✧ 01 Ioan, il souffre depuis toujours d'une hypersensibilité qu'il n'arrive pas à accepter. Il prend les choses trop à coeur, bascule dans les extrêmes avec une facilité déconcertante, et se retrouve noyé sous les émotions sans crier gare. Et pourtant, quand on le voit de l'extérieur, on n'y penserait pas. Quand on le voit déambuler, les écouteurs greffés au fond des oreilles et les sourires depuis longtemps envolés, on pourrait plutôt penser qu'il a oublié comment ressentir. oublié comment se soucier du monde, et oublié la place qu'il y avait. On se laisse prendre par ses yeux vides et ses regards délavés. Et on ne se doute pas qu'à la vérité, cette distance avec le monde est le seul moyen qu'il a trouvé pour s'en protéger. C'est la façon dont il a choisi de gérer son hypersensibilité. Et même s'il sait que ça le conduira à exploser, tôt ou tard, il n'est plus capable de s'en empêcher. Plus capable de faire autre chose que de se taire, et de subir la vie qui s'acharne sur lui. ✧ 02 Pourtant, s'il peut paraître soumis et crédule, à la limite parfois de la naïveté, il n'en est rien et il n'en a jamais rien été. Les gens le croient faibles, les gens le croient stupides. Mais les gens se trompent. Ioan ne fait rien pour se défendre. Ioan joue le faible, Ioan se laisse insulter. Ioan essuie les coups et les quolibets, et repart la tête basse pour éviter de sombrer dans une spirale qu'il sait aussi alléchante que défoulante. Parce que Ioan, il n'est pas stupide. Ioan, il a toujours su lire le monde - et il l'a d'ailleurs du bien trop tôt. Encore qu'un gamin, et il comprenait déjà des principes qui dépassaient la plupart de ses aînés. Ioan, il sait penser, et il n'a jamais été aveugle sur tout ce qui se passait. Il se sait moins faible qu'on ne le lui reproche. Mais il se sait aussi plus instable que la plupart des gens ne l'imagineraient. Il sait les ravages qu'a causé sur lui l'éducation de son père. Il les a vus en s'enrôlant, les a vus à l'entraînement. Ioan, il reste un Popescu, et ça lui fait peur. Il sait ce qu'il est capable de faire, et il ne veut simplement pas que les autres puissent eux aussi le constater. Il se cache derrière la faiblesse et la soumission — et parfois, même, la stupidité. Il se cache et il ne dit rien. Que les gens continuent de distinguer ce qu'il n'est pas vraiment. Que les gens continuent de le croire inutile et innocent — que les gens continuent d'être aveugles à ce qu'il est vraiment. ✧ 03 Ioan, il finira par exploser. Il creuse depuis qu'il est haut comme trois pommes — creuse pour avoir l'impression de ne pas être au fond du gouffre. Il creuse pour tourner le dos à la colère et la violence qui ont rempli la crevasse dans laquelle il s'est enfoncé, réfugié. Il creuse pour enfoncer sa tête dans le sable, même quand le sable lui-même en vient à se retirer. Creuse pour occuper ses mains, et pour ne pas les laisser s'écraser, phalanges repliées, sur les crânes de tous ceux qui le mériteraient. Parce que Ioan, il a toujours eu une colère sourde au fond de lui — colère qu'il a pourtant appris à étouffer et maîtriser. Mais un jour, il ne pourra plus la retenir. Et il le sait. Il sait que l'armée et la guerre ont affaibli ses défenses au moins autant qu'elles ne les ont renforcées. Et il sait que tôt ou tard, ce masque si soigneusement greffé à sa peau finira par s'écrouler. Plus tôt que tard. ✧ 04 S'enrôler, ç'a été sa réponse naturelle à un sentiment d'invisibilité et d'abandon qu'il ne pouvait plus réprimer. S'enrôler, ç'a été un choix que personne n'a vraiment commenté, mais que personne n'a non plus complètement avalé. S'enrôler, ç'a peut-être été à la fois le meilleur et le pire choix de sa vie. Et aujourd'hui encore, il est incapable de dire s'il