J’poireaute devant le macdo, cigarette au bec je suis censée attendre Merle pour qu’on aille manger un truc mais Merle vient pas. Un imprévu qu’il me dira et mes doigts qui pianotent sur le téléphone pour lui demander de se rappliquer. J’ai faim. Très faim. La croissance qu’on dira, ou le joint que je viens de fumer, un peu des deux, le mélange dans le cerveau et le ventre qui gronde. Putain. J’ai pris une pause pour lui, pas que je gagnais quelque chose à tendre la main, en été les gens sont moins enclins ils pensent moins à la misère quand le soleil brille. Tu parles. Qu’est-ce qu’ils en savent.
Bref. J’attends. Encore dix minutes et je me casse, dix minutes et je m’en vais. Ptêtre que j’irais à la plage tremper les pieds dans l’eau ou alors que j’irais faire un tour à la librairie de Rez pour me changer les idées. Y a Grace aussi, mais l’hopital j’ai pas envie d’y passer, pas envie parce que c’est trop récent, le bordel monstrueux que ça a engendré et toutes les saloperies avec. Jedediah. Je tire sur ma cigarette une dernière fois avant de l’écraser sous ma chaussure, le regard dans le vague, j’observe ceux qui vont et vienne avec leur putain de big mac et leurs putains de frites. Jedediah. Et merde. J’ai pas envie de penser à lui, pas envie de penser à Tobias, à ce que ça implique. Puis y a ce gars qui passe devant moi. Pas très doué le gars et le porte-feuille qui dépasse de la poche arrière. J’ai les mains qui démangent salement, le regard qui se fixe sur l’objet de mes convoitises. Et puis merde, Merle il me devra des frites la prochaine fois, pas question qu’il s’en tire comme ça.
Je me décolle du mur, commence à suivre le gars, basique, de ce que j’ai vu c’est de ce genre de garçon au regard doux qui doit vivre sa vie sans soucis. Ca lui manquera pas, quelques dollars en moins dans sa vie, il ira continuer ses jolies études dans sa jolie maison, et moi jvais me payer un smoothie. Y a plus que quelques mètres, la main qui se tend, le portefeuille qui disparait dans mon sac, l’air innocent sur le visage, une vieille habitude. Je le bouscule, trébuche un peu, la confusion sur mon visage. « Pardon. Pardon je suis désolée » que je murmure tout bas, comme prise en faute, la honte dans les yeux. Et vite je repars, avant qu’il comprenne ce qui vient de se passer.

Betrayal is beautiful ☾ Ca fait déjà une semaine que t'es à Savannah, mais t'as pas vu grand-chose de la ville. Entre ton nouvel appart, les papiers de la fac à régler, le stage en hôpital à trouver, tu sais plus où donner de la tête. Y a trop de trucs qui t'attaquent de tous les côtés, mais tu tiens bon. Tu sais qu'il faut que tu tiennes bon. Ne serait-ce que pour River, pour Mags, pour Levi et Jacob et pour tous ceux qui croient en toi. Pour ta nouvelle vie, ton nouveau départ, sous le soleil de Géorgie, loin des ombres qui planent toujours un peu trop au-dessus de ta tête quand tu traînes les pattes dans les rues de ta ville natale. Alors aujourd'hui, tu dis merde au café de Nur et aux tentatives de rapprochement d'Arthur et tu prends la porte, direction le quartier historique de Savannah, parce que c'est là que tu vas trouver les plus beaux coins, les plus belles idées pour tes nouvelles peintures, celles que tu crèves d'envie d'envoyer à ta famille pour leur montrer à quel point tu t'épanouis à l'autre bout du pays. Et puis, alors que t'arrives à hauteur du MacDo, tu te fais bousculer par un petit bout de femme qui fait au moins deux têtes de moins que toi. Elle se confond en excuses, yeux de biche et bouche en cœur, et tu penses même pas au portefeuille dans le fond de ta poche arrière. « T'inquiète, y a pas de mal. » Tu lui adresses un des sourires dont t'as le secret, doux, protecteur. Mais t'as même pas le temps de lui demander si elle s'est fait mal qu'elle disparaît déjà dans la cohue. Tu fronces les sourcils, étonné par cette attitude pressée, puis tu secoues la tête, un sourire aux lèvres. Tu te fais des idées. Tu te remets à marcher, mais tu sens qu'il te manque quelque chose, qu'il y a un truc qui va pas. Ta main se porte à ta poche arrière, et tu paniques. « Hé ! HE ! » Tu te mets à sprinter en direction de la petite tête blonde qui glisse entre les passants, une anguille insaisissable que pourtant t'arrives à attraper. Ta main se serre sur son bras, un peu trop violemment à ton goût, mais tu veux qu'elle s'arrête, qu'elle te regarde dans les yeux, qu'elle affronte sa faute en face. « J'crois que t'as pris quelque chose qui t'appartient pas. » Les sourcils qui se froncent et le regard orageux, t'as pas de patience pour ça, Felix.

