les néons tracent le signe de l’inferno dans la nuit sombre mais loin d’être calme. à l’intérieur, c’est comme tous les soirs. club dégueulasse. lumières tamisées, presque inexistantes, pour qu’on n’y voit rien de ce qu’il s’y passe vraiment, c’est mieux comme ça. musique tonitruante, pour qu’on ne s’entende pas non plus. à quoi bon ? il n’y a rien à dire. juste des choses à hurler. hommes voraces, prêts à satisfaire leur appétit en compagnie des danseuses, ou bien des filles, mises sur le marché comme de vulgaires bêtes de bétail. et nadja. nadja comme un cheveu sur la soupe, nadja trop douce, nadja trop tendre, nadja qu’on brisera en moins de deux, nadja qui n’appartient pas à cet endroit mais qui s’y plie pour ne pas risquer pire. comme s’il pouvait y avoir pire que ça. putain trop habillée, ou bien pas assez. tout dépend du regard qu’on lui porte. poupée de porcelaine qu’on mène et malmène, comme un vulgaire pantin. douce et froissée. douce et brisée. alors nadja, elle n’y pense presque plus, c’est comme une mécanique qu’elle répète encore et encore, sans jamais s’arrêter. l’appréhension du début, d’entrer dans la salle, l’incapabilité même de se regarder dans le miroir, ou de le faire mais de ne pas réussir à se reconnaître. la boule au ventre, comme chaque soir, et dès qu’elle entre, il n’y a plus rien. il n’y a même plus nadja, qui s’efface et disparaît. il reste juste l’alter égo, celui qui sort parce qu’il faut bien survivre, celui qui charme et séduit comme une seconde nature. celui qui minaude, à coup d’oeillades à travers la pièce, jusqu’à trouver celui qu’elle fera roi ce soir. il y a quelque chose, dans la façon dont nadja les choisit. dans le regard, peut-être. un truc un peu gentil, presque inoffensif. nadja, elle se dirige toujours vers ceux qui, elle pense, la traiteront bien, ceux qui ont juste besoin d’un peu d’attention, de compagnie. ceux qui aiment se perdre et oublier leur quotidien difficile, ceux qui voudraient se remettre d’un coeur brisé, sans savoir qu’on ne peut pas. pas vraiment. pas comme ça. nadja, elle se dirige vers ces hommes-là sans savoir que c’est peine perdue. nadja, elle choisit jamais les bons, et ceux qui la veulent son jamais ces hommes-là non plus. toujours les mauvais. c’est presque comme une philosophie de vie. une philosophie ratée. nadja, elle semble toujours se mettre dans les plans qui l’aspireront vivante sans même s’en douter. ah, la naïveté. nadja, ça la perdra. peut-être plus tôt qu’elle ne le penserait. parce qu’elle est là, affalée dans l’un de ces canapés beaucoup trop confortables, collée au flanc d’un de ces hommes importants. d’un de ces clients qu’il faut pas décevoir. et elle rit. et elle charme, comme elle sait si bien faire d’habitude, coupe de champagne à la main parce que l’homme, paraît-il, déteste boire seul. et quand les bulles lui montent un peu trop à la tête, elle s’excuse pour partir se réfugier aux toilettes. quelques minutes à attendre que le temps passe, enfermée, à espérer qu’il finisse par s’ennuyer et demande l’attention d’une autre des filles. d’une autre, mais pas elle. nadja, elle rêve que de ça, qu’il finisse par se lasser de son absence, s’en aille voir une autre. alors elle s’enfuit, l’excuse parfaite lancée dans les airs, perdant le sourire simulacre aussitôt lui a-t-elle tourné le dos. et quand elle s’enfonce à l’arrière de la salle, pour rejoindre le couloir calme et frais, la porte s’ouvre sur elle au même moment où elle s’enfonçait dans le couloir. elle manque d’entrer en collision avec l’individu, recule vivement, murmure des excuses qu’il n’entendra pas de toute façon. y a pas grand chose à faire dans ces cas-là, juste baisser les yeux et tracer sa route. surtout pas s’arrêter sur l’un des gars du gang, parce que ça finit jamais bien de toute façon. mais nadja, elle lève quand même les yeux, et y a son palpitant qui fait un bon, son coeur qui manque un battement, ses lèvres qui s’ouvrent pour prononcer quelque chose alors que rien ne sort. à bout de souffle. saul. saul avec qui elle ne comprend jamais rien, tantôt sur la corde raide, tantôt s’engouffrant dans les élans chauds de sa présence. saul qui lui fait perdre la tête, saul autour duquel elle gravite, incapable d’en rester loin. même s’ils passent leur temps à s’éviter, à ne pas se croiser. saul qui lui fait revoir toutes les règles qu’elle s’est imposée depuis tant d’années, un code de survie bien trop important pour seulement penser à le remettre en question. trop tard. maudit saul. et elle se sent mal nadja, à découvert, face à lui autour de tous ces gens. comme s’ils pouvaient tous savoir ce qu’il se passait réellement, sans être certaine elle-même qu’il y ait vraiment quelque chose ici. alors elle n’en dit rien, nadja, passe sous silence les derniers mots de son téléphone qui restent coincés dans son esprit. nadja, elle fait que lire la colère sur son visage, les traits tirés, furieux, elle fait que lire le regard qu’il lui porte, différent de tous ceux qu’il a pu poser sur elle auparavant. il s’est passé quelque chose ? elle devrait pas, nadja. pas devant ces gens, pas dans cet endroit où les murs où des oreilles. mais ses mots la trahissent aussi vite qu’ils la rattrapent, sans qu’elle ne puisse rien contrôler. elle devrait se dire que tout va bien, qu’elle ne risque rien. pas grand chose en tout cas. mais ce serait passer à côté de la vérité, parce que tout perd de son sens, quand il n’est pas là.
