Ce fut la sonnerie stridente de mon réveil qui me tira du sommeil, sans préambule ni douceur aucune. La veille, je m'étais couché trop tard, ou trop tôt aujourd'hui. J'avais l'impression d'avoir la tête dans un étau sans merci et les globe oculaires incapables de fixer un point. Fais chier. Je consultais brièvement mes messages. RAS pour le moment, mais si j'avais daigné ouvrir les yeux en ce milieu de journée c'était parce que j'attendais un appel important. Avec un automatisme bien rôdé, je m'emparais d'une cigarette et m'empressais de l'allumer. Un café (noir, toujours) et une douche plus tard, je revenais m'asseoir sur mon matelas, le regard dans le vide et brouillard dans le cerveau. A nouveau, mon portable sonna. "Salut Lazar." décrochais-je avec une voix rauque dû à son utilisation sporadique. "Hé Saul!" me répondit-il avec cet engouement habituel "Comme prévu t'as un job cet aprèm. Je te libère ta soirée ensuite, une fois que tu auras finis t'es en congé jusqu'à après-demain." Ça c'était plutôt une bonne nouvelle. Fallait dire qu'en ce moment je cumulais les "heures sup'". A croire que le nombres de connards voulant défier le gang connaissait une forte recrudescence ces derniers temps. "Par contre faut que tu me rendes un p'tit service." Silence sur la ligne. Pas que j'appréhendais ce qui allait suivre, mais vu comment le boss prenait des pincettes pour l'annoncer c'est qu'il savait déjà la tronche que j'allais tirer en l'apprenant. "Emmène Bran avec toi. Le mioche est pas mauvais mais faut lui faire rentrer un peu d'plomb dans la cervelle. Il doit apprendre à couvrir ses traces correctement et arrêter de me laisser sur les bras des trucs dégueulasses. Y a des fois on dirait Picasso sous acide..." Je levais les yeux au ciel, toujours sans piper mot. "Bref, je l'ai prévenu que tu le récupèrerais dans quinze minutes. J'te laisse carte blanche mais sois pas trop dur avec lui OK? On se voit demain." Deux mots prononcés au total, pas de quoi dérouiller mes cordes vocales. C'était pas faute d'en avoir envie pourtant. Hurler pour évacuer mon exaspération devrait faire du bien. Au lieu de ça, je me contentais de soupirer laconiquement et de me lever. On était professionnel jusqu'au bout dans la mafia.
"There is no peace here, war is never cheap dear, love will never meet here, it just gets sold for parts" La radio crachait un vieil air familier tandis que l'habitacle se remplissait peu à peu de fumée nocive et d'une tension crépitante. J'avais laissé monter le jeune chien fou, lui adressant un bref signe de tête pour le saluer. Jusqu'ici il n'avait pas encore brisé notre bienvenue non-conversation, évitant ainsi de le faire baisser dans mon estime. En soi le jeune serbe ne me dérangeait pas vraiment. L'idée de transmettre mon savoir-faire pouvait presque être plaisant. Le seul soucis de Bran c'était sa grande gueule. Moi qui appréciait le silence et le calme, j'avais trouvé chez lui le total opposé. Désordonné au possible, dirigé par ses instincts, toujours en train de chercher à ronger le frein de l'autre... Il avait ce petit truc qui me poussait presque à la rupture. Sans parler de son manque complet d'organisation. J'étais un maître en la matière justement, car être nettoyeur demandait une grande précision et une check-list à cocher avec soin. Sans oublier un seul point. Je jetais un coup d’œil vers mon passager. Vu sa tête il était à deux doigts de laisser sa langue se délier. Avec résignation se fut moi qui rompit le silence. Autant prendre le taureau par les cornes. Et le diable par la queue. "Bon, va falloir ouvrir grand tes mirettes et tes oreilles aujourd'hui Kovac. Tu restes avec moi jusqu'à ce qu'on ait fini le taff et surtout tu évites de faire des tiennes. C'est une faveur que m'a demandé Lazar, histoire que tu finisses pas bêtement au trou parce que t'auras été trop con pour faire les choses proprement." Je savais que je déclenchais les hostilités, mais c'était plus fort que moi. Le regard sombre du jeune homme me rappelait trop celui que mon frangin pouvait arborer lorsqu'il était insupportablement sociable et taquin. Irrité par ces idioties nostalgiques, je passais la main dans ma crinière bourrée d'épis, les hérissant un peu plus. Comme les fils barbelés entourant le nerf de ma patience.
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran) Jeu 19 Jan - 21:59
De : Lazar Saul passe te prendre dans 15 minutes.
À : Lazar pk faire??
De : Lazar Tu verras.
Soupir. C'est toujours pareil avec Lazar, il n'dit que ce qui l'arrange et tant pis si Bran finit trop souvent dans le flou le plus total. Il commence à y être habitué avec les années – avancer sans jamais savoir où il va, il s'contente d'obéir les yeux fermés, accordant une confiance totale et sans bornes à Lazar. P't'être qu'un jour la route le mènera droit dans le mur et il foncera sans broncher, parce que c'est ce à quoi on l'a programmé. En attendant, il comprend pas ce qu'il est censé foutre avec Saul, mais il s'en plaint pas non plus. Il l'aime bien même s'il a pas l'impression que ça soit réciproque, même si ce type le frustre profondément. Il rigole jamais à ses blagues, il est presque sûr de ne jamais l'avoir vu sourire pour de vrai, et il lui semble aussi avenant qu'un mur en béton. Ça l'agace, parce que c'est bien le seul gars du gang avec qui il ne trouve aucun terrain d'entente, rien du tout. Ni positif ni négatif, c'est juste plat comme l'électrocardiogramme d'un cadavre et il aime pas ça Bran, il aime pas quand ça bouge pas. Des rires ou des cris, l'amour ou la haine, il s'en fout, mais il lui faut quelque chose. Sinon ça le perturbe, ça l'énerve, ça le stresse. Il supporte pas ça. Prêt à tout pour faire changer les choses avec Saul, pour lui tirer une réaction – n'importe laquelle. Il veut juste avoir droit à autre chose qu'une façade impassible qui pue l'indifférence. Alors quand il le voit enfin débarquer, il affiche son sempiternel sourire de grand gamin et il grimpe dans la bagnole comme un sauvage. Pas de ceinture et les pieds perchés sur le tableau de bord, il prend ses aises, il fait comme chez lui. Il garde pourtant le silence, même si ça l'démange de demander pourquoi ils se retrouvent scotchés ensemble. Il tente de rester sage pour n'pas démarrer les hostilités tout de suite, s'occupant avec la clope qu'il a coincée entre ses lèvres. Mais ça dure pas – ça dure jamais avec Bran. Il s'met à trifouiller la radio sans demander la moindre autorisation, changeant les stations, jouant avec le volume. Il tient plus, il va finir par l'ouvrir, par lancer un truc con juste pour attirer son attention. Mais Saul le devance. « Bon, va falloir ouvrir grand tes mirettes et tes oreilles aujourd'hui Kovac. Tu restes avec moi jusqu'à ce qu'on ait fini le taff et surtout tu évites de faire des tiennes. C'est une faveur que m'a demandé Lazar, histoire que tu finisses pas bêtement au trou parce que t'auras été trop con pour faire les choses proprement. » Le mystère est enfin résolu : il est là pour apprendre. Ça lui fait hausser les sourcils alors qu'il dévisage son comparse un instant, incapable de camoufler sa perplexité. « Bah putain, si j'avais su qu'c'était pour faire le ménage j'aurais dit non. » Tu parles. Il dit jamais non à Lazar. Jamais. Sûrement que ça finira par le tuer. « T'es sûr qu'c'est pas plutôt toi qu'est allé pleurnicher à Lazar comme une fillette ? Ça t'fait chier hein, quand j'en fous partout ? » Il fixe son regard sur lui, le visage fendu en deux par un sourire presque innocent – ça contraste avec ses mots. C'est balancé autant pour emmerder que pour défier, et aussi un peu pour se rassurer. Parce qu'il fait exprès d'être encore plus brouillon ces derniers temps, juste pour rendre la tâche plus difficile à Saul. Il s'dit qu'à force, il finira bien par en avoir marre. Il finira par venir lui gueuler dessus, par vouloir lui coller des baffes. Peu importe, tant qu'ça le fait réagir un peu. « J'ai pas besoin d'être propre, c'est à ça qu'tu sers non ? Tu devrais m'dire merci, j'te donne du taf. Sans moi tu t'ennuierais. » Et il hausse les épaules, se désintéressant momentanément de Saul pour recommencer à toucher à la radio. Il se marre quand il tombe sur une radio populaire, qui passe des hits où les midinettes ont les voix trafiquées. Il monte le son et il s'met à chanter, juste pour faire chier. Il fait du yaourt parce qu'il comprend rien aux paroles, et sa voix déraille tellement que ça frôle l'insupportable. « Allez fais pas ta mijaurée, chante ça t'détendra. Pis l'trajet sera plus agréable pour tout l'monde, d'ailleurs on arrive quand ? » Il attend une seconde puis il recommence son karaoké improvisé, sans vraiment attendre de réponse. Il s'en fout un peu, il a juste envie de voir s'il peut lui taper sur les nerfs avant même que la leçon n'ait démarré. Quitte à être un sale gosse, autant faire ça bien.
