pur que personne dans sa bestialité.

Les mains de River sont douces et ça l’énerve, comme s’il était allergique à la douceur et à la chaleur de sa peau comme si une voix dans sa tête lui gueulait de fuir le plus loin possible de prendre ses jambes à son cou, et pourtant il est là, contre lui, il l’embrasse à en perdre le souffle à en tourner la tête et jamais il ne s’enfuit. Il reste Rhoan, il reste parce que maintenant il a River sous la peau comme une partie de lui. Y’a ses mains ses lèvres ses yeux son cœur qui bat contre le sien et il sourit, il sourit et Rhoan a l’impression de couler il a du mal à respirer pas uniquement à cause du baiser. il a envie de rire quand il lui pose la question, parce que lui il sait ce qu’il a fait. Il est coupable, mérite la perpétuité, il l’a utilisé brisé déchiré, fait courber son corps fait trembler son cœur, le pire c’est qu’il ne regrette rien et qu’il recommencera encore, encore, jusqu’à ce que River ne soit plus qu’un tas de cendres et lui le pyromane qui regarde son œuvre avec un sourire carnassier. Pourtant il n’a rien contrôlé, ni ce qu’il ressent ni ce qu’il fait et le mal qu’il fera c’est encore pire parce que rien ne se finit jamais bien surtout quand il entre en ligne de mire. Y’a ses mains qui tremblent quand River est à côté parce qu’elles veulent caresser serrer sa gorge le cogner se venger pour faire saigner autant son cœur. Son cœur il a sombré et maintenant c’est comme s’il devait se rattraper.
Et puis y’a ses mots et Rhoan cesse de respirer pour de bon, le souffle disparu comme s’il s’était noyé. Il a touché le fond il n’arrive même plus à bouger, le regard sur l’horizon et « Est-ce que tu sais que t'es le seul que j'ai jamais aimé ? » ça résonne ça tonne ça crie dans sa tête. Il peut pas supporter lui il n’est pas fait pour aimer il a fait une croix sur son cœur pourtant il bat comme un dératé. Alors il se tourne vers lui c’est comme s’il était en colère comme s’il allait cogner mais dans sa tête ça veut juste exploser.
« Tu m’aimes ? C’est ça ? »
Et il n’arrive pas à le croire, il ne comprend pas, il ne veut pas comprendre parce que pourquoi River l’aimerait, lui ? il ne voulait même pas de lui au début il l’a dit. Y’a sa propre rancœur ancrée tout au fond impossible à décoller et River a beau avoir les mots qu’il faut c’est pas comme ça qu’il faut procéder. Rhoan n’est pas un homme qu’on aime Rhoan est quelqu’un qu’on cogne qu’on admire qu’on craint qu’on laisse. Et River reste. Et il voudrait lui demander de partir. Pourtant quand il se décale et qu’il s’assoit sur ses cuisses ses yeux brûlent et c’est même pas du désir c’est plus que ça il ne se l’explique pas. Il veut que River soit à lui mais il a peur, alors il doute il reste distant il préfère la douleur.
« Tu mens. »
Et son pouce qui glisse sur la lèvre inférieure de River qui se faufile entre ses lèvres sur sa langue comme si ça pouvait le faire taire. C’est trop tard de toute façon c’est dit mais comme un sadique il veut le torturer encore, lui faire sortir les mots qui font mal, c’est entre ses joues qu’il met sa main il tient son visage comme celui d’une proie. Au dessus de lui comme celui qui l’enverra au ciel ou le plongera en enfer et ses yeux sont fous, fous de lui, ses yeux lancent des éclairs.
« Dis-le. J’veux l’entendre. »
Dis-le dis-le dis-le quitte à me tuer donne-moi la corde pour me pendre.