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Sujet: Re: lost on you. (sadja) Ven 26 Mai - 15:10
Le sang me battait aux tempes avec la régularité d’une masse cadencée. Boum. Boum. Ça courrait le long de mes nerfs, descendant jusque dans mes poings qui crevaient d’envie de bousiller quelqu’un. Mes dents s’entrechoquaient tellement sous l’impulsion de cette rage dévastatrice que je me trouvais obligé de les serrer à m’en faire mal. J’avais mal. Autant qu’un loup avec la patte broyée dans un piège. Sauf que j’aurais mille fois préféré me retrouver avec les deux guiboles brisées plutôt que mon cœur n’éclate en un million d’éclats violents. J’avais pris un risque. J’avais perdu. Ah Morris, quel sacré connard tu faisais.
La soirée avait débuté comme à l’ordinaire. Gros bonnets scabreux, petits lascars véreux, tous en mal d’affection. En demande de luxure et d’abandon. Moi j’étais de paire avec Marko pour faire tourner la maison et s’assurer du bon confort des clients. Les filles étaient somptueuses, comme d’habitude, bonnes comédiennes, comme d’habitude. Y avait juste mon esprit qui divaguait vers une muse mystérieuse me rendant distrait. Je fouillais la salle du regard mais, blindée de monde comme elle était, je n’y reconnus pas Nadja. De toute façon elle devait sûrement être en salon privé pour satisfaire un magnat richissime. Étrangement j’avais pu me résoudre à cette idée. Elle était dérangeante, presque angoissante, mais normalisée. Et puis la réciproque par rapport à mes activités était pas mieux. J’pensais donc passer une nuit tranquille au gré des éclats de rire graveleux et de la musique à chier quand Marko prononça deux syllabes mettant le feu aux poudres. « Tu parles ! Nadja il suffit de savoir comment la prendre. Dans tous les sens du terme si tu vois c’que j’veux dire. » Instinctivement je tendis l’oreille vers lui en continuant à mélanger de quoi préparer un Bloody Mary. « Ce genre de connasse y a deux trucs qui marchent : le blé ou la peur. Et perso j’suis aussi fauché qu’un étudiant… En tout cas j’ai pas eu à m’plaindre : c’est un sacré coup ! » C’était comme se couper au rasoir. L’entaille était profonde mais indolore, jusqu’à ce que l’information remonte au cortex. La rage était froide d’apparence. Devint brûlante lorsque les premières images des mains grossières de Marko sur le velouté des courbes de Nadja ne se frayent un chemin au milieu de mes synapses grillés. Tous les voyants s’allumèrent rouge là-dedans. Calmement, je reposais ce que j’avais entre les paumes, conscient des dégâts (certainement irréversibles) que je causerais sinon au premier con qui m’adresserait la parole. Je me dirigeais jusqu’au local dérobé où se trouvaient les écrans des caméras de surveillance et repérais presque immédiatement sa planque. Elle était en train de se relever du canapé luxueux en s’excusant manifestement dans un joli sourire. Y avait pas trente-six sorties pour ce salon. Parfait.
Mon corps bougeait tout seul, raide. Incapable de synthétiser et d’assimiler les brusques émotions qui l’agitaient. L’incertitude. La peine. Et plus que tout, en bouclier à cette dernière, la haine. Poisseuse, épaisse, tordue. Ça me prit soixante secondes pour arriver dans ce putain de couloir. Deux pour qu’elle lève les yeux vers moi. Moi qui avait le cœur au bord des lèvres. Et cette fameuse question. Je l’empoignais par l’avant-bras, me foutant royalement de lui imprimer la marque de mes longs doigts sur le tendre de sa peau. C’était même tant mieux. J’étais comme un dingue. J’la traînais derrière moi jusqu’à ouvrir à grand fracas la porte arrière. Deux employés zonaient dans la cours en train de fumer leur garo. « Cassez-vous ! » leur lançais-je sèchement. Ils déguerpirent en quatrième vitesse alors que je me retournais vers Nadja, le regard ouragan. « Alors ? Tu t’es faite sauter par Marko ? Contre quoi, moins d’heures ? Une piaule solo ? » Animal sauvage je lâchais pas ma proie, allant même jusqu’à la plaquer contre le mur de briques abruptes. J’avais jamais été aussi proche d’elle physiquement parlant. Jamais plus loin psychiquement. Mes bons principes sur le refus de brutaliser une femme s’étaient dissous dans le voile rouge et irrationnel de la furie. J’appréciais même pas mon contact contre sa poitrine frémissante ou sa si singulière odeur m’enveloppant. Tout ce qui me martelait le crâne c’était cette évidence : Nadja était comme toutes les autres. A vendre. « Et si je voulais faire un p’tit tour, moi aussi faudrait que j’allonge la monnaie hein ? » J’avais pas crié jusqu’ici. Juste grondé comme un fauve enragé. Mais le plus pathétique là-dedans c’était la peur que j’arrivais encore à éprouver, qui voulait pas sagement crever : et si Nadja s’en foutait ? La terrible interrogation brisa les digues. « RÉPONDS MOI BORDEL ! »