Et voilà. Fallait qu'il l'ouvre. Je lui avais pourtant pas demandé de commenter, si? Les jeunots du gang commençaient sérieusement à avoir la tête enflée. Insolence, ingratitude, et un sens de la hiérarchie qui frôlait les pâquerettes. Tout ça me donnait bien envie de la lui faire dégonfler en lui foutant sur le pare-brise... J'attendais patiemment qu'il ait finit de déblatérer pour remettre les choses à leur place. "En réalité, Bran, je me fous royalement que tu laisses une piste avec tapis rouge aux flics. La seule chose pour laquelle je fais des heures sup' c'est parce Lazar le demande. Et pourtant c'est pas le seul à s'être plaint." J'attrapais une blonde traînant dans ma portière avant de poursuivre. "J'aurais pas bougé un millimètre s'il flippait pas que tu te fasses attraper. Donc retiens bien une chose..." J'expirais paresseusement. "Rien ne me ferait plus plaisir de plus avoir à supporter ta tronche satisfaite lorsque tu te trouves dans les jupons du boss." J'avais la bouche dure. Les mots acérés. J'avais sortis les griffes mais épargné les crocs. Pour le moment. D'un geste sec j'éteignais la radio, le laissant s'égosiller dans le silence. Une voix tout à fait charmante. Il devait bien se douter que je ne chantais jamais. Pas même sous la douche. C'était pas faute d'avoir un brin de voix pourtant. Fort heureusement le calvaire d'être coincé avec le serbe dans un minuscule habitacle allait prendre fin. Pour le moment. Je m'arrêtais dans un crissement de pneux à l'entrée d'un sentier s'enfonçant dans un forêt plus ou moins dense. Sans daigner un regard vers le môme, je descendais en claquant la portière avant de me diriger jusqu'au coffre. Je laissais tomber à terre deux sacs lourds et un rouleau de bâches. "Allez, file-moi la main Picasso." lui fis-je en repensant aux paroles de Lazar. Bien que Bran soit particulièrement doué pour foutre le boxon, on allait passer derrière une pointure du genre. Bogdan Petrovic. Un petit gringalet tout en nerf et grande gamelle. Une tronche de musaraigne et un putain d'esprit tordu. J'en avais vu de belles à New-York, mais depuis que Bogdan arpentait mes parages c'était certainement les pires scènes auxquelles j'avais pu assister. Peu lui importait le sexe de sa proie, son âge, sa vie. Il réduisait tout en miettes comme un artiste remplissant sa toile avant de délaisser son "chef d’œuvre" aux gens de la régie. C'est à dire moi. Toujours en silence je m'engageais sur le chemin terreux, attentif à la balisation des troncs. Quelques minutes plus tard je bifurquais dans un minuscule passage sous le couvert des arbres. La frondaison en bruissait de pépiements et de vie, m'amenant un délicieux moment d'apaisement, jusqu'à ce que se dessine devant nous une cabane délabrée. Lugubre à souhait, il ne manquait plus qu'un énergumène surgissant avec une tronçonneuse vrombissante pour parfaire la chose. Le visage impassible, je poussais la porte rouillée pour me faire assaillir par l'odeur familière de la putréfaction. Avec la faune locale c'était pas étonnant, on pouvait même s'estimer heureux de pas avoir un coyote ou un chien errant avoir forcé les murs branlants. Autour de nous c'était rouge. La victime (mais qui évidemment devait l'avoir bien cherché) gisait au milieu d'une mare de sang caillé, méconnaissable. Pas d'outils en vue mais des éclaboussures carmin sur la quasi-totalité de la surface visible. Intrigué par sa réaction je jetais un œil vers le gosse. (Rouge.) Il tremblait pas d'un cil, mais sa carnation avait imperceptiblement pâli. (Rouge!) Sans prendre le temps de lui taper dans le dos je commençais à étaler mes propres instruments afin de correctement visualiser ce dont on allait avoir besoin. Dans le sac de Bran se trouvaient les ustensiles de nettoyage en tout genre.(ROUGE!) Ça allait pas être marrant, surtout parce durant ces moments là je ne pouvais pas me permettre de fumer (damned!) car il n'y avait pas plus bête erreur que d'oublier un mégot sur un lieu suspect. Aussi parce j'allais devoir être patient et un bon précepteur. "Voilà, t'as l'exemple typique de ce qu'il faut pas faire. La première des choses c'est de bâcher l'endroit. Ça t'évite d'avoir à tout récurer après: t'auras juste à replier ton matos et le larguer dans un coin oublié.Parce que l'ADN ça reste longtemps. Ensuite, pour un bon cliché y a pas besoin d'en mettre partout. Délimite un périmètre et ne laisse pas libre cours à tes pulsions. C'est le boulot pas la récréation." Devant l'air interdit du brun je lui mis dans les mains une scie sauteuse pour séparer les derniers gros morceaux, et bougonnais presque en essayant de dénicher une prise. Un soupir compatissant franchit néanmoins mes lèvres en considérant sa silhouette isolée au milieu de ce carnage.
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran) Jeu 16 Fév - 10:06
« En réalité, Bran, je me fous royalement que tu laisses une piste avec tapis rouge aux flics. La seule chose pour laquelle je fais des heures sup' c'est parce Lazar le demande. Et pourtant c'est pas le seul à s'être plaint. » Toujours aussi rabat-joie. Pourtant c'est pas faute de lui tendre des perches et d'afficher des grands sourires en espérant qu'il finisse par y répondre – paraît que c'est un truc naturel, le mimétisme et tout l'bordel, mais faut croire que Saul n'a pas hérité de gènes aussi sympas que ceux de Bran. Sûrement qu'en temps normal, il lui aurait déjà signalé à quel point il est coincé, en ajoutant qu'il devrait p't'être aller tirer un coup pour arrêter d'être aussi austère. Mais y a un truc qui retient son attention, alors il tente de couper Saul dans son élan. « Eh attends, pas l'seul à s'être plaint ? Ça veut dire quoi ça ? » Saul n'en a pas grand-chose à foutre. Saul continue. « J'aurais pas bougé un millimètre s'il flippait pas que tu te fasses attraper. Donc retiens bien une chose... Rien ne me ferait plus plaisir de plus avoir à supporter ta tronche satisfaite lorsque tu te trouves dans les jupons du boss. » Au moins, ça a le mérite d'être clair. Bran se renfrogne et s'enfonce dans son siège alors que le conducteur éteint la radio sèchement. Il fait rien pour l'en empêcher ; maintenant, il a plus envie de chanter. « Bah c'est con parce que tu vas devoir continuer d'me supporter pendant des années. Et essaie encore d'dire que j'me planque dans les jupons du boss, j'te montrerai c'que ça donne quand j'en sors. » La menace est palpable dans sa voix, mais c'est pas un truc sérieux, c'est pas celle qu'il distribue quand il fait son boulot. C'est celle qu'il balance aux gars du gang – à Milo pour l'faire flipper, à Anton quand il l'fait chier. Un avertissement plus qu'autre chose, et quand ça vient à s'mettre à exécution, c'est des bagarres stupides. Des bagarres de sales gosses, des bagarres fraternelles. Saul n'y a jamais pris part ou du moins pas avec Bran, et il commence à s'dire que ça serait p't'être un autre moyen de les rapprocher. Mais ils finissent par arriver et l'ambiance lui paraît toujours aussi austère, presque sévère, tout c'qu'il déteste. Il traîne des pieds en sortant de la bagnole, arquant un sourcil quand deux gros sacs rejoignent le sol dans un bruit sourd. « Allez, file-moi la main Picasso. » « Hein ? » Il saisit pas vraiment l'surnom mais il s'exécute quand même, attrapant un sac en suivant son guide de la journée. C'est silencieux, trop à son goût et il rumine mais ça n'dure pas, avec Bran ça n'dure jamais. Il s'met à rire quand ils arrivent devant la cabane, aussi flippante que cliché. « P'tain on dirait un film 'ricain là, t'sais les vieux tous pourris où un coup d'couteau ça fait une fontaine. Là aussi l'sang c'est du ketchup ? » Bien sûr que non, mais ça n'entrave aucunement sa bonne humeur retrouvée.