Il lit comme de la peur dans les yeux de Rhoan, de la peur qui se mue vite en rage parce que c'est toujours comme ça qu'il gère sa peur. Il commence à le comprendre comme il n'a jamais compris personne. Il commence à anticiper ses réactions, à savoir ce qu'il va provoquer chez lui avec ses mots, ses regards, ses gestes. Ce n'est pas pour autant qu'il contrôle tout, que les mots ne lui échappent pas, qu'il arrive à combattre ses réflexes même lorsqu'il sait qu'il les regrettera, mais il s'y attend, il comprend. Et quand Rhoan lui grimpe dessus et lui colle les doigts dans la bouche en l'accusant de mentir, tout à coup il comprend autre chose. Ils sont pareils. Ils sont pareils et pas seulement parce qu'ils sont accros l'un à l'autre, ils sont pareils parce que Rhoan ne veut pas croire qu'il l'aime tout comme River ne pourrait jamais le croire s'il lui disait la même chose. Et il pète les plombs Rhoan. River ne sait pas s'il s'en rend compte, s'il s'entend se contredire, lui demander de répéter, de lui faire entendre encore les mots qu'il refuse de croire, tout ça avec les doigts fourrés dans sa bouche comme pour le bâillonner. Il ne sait pas ce qu'il veut, Rhoan, il est comme lui, aussi largué, aussi terrifié, et comme un enfant dans la panique il fait n'importe quoi, il lâche tout, il envoie tout valser. Il se demande comment il a pu ne pas le voir avant, comment il a pu croire que Rhoan contrôlait même lorsqu'il lui assurait le contraire, parce que c'est vrai qu'il le lui a dit plusieurs fois, qu'il le lui a montré.

Il détaille ses yeux déments et sa mâchoire crispée, il se dit qu'il tuerait pour l'entendre et qu'il le tuerait pour ne pas l'entendre et il ne peut pas lui donner les deux. Il resserre les dents pour que Rhoan le libère et essuie son menton plein de salive d'un revers de manche, puis il se redresse du mieux qu'il peut sous le poids de Rhoan qui l'emprisonne. Il le voit comme pour la première fois et ça lui serre le cœur de le voir comme ça, pas un fauve assoiffé de sang, pas même le fauve repus et apaisé qu'il a toujours préféré, juste un chien errant famélique et brisé qui mord et qui déchire même les mains bienveillantes parce qu'on l'a trop bousillé pour qu'il puisse encore faire confiance. Et ce regard-là, River le connaît, c'est celui qu'il réserve aux miroirs.

Il l'attire contre lui, l'embrasse encore et lui mord la lèvre, lui qui d'habitude ne sait que se laisser faire. Il serre fort ses mains sur sa hanche et sur sa nuque. Bouge pas, reste-là. Me fuis pas. « Je t'aime, j'te déteste, on s'en fout Rhoan c'est que des mots. » Et tu sais bien qu'il oublie toujours de penser avant de parler. Mais t'as envie qu'il le dise, hein, parce qu'au fond t'aimerais bien le croire et t'aimerais qu'il te donne une raison de partir. « T'as dit que tu m'lâcherais pas, tu vas te contredire maintenant ? Parce que j'ai dit un truc que tu crevais d'envie d'entendre ? » Et cette fois il ne peut même pas prétendre qu'il l'a provoqué par accident parce qu'il le regarde droit dans les yeux et il y a un éclat glacé dans les siens, un éclat qui accroche le regard de Rhoan comme un glaçon trop froid posé sur la langue, et qui brûle.