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Sujet: Re: lost on you. (sadja) Sam 27 Mai - 6:40
c’est comme ça avec saul, toujours entre les deux. jamais bien penchant d’un côté ou de l’autre. le chaud et le froid. la vérité et le caché. le trop plein et l’inconstance. il n’y a que quelques secondes qui s’écoulent quand elle le rencontre, et pourtant c’est toute une éternité qui défile dans sa tête, un truc qui semble durer des millénaires avant qu’il n’attrape brusquement son bras pour la tirer au fond du couloir, qu’un changement radicale entre l’ambiance lourde du club et l’air frais à l’extérieur foudroyant presque une nadja à la boule au ventre d’inquiétude. arrête, tu me fais mal. mais c’est peine perdue, il n’écoute pas. il se contente d’hurler sèchement sur les employés pour qu’ils prennent la fuite, pour qu’ils les laissent seule et nadja, prisonnière de son emprise dévastatrice que ses doigts auront demain sur son poignet fin, de sa silhouette crispée qui la plaque contre le mur sans trop de ménagement. c’est plus vraiment le saul qu’elle connaît, nadja, et elle se demande si ça l’a un jour été. y a la colère, l’injustice, l’incompréhension et l’inquiétude qui se mélangent au fond de son estomac, qui compressent sa cage thoracique. y a l’idée d’une punition qui pend au-dessus de sa tête sans même savoir ce qu’elle n’a fait de mal, nadja, et c’est d’autant plus surprenant venant de sa part à lui, saul qu’elle a connu de façon plus intime que n’importe qui d’autre ici. de cette douceur noire qui lui semble aujourd’hui si loin, inaccessible, inatteignable, à croire qu’elle avait fini par tout inventer pour rendre son existence un peu plus supportable. mais non, il n’y a que ses yeux furieux qui la mitraillent d’une colère qu’elle est incapable de comprendre, qu’une question lancée dans l’air avec colère rien que dans l’optique de la blesser. qu’une question qui la laisse sans voix un instant, les membres raidis, crispés, les yeux qui cherchent un tant soit peu d’explication au fond des siens sans pourtant rien trouver d’autre qu’un puits sans fond de rage injustifiée. la surprise lisible dans les siens, à nadja, et la peur qui réveille ses nerfs noués tout au fond de ses entrailles. elle voit la fin s’approcher, nadja. elle la voit de plus en plus, chaque jour un peu plus claire, quand elle est incapable de rester hors des emmerdes. quoi ? qui t’as dit ça ? comment il peut avoir attendu parler de ça, saul ? y a qu’un nom qui lui vient à l’esprit, à nadja, que quelques lettres détestables qui lui brûle la langue si elle en vient à prononcer le nom. marko qui a profité d’un soir d’accalmie pour frapper à sa porte, comme si elle l’attendrait toute disposée à le rendre heureux. comme si elle n’était bonne qu’à ça, nadja, comme si s’offrir à tous ces gens qui payaient ne suffisait pas, qu’il fallait en plus se donner - ou se faire prendre de force - à ceux qui ne payaient pas et nadja, elle est certaine que s’il a réussi à mettre la main sur ce secret honteux qu’elle détient pour elle-même, il ne doit sans doute pas être le seul. que d’autres sont au courant, qu’ils se font passer le mot. bientôt, ils viendront tous réclamer leur dû, comme une poupée inanimée qu’on se passe dans un gang bang. qu’anton, pire, lazare finiront par en entendre parler, et qu’elle sera mise au piloris, crucifiée mais pas martyr. y a la voix de saul qui hurle en écho jusqu’à la faire sursauter, retour brutal à la réalité tonitruante. non ! qu’elle s’écrie en retour, parce qu’elle ne trouve rien d’autre à dire. non, c’est pas du tout ce qu’il croit, nadja elle s’offre pas pour quelques heures en moins, pas non plus pour un peu plus d’espace. et elle est tellement en colère qu’il puisse penser ça d’elle, qu’il puisse piétiner le reste de sa dignité avec autant de facilité qu’elle le repousse de toutes ses forces, pour gagner un peu d’air et d’espace, pour cesser d’étouffer. alors y a les yeux de nadja qui se transforment eux-aussi, qui gagnent en fureur, en noirceur, en déception. y a l’idée qu’elle se soit faite malmener depuis le début, manipulée sans jamais rien y voir, qu’il n’y a pas de rédemption parmi les hommes, pas de gentillesse ni même d’altruisme. qu’il y a juste de l’égoïsme, des endroits sombres où chacun essaye de sauver sa carcasse, prendre son dû sans penser à ce qu’ils enlèvent et détruisent si facilement. alors c’est ça hein, tu veux y passer toi aussi ? t’es comme tout les autres ? tout ce qui t’intéresse c’est de savoir si tu vas pouvoir profiter de la pute de service sans payer. y a l’air de dégoût sur