T'inquiète, y a pas de mal. Et le sourire qui va avec. Désolé mon gars. Je prends même pas le temps de le regarder son sourire, ça sera une prochaine fois, un prochain jour, une autre vie. Là je peux pas. Alors j’me glisse entre la foule le plus vite possible pour mettre de la distance entre lui et moi, faut croire que ces mois dans la rue ont réussi à gommer les traits principaux de mon sens moral et que je veux juste m’en tirer. Hé ! HE ! Sérieux ? C’est vraiment pas ma veine aujourd’hui, vraiment pas. J’espère que ce soir on mangera des frites en regardant Jurassic Park et je crois que le premier qui essaye de me piquer la télé je me mettrais à chialer pour le faire culpabiliser. Non vraiment. J’en ai marre là.
Je continue d’avance, un peu plus vite, pour essayer de mettre le plus de distance entre lui et moi mais rien n’y fait, y a sa main sur mon bras et il me retourne de force. Ca fait mal. Putain ce que ca fait mal. En quelques secondes je me retrouve renvoyé chez Seven, lui qui me plaque contre le mur et ses ongles qui s’enfoncent dans ma peau. J'crois que t'as pris quelque chose qui t'appartient pas. « Lache moi » que je murmure tout bas essayant de me dégager. Mais rien n’y fait. « Lache moi lache moi lache moi lache moi ! » j’ai les larmes qui coulent parce que y en a marre de tout, parce que y en a marre de ces mecs qui usent de la force à la moindre occasion, marre de devoir me faire trimballer de droite à gauche comme une foutue poupée de chiffon. Je sens les jambes qui lâchent sous mon poids et moi mes genoux qui heurtent le sol, au fond c’est facile de jouer les désespérées, quand on l’est vraiment. « Me touche pas » comme une supplique, une dernière, avant que je commence à réellement paniquer.

Betrayal is beautiful ☾ Elle murmure un truc que tu comprends pas, et puis soudain c'est comme si un barrage se rompait. Elle fond en larmes elle crie elle hurle. « Lache moi lache moi lache moi lache moi ! » Tu paniques t'as peur de l'avoir blessée alors tu libères ton emprise comme si sa peau diaphane t'avait brûlé, reculant de quelques pas dans le processus. Vous faites un boucan pas possible, le chahut et le raffut attirant de nouvelles personnes, de nouvelles attentions. Tu te soucies pas des yeux rivés sur toi, les tiens sont braqués sur la petite figure frêle qui vient de s'effondrer sur le goudron, les genoux éraflés l'âme piétinée le cœur bousillé. Tu te jettes par terre à sa suite, le portefeuille oublié face à l'urgence de la situation, l'urgence de lui rendre son beau sourire. Tu t'arrêtes même pas pour te demander si c'est une ruse, t'as que ses larmes en tête, gravées sur la paroi de tes rétines. Et alors que tu tends les mains pour la saisir par les épaules, elle émet un gémissement, comme la dernière prière d'une martyre. « Me touche pas. » Ses cheveux blonds ses yeux bleus ses joues rougies et baignées de larmes, tout ça te frappe en plein cœur. Tu te sens mal Felix, t'as envie de gerber, et si c'était pas pour la gamine gisant sur le trottoir, t'aurais déjà régurgité tout ton repas de midi. « Ok ok je te touche pas. » Tu lèves les mains en signe de paix, les yeux plantés dans les siens, tentative vaine d'apaiser une biche apeurée. « Regarde-moi. Respire. Calme-toi. » J'utilise ma voix de médecin, celle qui guérit qui rassure qui promet que tout ira bien. Parce que tout ira bien. Tu le sais, c'est une certitude ancrée profondément en toi. Tout ira bien.