Le premier truc qui frappe Bran, c'est l'odeur. Ça il a pas l'habitude – pas vraiment. Quand il quitte ses œuvres le sang est encore frais, c'est la rouille pas la putréfaction, ça prend pas au bide comme ça. Automatiquement, il se couvre le nez et la bouche d'une main, plissant les yeux en suivant Saul. « La vache comment ça schlingue ! On dirait qu'ça fait trois semaines qu'il est là ton macchabée, p'tain. » Son regard s'pose enfin sur la scène de crime, le faisant hausser les sourcils. Une mare pourpre, une carcasse en sale état, du sang qui a giclé partout. Rouge rouge rouge – et cette odeur, putain cette odeur. Ça lui retourne les tripes et pourtant il trouve la force de se marrer, avant d'se tourner vers Saul. « Et après t'oses dire qu'moi j'en fous partout ? J'suis p't'être pas l'plus propre, mais celui qu'a fait ça c'est carrément un gros dégueulasse. » La voix à demi-étouffée parce qu'il continue d'utiliser sa main comme rempart contre les effluves nauséabondes. Saul étale ses outils mais Bran n'y porte aucun intérêt, plus intrigué par le spectacle qui s'étale devant eux. Il s'approche de la victime pour voir les dégâts d'un peu plus près, grimaçant légèrement, faisant pas attention où il fout les pieds – en plein dans l'hémoglobine à moitié séchée, qui se colle quand même sous ses semelles. « Voilà, t'as l'exemple typique de ce qu'il faut pas faire. La première des choses c'est de bâcher l'endroit. Ça t'évite d'avoir à tout récurer après : t'auras juste à replier ton matos et le larguer dans un coin oublié. Parce que l'ADN ça reste longtemps. Ensuite, pour un bon cliché y a pas besoin d'en mettre partout. Délimite un périmètre et ne laisse pas libre cours à tes pulsions. C'est le boulot pas la récréation. » Il garde le silence face à la tirade de Saul, qui l'a tiré de sa contemplation macabre. Il a même pas l'temps de réagir que déjà le voilà avec une scie sauteuse sur les bras, qu'il observe un instant. C'est pas l'genre d'outil qu'il a l'habitude de manier, et y a un air presque fasciné dans ses yeux. Il porte à nouveau son attention sur Saul, devinant qu'il cherche une prise, se mettant à faire pareil que lui en scannant la pièce. Il en aperçoit une le premier, mais plutôt que d'la signaler, il fonce pour aller brancher l'appareil sans rien demander. Et il laisse un tas de traces dans son sillage, la forme de ses semelles s'imprimant sur le sol à chaque pas qu'il fait. Une fois qu'c'est branché, il démarre la scie, toujours sans se soucier de l'avis de Saul. Il la brandit en l'air, un large sourire aux lèvres, comme un gosse qui découvre son nouveau jouet préféré. « Ça a moins d'gueule qu'une tronçonneuse, mais j'suis sûr qu'avec j'peux faire autant de dégâts ! » Il prend un air de méchant ridicule pendant une seconde, mimant la posture que les tueurs prennent tous dans les films d'horreur – l'arme en l'air, les jambes légèrement écartées, l'air prêt à bondir. Et puis il recommence à se marrer, comme si toute la situation était parfaitement normale. Comme s'il n'y avait pas un cadavre entre eux. C'est le boulot pas la récréation, qu'il a dit, Saul. Pour Bran y a pas de différence, parce que c'est pas réel pour lui, pas vraiment. Il déshumanise tout pour pouvoir supporter le sang. « J'découpe et tu nettoies, ça t'va comme répartition des tâches ? » Comme si c'était lui qui menait la danse, il inverse les rôles. « Mais avant, question. T'as pas un masque ou un truc comme ça ? Parce que j'te jure ça pue vraiment trop. » Et il grimace, continuant d'agir comme un môme trop agité, ignorant sagement le carnage qui s'étale à leurs pieds. Incapable de garder son sérieux, c'est pas le boulot – pas le sien – c'est mieux de rire et remuer que de faire face à la réalité. C'est qu'un jeu, tout ça. Rien qu'un jeu.
Le môme gesticulait beaucoup. Et avec ses grandes pattes, sans parler de sa légendaire délicatesse, il mit un point d'honneur à en foutre partout. Chacun de ses pas ponctuèrent la pièce d'une nouvelle marque rouge m'arrachant un profond soupir. Je cherchais la moindre parcelle de patience que je pouvais trouver en moi pour ne pas lui mettre un coup de lame dans la tronche. Ne pas mutiler son partenaire, aussi insupportable soit-il, était également une des règles à respecter. "Bran ferme-la trente secondes. T'as vraiment la caboche creuse ou tu le fais exprès? On va bâcher avant toute chose." J'voyais bien le déni dans l'ombre de ses prunelles. Dans le rictus que formait sa bouche. Valait mieux le laisser gérer la chose comme bon lui semblait, parce que là-dessus j'étais tout sauf un exemple.Qu'aurais-je pu bien lui dire? Respire par le nez ça va passer? Conseil encore davantage ridiculisé par la remarque suivante du serbe à l'odorat délicat. Je haussais les épaules devant sa requête. J'savais même pas si j'avais ce genre de matos dans les sacs. J'avais plus le besoin de protéger ces fragiles portes olfactives; mes narines aussi s'étaient habituées à l'odeur de la mort. De mauvaise grâce je consentis à farfouiller dans les pans de toiles sombres pour dénicher un masque imbibé de sels. Souvenir de l'époque où je travaillais à la morgue, il était froissé et le bleu le colorant avait terni. Mais il ferait bien l'affaire pour Bran. Tout au mieux c'était une petite intoxication qui l'attendrait. Chouette. J'lui balançais le sachet plastique et vins lui arracher la scie des mains. Hors de question de le lâcher tout seul avec ça pour l'instant. Je retournais m'emparer de rouleaux de bâches et en laisser tomber un devant lui accompagné d'un rouleau d'adhésif noir. "Aujourd'hui c'est toi qui nettoie. Alors arrête de jouer au con et fais comme moi." Je commençais à scotcher les premières protections le long du mur derrière lui. En quelques minutes l'histoire fut bouclée, et je dus reconnaître qu'une paire de main supplémentaire n'était pas désagréable. Encore une fois je retournais vers notre barda pour dénicher deux bonnets et deux paires de lunettes de protection façon rat de labo. S'agissait pas qu'un de nos cheveux aille se foutre on ne savait où et le sang caillé piquait les yeux. J'observais le brun s'équiper avant de lui indiquer le corps d'un signe de menton. "On ira le jeter à la baille plus tard. Donc va falloir découper ce qui reste en morceaux pas trop gros pour les porter facilement. Après on les emballe dans du film en les ayant lesté." C'était une solution que j'affectionnais particulièrement. Les courants marins du large se chargeaient de charrier les sacs très loin des côtes. L'expression "aller nourrir les poissons" s'avérait ici véridique. Je finissais par enrouler mes jambes dans du film plastique avant de tendre le rouleau avec un regard interrogateur vers Bran. S'il refusait il tarderait pas à se rendre compte de son manque de jugeote. J'allais m'emparer des scies pour en remettre une au jeune homme en l'entraînant dans mon sillage. Puis m'agenouillais près du tronc, semblant déjà sentir le sang empoisser mon jean. Sensation familière depuis une décennie. Sensation qui pouvait perturber, voir rendre fou. Et c'était pas le pire. Ça commençait à devenir pénible lorsque les crans de la lames affûtée faisait son ouvrage en ronronnant contre les os du coude. Les tendons et cartilage rendait la tâche ardue. La chance que nous avions à la rigueur était le sang déjà répandu pour la majorité hors du corps l'empêchant de trop nous éclabousser. Négligemment je balançais le premier trophée sur le côté et éteignis mon engin de torture. "Tu fais comme moi de ton côté. Fais vite mais surtout fais propre. On est pas en option boucherie!" lui lançais-je en haussant le ton pour couvrir le bruit ambiant. "Et si t'as envie de dégueuler, tu t'abstiens!" Je parvenais pas à comprendre comment il pouvait garder cet éternel sourire en place. C'était frustrant, un peu curieux aussi. J'me demandais ce que ça faisait lorsque qu'on avait autant d'émotions en pagaille. Comment on n'explosait pas. C'était bien plus stable de fonctionner de façon binaire. Traiter une chose après l'autre, faire abstraction des sentiments qui se bousculaient, dédaigner la conscience pouvant se manifester. Ca empêchait le masque de glisser et de révéler la face ravagée qui se planquait derrière.