le visage de nadja, parce que c’est ce qui l’achève le plus, finalement. ça ne pas vraiment être ça, pas vrai ? nadja, elle peut pas vraiment y croire. elle a beau montrer sa colère, elle peut pas se résoudre à penser qu’elle s’est faite avoir à ce point, que tout ce qu’elle a vu jusqu’ici, la nuit de repos chez lui, les prises de partie inopinées et tout le reste, que tout ça n’était qu’un vaste piège pour l’amadouer, et mieux en profiter. alors elle baisse pas le regard nadja, elle refuse de faire l’autruche, de planter sa tête dans le sable. de fermer sa gueule et d’agir comme celle qui a peur. elle l’aurait sans doute fait avec n’importe qui, avec bran, avec anton, mais devant saul elle relève la tête, parce qu’elle a trop de choses à prouver. rassure-toi, il s’est rien passé. c’est dit avec le plus de détachement possible, la colère en sourdine, comme une lueur de défi au fond des yeux. et elle s’enfonce nadja, elle s’enfonce, elle sait très bien tout ce qu’elle risque. mais ça n’a plus d’importance, parce que son seul allié s’envole, et que s’il n’est plus de son côté, autant n’être plus d’aucun côté. y a la réponse qu’il attend qui sort enfin, sans ménagement, sans douceur, sans rien. il aurait dû le savoir, saul. s’en douter. pas l’accuser comme ça. il aurait dû savoir, que marko raconte à qui veut l’entendre qu’il est le héros, le sauveur de ses dames, que tout lui appartient et qu’il a déjà vécu cent fois ce que d’autres découvrent pour la première fois. il devrait savoir, que marko gonfle son égo pour cacher d’autres vérités moins glamour, un secret qu’il aura lui aussi gardé pour lui, au même titre que nadja. il a essayé et il a pas aimé que je lui dise non. y a la rondeur de sa joue et les traces violacées le long de la clavicule cachées par sa robe et du maquillage pour le prouver. elle a dit non et elle en a payé le prix, mais elle sait que c’est pas la dernière fois, nadja. elle sait bien qu’il reviendra, chaque fois un peu plus fort, jusqu’à obtenir ce qu’il veut, jusqu’à la réduire à une moins que rien simplement pour se penser au-dessus des autres. elle sait qu’il reviendra, lui et tous les autres, et ça la garde éveillée la nuit, nadja, parce qu’elle sait qu’il finira par prendre de force ce qu’elle refuse de lui offrir.
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Sujet: Re: lost on you. (sadja) Ven 2 Juin - 16:59
J’entendais même plus ses protestations contre ma poigne de fer. Je guettais plus la discrète grimace douloureuse qui entachait ses traits. Ne prêtais aucune attention à son corps, si fin et bien plus petit que le mien pressé contre le mur grossier. Elle était là, entre la froideur des pierres et la brûlure de ma hargne. J’me tendais encore, refusant de répondre à ses questions pourtant légitimes. On s’en foutait de savoir comment c’était parvenu à mes oreilles –j’aurais voulu m’arracher les tympans ou subir une lobotomie en règle si ça avait pu m’éviter de devenir fou. Doux, dur et dingue. Le premier était noyé dans les deux autres. Écrasé sous la souffrance. Ployant l’échine devant l’immense rancœur qui avait mûrit de façon accélérée, touché en plein myocarde. J’entendis même pas la négation écriée, absorbé dans le déni comme je l’étais. Cri de l’âme. Bleu au cœur. Colère. Ses ongles vinrent tracer une ligne de feu sur ma joue. Balafre méritée ou marque d’appartenance, j’m’en foutais. Les trois lettres mirent du temps à se frayer un chemin. Le temps qu’elle me crache à la figure son dégoût et l’affirmation de sa dignité. Je me figeais en la laissant continuer, la dévisageant une nouvelle fois. Comme la première en réalité. Y avait encore ce feu dans ses prunelles qui les hantaient. Les braises sous les cendres. Nadja était encore là. La femme forte et intransigeante. La tigresse ardente. La sylphide délicate. Elle était la fragilité à part égale avec la dureté. Elle était fière. Et moi, avec cette méfiance qui me pourrissait de l’intérieur depuis toujours, j’avais jeté à bas le semblant d’attache qui se matérialisait entre nous. « Il t’a pas touché ? » murmurais-je en finissant par réellement m’écarter. Mes bras retombèrent le long de mon corps, inutiles. Libéré d’un poids titanesque je vacillais avec l’impression que ma carcasse encombrante allait se détacher de mes os, liquéfiée par le soulagement. A l’intérieur de son regard céruléen se disputaient la méfiance et la déception. J’y avais jamais lu un truc pareil. Et ça me poignarda avec encore plus de virulence que la trahison précédente. J’étais un putain de con. Pas foutu de voir plus loin que le bout de son nez, préférant foncer la tête baissée sur la parole d’un abruti consanguin. J’avais vu en Nadja une