Il ne comprendra jamais toute la foutue pièce de théâtre qui se joue à l’intérieur de son crâne. Ça aurait été plus simple s’il était pas aussi en colère, contre le monde, contre River, contre lui-même, il aurait pu lui expliquer lui dire c’est pas de ma faute je comprends pas j’suis trop abîmé pour être bon avec toi, mais s’excuser c’est pour les faibles et faible il l’est trop déjà, River en autel au dessus de lui et il prie il expie fait le signe de croix. Il meurt un peu chaque fois qu’il croise ses yeux que son cœur fait des bonds qu’il ne reconnaît pas, c’est vicieux et précieux c’est ce qu’il fuit à chaque fois. Et pourtant River reste River est toujours là en dessous de lui, ça aussi il comprend pas. Il pourrait le rouer de coups serrer ses doigts autour de sa gorger lui cracher dessus, il reste là. Il reste là et c’est pire quand il l’embrasse quand il le mord, Rhoan qui reste stoïque comme une statue de cire, les yeux flous il perd son souffle. Y’a ses mains partout sur lui comme s’il lui appartenait comme s’ils s’appartenaient il peut pas il veut fuir il flippe comme un gosse. Il comprend pas pourquoi River veut de lui pourquoi il reste pourquoi pourquoi pourquoi il a envie de lui demander de lui crier dessus de lui dire de partir mais il est figé, il comprend pas. Y’a une raison, et son ventre se tord, il veut l’entendre, il veut pas, il veut les mots qui le détruiront et le feront s’élever,
River parle,
Je t’aime,
Son cœur éclate,
J’te déteste,
Son cœur se serre.
Et lui non plus ne sait pas s’il l’aime le déteste l’aime à le détester. Et River a raison, il meurt d’envie de le lâcher, de fuir de le laisser pour se retrouver seul comme il l’a toujours été, seul c’est plus simple à deux tout se complique, et il lui a déjà prouvé qu’il ne savait pas gérer. Pourtant en lui ça allume un brasier et quand la main de Rhoan trouve le levier du siège qu’il l’abaisse brutalement qu’il surplombe River de toute sa hauteur pour mieux l’embrasser le dévorer comme s’il allait le tuer, il réalise : il ne veut pas partir, il ne peut pas le lâcher. Il en est incapable il préfèrerait encore crever. « J’peux pas », et il murmure entre deux baisers, c’est trop dur à avouer. Pourtant River le sait,  qu’il ne peut pas se passer de lui, ça fait longtemps déjà, quand il se ruinait en hôtels pour combler leurs nuits. Il aurait du s’en douter mais ils sont deux aveugles et Rhoan trop idiot pour penser que quelqu’un puisse à lui s’accrocher. Pourtant ses mains partout sur River serrent griffent le rapprochent de lui et c’est désespéré, un pars pas silencieux, un me laisse pas tacite. Il peut pas lui dire encore moins le supplier il lui fait juste passer le message dans ses baisers.

Il ne sait pas ce qu'il cherchait avec ses derniers mots. À réveiller la bête pour de bon, elle qui gronde depuis tout à l'heure mais qui n'a pas encore attaqué ? C'est à croire qu'il ne demande que ça, des coups, une explosion, de voix, de poings, de sa cervelle, de tout. Ou peut-être qu'il espérait seulement que Rhoan dévoile enfin quelque chose dans sa colère, quelque chose de ses sentiments, quelque chose de formulé avec des mots pour une fois, que River n'ait pas à l'interpréter dans les éclairs que jettent ses yeux, les gestes de ses mains, l'avidité de ses lèvres. Il rêvait. Rhoan est impossible à faire parler. Démerde-toi River, absorbe tout et démêle le bordel qu'il fout dans ta tête en priant pour ne pas te planter. Est-ce qu'il se plante, là ? Est-ce qu'il se plante quand il voit de la peur dans ses yeux ? Il voudrait tant qu'il lui dise ce qui lui passe par la tête, qu'il lui explique sa confusion et ses contradictions, il voudrait tant savoir ce qui déclenche ses éclats de colère et ses élans d'affection. Mais pas sûr qu'il y ait la moindre cohérence là-dedans. Rhoan c'est sauvage, c'est une tempête, pas un code informatique.

Il devine à le regarder qu'il passe un million de pensées dans l'esprit de Rhoan mais il est incapable d'anticiper sa réaction. Quand il bouge brusquement contre lui River attend de la violence, évidemment, c'est ce qu'il a provoqué, c'est ce qu'il a cherché, mais il se sent juste chuter en arrière et il ne comprend rien à ce qui vient de se passer sur le coup. Et puis Rhoan est sur lui, les cuisses qui maintiennent ses hanches dans leur étau, à l'embrasser, avec les lèvres, avec les dents, comme dans les lits d'hôtel, comme avant de s'oublier en lui, de l'oublier lui quand il lui fait mal et que River ne proteste pas parce qu'il se dit que Rhoan n'est plus lui-même dans ces moments-là, qu'il n'y peut rien, qu'il ne fait pas ça par cruauté, et quand Rhoan le détrompe en prononçant son nom il se laisse encore faire parce qu'il ne mérite que ça, parce qu'il mérite au moins ça, parce que c'est ce qu'il veut, ces derniers temps il ne sait plus. Ce n'est pas ce qu'il veut maintenant. Il enregistre à peine les mots de Rhoan, il ne sait pas s'il lui répond, s'il ne peut pas le lâcher, ou s'il se répond à lui-même, à une interrogation silencieuse qu'il vient de retourner mille fois dans sa tête. Ce sont les seuls mots qu'il a réussi à lui soutirer et ils ne servent à rien, parce que les gestes parlent d'eux-même pour l'instant, parce que les mains qui l'agrippent jusqu'à planter les ongles et les lèvres qui le bouffent disent tout sauf je vais te lâcher.