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran) Lun 13 Mar - 14:54
« Bran ferme-la trente secondes. T'as vraiment la caboche creuse ou tu le fais exprès ? On va bâcher avant toute chose. » Il l'agace. Il l'agace et il peut pas retenir un large sourire victorieux, qui va de paire avec la fierté dans ses prunelles. Ils ont même pas commencé, et il arrive déjà à taper sur les nerfs de Saul. 1-0. « P'tain, tu rigoles vraiment jamais. T'en as pas marre d'être toi ? » Mais le pire, c'est pas le manque d'humour de Saul. C'est l'odeur. Ça pique le nez, ça pique les yeux, ça lui retourne les entrailles et il est bien content de n'pas être arrivé avec l'estomac plein. Ses plaintes trouvent quand même écho chez son camarade, qui s'met à fouiller son attirail pour sauver les narines de Bran. Il troque la scie contre le masque malgré lui, et même s'il fait la moue quand Saul lui confisque son nouveau jouet, il retrouve vite le sourire en enfilant la protection. « Eh regarde ! J'ai pas l'air d'un super doc comme ça ? Encore mieux qu'ceux de Grey's atomique là, t'sais le truc qui passe à la télé. J'suis sûr que tu regardes. » Même pas foutu de donner un nom de série sans l'écorcher – à croire qu'il respectera jamais le vocabulaire américain. De toute façon, Saul n'a pas l'air d'en avoir grand-chose à foutre, de tout ça. Comme si Bran ne brassait que du vent. Au final il aurait mieux fait de lui coller un morceau de scotch sur la gueule, plutôt que de lui donner un masque. « Aujourd'hui c'est toi qui nettoie. Alors arrête de jouer au con et fais comme moi. » Il soupire avant de grogner un blablabla qui imite le ton de Saul, mais il obéit. Il finit toujours par obéir, même quand il râle et qu'il traîne des pieds, même quand il fait le gamin pour tenir le coup. Il est bien dressé. Alors il suit les directives de Saul, et il l'aide à tout bâcher sans trop rechigner au final. Il joue peut-être au con, mais en vérité, il retient quand même la leçon. Et il retrouve son sourire quand il reçoit un bonnet et des lunettes de protection, putain, il a l'air aussi émerveillé qu'un môme le matin de Noël. À se concentrer sur des trucs insignifiants qu'il transforme en trésors, pour pallier à l'horreur qui continue de s'étendre à ses pieds. « On ira le jeter à la baille plus tard. Donc va falloir découper ce qui reste en morceaux pas trop gros pour les porter facilement. Après on les emballe dans du film en les ayant lesté. » Il a l'impression qu'on lui parle d'un morceau d'viande, comme un cours de cuisine un peu glauque, un peu détraqué. C'est surréaliste alors ça l'atteint pas, pas vraiment – il hoche le menton. Et il ricane à moitié quand il voit Saul s'enrouler les jambes dans du film plastique. « Achète un truc de cosmonaute pour la prochaine fois, ça ira carrément plus vite. » Il continue de s'marrer mais il fait pareil, même s'il comprend pas trop l'intérêt sur le coup. Il agit simplement par mimétisme, par réflexe, parce que quoi qu'il en dise Saul fait bel et bien partie du gang, alors Bran lui fait confiance. C'est pareil pour tous les gars : une confiance totale, aveugle. Trop large, comme son sourire lorsqu'il récupère une scie en main. Il continue d'imiter tout ce que fait Saul, s'agenouillant à son tour près du corps. Il fronce le nez – il a l'impression que l'odeur s'fait plus forte et c'est à la limite du supportable, ou peut-être que ses sens lui jouent des tours, peut-être qu'ils protestent en écho à la conscience qu'il étouffe soigneusement.
C'est dégueulasse, on dirait que le sang traverse toutes les couches qui le protègent et que ça l'encrasse jusqu'au creux d'ses os. Pourtant, il flanche pas. Il observe Saul avec attention, sans broncher, affichant enfin un peu de sérieux. Il peut pas retenir une grimace quand son mentor jette le bras un peu plus loin. « Tu fais comme moi de ton côté. Fais vite mais surtout fais propre. On est pas en option boucherie ! Et si t'as envie de dégueuler, tu t'abstiens ! » Et tout son sérieux s'écroule, alors qu'il éclate de rire. « Pourquoi ? Vu comment c'est crade, c'est pas un peu d'vomi qui va empirer l'truc. Sauf si t'es un fragile qui rend ses tripes dès que quelqu'un dégueule. » Y a une lueur de défi dans son regard, et il allume sa propre scie, se mettant à gueuler pour être sûr de s'faire entendre malgré tout ce vacarme. « T'façon j'vomis pas moi, j'suis pas une tapette ! » Tant pis s'il a les tripes à l'envers, Saul n'a pas besoin de le savoir. Et il se met à reproduire les gestes qu'il a observés, forçant pour couper à travers l'os et tout l'bazar, concentré sur sa tâche. Il veut faire vite, il veut faire bien, il veut faire ses preuves. Comme pour ses dix-huit ans, comme pour la première vie qu'il a ôtée. C'est un nouveau test et il le sait – comme lui, Saul répond à Lazar. Il veut s'assurer qu'on pourra rien lui reprocher, si ce n'est son insupportable désinvolture. Dès qu'il a fini avec le bras, il l'attrape. Mais plutôt que de faire comme Saul en l'abandonnant plus loin, il le tient par la main en le tenant en l'air, se remettant à rire. « C'est classe comme trophée. Carrément plus classe que les doigts et les oreilles. » Son sourire se pare de malice, et sans prévenir, il balance le bras en direction de Saul. Son rire résonne une nouvelle fois quand il voit le projectile heurter le torse de son acolyte, comme s'il lui avait fait une bonne blague alors qu'il vient de lui jeter un morceau de cadavre. « Allez fais pas la gueule, j'aurais pu faire pire, genre t'envoyer la tête. » Et il se remet à couper, s'appliquant même s'il garde son sourire qui n'a pourtant rien à faire là. Mais son silence ne dure pas – ça dure jamais, avec Bran. « C'est nul ton taf. J'aime pas les macchabées, sont tous durs et tous froids. Comme toi. » Il s'arrête une seconde, lève les yeux vers son interlocuteur. « C'est eux qui t'ont rendu aussi rabat-joie ? Faut qu't'arrêtes de copiner qu'avec les morts, mec. Les vivants, c'est quand même plus fun. » Il pointe l'index vers la dépouille, avec une moue presque enfantine. « Genre moi, j'suis plus fun que lui. Tu trouves pas ? » C'est une perche, encore, toujours. Pour nouer un contact avec lui, pour en extirper autre chose que ses sarcasmes et son silence. Il s'acharne, Bran. Et il continuera tant que Saul ne cédera pas.