le regrette ou non. Ça n'a fait qu'empirer tout ce qui était déjà mauvais en lui — ça n'a fait que renforcer son sentiment de faiblesse, renforcer sa violence et son instabilité. Ça n'a fait qu'embrigader les fantômes dans sa tête avec soin, et ça s'est même permis d'en rajouter. On ne pourrait pas tout à fait parler de stress post-traumatique. Parce que dans le fond, ça n'en est pas vraiment. Ce n'est qu'une énième couche de chaos au fond d'un esprit déjà brisé par la vie. Ce n'est qu'une raison supplémentaire de haïr le monde qui l'entoure — de le haïr sans savoir comment le fuir.  ✧ 05 Pour Ioan, la famille a toujours été quelque chose de spécial. Il peut pas se l'expliquer, et même en cherchant bien il ne le comprend pas — mais sa famille, il crèverait pour eux. Il crèverait et il tuerait, les deux en même temps s'il le fallait. Il a pour eux un amour qu'il n'est pas capable d'exprimer. Un amour qu'ils ne méritent pas toujours — et il le sait. Pourtant, il ne peut pas le nier. Il les protègerait et il les couvrirait, envers et contre tout. Au diable les ingrats, au diable les égoïstes et les méprisables — méprisants. Il en souffre, mais il ne sait pas comment arrêter. Masochiste à les aimer comme un fou, ces âmes aussi brisées que la sienne. Et désespéré, à ne pas savoir comment leur faire comprendre. Désespéré, à n'être à leurs yeux qu'un raté, et à ne pas pouvoir se résoudre à leur montrer qu'ils ont tort. ✧ 06 Ioan, ce n'est pas quelqu'un de bavard. Garder sa langue est venu avec l'habitude de garder ses émotions. Et aujourd'hui, lui tirer quelques mots n'est pas chose simple — et lui arracher une réponse à des insultes ou des reproches est presque impossible. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, lorsqu'il s'exprime, les mots ne sont pas pesés. Les mots sont brouillons et chaotiques — autant que peuvent l'être ses émotions. Lorsqu'il parle, il a l'impression de paraître encore plus stupide que quand il se tait. Un énième détail qui fait qu'il a appris à la fermer, sur bien des sujets. Sans se laisser la chance d'apprivoiser les mots, et d'écouter son coeur pour parler. Car lorsque l'instinct crie, les mots sont posés et ajustés. Lorsqu'il arrête de réfléchir et qu'il se laisse aller, il n'a pas la moindre difficulté à s'exprimer. Si seulement il était capable de s'abandonner davantage. ✧ 07 S'il ne parle pas, il écoute. Bonne oreille pour tous ceux qui l'entourent, il est de ceux qui donnent leur entière attention, sans jamais rien demander en retour. Car lorsqu'on lui parle, il n'est plus invisible. Son avis ne compte bien souvent pas, et il ne fait office que de réceptacle. Mais quoi qu'il en soit, on se rend compte qu'il est là. Et cette simple idée suffit bien souvent à écraser les autres, plus noires, que la vie lui a enfoncées au fond du crâne. Quand on lui parle, il existe. Mais quand il parle, on ne l'écoute pas — il n'existe pas. Et pour Ioan, le choix a été vite fait. Il a choisi d'exister, même si c'est de la manière la plus pathétique et la plus basse qu'il soit. Alors Ioan, il arrête de parler pour écouter. Ioan, il capte tout ce qui l'entoure et il ne répète jamais rien. Invisible et discret — boîte à secrets. ✧ 08 Comme tous les petits Popescu, il a commencé à boire trop tôt. Beaucoup trop tôt. Le traitement d'un père qui n'a jamais voulu entendre une autre manière d'élever ses enfants. Et même s'il a tenté de se cacher et d'y échapper, rien n'y a fait. Le culot qui s'enfonce dans son gosier, et les pas qui vacillent pour remonter jusqu'à sa chambre. Des larmes sous les paupières, des larmes dans la gorge. Et avec le temps, il s'est habitué. Habitué à tomber dans les escaliers, habitué à vomir avant même d'arriver aux toilettes. Parce que