Il répond aux baisers que Rhoan vient arracher à ses lèvres, il s'agrippe en retour presque par automatisme et puis il se souvient, alors qu'il glisse déjà les mains sous le haut de Rhoan que, non, ce n'est pas ce qu'il veut maintenant. Il ne se laissera pas dévorer comme une proie, une proie consentante, une proie suicidaire, mais une proie quand même, c'est toujours ce qu'il est. Pas ce soir. Il l'imite, il plante les griffes dans son dos, redescend jusqu'au creux de ses reins. Garde sa lèvre inférieure entre les dents et serre juste un peu trop pour que ça ne fasse que du bien, juste assez pour que ça fasse mal. Il ramène la main contre la mâchoire de Rhoan, caresse doucement, glisse le pouce sur la lèvre meurtrie et puis attrape son menton entre le pouce et l'index pour qu'il le regarde dans les yeux. Il y cherche encore la peur, l'éclat sauvage de la bête acculée plutôt que prête à frapper, celui qu'il y a trouvé juste avant que Rhoan ne décide de reprendre les choses en mains. Celui qui l'a fait se sentir plus fort, non pas plus fort que Rhoan mais son égal et assez fort pour le protéger aussi. Il secoue à peine la tête. « Laisse-moi. »

Un temps de flottement. Il se dit qu'il exagère, qu'il a dû faire exprès de choisir une expression à double-sens. Mais dès qu'il voit la confusion poindre dans les yeux tempête il l'embrasse, la main appuyée à l'arrière de sa tête et la langue qui va chercher la sienne pour se rassasier de sa salive de son goût, mais bien sûr il n'en aura jamais assez. Et pendant ce temps son autre main effleure le jean tendu à l'entrejambe et remonte s'attaquer au bouton.

Y’a mille choses qui se bousculent dans sa tête, non, au moins un million. Trop de choses pour qu’il n’arrive à les compter toutes, trop de choses qui se bousculent et crépitent pour le faire exploser. Il essaye de calmer le brasier sous des baisers, il essaye d’oublier, c’est toujours ce qu’il fait de mieux : oublier. Volontairement ou pas. Tout à l’heure contre la benne quand il a entendu ses pas résonner ses pieds quand des baisers d’une autre il a senti le cœur de River se briser. Et pourtant il est toujours là c’est aussi ça qu’il comprend pas, comment il arrive à le faire rester, pourquoi ils en sont encore là. Rhoan mérite pas, il mérite d’être tout seul ou même de se détruire, et pourtant River s’accroche, il sent ses ongles enfoncés dans sa peau ses dents qui le mordent il a l’impression que c’est désespéré, mais quand il ouvre les yeux les plonge dans les siens y’a une lueur, défi malice rébellion. River qui brille d’une autre lumière tout à coup, qui essaye de défier la bête, sa main sur lui comme s’il avait le contrôle Rhoan sait pas si ça lui plaît ou si ça l’énerve. Il y a souvent songé, au jour où River s’insurgerait contre lui, où il gueulerait le laisserait, mais jamais comme ça. Ça a toujours été River soumis River sous lui River qui ploie. Alors Rhoan ne dit rien, pour changer, ses yeux dans les siens qui recommencent à brûler. Y’a son souffle contre lui et il étouffe d’un coup. Parce qu’il réalise que River n’a pas envie de le laisser –pour de vrai.
Et pourtant, les mots lui filent un coup dans le vente. Laisse-moi. Laisse-moi. L’espace d’un instant Rhoan se dit qu’il ferait mieux. De le conduire dans un bel endroit et de s’éloigner pour le rendre heureux. Mais l’instant d’après River l’embrasse le touche s’accroche s’écorche contre lui il tente de garder l’équilibre mais c’est peine perdue, il tangue il chavire il se noie contre sa langue, quand il se bat dans le baiser, quand il l’embrasse à lui faire la guerre, quand il grogne contre ses lèvres que sa main se glisse contre son torse y enfonce ses ongles pour sentir battre son cœur. Laisse-moi. Il en est incapable. River est dans ses veines c’est un poison noir une malédiction, mais quand il l’embrasse comme ça il arrive pas à être fidèle à cette vision y’a juste des étincelles dans son crâne un brasier sur sa peau. Ses lèvres gagnent la bataille quand il les éloigne, quand elles mordent celles de River, quand elles dérivent mâchoire cou contre son oreille, quand il murmure. « Jamais. » Une promesse qu’il n’aurait jamais pensé faire, quelque chose qui le fait flipper à le faire trembler. Il veut jamais le laisser même s’il est terrorisé même si quand ses dents s’enfoncent dans sa carotide il a l’impression de crever.