Bran avait bien fait de suivre instinctivement mes mesures de protections. En dépit de sa grande gueule il possédait quelques bons réflexes pour le job. En dépit aussi de sa répulsion sous-jacente et tout à fait naturelle qui l'habitait il parvenait à prendre suffisamment sur lui pour faire un boulot correct. La rapidité viendrait plus tard, malheureusement avec l'expérience. Parce qu'à n'en pas douter ce ne serait pas le dernier macchabée dont il devrait s'occuper. Ça me désolait un peu de constater des prédispositions naturelles à se confronter à la mort. Ça présageait jamais rien de bon. Chaque incision effectuée, chaque coulure sanglante, chaque vie prise vous approchait davantage des ténèbres avant de vous engloutir. Vous vous retrouviez prisonnier dans le noir à fuir la moindre lueur, le moindre rayon de soleil qui pouvait y faire irruption. Parce que ça brûlait douloureusement et vous confrontait à cette si chère humanité perdue. Alors se présentait le choix difficile de vous réhabiliter à la vie normale ou celui nettement plus simple de rester seul. Désespérément seul. Et Bran paraissait bien parti pour s'enferrer dans ce magma infâme. Je distinguais déjà son propre masque, si similaire et différent du mien. Le môme dissimulerait sa noirceur sous une indifférence mâtinée d'humour. Pas sûr que ce serait plus efficace pour la sauvegarde de son âme mais au moins cet excès de sociabilité lui permettrait de se fondre parmi ses semblables. Je ne sursautais pas au contact mou de l'appendice mort contre mon buste, mais grognait devant la tache pourpre maculant ma chemise. Putain. Je détestais me salir. En cas de contrôle de flic comment pourrais-je expliquer ces éclaboussures de façon plausible? Je levais un regard glacial vers sa tronche de demeuré. "Sans déconner... Tu paieras le pressing même si t'es interdit bancaire Kovac." lui fis-je d'une voix rendue caverneuse par l'agacement. Je l'écoutais répondre insolemment, toujours dans la provocation. J'pigeais pas cette attitude. C'était sa marque de fabrique, ok, mais pourquoi se sentait-il le besoin d'être ainsi même avec moi? C'était comme s'il cherchait à me mettre en rogne à défaut d'avoir une autre réaction. Si je voulais être franc il m'exaspérait. Mais j'en avais vu d'autres des trublions dans son genre. Puis quelque part Bran méritait pas que je lui envoie mon poing dans la gueule pour si peu. Enfin pour le moment. Ses pitreries faisaient figures d'enfantillages à mes yeux, comme un gosse en recherche d'attention. J'pouvais pas le blâmer: j'étais un des rares à ni devoir lui rendre des comptes, ni avec qui il devait se cacher et encore moins à avoir peur de lui. En gros j'en concluais que je devais être une espèce d'oiseau rare qu'il aimerait voir accroché parmi ses trophées. S'en était presque pathétique. Mais ce fut ce "presque" qui me poussa à lui répondre par autre chose qu'un énième bâche. Derrière sa gueule de grand méchant loup on distinguait très légèrement le visage d'un jeune torturé, indécis, paumé. Pas loin de celui que j'avais été un jour été. "Nan j'suis comme ça depuis longtemps. Certainement le jour où j'ai laissé pour mort un client de ma mère après l'avoir dérouillé." Je parlais d'une voix atone tout en m'attaquant à la base de la tête, continuant tranquillement ma macabre besogne. "C'est là où je me suis rendu compte qu'essayer de comprendre le genre humain était trop éprouvant. Tu sais le dicton "il vaut mieux être seul que mal accompagné" et toutes ces conneries..." C'était la première fois que je racontais un truc pareil. La première aussi que je m'adressais à lui autrement que pour lui donner un ordre ou l'insulter. "Et si t'avais pas autant l'habitude de gueuler à tout bout de champ, ouais, tu pourrais presque être fun." Voilà. Saul réussissait à communiquer. Et au regard que Bran me lançait j'en déduisais que même lui en revenait pas. Mais il allait pas falloir non plus qu'il s'imagine qu'on deviendrait meilleurs potes...
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran) Ven 14 Avr - 21:17
« Sans déconner... Tu paieras le pressing même si t'es interdit bancaire Kovac. » Pourtant Bran se marre, en observant la tache qui orne désormais la chemise de son mentor. Tant pis si aucun sourire ne lui répond, tant pis si l'autre reste froid comme la pierre en le dévisageant comme s'il faisait face à un débile profond. Il est quand même fier de sa connerie. Il se trouve même très drôle. « Bof, t'façon tes fringues te font pas justice, on dirait un daron coincé. Tu devrais m'remercier, j't'aide à refaire ta garde robe et tout. On pourra aller s'faire une p'tite séance shopping, Morris. » Le pire c'est qu'il blague pas – il est tout à fait partant. Il est pas friand des magasins, mais si c'est l'prix à payer pour passer du temps en sa compagnie, ainsi soit-il. Ça l'emmerde, de n'toujours pas avoir trouvé d'atome crochu avec le 'ricain. Ça l'emmerde tellement qu'il est prêt à tout ou presque, pour y remédier. C'est le gang et ça pour Bran c'est la famille. On déconne pas avec la famille. Que Saul le veuille ou non, il finira par l'avoir, par la force ou par l'usure il s'en fout, mais il compte pas lui laisser le choix. Il trouvera un moyen d'se lier à lui, d'une façon ou d'une autre. Il comprend pas ce rejet constant qui l'accueille, chaque fois qu'il fait un pas vers lui. Et même s'il utilise l'humour ça reste palpable – il a la gueule d'un gamin qui veut savoir pourquoi on l'aime pas. Il a l'impression qu'on le fout sur le banc de touche sans raison, et il supporte pas ça. « Nan j'suis comme ça depuis longtemps. Certainement le jour où j'ai laissé pour mort un client de ma mère après l'avoir dérouillé. » Saul reste toujours aussi impassible, mais Bran se focalise sur lui comme s'il n'y avait plus rien autour d'eux. Il oublie le macchabée, le sang, l'odeur. Plus rien n'existe ; seulement le timbre caverneux de Saul et ses paroles, dont il s'abreuve avec la ferveur d'un assoiffé. « C'est là où je me suis rendu compte qu'essayer de comprendre le genre humain était trop éprouvant. Tu sais le dicton "il vaut mieux être seul que mal accompagné" et toutes ces conneries... » Il en attendait pas tant. Ça suffit même à lui couper la chique, alors qu'il continue de l'observer. Silencieux, immobile, comme s'il avait peur que Saul se taise à tout jamais en se souvenant de sa présence. « Et si t'avais pas autant l'habitude de gueuler à tout bout de champ, ouais, tu pourrais presque être fun. » Y a un silence qui s'installe – Bran qui retient son souffle en attendant de voir la suite. Suite qui n'vient pas. Mais c'est déjà beaucoup, c'est déjà plus que tout ce que Saul lui a donné jusqu'à présent. Il savoure. Et il a l'air d'avoir dix ans de moins, quand un sourire vient fendre son visage jusqu'aux oreilles. « T'inquiètes j'peux chuchoter, si y a qu'ça pour t'faire plaisir. » Comme pour le prouver, il baisse la voix et s'approche un peu de Saul pour être sûr de se faire entendre malgré tout. « Mais ça, ça veut quand même dire que tu m'trouves fun. Au moins un peu. Allez avoue, on est juste entre nous. » Il insiste parce qu'il veut l'entendre, et même s'il sait que ça ne viendra certainement pas, ça l'empêche pas de demander. Il s'en fiche au final, il a eu ce qu'il voulait. La preuve que Saul n'est pas si hermétique que ça – qu'y a moyen de se faufiler quelque part entre les crevasses qui creusent sa carapace. C'est tout ce que Bran demande. Un peu de place pour lui, un espace où planter sa présence et le reste coulera tout seul, il s'implantera comme il le fait toujours, s'étalera comme une épidémie dont on a pas encore trouvé le remède. « T'es vachement pessimiste, quand même. Ça m'étonne pas qu'tu fasses tout l'temps la gueule si tu penses comme ça. T'arrives à être heureux des fois ? » La question est sincère, même s'il la pose avec la légèreté d'un môme qui demande pourquoi le soleil brille et s'il aura du chocolat pour son quatre heures. Il espère que la réponse est oui – il l'espère vraiment. Ça lui paraît nécessaire, c'est c'qui l'empêche de vriller. Bien sûr y a Lazar, bien sûr y a la laisse autour de son cou et cette admiration sans borne qui le poussent à une docilité remarquable. Mais y a pas qu'ça. Y a les instants de bonheur, volés, fugaces, mais bien présents. Ces trucs qui font battre son palpitant, qui lui font oublier la faucheuse et le sang, qui effacent toute l'horreur qui s'est déjà incrustée dans son cœur. Il a besoin d'ça, pour pas perdre les pédales. Il s'y accroche de toutes ses forces, de toute son âme. Il sait pas si Saul a un point d'ancrage aussi mais il l'espère, sinon il voit pas comment il tient. Sinon ça veut dire qu'il est sûrement un peu mort, à l'intérieur. « Tu parles encore à ta mère, toi ? » Il en oublie le travail et le corps qu'ils s'appliquent à découper pièce par pièce comme un puzzle. Y a plus que Saul qui l'intéresse, Saul et cette impression furtive de pouvoir enfin communiquer – il sait bien que c'est éphémère, alors il veut tout faire pour repousser l'échéance. Il veut profiter tant qu'il le tient. Il parle pas Saul, il parle jamais. Ni de sa famille, ni de sa vie, ni même de lui. Bran sait rien à son sujet ou presque ; uniquement des bouts piochés ici et là, dans la bouche des autres ou dans les observations qu'il a faites tout seul. Il lui en faut plus. Il lui faut tout, jusqu'à éradiquer toute cette distance que Saul impose, jusqu'à faire tomber ce mur qu'il s'applique toujours à renforcer. Il veut effacer tout ça, Bran. Se faire sa place lentement, et qu'ils deviennent frères dans le sang.