libération, l’absolution. Je m’étais ouvert à elle en m’imaginant un refuge entre ses bras, dans le creux de son cou si tendre. J’m’étais dit qu’elle était différente des autres nanas fréquentées auxquelles je m’étais attaché. Que c’était pas une de celle qui m’arracherait un peu de moi pour l’offrir aux flammes. « Non. » lui fis-je en réalisant les énormités que j’avais proféré dans la nuit. « Tu me dois rien. J’veux dire pas… Pas comme ça. » Toute l’obscurité qui s’appesantissait sur ma conscience s’était dissoute devant les paroles de la slave. L’image de Marko cherchant à obtenir ses faveurs s’imposa à moi dans une sombre évidence. J’pouvais pas passer l’éponge dessus ni faire semblant de pas l’avoir entendu. Une nouvelle pulsion meurtrière m’agita. Déjà les plans macabres s’échafaudaient, vieux réflexe anticipé. « Personne à le droit de se permettre de te demander ça Nadja. » -douce symphonie des syllabes honnies quelques instants auparavant – « Je tuerais le prochain qui osera, tu comprends ? » Chacun de mes muscles vibrait d’adrénaline, ne sachant plus qu’en faire. Et y avait ses yeux. Y avait sa peau. Y avait sa bouche. Aussi vivement que précédemment je revins à elle, cette fois-ci sans la toucher vraiment, juste assez proche pour me repaître de sa chaleur. Juste assez loin pour l’entourer de mes bras, les paumes à plat sur la pierre derrière elle, hypnotisé par ses lèvres entrouvertes de surprise. J’eus une demie seconde d’hésitation : le club était plein à craquer et n’importe qui pouvait surgir de la ruelle adjacente ou ouvrir la porte sans prévenir. N’importe qui pouvait nous voir. Qu’ils regardent. Je l’embrassais enfin. Enfin. Avec une tendresse pressante. Avec une timidité sous-jacente. Toujours sans la toucher, unis par le seul point de jonction que formaient nos lèvres. Un pont jeté par-dessus tous les fossés qui pouvaient nous séparer. Nadja avait le goût du miel et des promesses. Le goût ferreux du sang et des meurtrissures. Je frôlais sa langue doucement, comme si les secondes qui s’envolaient dureraient aussi longtemps qu’on le souhaiterait. Le fauve était toujours là, mais grondait sourdement, apaisé par ce contact longtemps désiré. Et quelque part derrière l’inquiétude aussi se tenait solidement debout, attendant le retour de bâton à l’encontre du profane que j’étais qui se servait sans demander.
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Sujet: Re: lost on you. (sadja) Mer 7 Juin - 7:20
elle sait plus, nadja. est-ce qu’elle a un jour su ? de ce soir où elle a vu saul pour la première fois, son premier soir, rien n’avait été pareil. tout changeait, constamment. saul en particulier. figure droite et fermée, traînant derrière lui une réputation aussi noire que le sombre de ses yeux. le nettoyeur. ça faisait froid dans le dos. il n’avait jamais été rien de tout ça pour nadja. agissant comme un gardien quand il n’avait aucune raison de le faire, tapi dans l’ombre, quand nadja en prenait conscience bien trop tard, parfois même jamais. il l’avait aidée, sûrement plus de fois qu’elle ne puisse les compter. il lui avait évité une nuit d’infortune, couverte auprès de ceux qui n’acceptent jamais un signe de faiblesse, payant lui même pour qu’elle puisse profiter d’une nuit tranquille, à l’écart. il l’avait accompagnée bien des fois, dans les rues noires et désertes, sans un mot. rien qu’une présence calme, une force tranquille sur laquelle nadja s’était si souvent reposée. un peu trop. ça semblait lui sauter aux yeux, maintenant. elle était seule, dans ce pétrin. et aussi loin les bonnes intentions de saul pouvaient l’emmener, c’est seule qu’elle finirait. parce qu’ils étaient trop différents. séparée par cette ligne tracées de feu tracée entre eux : le bien et le mal. il faisait partie de cette organisation qu’elle haïssait de tout son être. et elle était de celles qu’on ne pouvait ni toucher, ni regarder, réservée à ceux qui pourraient aligner les billets sans compter. nadja n’avait jamais compris pourquoi il se détachait autant de cette masse d’hommes dominateurs et violents. mais elle ne se voyait pas comme un objet dans le reflet de ses pupilles, juste comme elle. nadja. alors pourquoi elle ne reconnaissait pas cet homme, ce soir ? pourquoi se montrait-il à la hauteur de tous les autres, incapable d’être juste ? d’être bon ? y la goût d’amertume, dans les paroles de nadja. une colère doucement réveillée, enfouie trop longtemps. c’est ça sa vie, jamais un mot plus haut que l’autre. mais face à ça elle n’est pas capable de rester de marbre. de laisser couler. juste capable de se dire qu’après tout, ils ne seront jamais sur la même longueur d’ondes, qu’ils ne feront que se passer à côté. est-ce que