« Jamais. » Ce mot-là veut dire quelque chose, ce mot-là il n'aurait pas pu l'exprimer qu'avec des gestes. Les caresses, les baisers, les coups de reins, les coups de poings, tout ça, ça n'a de sens qu'au présent. Jamais c'est une promesse. Il y la bête apeurée en lui qui le met en garde, qui lui dit de ne pas y croire, qui lui dit de se méfier des promesses, de l'espoir, des idées de futur meilleur, mais River l'ignore. Il ignore sa peur quand il serre un peu plus Rhoan contre lui, glisse la main entre le caleçon et le pantalon. Et il sourit contre ses lèvres affamées parce que Jamais c'est une réponse au double-sens qu'il n'avait pas fait exprès de donner à ses mots, ou alors pas consciemment ou alors juste un petit peu. « Laisse-moi faire Rhoan, » il explicite. Il a le palpitant qui s'affole encore peut-être juste parce qu'il a envie de lui ou peut-être parce qu'il s'attend encore à ce que Rhoan explose en comprenant ce qu'il vient de lui dire, qu'il le remette à sa place, qu'il l'écrase, qu'il lui fasse payer son audace. Le pire c'est qu'il ne lui en voudrait même pas. Il n'arrive plus à lui en vouloir, sa rancœur est lâche et faible contre tout ce qu'il lui inspire d'autre, toutes ces choses qu'il ne sait pas nommer, qu'il ne veut pas nommer. Il n'a pas oublié ce qu'il a vu tout à l'heure, il n'a pas oublié la fêlure que la vision a ouverte dans son cœur et qu'il sent encore racler là-dedans. Mais le problème est là, Rhoan peut lui faire mal, Rhoan pourrait le tuer qu'il ne le lui reprocherait même pas ou alors seulement pour l'avoir privé de lui.

Il appuie la paume contre l'épaisseur de tissu qui les sépare encore, se tord le poignet pour serrer les doigts autour de lui et c'est presque douloureux mais c'est peu cher payé pour sentir le souffle de Rhoan qui s'accélère contre son oreille, qui se fait plus rauque juste pour lui. C'est ce qui l'a toujours dégoûté avec les autres, c'est ce qui l'a toujours dégoûté de lui, ce dont il avait honte par-dessus tout, ce qu'il provoquait chez eux. Le désir, le plaisir. Il n'en voulait pas River, pas du leur, pas du sien, pas à cause de lui, pas à cause d'eux. Là c'est différent, c'est ce qu'il a eu du mal à admettre, c'est ce qui l'a fait détester Rhoan au début quand il ne comprenait pas ce qu'il lui faisait. Là c'est différent et il aimerait que Rhoan le comprenne, qu'il puisse sentir la différence aussi fort que lui. Il le veut il le veut il le veut et il ne sait pas ce que ça veut dire, il ne sait pas jusqu'où on peut aller quand on veut quelqu'un si fort, si c'est sain, si c'est encore humain de vouloir tout de lui, son cœur son corps sa vie sa mort ses mots toutes ses pensées toutes ses histoires ses déchirures son corps son corps son corps d'abord.