Je panique, j’ai peur, j’ai mal, je veux pas. Il va faire quoi hein ? Me frapper ? Hurler ? Je me rend pas compte de tourner en boucle, les mots qui recommencent encore et encore. lache moi. Les poignets, ça brûle, ça me rappelle quand Lydia m’attachait. Lydia. Maman. Un mélange des deux et mon démon personnel. Lache moi arrête, s’il te plait. Mais surement qu’il fera rien. Ils sont tous pareil.
Je tombe.
Les genoux qui raflent le par terre, ça fait même pas mal tant ce qui me brûle c’est son emprise sur mes poignets. Me touche pas c’est une prière, une supplication. Je veux pas qu’on me touche, je veux plus qu’on me touche. Ca me rappelle trop de choses, la peau brulante sur la mienne, j’agonise.
Ok ok je te touche pas. Et soudain mes poignets sont libres, y a plus rien, plus de brûlure. J’ai l’air qui rentre de nouveau, soupir de soulagement qui doit résonner. Regarde-moi. Respire. Calme-toi. J’essaye. Je crois. Mes yeux qui s’accrochent aux siens, comme une bouée dans l’océan. Respire Jael putain, respire. Et je le fais. J’ai mal quand l’air entre dans mes poumons mais au moins j’ai plus l’impression d’étouffer. Lentement je papillonne des yeux, essaye de comprendre ce qui vient de se passer, remonte le cours des évènements. Mince. C’est le moment de filer, si j’étais pas aussi sonnée sans doute que j’aurais pris mes jambes à mon cou pour éviter d’affronter la discussion qui va arriver. Mais la je peux pas. Et y a tout le monde qui nous regarde, y a les gens qui nous dévisagent. Pas les gens. Pas eux. Me regardez pas. « Quoi vous avez jamais vu personne faire une crise de panique ?? » que je grogne à un gars qui refuse d’avancer. Si je pouvais j’aurais hurlé. Mais jme contente juste de parler, tout bas, juste assez pour que le curieux m’entende et se remette à bouger, sans doute plus honteux qu’avant.
J’essaye de retrouver une respiration normale, le regard toujours fuyant, incapable de fixer celui du jeune homme. Je voudrais devenir invisible. A force de faire ce vœux, on devrait me l’exaucer non ?

Betrayal is beautiful ☾ Elle respire enfin, les yeux ancrés dans les tiens, et ton cœur se desserre. Tu soupires tu respires la panique reflue de ton corps. Tu baisses les mains que t'avais gardé écartées devant toi, comme pour la retenir la calmer la toucher sans oser. Elle servent plus à rien maintenant. Tout va bien. T'en oublies presque ce qui vient de se passer, avant, devant le MacDo. Presque. Mais au moment où t'ouvres la bouche pour lui demander (gentiment) de te rendre ton portefeuille, ses yeux fuient ton regard pour aller chercher celui d'un passant trop curieux. « Quoi vous avez jamais vu personne faire une crise de panique ?? » Un filet de voix. A peine un murmure. Juste assez hargneux pour éloigner le nuisible. T'es envahi par un besoin de protection, une envie de la prendre dans tes bras, de la rassurer de la câliner de la bercer de lui caresser les cheveux de lui murmurer des paroles qui réconfortent. Mais t'en fais rien. Elle a manifestement peur de toi, de tes gestes de ton attitude, pourtant tu savais pas que tu pouvais terrifier quelqu'un comme ça. Peut-être que c'est quelque chose de plus profond. Un souvenir un traumatisme du passé. Ca ne fait qu'augmenter ton envie de la protéger. Tu la couves des yeux mais les siens restent rivés au macadam. Les passants ont repris leur ballet habituel autour de vous, peu soucieux de deux jeunes agenouillés par terre. Plus de cris plus de bruit donc plus d'intérêt. L'homme est égoïste dans sa nature. « Tu veux bien me rendre mon portefeuille ? » C'est doux, c'est dit comme à une enfant tandis que tu cherches son regard. « S'te plaît. »

Je fixe le trottoir. Peut-être qu’ne restant bloquée comme ça je pourrais me fondre avec la pierre, avec le sol, avec le graver. Même si la vie de gravier ne doit pas particulièrement être passionnante. Puis se faire marcher dessus à longueur de journée…Je ne sais pas au fond. Faudrait réflechir, tester pour voir si ça vaut vraiment le coup. Tu veux bien me rendre mon portefeuille ? Puis y a la voix. Elle est douce, rassurante. Un peu comme celle que prend Toots quand il me demande de sortir la tête de ma couette pour arrêter de pleurer. Mais ce n’est pas Toots. Non. J’ai beau le regarder encore et encore, ce n’est pas Toots. S'te plaît.Lentement j’ai la main qui va fouiller dans mon sac, hésitante j’en sors le portefeuille que je finis par faire glisser vers lui. C’est pas que j’ai honte. Non. J’aurais jamais honte de tout ça. Je crois que c’est surtout que je m’en veux parce qu’il est pas si mauvais que ça, qu’il a un regard qui ne brûle pas. « Pardon » c’est marmonné pendant que baisse de nouveau le regard. « C’est pas ce que tu crois » surement que si c’est ce qu’il croit mais n’empêche que je préfère démentir. « Appelle pas les flics s’il te plait…. » que je finis par supplier, osant enfin le regarder droit dans les yeux, les larmes qui menacent de nouveau de tomber. « Si t’appelle les flics ça sera compliqué…Et puis je me ferais engueuler » par les flics déjà. Puis par Peadar. Surtout par Peadar. Et j’entends déjà ses remontrances, sa voix qui ne fléchit pas et son regard de glace. Je veux pas. Je veux pas qu’il me déteste.

