Il pleut.

Ça va faire deux heures qu’il s’arrête pas de pleuvoir. Il a crié parce que quelqu’un avait mis de la boue dans l’entrée. Ça devait surement être moi-même si je suis pas sortie depuis trois jours. Je quitte ma chambre que parce que je suis obligée, sinon il crie encore plus fort. Alors je descends manger, j’essaie de me faire toute petite et je repars. Oh, évidemment, je suis toujours aussi maladroite et je trouve moyen de faire tomber des trucs, de renverser mon verre de lait ou je sais pas quoi dans le même genre. De toute façon, il trouve toujours quelque chose.

Je sais même pas pourquoi j’ai pris ce cahier en fait et pourquoi j’ai commencé à écrire dessus. Enfin si, j’ai une petite idée. Je viens de passer deux heures à regarder la maison d’à côté. A regarder ta chambre. Il y a un nouveau garçon qui est arrivé lundi. Il s’appelle Charlie je crois. Personne m’a laissé aller lui parler, donc c’est ce que j’ai compris en les entendant s’interpeler. J’ai essayé de me faufiler juste avant qu’il s’installe pour récupérer les derniers trucs qui t’appartenaient et que je pouvais garder pour moi. J’ai trouvé un t-shirt et, surtout, ton vieux baladeur cd. Je savais même pas que ça existait encore. J’ai qu’un seul cd mais c’est pas grave. Je l’écoute en boucle depuis une semaine. Je suis retournée chez toi. Au début. Quand c’était pas encore trop bizarre. Claire a été super cool, elle m’a rien demandé. Elle m’a juste laissée dans ta chambre. Mais avec l’arrivée du nouveau, c’est plus possible.

Et en fait, quand j’étais dans ta chambre, je te parlais. Comme je faisais avant, quand t’étais encore là. Je te racontais ma journée, ce qui allait pas, en fermant les yeux pour me persuader que t’étais là. Ça marchait presque. En tout cas, je me sentais un peu mieux quand je repartais. Mais je peux plus faire ça. Alors j’ai pensé au cahier. Ça devrait marcher un peu pareil non ? Je te raconte tout ce qui me passe par la tête, comme avant et j’essaie de t’imaginer en train de me sourire, de me dire que tout va s’arranger. En essayant d’oublier qu’en vrai, t’es parti.

Parce que tu vas revenir non ? Et puis comme ça, quand tu reviendras, je pourrais te donner mon cahier. Tu le liras et c’est comme si tu m’avais jamais abandonnée, comme si t’avais pas disparu du jour au lendemain sans que je comprenne pourquoi. Comme si j’avais pas perdu la seule personne qui comptait vraiment.

Ouais, je vais faire ça, ça me parait bien. C’est un peu comme si j’écrivais des lettres. J’ai jamais écrit de lettre à personne tu sais. Faut dire que c’est pas trop à la mode et puis, à qui tu voudrais que j’écrive ? Donc faudra pas m’en vouloir si c’est un peu brouillon, si c’est décousu. Je ferais des efforts pour que ce soit lisible, c’est déjà ça non ?

Et puis, comme ça, j’arriverais peut-être à oublier ce creux que j’ai dans estomac. Ce vide que t’as laissé et que je vois pas comment combler.

Ça fait deux mois que t’es parti aujourd’hui. Et je pensais pas que le temps pouvait paraitre aussi long. Ni que je pouvais me sentir aussi seule au monde.

Cher Luka,

C’était la rentrée aujourd’hui. Ils se sont engueulés là-dessus. Il voulait pas que j’y retourne. J’allais leur faire honte, j’allais encore passer pour une idiote et, de toute façon, j’étais incapable de retenir quoi que ce soit. C’était comme jeter de l’argent par les fenêtres. Je savais pas moi, qu’ils devaient payer pour m’envoyer à l’école. Enfin, au collège. J’ai tendance à oublier dans quelle classe je suis. En fait, j’ai l’impression d’avoir tout oublié cet été. J’ai déjà du mal à me rappeler comment on parle, je sens que ça va être compliqué.

Enfin, pour une fois, maman a tenu bon. En disant que les gens allaient se poser des questions si j’y allais pas. Elle a pas tort. Moins on me demande des trucs, mieux je me porte. Ca m’évite d’avoir à mentir aux gens. Parce que j’aime pas ça. C’est bête à dire hein, mais c’est un peu le seul qui me reste. Qui me restait plutôt. Ouais, je vais éviter de penser à ça, t’as raison.

Donc, tout ça pour dire que je suis donc allée en cours aujourd’hui. On m’a regardée d’un drôle d’air alors j’ai passé la journée cachée derrière mes cheveux. Tu sais, le truc qui te fait rire à chaque fois, quand tu dis que je ressemble au cousin machin ? Sauf que là, t’avais personne pour essayer de voir à travers le rideau de cheveux. M’enfin, dans le fond, c’est pas très grave. J’ai pu me concentrer sur ce que disaient les profs et j’ai déjà appris un tas de trucs intéressants, ouais alors même que c’est que le premier jour. Surtout en biologie. Le cours a l’air cool. Y a un cours d’options pour étudier l’astronomie. J’aurais bien aimé pouvoir faire ça. Mais bon, déjà que je suis trop idiote pour retenir la base, c’est hors de question de me payer le reste hein. En tout cas, nos livres sont tout neufs et ils sentent super bon. J’adore comme ça sent un livre quand t’es le premier à l’ouvrir. Pas toi ?

T’as fait quoi toi aujourd’hui ? Je me dis que t’as du aller courir, comme tous les matins. Tu fais toujours de la boxe ? Evidemment que tu dois toujours en faire. Je me demande ce que tu vois dans le ciel quand tu vas dormir maintenant. Ici, ça a pas changé, on a toujours l’impression qu’on va tomber dans les étoiles si on les regarde trop longtemps. Remarque, ce serait bien, je pourrais m’échapper comme ça.

Oh, Claire a adopté un chaton. Elle m’a dit que je pouvais venir le voir quand je voulais, même si maman a un peu fait la grimace et m’a prise par le bras pour rentrer à la maison. Je pense pas que je pourrais aller le voir hein. De toute façon, elle veut plus que j’aille chez eux. Mais j’ai pu m’y glisser hier et j’ai trouvé quelques photos que t’as du oublier. De ta maman entre autres. Alors, je les garde ici, comme ça, quand tu reviens, je pourrais te les rendre. C’est pas une super idée ça ?

Bon, je dois aller lire 20 000 lieues sous les mers et me cacher sous ma couette. C’était plutôt une bonne journée en fait. Peut-être parce qu’il est en formation je sais plus où et qu’il revient que lundi. Ca va être bien, une soirée juste avec maman. Comme avant.

Tu me manques. J’espère que tu vas bien.