ça change quelque chose ? elle se calque si facilement sur ce qu’il renvoie, saul. le ton de la colère qui s’effrite déjà, laissant place à un air d’incompréhension certain. saul n’est que mystère. qu’une carcasse sombre qu’elle n’arrive pas à pénétrer. ça ne change rien, pour lui. marko ou pas. elle qui ne comprend même pas pourquoi il s’énerve autant, sur un simple mensonge. mais elle respire enfin, nadja, avec la vive impression d’être restée en apnée tout ce temps. il s’écarte et l’air s’infiltre entre eux, comme un courant d’inquiétude et de regrets. et elle a les yeux posés sur lui, nadja, ceux qui scrutent, inquiets, ceux qui dévisagent, rancoeur, et ceux qui assimilent, peinés. et l’élan de colère s’en va aussi vite qu’il n’est venu, comme le reste d’une vague d’un tsunami qui roulerait sur elle, l’emporterait dans les eaux profondes. mais elle est bloquée, nadja, elle sait plus comment agir, elle ose même plus bouger par crainte de voir la fureur revenir et le tonnerre s’abattre sur elle. elle ne lui doit rien. ça rassure vaguement nadja, de se dire finalement qu’elle avait raison, de ne pas y croire, tout à l’heure. mais ça la laisse plus confuse que jamais, parce qu’elle est pas capable de mettre un sens sur ces mots, parce que saul est une énigme qu’elle s’efforce de résoudre sans jamais pourtant réussir. ça ne l’avait jamais dérangée, jusqu’à maintenant, nadja a jamais été du genre à poser les questions, et sans doute qu’il ne savait presque rien d’elle, lui non plus. mais elle se plaisait à découvrir les pièces du puzzle, les assembler une à une. mais cette fois il n’est plus question de colère. juste d’un brouillard dans fin, d’un précipice qui se dessine peu à peu. dangereux. je tuerais le prochain qui osera, tu comprends ? y a son coeur qui se soulève, à nadja et y a l’éclat brumeux qui se dissipe dans le regard de saul. tu sais bien que ce n’est pas aussi simple que ça. rien n’est simple. jamais. pas ici, pas avec ces gens. pas même entre eux. surtout pas entre eux. il reviendra. et elle aimerait tellement se persuader du contraire, nadja. se dire qu’il a compris, qu’il ne reviendra pas. mais c’est marko. l’imbécile. marko qui ne recule jamais avant d’avoir obtenu ce qu’il veut, margo à l’égo blessé, surdimensionné. elle a fait ce qu’il fallait pas faire nadja, et elle fera face aux conséquences, tôt ou tard. et cette fois je ne pourrais plus dire non. y a comme un frisson d’effroi qui la parcourt. elle ose à peine y penser. et elle ne sait pas vraiment pourquoi elle dit ça, sans doute parce qu’elle essaye de lui faire comprendre que tout ça, c’est maudit d’avance. y a pas de place pour l’affection dans cet endroit. pas de place pour la protection. personne n’y peut rien. pas saul, pas nadja. elle peut juste se défendre en espérant que ça suffise, nadja, en sachant très bien que plus elle est réticente, pire ce sera. mais elle peut pas décemment se laisser faire sans rien dire, non ? y a trop de choses qu’elle encaisse déjà sans être plus capable de se regarder dans un miroir. qu’est-ce que tu - pas le temps de finir. pas le temps de réagir, il est beaucoup trop près. souffle coupé, coeur gonflé jusqu’à en exploser, prêt à décoller. chute libre, au fond du précipice. baiser vertigineux. y a les lèvres de saul qui attrapent les siennes et y a le temps qui s’arrête, pendant une infime seconde, le temps de comprendre ce qu’il se passe. elle est pas capable de le repousser, nadja. elle en a pas vraiment envie non plus, y a tout son corps pour prouver le contraire. la douceur de ses doigts qui s’accrochent au visage de saul. l’avidité de ses membres qui agissent comme un aimant et en redemandent, se décollant légèrement des briques froides pour se rapprocher un peu plus de lui. et les secondes s’éternisent. à saul elle s’y raccroche, comme un pilier nécessaire. bienvenu. vital. c’est une trêve signée malgré les incompréhensions, un pacte contre le diable. un arrêt de mort, bien trop risqué, dont elle prend conscience bien trop tard. t’aurais pas dû faire ça. c’est soufflé contre son visage quand elle s’écarte légèrement. y a l’ampleur de la situation qui s’impose brutalement à elle, l’air tiraillé, effrayé sur son visage. y a le palpitant qui s’agite un peu plus, quand elle jette un regard sur les côtés, pour vérifier qu’il n’y a personne, quand elle réalise tout ce qu’ils risquent à flirter avec l’interdit. y a plus de retour en arrière à présent. plus de mascarade possible pour prétendre qu’ils ne sont que deux inconnus. elle sait que c’est une erreur, nadja. ils risquent gros, trop. mais ce serait mentir de dire qu’elle s’en veut, nadja, quand l’interdit n’a jamais rien promis d’aussi envoûtant.