Le silence tomba comme un couperet. Sonnant presque étrangement après le grondement joyeux de sa voix à laquelle je m'habituais malgré-moi. Même la scie sauteuse s'était tue, délaissant le tempo lugubre qu'il marquait. L'accalmie dura pas longtemps mais Bran eut le mérite de se remettre à parler plus doucement, encore surpris par mes confidences. Si ce n'était qu'au lieu de discuter autour d'un verre comme des personnes normales on papotait pendant le dépècement d'un cadavre. La banalité au label Morris. "Rien du tout Kovac. Le quart d'heure câlin est dépassé de deux minutes, faut qu'on se remette au boulot." Pour marquer le terme de la conversation j'appuyais sur le bouton d'alimentation de mon engin de torture. Parole, ce genoux allait pas me résister longtemps... On avait pas si mal avancé que ça finalement. Et puis ce laisser-aller imprévu m'avait presque... soulagé. Un peu seulement parce que m'être "confié" à Bran n'enlevait rien aux faits, ni ne me permettait d'atténuer un semblant de culpabilité que je traînais depuis cette époque. Et bien que je persiste toujours à dire que je le referais encore s'il le fallait. Un bref regard au serbe m'apprit qu'il essayait encore de garder la brèche ouverte. Bran et son terrible besoin de reconnaissance, un gouffre abyssal engloutissant la moindre bribe d'intérêt qu'on lui donnait en pâture. Je saisissais ses motivations: il avait été littéralement élevé sous la férule de la mafia, et pas des plus tendre. Dès sa sortie de l'enfance il avait du lutter pour se montrer à la hauteur des attentes de Lazar, ce qui avait très certainement contribué à développer son sens de l'humour douteux et cette propension à se conduire en tête-brûlée dès que le moment s'y prêtait le moins. La question qu'il posait était donc justifiée: sa façon de vivre, à la dure, et qu'il avait toujours connu était-il la seule qu'il méritait? Est-ce qu'il avait le droit à des instants de bonheur fugaces, ou du moins à ce qui s'y apparentait le plus? Je m'étais interrogé de la même manière pendant de longues années. Et puis les petites voix s'étaient tues lorsque j'avais lâché l'affaire. "C'est la vie, et tu l'as choisi cette vie. T'aimes avoir les mains sales et y a pas d'problème à ça, Saul. Au moins ce que tu fais tu le fais bien, alors contente toi déjà de ça. Tout l'monde peu pas en dire autant." Insidieuses petites voix. Bref, j'arrivais à cerner les gens, à comprendre leurs motivations. J'les comprenais mais j'ressentais rien pour eux. "Tu me demandes sérieusement ça alors que je suis en train de scier une jambe humaine?" Je levais les mains dans un signe évident, du sang me maculant les avants-bras alors que le prénom d'une certaine demoiselle clignotait de protestation sous mon crâne. "Nan j'suis pas heureux. Pire, j'suis un éternel insatisfait alors tu vois, c'est pas vraiment la bonne combinaison pour se persuader d'habiter le monde des bisounours." J'avais aucune raison de mentir à ce gosse. A l'inverse, je préférais lui dire la vérité. Il était encore jeune et avait une chance de repartir à zéro. "Mais j'suis un vieux maintenant dans la profession. J'ai vu et fait trop de choses pour espérer oublier. Toi en revanche..." Tu pourrais te tirer de ce merdier. J'finissais pas ma phrase qui pourrait porter à conséquence. Bran considérait Lazar comme une figure paternelle, la seule qu'il avait eu et aussi l'origine de ce beau gâchis. J'recommençais à cravacher en silence alors que on partenaire reprenait la parole. A l'évocation de ma génitrice je me raidis. Pour foutre les pieds dans l'plat il savait y faire le mioche. Pas étonnant remarque puisque mon statut d'orphelin n'était pas épinglé sur ma tronche. "Non. Elle est morte quand j'étais ado et j'm'entendais pas très bien avec elle." Un euphémisme. Notre cohabitation sous le même toit avait prit des allures de conflit ouvert avant de devenir un véritable cauchemar. Pour un jeune mec, composer avec la certitude de la prostitution de sa mère était totalement ingérable. C'était comme si elle avait sali le genre féminin pour toute ma vie à venir. P't'être bien qu'elle avait aiguillé mon destin vers le trafic d'êtres humains également. Même à la fin, alors que le cancer l'avait dépouillé de toute sa dignité, j'avais pas pu lui pardonner. A la suite de quoi j'm'étais juré de jamais bousiller mon gosse pareillement si j'en avait un, une belle hypocrisie de ma part. "Et toi?" Je ne savais rien de lui en dehors de sa loyauté aveugle au gang et de la légion d'honneur remis par Lazar à son père pour services rendus. Bran été un enfant sauvage, élevé dans une meute de loups sombres et féroces. Difficile d'envisager un autre plan de carrière en confondant depuis la naissance un hochet et une lame. J'aurais mis ma main à couper que sa mère était plus dans les parages depuis bien longtemps; morte d'une OD ou sous les coups. Volatilisée dans le vaste monde. Et lui, tout seul. On était vraiment pas si différents.