Ioan, il n'a jamais eu le gabarit qui tenait l'alcool. Jamais. Enfant, il s'écroulait au bout de deux gorgées. Et maintenant, les choses n'ont pas tant changé. Si ce n'est qu'il a trouvé un autre intérêt à la boisson. Oublier. S'il a toujours peur de ce que l'alcool lui ferait commettre, il ne peut pourtant s'empêcher d'occasionnellement s'y abandonner. Ça calme le chaos qui règne au fond de sa tête, et ça atténue l'agressivité du monde qui l'entoure. Il fait attention où il boit, fait attention à ce qu'il boit. Parce que même aujourd'hui, malgré l'éducation et les intempéries, il ne tient pas. Et là-dedans comme partout, mieux vaut être seul que mal accompagné.  ✧ 09 Des mauvaises habitudes inculquées par son paternel, il a également conservé la cigarette. Souvent une clope au bec, il ne peut pas dire que le tabac lui fasse du bien ou du mal. Tout ce qu'il sait, c'est que quand il ne fume pas, il est particulièrement sur les nerfs. L'armée l'a forcé à arrêter, et les premiers temps furent compliqués. Alors dès qu'il a pu reprendre, il ne s'est pas privé. La nicotine lui a fait de l'oeil et il l'a embrassée, répétitivement. jusqu'à ce qu'elle fasse à nouveau part de son système — jusqu'à ce qu'il se sente mieux. Aujourd'hui, il est retombé dans son addiction. Et il ne fait rien pour s'en sortir, Profondément désintéressé par un combat qu'il sait être vain. ✧ 10 La drogue, ç'a néanmoins toujours été une histoire plus compliquée. Parce que dès qu'il s'agit d'autre chose que de marijuana, il ne la tient pas. Les drogues le font basculer, les drogues le font sombrer. La violence pulse dans ses phalanges sans qu'il ne puisse la contrôler, et il a la perpétuelle impression que sa tête va exploser. Il a les trips mauvais, de la première seconde à la dernière minute. Et il le sait. Alors la drogue, il l'évite comme la peste. Il baisse le nez et passe pour une tapette, s'écrase et disparaît avant qu'on ait eu la mauvaise idée de le forcer à en ingurgiter. Il reste à l'écart de ces substances qui font exploser tout ce qu'il garde en lui. Reste loin des enfers en poudre et en cristal qui hantent la moindre des soirées en société qu'il se permet. ✧ 11 Ioan, il ne se souvient plus vraiment à quel moment il a commencé à trouver refuge dans la musique. Peut-être à l'adolescence, ou peut-être plus tôt encore. Tout ce qu'il sait, c'est qu'aujourd'hui encore il a besoin du rythme contre ses tympans. Les écouteurs greffés dans les oreilles comme un adolescent, il passe sans relâche les vieux tubes de rock et de métal qui ont bercé son adolescence — mais aussi les vieux morceaux de blues et de jazz, qui ont bercé les générations précédentes. Il aime tout, sans exception. Que ça hurle, que ça pulse, que ça pleure. Il ne se lasse jamais du rythme, ne se lasse jamais de découvrir de nouveaux groupes. Et sa collection de CDs, soigneusement rangée sur les étagères de sa chambre, c'est la seule chose matérielle à laquelle il tient. La seule petite fierté qu'il entretient. ✧ 12 Ioan, il a toujours aimé faire des puzzles. Résoudre des énigmes, assembler des petits morceaux les uns avec les autres. N'importe quoi qui ressemble à un casse-tête, et qui est capable de lui occuper l'esprit pendant des heures. C'est le genre de choses qui fait qu'on se moque de lui — le genre de truc qui fait qu'on pense qu'il n'a jamais grandi. Mais il s'en fout. Il s'en fout et il s'y réfugie, dans toutes ces petites complexités de l'esprit. Ça lui fait oublier son invisibilité, ça lui fait oublier le mépris. Ça clarifie le trouble de ses pensées, et ça l'aide à avancer. ✧ 13 Y en a qui disent qu'il n'a jamais grandi. Qu'il a été touché par le syndrome de Peter Pan tout petit, et qu'il a tout fait pour rester dans l'innocence