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Sujet: Re: lost on you. (sadja) Sam 17 Juin - 20:27
C’était brûlant comme un désert. Puissant comme une cascade. Aussi évident que la gravité qui nous maintenait au sol de cette planète. Y avait tout dans ce baiser. Absolument tout. J’aurais parié qu’elle m’enverrait bouler, comme je l’avais déjà vu faire à l’encontre d’idiots qui pensaient prendre ce qu’ils voulaient. Mais il y eut pas de cris. Pas de gifle. Juste cette poignée de secondes arrêtées. J’accueillais ses doigts avec la ferveur d’un croyant et dédaignais les élancements douloureux que me renvoyait l’entaille à la joue. Mais rien ne durait ici et l’instant de grâce prit fin. Saul redevint le mafieux. Nadja, la prostituée. Tous les deux condamnés au purgatoire au milieu d’une bande de sauvages. T’aurais pas dû faire ça. J’le savais bien. Çà faisait des mois que j’essayais vainement de m’en persuader pour pas franchir l’interdit ultime : les filles étaient pour la clientèle, pas pour le staff. On tolérait de s’envoyer en l’air avec, mais une relation suivie ? Pas moyen. Ça foutait le bordel entre les membres du gang, créait un malaise vis-à-vis des autres nanas sans parler de la jalousie chronique qui manquerait pas de surgir dès que Nadja ferait mine d’obtenir un quelconque privilège. « J’m’en excuserais pas. J’y pensais depuis longtemps. » Je vis son visage se pétrifier sous l’effet de la panique, les paupières qui papillonnaient, le regard s’accrochant au moindre détail pouvant trahir une présence. Je m’en voulais pas de l’avoir embrassé et fait un pied de nez à Lazar. La seule chose qui m’emmerdait était de pas savoir si elle elle le regrettait. Ou si elle s’en flagellerait. De toute manière c’était clair qu’en cas de représailles je ferais tout pour endosser les conséquences seul. Du coup il me restait quoi comme option ? L’entraîner avec moi dans le fond en espérant qu’elle se noie pas ? Ou effacer ce moment en un claquement de doigt égoïste ? « Mais si tu… ‘Fin si ça te dérange dis-le moi. J’en parlerais pas de toute façon. » J’avais encore son goût sur la langue et sa fragrance sur moi. Toutes mes cellules ne souhaitaient que la ressentir davantage, connaître chacun de ses creux, les constellations de ses grains de beauté. Le velouté de ses courbes. Entendre sa respiration cadencée et sa voix légèrement voilée. Et pourtant je parvenais à lui ouvrir une porte destructrice d’un ton calme, presque glacial, comme si tout cela n’avait aucune importance. Comme si cette nana me rendait pas complètement dingue. Mais j’étais prêt à laisser mon cœur retourner en friche, peut-être pour longtemps. Peut-être jusqu’à la fin. Si c’était le tribut à payer pour qu’elle soit protégée ou tout simplement préserver ce qu’elle voulait. J’pourrais me taire, ouais, mais pas oublier c’était certain. J’pourrais remettre le masque, tout était plus simple lorsque je l’avais, plus froid, plus calculé. Ce doux moment deviendrait souvenir, préservé, enseveli, loin sous la surface. Gardé dans l’épaisse chambre froide qui me tenait lieu de myocarde que je ne laisserais venir me hanter que lorsque je serais seul. Dans le noir. Je me redressais vivement en m’écartant de la belle de nuit quand la porte de service s’ouvrit à la volée. Le rire gras d’un des types ricocha jusqu’à nous avant qu’on ne le voit et je l’identifiais immédiatement. On était certainement plus malins qu’eux pour se sortir d’une position embarrassante, mais il valait sûrement mieux jouer la sécurité autant que possible. Je ré-enfilais mon expression de fureur facilement mais accordais à Nadja un regard entendu avant de l’empoigner par le bras, délicatement cette fois. On passait devant les deux intrus qui se turent à notre approche : ils nous suivirent des yeux jusqu’à ce que le battant se referme derrière nous. L’aura violente qui planait encore autour de moi suffisait à éviter les questions. Nous nous retrouvâmes dans une intimité obscure, embourbée par la musique qui nous provenait en échos. Dans ma paume vibrait la peau de la jeune femme. Mélodieuse. Enivrante. C’était l’appel de la sirène. L’interdit que procurait la présence d’indésirables derrière la porte, des dizaines d’âmes qui pouvaient débarquer sans prévenir, donnait à chaque chose un goût différent. Je me retournais vers elle, guidé par l’éclat bleuté qui se reflétait dans le noir, et glissais ma main jusque dans sa nuque. Mes lèvres s’appliquèrent une nouvelle fois sur les siennes, avec force mais sans brutalité. Y avait que le désir. Y avait que son corps contre le mien et sa langue. Cette fois-ci j’amortis le choc de ses omoplates contre le mur, emportés par notre élan, en posant mon autre main entre. On avait trois minutes à tout casser le temps que les autres grillent leur clope. Trois minutes suspendues. Trois minutes volées. Puis envolées.