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran) Dim 21 Mai - 10:35
« Rien du tout Kovac. Le quart d'heure câlin est dépassé de deux minutes, faut qu'on se remette au boulot. » Et Saul n'attend pas de réponse, Saul ne laisse pas la place aux protestations. Il rallume sa foutue scie et se concentre sur sa tâche à nouveau, penché sur la jambe du macchabée. Pourtant ça suffit pas à stopper Bran, ses questions, son besoin de s'accaparer son attention. Quitte à devenir aussi irritant qu'un môme pas foutu de la fermer, ou une mouche qui vous tourne autour encore et encore, sans qu'on réussisse à l'achever. « Tu me demandes sérieusement ça alors que je suis en train de scier une jambe humaine ? » Il hausse les épaules, comme si toute cette situation était parfaitement normale, comme s'il comprenait pas cet argument. Il se redresse, contourne le cadavre pour arriver jusqu'au bras qu'il a balancé à Saul un peu plus tôt, et il l'attrape en prenant soin de continuer à l'écouter. « Nan j'suis pas heureux. Pire, j'suis un éternel insatisfait alors tu vois, c'est pas vraiment la bonne combinaison pour se persuader d'habiter le monde des bisounours. » Sourcils froncés, il sort son couteau à cran d'arrêt, calant le bras contre lui pour avoir une meilleure prise. Il choisit le majeur, et il commence à couper. Tellement concentré qu'on dirait qu'il entend plus Saul – pourtant il continue de tendre l'oreille avec attention. « Mais j'suis un vieux maintenant dans la profession. J'ai vu et fait trop de choses pour espérer oublier. Toi en revanche... » C'est ironique, ça résonne au moment même où Bran a fini de détacher le doigt de la carcasse, laissant tomber le bras dans un bruit sourd, levant le doigt qu'il vient de couper. Y a même un sourire au coin de ses lèvres ; un truc presque enfantin, qui tranche avec ses actes et le sang sur ses mains. « Voilà, maintenant on est à égalité, tu peux continuer d'scier pendant qu'on cause. » Si c'était qu'ça qui le dérangeait, Bran est là pour remettre les compteurs à zéro. Peut-être aussi que c'est un moyen de continuer à occulter la réalité de la situation et tout c'que ça engendre, peut-être que les doigts c'est moins culpabilisant que les bras, les jambes, les têtes. Les doigts il gère, les doigts c'est pas grand-chose et même s'il se confronte à la mort tous les jours ou presque, à s'prendre pour la faucheuse quand on le lui demande, c'est pas pareil. C'est pas comme Saul. Il pourrait pas, lui. Il pourrait pas traiter avec les cadavres, découper, nettoyer, faire disparaître. C'est simple de liquider, presque automatique, il y pense à peine maintenant – passé expert dans l'art d'ignorer ce qui est susceptible de l'faire réfléchir. Mais ça ? C'est trop pour lui, alors il est là, à faire le gosse, à s'démerder pour détourner l'attention et il en profite pour faire parler Saul. Pour une fois qu'ça marche, il va s'arrêter en si bon chemin. « Arrête de faire ton papi, ça t'donne l'air con. C'est pas parce que t'as vu ou fait des trucs qu'ça doit te rendre comme ça. » Lui aussi il a fait bien sûr, Saul le sait, Saul voit ses œuvres régulièrement. Lui aussi il a vu, trop jeune peut-être, avec la guerre et puis le gang, avec toutes les images imprimées en lui qu'il a sagement enfouies, comme tout le reste. « T'es pas heureux parce que t'as pas envie d'l'être, c'est tout. Tu t'enfonces tout seul, c'est débile. » Comme si c'était aussi simple – à ses yeux ça l'est. Il a l'impression d'être heureux parfois, parce qu'il le choisit, parce qu'il fait en sorte de se concentrer sur ce qui l'arrange et il voit rien d'autre, même quand on lui fout tout sous le nez. Il comprend rien Bran, seulement ce qu'il a envie de comprendre, seulement ce qui bouscule pas trop ses convictions. Et il s'met à jouer avec le doigt qu'il a découpé, se baissant pour essuyer sa lame sur un pan à peu près propre du t-shirt de la victime, avant de la ranger dans sa poche. Il sent vaguement un changement dans la posture de Saul, ses muscles crispés et son immobilité. Il pose les yeux sur lui, curieux, attentif, en continuant de faire tourner le doigt entre les siens, comme si c'était un bâton plutôt qu'un reste humain. « Non. Elle est morte quand j'étais ado et j'm'entendais pas très bien avec elle. » Et il se demande Bran, il se demande si y a quelqu'un d'autre, un père, une sœur, un frère. Il se demande s'il a de la famille Saul, des gens à qui il tient encore, des gens qui l'ont connu y a longtemps, avant qu'il se coule dans du béton armé. Mais il a pas l'temps de poser la question, il se fait devancer. « Et toi ? » Il s'arrête. C'est son tour de se raidir un peu, juste le temps d'une seconde. Et puis il recommence. « Vite fait. » Il s'met à fuir le regard de Saul quand même, parce qu'il a pas l'habitude de parler de ça, parce que sa mère il évite de la mentionner – de toute façon il mentionne rien qui puisse le toucher en dehors du gang. « On s'entend pas. Elle sait rien du gang à part que mon père était d'dans alors elle aime pas. Depuis qu'j'suis p'tit elle fait chier avec ça. » À tenter de lui expliquer les choses à demi-mots, à chercher à le garder auprès d'elle sans succès. Elle l'a vu dériver, elle l'a vu s'éloigner, elle a vu les griffes de Lazar se refermer sur lui et elle a rien pu faire. Bran a jamais compris ses réticences, sa méfiance, ses mises en garde. Il a jamais rien voulu écouter, et puis il s'est barré. « J'lui ai plus parlé depuis des années. Mais j'lui envoie d'la thune tous les mois. » Il sait même pas pourquoi il s'évertue à faire ça, il sait pas si elle l'utilise, il sait pas si ça lui fait plaisir. Il sait pas si elle pense à lui parfois, si elle lui en veut ou si elle voudrait qu'il rentre. Il en sait rien mais t'façon il peut pas. Y a toujours eu un mur entre elle et lui, trop de secrets, trop de non-dits. Et p't'être qu'au fond il sait ce qu'il est devenu, p't'être qu'il le supporte parce qu'y a le gang mais face à elle ça donnerait quoi ? P't'être qu'il a juste pas envie qu'elle voit ça, qu'elle devine entre les lignes, dans la lueur sombre au fond d'ses yeux, dans le tranchant d'ses dents. « T'façon on s'en fout, la famille c'est le gang. » Pourtant il sait qu'y a quelque chose en dehors de ça, il sait que c'est pas tout et pourtant il agit comme si c'était le cas, délaissant tout le reste. Et ça le frustre d'en parler finalement, tellement qu'il finit par balancer le doigt de toutes ses forces contre le mur, observant l'impact et puis la chute. « Pas vrai ? » Ses yeux qui retombent sur Saul, interrogateurs, presque inquisiteurs. Pourtant au fond y a un truc un peu hésitant, un peu pressant. Comme s'il avait besoin de l'affirmative pour se rassurer, pour s'dire que ça a un sens tout ça, qu'il est dans le vrai. Y a tout qui s'mélange ces derniers temps et il sait plus, il est perdu. Tiraillé, torturé, il a l'impression d'être découpé comme le macchabée.
Son regard déjà d'obsidienne s'assombrit encore à l'évocation dérangeante de ses attaches familiales. Il répondit à toute vitesse, comme s'il pouvait diluer le poison en avalant les syllabes. Peine perdue car même avec le staccato de la scie j'avais l'oreille suffisamment fine pour enregistrer avidement les bribes d'informations. Qui auraient largement pu résumer la relation chaotique que j'entretenais avec mon frère. Un copier/ coller de cette foutue incompréhension. De cet amour inconditionnel et pathétique qui nous liait. De cette envie irrationnelle de vouloir à la fois protéger et esquiver; une main pour repousser, l'autre pour l'attirer à soi. Je me contentais d'un long regard envers le jeune homme qui s'évertuait à continuer son découpage sanglant avec minutie. Au moins, il s'appliquait. La famille c'est l'gang. Ça rougeoyait dans ses prunelles. Des mots tatoués au fer rouge sous la peau. Une croyance aussi inflexible que l'acier. Programmée. Et l'attention d'un confirmation salvatrice de ma part. Si je répondais par la négation serais-je considéré comme un traître? L'infâme fils faisant preuve d'ingratitude envers la main qui l'avait nourri? Sans parler des représailles que je pouvais risquer avec un mauvais téléphone arabe. Contrairement à Bran je m'étais bâti seul dans ce monde. Le gang n'était intervenu que bien plus tard, une fois l'adulte né et l'enfance délaissée, à un moment charnière où rien ne me donnait une raison de vivre. Je survivais. Parce que je n'avais pas non plus de raison pour mourir. Une coquille vide. Sans attente ni désir, seulement une passivité à toute épreuve. "La famille Bran, c'est celle que tu choisis." Cri du cœur. J'avais interrompu mon geste, à savoir séparer la cuisse du tibias dans un amas de chaires pourpres et à grand renfort de crissements désagréables. Je fixais le jeune homme avec l'insistance effrontée d'un condamné à mort. Mes paroles pouvaient me coûter cher. "Mais choisis bien." Et arrêtes de cramer ta liberté en prétendant placer la loyauté au-dessus. "Allez, finis ton œuvre. On a des horaires à respecter." De mon côté gisait - semblable à une poupée désarticulée en attente de montage - l'avant-bras anonyme, le bras, pied, cuisse et tronc à intervalles réguliers. Je me levais souplement pour m'emparer de l'incontournable filme plastique et commençais à emballer le tout. Le plus gros du travail nous attendait encore. "Une fois que tu as fini de découper tu enroules tout très serré et tu le mets dans le coffre. Il te restera plus qu'à nettoyer. Et quand je dis nettoyer c'est du sol au plafond. Un passage chiant mais nécessaire. " D'où la présence de produits hautement abrasifs et de brosses en tous genres. Je déballais le matériel dans un ordre prédéfini et immuable. Désinfectant frôlant l'acide, Javel... Rien de moins pour masquer les traces du groupe. La protection au prix du sang. Il nous fallut deux heures pour tout récurer. Frotter encore et encore afin d'effacer les marqueurs génétiques. Les indices. J'actais en silence, Bran pour sa part ne dérogea pas à ses habitudes: il soupirait ou chantonnait selon ses voix intérieures. Nous finîmes de tout charger dans la voiture qui n'avait à peine grincer sous le poids de son nouveau passager. Sous mon crâne fourmillait nerveusement l'envie d'une cigarette. Elles étaient toujours terriblement bonne après l'exécution d'un boulot. Je ne l'allumais qu'une fois derrière le volant et inspirais lentement sur le foyer pour en sortir autant de volutes nocifs que possible. Devant nous le bâtiment faisait plus triste qu'à notre arrivée. Comme si nous l'avions vidé de sa substance. Une bien macabre idée. "Bon maintenant fais travailler tes méninges Kovac. Et dis-moi si c'est trop compliqué..." Je lui servis un sourire en coin moqueur mais dépourvu d'animosité. "Tu dois trouver un moyen de faire disparaître le corps. Pas seulement le planquer mais t'assurer qu'il soit enfoui tellement profondément que personne n'aura la foutue idée d'aller creuser à cet endroit." Une métaphore évidemment: personne n'allait simplement creuser un trou pour balancer le macchabée dedans. Sauf si ce trou était en-dessous d'une tombe (avoir un défunt légal en couverture était toujours une excellente idée). "Alors? Tu veux en faire quoi de ton pote à l'arrière?" grognais-je en désignant le coffre d'un pouce avant de me renfoncer dans le dossier, pas mécontent de pouvoir enfin m'asseoir.