depuis. Il n'est pourtant rien de plus faux — mais ça, il le garde pour lui. Ioan, il a grandit trop vite. Et la seule manière de le cacher, ç'a été de se réfugier dans la vie des plus jeunes. Profiter d'avoir des petits frères, des petites soeurs. Se laisser happer par leur innocence, aussi longtemps qu'il l'a pu. Et en grandissant, devenir celui qu'il est maintenant. Le faible, l'éternel enfant. Ioan, il a toujours été bloqué entre la vie adulte et l'enfance. Aujourd'hui encore, il n'arrive pas à s'en défaire — et ça le fait souffrir, plus que jamais. Pourtant, il ne lutte pas. Il laisse le courant le balloter à droite et à gauche sans souffler mot, seulement raccroché à la vie par ce comportement enfantin qu'il s'efforce de conserver. Mais tout le monde finit par grandir, et même Ioan le sait. Même Ioan commence à être fatigué de s'accrocher à une innocence qui a foutu le camp il y a bien longtemps, et qu'aucune prière sanglotante n'a jamais fait revenir. ✧ 14 L'une des manifestations les plus évidentes de cette enfance qu'il refuse de quitter, c'est peut-être sa manière de s'habiller. À croire qu'il est resté bloqué à quinze ans, Ioan — si ce n'est peut-être le blouson en cuir rapiécé qu'il porte à longueur de journées. Jeans et baskets, t-shirts de groupe de musique et écouteurs sans cesse enfoncés dans les oreilles, on ne lui donnerait bien souvent pas plus de dix-huit ans. Et il faut dire que sa face d'enfant ne l'aide pas — ce visage qui n'a jamais voulu vieillir, malgré tous les coups que la vie lui a infligés. Ses vingt-quatre ans, il ne les fait pas. Ni dans ses traits, ni dans sa manière de s'habiller. Ni dans sa manière de se comporter. ✧ 15  Pourtant, sur le corps d'enfant, l'adulte s'est dessiné. Quelques tatouages ramassés de-ci de-là, durant les permissions où il errait en refusant de faire face à cette famille pourtant tant aimée. Quatre années d'absence, durant lesquelles il n'est pas rentré. Quatre ans qui se sont pourtant imprimés dans sa chair. Tatouages d'armée, sur son torse et dans son dos. Tatouages de loyauté et de vies brisées. Cachés par ses t-shirts qu'il n'enlève jamais, comme pudique de l'encre qu'il s'est infligée. La plupart ont été faits sans penser, mais tous sont sincères. Leur existence ne regarde que lui, cependant — et il préfère les laisser oubliés sous ses vêtements, comme cette partie de sa vie reste dissimulée sous son visage d'enfant. ✧ 16 Ioan, il a toujours été doté d'une loyauté qui dépassait l'entendement. C'est ce qui, au fond, l'a fait rejoindre l'armée. C'est ce qui, au final, l'a fait revenir habiter dans cette maison que la plupart de sa fratrie a fui. Il ne peut pas se l'expliquer, et ce trait l'a toujours fait souffrir plus qu'il ne l'aurait souhaité. Mais sa fidélité est à toute épreuve — et ça, il ne peut rien y changer. Il ferait n'importe quoi pour ses proches, ou pour tous ceux qu'il estime un tant soit peu. Capable de se jeter sous les coups — de couteau, ou de poings. Capable de se jeter sous les balles, et capable de ne jamais se relever. Il ne laissera pas faire du mal à ceux qu'il aime ; pas sous ses yeux. Il sait que ça risque de lui coûter cher, un jour. Alors, pour ça comme pour tant d'autres choses, il essaie de baisser le nez. De se contenir et de se cacher, afin d'éviter de prendre toutes les balles qui ne lui sont pas destinées. ✧ 17 À côté de la loyauté, il y a le sens de la justice. Presque aussi aigu, mais sans cesse mis à mal par cette fidélité sans bornes qu'il voue aux êtres chers. Ils pourront faire tout et n'importe quoi — Ioan sera là. Il aura conscience de cautionner quelque chose qu'il ne devrait pas. Mais s'empêcher de le faire lui est impossible. Il protègera la veuve et l'orphelin dès qu'il