Jamais, il lui a dit. Jamais et dans ses veines ça bouillonne, Rhoan a l’envie de fuir qui déborde, il est comme une bombe prête à exploser que River réussit à calmer à la force de ses baisers. C’est toujours River qui déclenche ou qui calme tout, à l’origine de ses battements de cœur, de ses cris, de ses coups. Et ses coups il les retient, sa férocité il la cache du mieux qu’il peut. Quand il lui dit de le laisser faire, Rhoan serre les dents, ses poings qui se referment contre les hanches de River qui serrent fort si fort jusqu’à laisser une trace, les poings qui menacent à tout moment de cogner lui il craint à tout moment d’exploser,
Mais il ne fait rien.
Rien d’autre que de soupirer contre son oreille de se cambrer sous sa main. D’habitude c’est lui qui contrôle tout, lui qui fait ployer River contre son corps qui lui dit quoi faire qui ne lui laisse pas le choix. Il se contente de fermer les yeux mais ses dents grincent tant il les serre il peut pas rester stoïque il y arrive pas il a peur de lâcher prise il se perd –ses dents s’enfoncent une nouvelle fois dans son cou elles y restent assez longtemps pour le marquer, la possession la jalousie qui ressortent par tous les pores, parce que River est à lui, il lui a dit il est en train de lui prouver même s’il est pas sûr de le mériter, mais il lui obéit. Ça lui coûte ça lui remonte le cœur dans la gorge mais il obéit il lui laisse le contrôle. Parce que le contrôle, River l’a depuis longtemps, contrôle de son cœur de ses pensées. Et sous ses doigts il a enfin l’impression de respirer.
Finalement ses lèvres tremblantes s’éloignent de sa peau –et même si elles veulent déjà y retourner il fait de son mieux pour laisser River le toucher le laisser décider. Y’a ses yeux dans les siens mais ça le brûle c’est insupportable, il peut pas soutenir son regard alors il décide de s’attaquer à ses lèvres à nouveau à défaut du reste ça lui coûte trop de se montrer faible.

Il a menti il a menti il a menti il ne veut pas juste être à Rhoan, il veut que Rhoan soit à lui. Il veut les deux. Il veut qu'il serre plus fort les mains sur ses hanches et les dents sur sa carotide. Et comme s'il avait entendu sa prière muette il l'exauce. Trop fort. Rhoan lui arrache un petit cri de douleur, il le repousse dans un mouvement de recul qu'il corrige aussitôt qu'il comprend. C'est pas comme d'habitude. Il essaie pas de lui faire mal, il cherche pas à lui montrer qu'il domine, qu'il l'a en son pouvoir, c'est pas comme d'habitude. Il prend sur lui. Il a compris ce que River voulait et il s'y plie, Rhoan qui se plie ça n'est jamais arrivé et au bout du compte ça le fait presque paniquer. Il ne sait pas être en contrôle River, même quand il fait l'entreprenant il ne fait qu'obéir aux désirs informulés qu'il devine de l'autre, jamais aux siens, et jamais il n'a senti quelqu'un se livrer à lui, surtout pas Rhoan et il n'y a que Rhoan qui compte. Alors quand il revient lui embrasser les lèvres River y répond avec la même envie mais pas la même fougue, il préfère lui caresser la langue comme quelque chose qu'on savoure et pas comme s'il crevait de faim. Si Rhoan lui laisse les commandes il a le droit de lui imposer son rythme et là il a besoin de ralentir. Ça ne fait que lui donner encore plus envie de lui mais il sent comme un tremblement dans les lèvres de Rhoan et ses poings, il ne sait pas s'il hésite, s'il a peur ou s'il contient quelque chose de plus violent. S'il doit le rassurer ou faire semblant de n'avoir rien remarqué pour ne pas déclencher sa rage. Y a toujours cette crainte d'appuyer sur le bouton rouge et pour ce qui est de la communication il n'est pas allé à bonne école avec Rhoan. À défaut de savoir quoi dire quoi faire il glisse finalement la main sous son caleçon, c'est bien connu y a rien de plus apaisant que le peau à peau. Il l'entoure complètement de sa main, amorce un mouvement presque machinal de va-et-vient et son pouls vient cogner dans ses tempes à cause de l'excitation et de la panique aussi, surtout, parce qu'il ne sait pas ce qu'il est censé faire maintenant. Tout à coup le siège d'une bagnole volée avec des voitures qui les dépassent toutes les dix secondes ça lui semble pas l'endroit le plus favorable pour les expérimentations. Mais il peut plus reculer maintenant, il peut pas faire ça à Rhoan qui joue son jeu, qui prend le risque de s'abandonner, peut-être, bientôt, s'il trouve comment s'y prendre. Et puis merde c'est aussi que c'est pas confortable cette position et son poignet crie de douleur, il va pas aller loin comme ça. Alors il entoure la taille Rhoan de ses mains et lève un genou pour tenter de le faire basculer sur le côté.