Betrayal is beautiful ☾ Tu la vois hésiter et tu te dis qu'elle te le rendra pas. Elle va se lever partir courir fuir, t'auras rien gagné et tout perdu. La panique commence à se faire ressentir, mais, à ton grand étonnement, elle finit par glisser ton portefeuille vers toi. Tu restes bouche bée un instant avant de le saisir et de le remettre dans ta poche arrière. « Pardon. » Tu souris, sans une once de malveillance dans le regard, au contraire. Tu lui demandes pas pourquoi elle fait ça si elle va arrêter un jour s'il est le premier à qui elle a rendu ce qu'elle avait volé. Il reste beaucoup de mystères à éclaircir au fond de ses yeux si bleus, mais ce sera pour une autre fois, un autre jour. Une autre vie. « C’est pas ce que tu crois. Appelle pas les flics s’il te plait… » Elle plante son regard dans le sien, des vagues de désespoir se dégageant de son attitude, et t'écarquilles les yeux. Non. Pitié, pas encore une crise de panique. Tu sais pas si ton cœur tiendra le coup de la revoir se fracturer comme ça sur le pavé impitoyable. « Si t’appelle les flics ça sera compliqué… Et puis je me ferais engueuler. » T'es pas franchement dans ton élément Felix, une adolescente paniquée à genoux devant toi sur le trottoir et tes mains tes bras qui te sont inutiles parce que tu peux pas la toucher pour la rassurer. D'habitude ça marche, une pression de la paume, un câlin et paf, c'est réglé. Mais t'es déstabilisé par cette gamine atypique et fragile et si douloureusement humaine. « Non. Non, j'appellerai pas la police, promis, ok ? Calme-toi, je t'en supplie. Je te veux aucun mal. Allez viens, je vais t'aider à te relever. Hurle pas s'te plait. » Et tu tends délicatement les mains vers les siennes pour la sauver du goudron inconfortable.

Non. Non, j'appellerai pas la police, promis, ok ? Calme-toi, je t'en supplie. Je te veux aucun mal. Allez viens, je vais t'aider à te relever. Hurle pas s'te plait. C’est vrai ce mensonge ? Je le dévisage un instant, essayant de contrôler mon souffle pour ne pas qu’il s’emballe de nouveau. J’ai du mal avec la confiance, ceux qui te disent promis juré avant de te planter dans le dos. Alors je regarde les mains tendues vers moi, comme un appel pour que je me redresse, initie le contact. Lentement je tends les miennes, un peu comme une souris qui essaye de voir si le piège va se refermer sur elle ou pas ; Au moindre geste je le frappe et je pars en courant.
Mais il ne se passe rien.
Y a juste ses mains dans les miennes et son regard perdu qui ne me lache pas. Me regarde pas comme ça. Me regarde pas comme ça s’il te plait. Une fois debout je rompt le contact, regarde mes mains comme pour vérifier si y a pas d’acide dessus, corrosion inopinée. Mais y a rien. Juste les mêmes vieilles cicatrices, la peau égratignée par le temps, les gamelles à même le sol. « Merci » que je marmonne à l’attention du jeune homme. Merci pour m’avoir aidé à me relever, merci de ne pas appeler la police aussi. Merci pour tout simplement ne pas me donner l’envie de crever parce que j’ai merdé. Encore une fois.
Peut être qu’au fond il n’est pas si mauvais. Peut-être qu’il mériterait même pas que je lui vole son portemonnaie. Y a quelque chose de trop doux chez lui, et même s’il est bien plus grand que moi, j’ai l’impression qu’il lui reste quelque chose que moi j’ai perdu y a un moment. « Pardon » comme si ça pouvait changer quelque chose. Le mal est fait pas vrai ? « Je dois y aller » et sans attendre, je me mets à courir, ferme les yeux quand les poumons s’enflamment, je ne m’arrête que lorsque je suis en bas de la maison. Y a plus de trace de lui, de ses yeux trop doux, de sa voix. C’est finit Jael. C’est finit. C’est mieux comme ça.