le pourra. Dès que sa famille ne sera pas de l'autre côté, en train d'essayer de les voler. Parce que Ioan, sur ça comme sur le reste, il est tiraillé. Incapable de trancher, incapable de se rallier fidèlement à une des deux émotions. Alors, à chaque confrontation, il sombre. Il ferme les yeux et il se laisse emporter, fuyant toutes les situations qui violentent son coeur. ✧ 18 Ioan, il a quelque chose avec les animaux. Enfant, il ne les appréciait pas tant. Pourtant, eux venaient lui rendre visite, et le filer. Il croisait leur chemin, leur donnait à peine une caresse ; et après ça, impossible de s'en débarrasser. Alors il s'est mis à ramener les chats errants à la maison — à ramener les chiots perdus, et à les cacher sous son lit. Tous ont fini par être découverts, et tous ont été renvoyés dehors sans la moindre pitié. Ça a continué de briser le coeur de l'enfant — enfant qui a trouvé une autre solution pour les aider, une autre solution pour s'en occuper. Alors il piquait de la bouffe à table — et tant pis si ses portions à lui s'en retrouvaient amaigries. Il piquait de la bouffe et il la donnait aux boules de poils et de plumes qu'il croisait sur le chemin. En grandissant, il a arrêté petit à petit. Jusqu'à ce qu'en rentrant de l'armée, il se souvienne du réconfort qu'un chien malheureux pouvait apporter. Jusqu'à ce qu'il pointe le bout de son nez à la fourrière de Savannah, et qu'on lui offre un boulot pourri. Un boulot pourri qui lui permet de rester au milieu des bêtes, encore aujourd'hui. Un boulot pourri qu'il ne quitterait pour rien au monde, et qui lui apporte plus de réconfort qu'il n'en a jamais trouvé auprès des êtres humains. ✧ 19 Ioan, il avait son permis de conduire. Il l'avait, jusqu'à cette permission où il a un peu forcé sur la bouteille. Il s'est fait arrêté à la sortie d'un bar, et la soirée n'a fait qu'empirer lorsqu'on l'a conduit au poste. On lui a confisqué son permis et, depuis, il est condamné à se déplacer à pied. Ça ne lui fait pourtant ni chaud ni froid. Entretenir une bagnole, c'était cher. Marcher, ça aide à réfléchir. Et quel que soit ce qu'il absorbe, on ne pourra jamais lui reprocher d'avoir pris ses pieds pour rentrer. ✧ 20 Ioan, il a le sommeil agité. Ça fait des années qu'il n'a pas fait une nuit complète, d'une traite — exception faite des soirs où il a où c'est un repos à la limite du coma éthylique qui l'assomme. Beaucoup diront que les insomnies ont été provoquées par la guerre. Et beaucoup se tromperont — elles étaient là avant, et elle n'ont simplement fait qu'empirer depuis. Lorsqu'il parvient à sombrer dans un sommeil stable, c'est pour le voir secoué de cauchemars qu'il ne peut plus éviter. Cauchemars de guerre, cauchemars d'une vie à se terrer et à se faire oublier. Alors, depuis quelques temps, il s'est mis à prendre des médicaments. Il ne se les procure pas de manière légale, mais n'en a cure ; tout ce qu'il voudrait, c'est voir les cernes noirs qui hantent ses yeux disparaître un peu. Tout ce qu'il voudrait, c'est pouvoir dormir — simplement dormir. Cesser de regarder le plafond sans oser bouger, de peur de réveiller Anca. Cesser de penser, toute la nuit, sans rien pouvoir faire pour s'en échapper. On lui a dit de prendre garde à l'addiction. On lui a dit, et il a promis de faire attention. Mais la vérité, c'est qu'il s'en fout. La vérité, c'est qu'il serait capable de vider la boîte d'un coup, si ça pouvait lui promettre de bien dormir pour le reste de sa vie. La vérité, c'est qu'il est épuisé — physiquement, psychologiquement. Et que derrière ses airs d'enfants, il n'est rien qu'il ne donnerait pas pour avoir un peu de répit. Rien qu'un peu, quelques nuits. Rien que la paix et le silence, sans une seule vague pour l'agiter.