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Sujet: Re: lost on you. (sadja) Lun 10 Juil - 7:56
grisant. ensorcelant. elle en perd la tête, nadja. elle en perd tous ces principes par lesquels sa vie est régie, des conditions imposées pour mieux passer entre les filets. ne pas se faire remarquer. ne jamais trop lever les yeux. et jamais, non jamais, s’approcher trop près. et pourtant, avec saul, il semblerait que toutes ces règles se soient envolées dans un claquement de doigt. comme si elles n’avaient pas autant d’importance. comme si elle n’avait pas échappé au pire grâce à elles. et elle ne devrait pas, nadja. se laisser emporter, aussi facilement. baisser sa garde. mettre tout en jeu, comme lors des jeux d’argent, quand on risque tout. ils ne devraient pas, et le temps d’un court instant elle se demande bien ce qu’il peut lui passer par la tête, à saul, pour se montrer aussi imprudent. mais ses lèvres aux siennes, elle n’est pas capable de faire marche arrière. tout s’envole. tout devient plus plaisant. et le coeur furibond, nadja, elle s’octroie une minute de répit. rien qu’une petite minute, la première depuis longtemps, peut-être depuis qu’elle est arrivée aux états-unis dans le fond d’un cargo clandestin. rien qu’une petite minute exaltante et imprudente, avant de retourner à la réalité. cette même réalité qui s’impose soudainement à eux, quand la porte s’ouvre à la volée, tout sursaut les éloignant définitivement. et ils les regardent, les yeux interloqués mais pas franchement inquiets, avant de poursuivre leur conversation. le temps d’un regard entendu échangé, avant qu’il ne la tire par le bras, de retour dans l’enceinte étouffante de l’établissement. pas assez calme pour entendre les souffles essoufflés, pas assez bruyante pour sentir le poids de la salle bondée peser sur sa poitrine. rien qu’un entre deux, précieux, dangereux, rien qu’une autre seconde avant qu’elle ne se retrouve emportée de nouveau par la vague qui la submerge complètement. sans pouvoir l’arrêter. sans pouvoir reprendre son souffle. sans même pouvoir entrevoir ce que ça pourrait donner. non, rien de tout ça. rien que son dos claquant doucement contre le mur derrière elle et un goût d’éternité dans leurs baisers. il est doué, saul. nadja pourrait s’y perdre encore et encore, sans jamais y trouver rien à redire. comme si. mais leur monde ne repose pas sur des et si, seulement sur des certitudes. sur toutes ces inquiétudes bien réelles sur ce qu’il leur arriverait, tôt ou tard. celles qu’elle aurait presque pu laisser s’échapper, si elles ne venaient pas de nouveau tambouriner contre son palpitant, contrebalançant le coeur déjà martelant d’autres sensations. saul ce n’est rien qu’un murmure, entre deux baisers, qu’une interpellation oubliée et effacée à peine a-t-elle franchie le seuil de ses lèvres. la nouvelle vague la transporte déjà, incapable de s’en défaire. et elle n’en a probablement même pas envie. mais pourtant, c’est plus fort qu’elle, plus fort qu’eux, plus fort que tout le reste. ça les dépasse complètement, c’est leur vie qu’ils mettent en jeu, et c’est un peu trop pour nadja qui finit par le repousser légèrement à contre-coeur. attends - et tant pis si elle sabote la seule chose qui lui rendait la vie un peu plus agréable. tant pis si elle détruit cette chose inexplicable à laquelle elle tient beaucoup trop pour son propre bien. y a la raison qui prend le dessus, comme toujours. l’inquiétude qui gronde au fond de son estomac, encore une fois. nadja qui ne peut pas s’empêcher de s’imaginer le pire et cet instinct de survie qui se réveille, qui s’impose au-dessus de tout le reste. survivre ou périr, ainsi tourne le monde. y a l’ombre d’une caresse, ses doigts doux qui effleurent la joue de saul, l’égratignure qu’ils ont laissé quelques instants plus tôt. et y a son palpitant qui se brise un peu quand ses yeux retrouvent finalement les siens, quand elle réalise qu’elle est sur le point de mettre fin à cette chose indéfinissable qui n’a pourtant même jamais commencé. on ne peut pas faire ça. y a le souffle court, le regard fuyant, la voix qui se brise un peu, presque imperceptiblement. mais elle faiblit, nadja. elle qui met un point d’honneur à porter ce masque en toute circonstance, le voilà qui se craquelle, qui laisse entrapercevoir la femme effrayée. la voilà qui n’est plus qu’elle, simplement elle. nadja. mise de côté depuis bien trop longtemps. tu sais ce qu’on fait, aux filles comme moi, si on les prend dans des situations pareilles ? et à toi, on te ferait quoi ? c’est trop risqué saul, je peux pas - je peux pas faire ça. avec toi. c’est dit dans un élan pressé de se justifier, mâchant les mots à toute allure. et le reste de la phrase qui se meurt à l’intérieur. pourquoi elle est la seule à s’en inquiéter, nadja ? pourquoi il y a tous ces scénarios affreux qui se jouent en boucle dans son esprit, l’empêchant d’y voir clair ? y a pas de roméo et juliette chez les prisonniers, encore moins chez les esclaves. pas de happy ending. il n’y a que roméo, fini à bout portant, et juliette, dont on entendra plus jamais parlé. et rien que comme ça, oubliés. elle sait pas ce qu’elle lit au fond de ses yeux. la colère, la déception. peut-être la tristesse. la compréhension, elle espère. c’est pas qu’elle en a pas envie, nadja. qu’elle ne s’est jamais laissée aller à y penser, à imaginer naïvement, quelques fois, tout en se l’interdisant fermement. mais elle a beau espérer, nadja, elle a beau se dire, un jour, peut-être. s’imaginer au bord d’un lac, entouré de montagnes. un trou perdu, une barque. et saul. elle a beau tout espérer, elle sait très bien qu’il n’y aura jamais rien de plus pour elle qu’ici, ces hommes avares et ce club gangrené. et lui, alors ? est-ce qu’il sait, ce qu’il y a pour lui ? c’est ce que tu veux, tout ça ? une vie d’interdits. de mensonges. se partager une femme, une traînée qui plus est. c’est ce qu’il veut, vraiment ? tout mettre en jeu, parier le tout pour le tout. un baiser volé, des minutes envolées, et le retour à la brusque réalité ?