Dans la poitrine de Rhoan ça dérape au fond de sa gorge ça se tord, tout son cœur qui se tend quand la main de River s’accroche, quand il bouscule tout, tout ce qu’il a enfoui là-dedans. Rhoan a passé des années à essayer d’entourer son cœur de fils barbelé à le transformer en glace le palpitant gelé pour que plus rien ne se passe pour ne plus avoir mal pour ne plus souffrir autant. Maintenant ils souffrent à deux, mais quand sa paume le trouve c’est tout sauf douloureux quand ses lèvres répondent il serait presque heureux, c’est pour ça que ses mains tremblent que son cœur tangue qu’il fait le vide dans son esprit, parce qu’il refuse d’y penser, il refuse de réaliser mais il le sait,
Rhoan tombe amoureux, c’est irrémédiable.
Le poison qui se répand dans ses veines à vitesse éclair il en perd son souffle mais ses pensées se raréfient ses barrières tombent son souffle se coupe puisqu’il n’y a plus que River au fond de son crâne abîmé, River et sa peau ses lèvres sa main son corps River et ses baisers River pour l’éternité même si ça le fait flipper. Même si ça le fait vriller, il décide d’oublier. Cette fois il ne gâchera pas tout, il se le promet, même si ça dure quelques minutes quelques heures même s’il continuera à lui faire du mal après parce que c’est comme ça qu’il est fait. Les lèvres de Rhoan qui effleurent ses lèvres et son cou et quand il le sent bouger il grogne parce qu’il ne veut pas bouger il a peur de le lâcher peur de tout gâcher. Mais il se redresse, il le quitte juste pour escalader l’habitacle pour se retrouver sur le dos la banquette arrière tout sauf confortable mais il n’y pense pas il ne sent rien il ne veut rien sentir sinon les mains de River sur sa peau. Quand il le tire l’attire à lui l’assoit sur ses cuisses c’est brutal parce que c’est comme ça qu’il fonctionne. Il ne sait pas faire autrement que par la violence, les coups qui pleuvent les mains qui serrent et la peau qui finir marquée, cicatrices jusque sous la chair. Pourtant là ses mains sont douces, presque lentes quand elles soulèvent le tee-shirt de River et ses lèvres ne mordent pas la peau en dessous, elles se contentent de frôler et d’embrasser, ça lui fait bizarre mais il croit qu’il aime ça, ça lui fait bizarre mais ça il n’y pense pas. Pas quand il a River contre lui quand il a sa peau sous ses doigts quand il met sa vie au creux de ses bras.
Et quand ses mains se pressent un peu plus qu’elles défont les boutons de son jean quand il remonte pour attraper sa nuque pour l’embrasser un peu plus il se dit qu’il a perdu mais que pour une fois il ne regrette pas d’avoir été faible de l’avoir laissé entrer de s’être fait avoir et d’avoir son cœur sinistré. Il regrette pas il en veut encore il en redemande même et ses baisers murmurent à River qu’il peut l’avoir ce soir qu’il ne lui en veut pas qu’il ne lui fera jamais de mal, que de toute façon maintenant « C’est toi et moi. »

Il a peur une dernière fois quand Rhoan le repousse. Il pense qu'il a dépassé les bornes, c'était le geste de trop, il n'a pas le droit de prendre le contrôle, pas vraiment. Il a peur et il se résigne aussitôt mais Rhoan ne se fâche pas, il passe simplement derrière le siège passager et tend la main pour l'attirer à lui. Sur lui. River suit le mouvement, il n'oppose aucune résistance aux mains de Rhoan qui l'agrippent un peu trop fort. Il a l'habitude, Rhoan n'est pas un tendre et même quand il l'aime c'est avec véhémence, quand il l'aime il lui laisse sa marque comme pour être sûr qu'il ne l'oubliera pas. Il a l'habitude et plus que ça, il est même forcé d'avouer que ça lui plaît maintenant. Ça sert plus à rien de se mentir. Il a l'habitude mais finalement ce n'est pas comme d'habitude. Non content de se laisser faire, de seulement se contenir, Rhoan se transforme et il y a de la douceur dans ses caresses et ses baisers, quelque chose d'insoupçonné, quelque chose comme de la tendresse qui surprend River. Il pensait qu'il était incapable de l'exprimer comme ça dans un moment pareil. Il pensait que la douceur de Rhoan c'était réservé aux minutes alanguies d'après le sexe, il pensait c'était plus une absence, l'absence d'une faim vorace enfin assouvie, que l'expression de quelque chose de plus. Mais Rhoan lui dit quelque chose quand il essaie de se caler sur son rythme, quelque chose qui se passe de mots, quelque chose comme un secret. River se demande ce que ça lui coûte. C'est même effrayant de s'autoriser à l'entendre. Il sait pas si c'est ce qu'il veut. Il est pas sûr de vouloir comprendre, il est pas sûr de vouloir continuer comme ça. C'est nouveau, c'est différent et c'est vertigineux. Pourtant ses bras entourent Rhoan, il caresse ses épaules, sa nuque, l'encourage à poursuivre ses baisers donnés à fleur de lèvres sur son torse. Il se demande s'il sent son cœur qui tambourine sous sa bouche.
Et puis Rhoan déboutonne son jean, accélère les choses et River est prêt maintenant, il est plus que prêt, il n'en peut plus. Et y a les mots de Rhoan et River qui se demande comment il est encore en vie parce que son cœur vient d'exploser. Ça fait pas mal, il se sent juste flotter, Rhoan vient des les projeter dans un cosmos rien qu'à eux. « Toi et moi » il répète avant de l'embrasser encore et c'est son tour d'être vorace, de chercher sa langue comme s'il crevait de soif, son menton dans une main pour le retenir. Toi et moi. Ça vaut bien plus qu'un je t'aime à ses oreilles, c'est bien plus chargé de promesses, c'est toi et moi maintenant, toi et moi pour toujours, et c'est pas son truc à River les promesses et les toujours, c'est pas son truc à lui mais ça peut être leur truc à eux. Peut-être qu'il attendait que ça, peut-être qu'il avait besoin de Rhoan pour être capable d'avancer, pour arrêter de stagner. Qu'est-ce qu'il lui apporte lui, à Rhoan ? Il a pas envie d'y penser maintenant, il a envie d'être égoïste encore un peu, il a envie de se prendre pour le centre du monde et Rhoan pour son soleil, le contraire lui va aussi pourvu qu'ils ne puissent pas se passer l'un de l'autre. Une bouffée d'air. Il en profite pour lui enlever le haut puis il le renverse complètement sur le dos. Ses mains viennent flirter avec l'élastique de son caleçon pour le faire glisser sur ses cuisses, le jean avec. Il l'aide à s'en débarrasser en descendant embrasser sa clavicule, ses côtes, son ventre, son sexe sur lequel il s'attarde quelques secondes avant de remonter un peu trop vite. Il ne pense plus à la façon dont il l'a trouvé tout à l'heure, quand il joue avec son impatience, pourtant c'est sûrement à cause de ça qu'il le tourmente alors qu'il en a encore moins que Rhoan ce soir, de la patience. Qu'il a envie de lui montrer qu'il est à lui. C'est le domaine de Rhoan d'habitude la possessivité, les marques, mais River se prend au jeu, il empoigne sa taille, y plante les griffes en se pressant contre lui, les dents qui s'acharnent à la naissance de son cou, remuant un peu les hanches pour lui faire comprendre qu'il voudrait bien qu'il le déshabille aussi.