Invité
Invité
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran) Lun 14 Aoû - 19:45
« La famille Bran, c'est celle que tu choisis. » Y a l'regard de Saul planté dans le sien et il se fige, parce qu'au fond il sait qu'il a raison – il sait juste pas quoi faire de cette information. « Mais choisis bien. » Et son choix a déjà été fait y a trop d'années, son choix c'est Lazar c'est le gang c'est le sang. Son choix parfois n'a plus l'air d'en être un et il sait plus si c'est d'son fait ou s'il a été programmé, il se perd et il sait plus quoi en penser. La famille c'est l'gang mais la famille c'était sa mère, la famille c'est aussi Lim mais alors pourquoi il la détruit ?
« Allez, finis ton œuvre. On a des horaires à respecter. » Et ça lui arrache un rire sans humour, un rire qui n'en est pas vraiment un. Parce que Saul pose une bombe et la seconde d'après il change de sujet.
Bran ne bronche pas. Il recommence à couper trancher mutiler, s'efforçant de rester concentré. « Une fois que tu as fini de découper tu enroules tout très serré et tu le mets dans le coffre. Il te restera plus qu'à nettoyer. Et quand je dis nettoyer c'est du sol au plafond. Un passage chiant mais nécessaire. » Il ne répond toujours pas, se contente de hocher la tête en se mettant au travail. Y a ses yeux qui s'perdent sur la chair qui se déchire et s'étiole et tout ce qu'il voit c'est du pourpre du noir d'la peau, la mort la mort la mort. Il y pense même plus – il pense plus à rien. Le discours de Saul a ouvert des vannes et comme chaque fois qu'ça arrive il choisit de tourner la tête de l'autre côté, à s'faire aussi méthodique que son mentor à laisser le bruit de la scie le bercer. Tout pourvu que ça noie les mots et les doutes ; à croire que c'est plus facile d'affronter la faucheuse que la vérité.
Une fois le corps séparé comme les morceaux d'un puzzle faut récurer et ça l'fait déjà soupirer. Mais encore une fois il obéit, clébard discipliné qui a appris à n'jamais rechigner. Il fait ce qui lui est demandé, plus bruyamment que Saul parce qu'il est pas foutu de rester dans le silence très longtemps, mais il le fait et c'est tout c'qui compte. Il a mal aux bras et l'impression d'avoir été plongé dans un océan de javel, le regard presque admiratif quand il le pose discrètement sur Saul. Maintenant qu'il a goûté à son job, il sait qu'il n'échangerait leurs places pour rien au monde. Nettoyeur c'est définitivement pas pour lui, ça il l'a bien compris. P't'être même qu'il compatit un peu, p't'être bien qu'il sera moins crade la prochaine fois. Mais ça il le dira pas.
Quand il s'installe sur le siège passager il lâche un soupir de soulagement comme si la besogne était terminée, alors qu'il reste encore une étape et il le sait. Il s'en fout il veut juste se poser cinq minutes, respirer et s'assurer qu'sa tête reste vide. Il voit Saul s'allumer une clope et il dit rien mais il tend la main pour en demander une silencieusement, sans savoir si l'autre accèdera à sa demande ou pas ; avec lui il sait jamais.
« Bon maintenant fais travailler tes méninges Kovac. Et dis-moi si c'est trop compliqué... » Il le voit le sourire railleur, mais ça sonne presque complice et il peut pas s'empêcher de ricaner. C'est comme une porte ouverte, Saul qui lui cède un peu de terrain et si c'est toujours pas assez à ses yeux, c'est déjà mieux que ce qu'il avait jusqu'à maintenant. « Tu dois trouver un moyen de faire disparaître le corps. Pas seulement le planquer mais t'assurer qu'il soit enfoui tellement profondément que personne n'aura la foutue idée d'aller creuser à cet endroit. » Il arque un sourcil, un peu perplexe que ce soit à lui qu'on pose la question. L'expert c'est Saul et il voit pas pourquoi on lui demande de réfléchir – il a trop l'habitude qu'on exige de lui l'exact opposé. « Alors ? Tu veux en faire quoi de ton pote à l'arrière ? » Il sait pas. Il sait rien. « Bah comme tu veux, c'toi le pro hein. »
Mais Saul attend. Saul attend quelque chose de lui et il est pas sûr de comprendre quoi, pas sûr de piger pourquoi. On lui demande jamais de prendre de décision ou du moins pas comme ça, et ça l'arrange bien il s'en est jamais plaint. Faut croire que Saul est différent et ça le laisse un peu perplexe, mais il finit par soupirer en se prêtant au jeu. Sourcils froncés et traits froissés, il se force à trouver des solutions à proposer. « T'avais pas mentionné la flotte au début ? Genre on attache tout à des blocs de béton ou j'sais pas quoi et on laisse couler ? » C'est une bonne idée ça – il le sait parce que c'est celle de Saul. Et puis il hausse les épaules, le regard paumé sur un point imaginaire à travers le pare-brise. « Si on l'avait pas enroulé dans du plastique j't'aurais dit les cochons. Tu leur donnes tout ça à bouffer et j'te garantis qu'ils en feront un festin. » Il s'marre à moitié et il repense aux fermes pas loin d'chez lui quand il était môme, tous les trucs dégueulasses que lui et les autres gamins du coin filaient aux porcs juste pour voir. « Sinon dans les fermes y a aussi les puits de décomposition ou j'sais pas quoi là, genre ils jettent tous les déchets animaux et les trucs organiques tout ça, du coup ça pue l'mort mais c'est normal ça inquiète personne. Tu lestes le macchabée et tu l'jettes là-dedans, j'crois que personne le trouvera. » Il fait une pause, reprend son souffle, et il continue on dirait qu'il s'arrêtera plus. « Ou alors dans la forêt, genre faut creuser un trou vachement profond et puis tu recouvres en partie puis tu fous un cadavre d'animal, comme ça si les chiens des flics trouvent l'odeur ils tomberont sur la bestiole et ils croiront juste qu'le clébard s'est trompé. » Il tourne la tête vers Saul, sourire en coin de lèvres – on dirait un gamin. « Sinon un volcan ça peut être sympa j'pense. » Au moins personne ira chercher là-dedans.
Mais au final il sait bien qu'il parle trop et qu'les bonnes idées c'est pas franchement son domaine, alors il recommence à s'marrer tout seul et il hausse les épaules encore une fois, comme si c'était pas important tout ça. « Mais la flotte j'trouve que c'est bien. » C'est c'que Saul a dit en premier il a retenu, alors il s'dit que c'est probablement le meilleur plan, le moins foireux le moins erroné. Avec ça il est sûr de pas trop se tromper.
Contenu sponsorisé
☽ ☾
Sujet: Re: Nerve ending_(Bran)
Nerve ending_(Bran)
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum