Je jette un coup d’œil à la pendule. 18h. Ça va, je suis pas à la bourre. Le temps qu’elle revienne, j’ai même le temps de faire un truc à manger vite fait. Je tire le marchepied et grimpe pour attraper un paquet de pâtes, avant d’aller chercher une casserole que je remplis d’eau et que je mets à chauffer. Je sors des assiettes et des couverts que je pose sur la table, et soupire en voyant le bord… le bazar dessus. Je rassemble les papiers, lisant malgré moi les dernières échéances avant huissiers et autres 3ème rappel en gros et gras. Je les mets au bout de la table, passe un coup de chiffon et mets la table. Quand l’eau bout, je mets les pâtes dedans en faisant attention comme maman m’a montré, et baisse un peu le feu.
Je vais dans ma chambre et farfouille pour retrouver ma tirelire. J’ai pas grand-chose, mais ce sera déjà ça non ? Je sors les quelques pièces et billets que j’ai, longuement économisé, et vais les mettre sur le tas de papiers, et elle pourra pas dire non, parce qu’on reprend pas les cadeaux c’est elle qui l’a dit.
Je mélange les pâtes, et fais le tour du petit appartement pour ramasser les vêtements sales qui trainent, principalement les miens en plus… ça aussi, elle m’a montré, parce que j’ai insisté, encore, pour savoir-faire, parce que je suis assez grand je lui ai dit. Alors je sais faire. Je mets dans la machine et la mets en route, après avoir bien fermé la porte, pas comme l’autre fois où j’ai mis de l’eau partout. Elle était pas contente, mais elle a même pas crié, elle a même pleuré je crois, même si elle est allée se cacher dans sa chambre…. C’est pire quand elle pleure.
Je suis en train d’égoutter les pâtes, avec un chiffon pour tenir la casserole, parce que oui, je me suis déjà brûlé aussi une fois, quand j’entends les clefs dans la porte. Je me dépêche de finir et ramène la casserole à table, avant de lui sourire. Elle me regarde et à nouveau, elle a les larmes aux yeux. Mais je crois que c’est parce qu’elle est contente là. Elle me prend dans ses bras et je la laisse faire, même si je deviens un peu grand pour ça maintenant non ? Et je la regarde alors qu’elle mange en s’extasiant devant mes pâtes trop cuites et fades, j’ai oublié le sel, et je la trouve fatiguée. Plus que d’habitude encore. Pourtant, je lui souris et lui raconte ma journée, en essayant de pas penser à cette lettre de l’hôpital que j’ai vu dans le tas de courriers.
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Ils parlent tous, mais j’écoute déjà plus. Déjà parce que je m’en fous, mais de toute façon, ils disent rien que je sache pas déjà. J’ai saisi. Je vais avoir le droit aux familles d’accueil. Et ah bien sûr, il est hors de question de faire preuve du même relâchement et que je continue à sécher les cours. Ma mâchoire se crispe, mais je continue de regarder par terre. Je réalise pas, pas plus qu’il y a 4 ans quand elle est tombée malade. 4 ans c’est long. J’ai eu de la chance qu’ils ont dit, de l’avoir si longtemps, vu son état, elle s’est longtemps battue qu’ils ont dit aussi.
Mais ils ne la voyaient pas revenir de l’hôpital et de la chimio encore plus mal en point que lors de son départ. Ils ne la voyaient pas voulant à tout prix continuer à bosser parce que j’étais là. Ils ne la voyaient pas se forcer à sourire et à tenir alors que ses mains tremblaient et que le mec venait chercher la télé pour payer une énième facture. Et il aurait fallu que je continue de faire comme si de rien n’était ? À aller en cours à apprendre des trucs qui me serviront jamais et que j’aurais oublié dans 2 jours ? Oh, j’y allais, un peu, histoire de dire que oui, j’étais toujours scolarisé. Mais à côté, fallait bien payer les factures et l’aider. Alors oui, j’ai un peu fait de conneries. Mais je me suis jamais fait chopé, c’est le principal non ?
Et je les emmerde de toute façon, qu’ils fassent donc ce qu’ils veulent, je m’en fous. Mais si l’autre avec ses lunettes à la Harry Potter me ressort une fois que ma mère a pas su me gérer, je promets que je lui casse la gueule.
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« Hey pourquoi les avions ça vole ? » « Dis, pourquoi le sable il est chaud dessus et pas dedans ? » « Pourquoi le ciel il est bleu ? »Vous savez ce genre de questions stupides que les gosses posent sans cesse à leurs parents ? Non, vous voyez pas ? Vous avez de la chance. Ouais, moi je sais alors que j'ai pas de gosses. Et je vous jure que c'est encore plus chiant que ça en a l'air. Surtout quand c’est sans arrêt, venant d’une gamine haute comme trois pommes, avec un sourire édenté et des barrettes dignes de la petite maison dans la prairie. Ouais, j’aimais bien la gamine en question. Sauf que ouais, c’était une petite quand j’essayais déjà de jouer aux durs… Du haut de mes 12 ans ouais.
La gamine, c'est Quinn. Elle avait perdu son père quoi, deux ans plus tôt ? Un truc comme ça. Elle sortait encore, même si son sourire avait un peu disparu en même temps que lui faut croire. Normal, surtout que sa mère... C'était pas vraiment mon problème non.
Et puis un jour, j'ai eu le malheur d'être sympa. La chaîne de son vélo avait pété, pas seulement déraillé, et je lui ai réparé. Ouais, j'étais déjà super gentil et serviable. Faut pas l'être, ça craint. Elle a pas arrêté de me coller après ça. Sérieux, la gamine de 7 ans qui te suit en souriant et parlant sans cesse, c'est pas top pour l'image, en plus d'être usant. J'ai dû l'envoyer bouler quelques fois, en m'en voulant parce que ouais, la pauvre, blablabla... Et elle était gentille, c'est pas le souci, c'est juste que... ouais, j'avais tout juste 13 ans.
Et pour le coup, après presque un an de brinquebalage, je me sens plutôt bien ici. Claire et Stefan sont plutôt cool, gentils même quand je fais pas trop la gueule, et je m’entends bien avec les autres mômes. Et puis, y a elle. A qui je m’attache sans trop savoir pourquoi, alors que clairement, elle me gave quand même.
Alors, je me dis, pourquoi pas tenter… de tenter de vivre un peu ? Je vais un peu plus en cours, même si j’ai cumulé un peu trop de retard, et j’ai même commencé à faire du foot, à rentrer dans l'équipe du collège, et je me débrouille bien. Et de la boxe aussi, plus pour me défouler qu'autre chose d'ailleurs. J’ai toujours mal, mais ce serait moche d’arrêter là, pas vrai ?
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J’ouvre un œil en entendant un léger boom et je retiens un instant ma respiration. Non pas que j’ai peur, je sais ce que c’est, ou qui c’est plus précisément, mais je me demande juste dans quel état elle est aujourd’hui. Ça fait un moment maintenant que je laisse ma fenêtre ouverte. Enfin, pour être franc, ça fait un moment que j’ai demandé à changer de chambre pour être au rez-de-chaussée, même si la piaule est plus petite. Manquerait plus qu’elle se casse la gueule en voulant grimper à l’étage… donc, en bas, c’est cool.
J’écarte la couverture et elle se glisse sans un mot à côté de moi. Passant doucement mon bras autour d’elle, j’attends que sa respiration se calme avant de me redresser légèrement et de l’examiner à la lueur de la lune. Je serre le poing en voyant le bleu apparaître sur son omoplate, avant d’inspirer lentement en la voyant s’agiter. Je me retrouve comme un idiot à lui murmurer que ça va aller, de dormir, que je suis là. Comme si ça allait changer quelque chose. Comme si moi, je pouvais changer quelque chose. Pourtant, ça peut pas continuer. Elle est trop petite, trop fragile. Combien de temps, elle tiendra ? Et moi, qu’est-ce que je peux faire hein ? Fermer les yeux et continuer de vivre comme tous les adultes qui nous entourent ? Enfin non, je sais que Stefan a appelé les flics un coup. Au final, y a pas eu de suite, forcément, son beau-père fait partie de la maison, alors y a rien eu, sauf pour elle. Encore. Alors je me retrouve à nouveau totalement inutile. Et je déteste ça.
Je la réveille à l’aube, pour qu’elle rejoigne son lit, pour pas tenter à nouveau l’autre connard. Comme s’il avait besoin d’excuse… Et je le croise en sortant pour aller en cours. Et il sourit en me souhaitant une bonne journée. Et j’ai juste envie de lui faire avaler ses dents.
Mais ça servirait à rien. Je me retrouverais dans la merde, elle serait toute seule et il reprendrait. Et puis, à 16 ans, j’irai pas bien loin, pas vrai ? Pourtant, c’est sa gueule que je vois à chaque coup que je donne à l’entrainement.
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Le coup est parti tout seul. Sérieux, je m’en suis pas rendu compte avant de le voir à terre. Okay, vu son état, y a eu plus d’un coup je sais. Et je sais que j’aurais pas dû. Ou que j’aurais pas dû attendre aussi longtemps. Je sais pas trop en fait. Je le regarde, la mâchoire crispée, le visage fermé, alors qu’il tente de se remettre debout et qu’il s’écroule pour de bon.
Je fais un pas en arrière, les poings toujours serrés, en essayant de reprendre ma respiration et mes esprits.
J’étais passé pour lui rendre un bouquin qu’elle avait laissé dehors. Et quand je suis rentré, je l’ai vu en train de la saisir par le col en gueulant je sais pas quoi sur un jus d’orange. Et j’ai pas eu le temps d’arriver qu’il lui a collé une baffe qui l’a fait volé. Si, je vous jure, elle a décollé du sol. Mais je suis trop con. J’ai même pas cherché à savoir si elle allait bien, je suis juste arrivé sur lui pour lui foutre une droite. Et c’est à mon tour de l’attraper et de le plaquer contre le mur.
« Si tu la touche encore une fois, je te jure que je te tue. »Et il sourit. Ce connard sourit.
« Je suis flic abruti. Sa mère dira rien, personne te croira. Par contre, toi, ce que tu viens de faire, c’est franchement con. Ta parole contre la mienne petit merdeux. »
Et oui, encore une fois, je sais, c’est totalement con. Mais je lui ai refoutu un coup. Et peut-être deux ou trois autres.
Et il se relève pas donc. Bien.
Je me tourne et m’agenouille en écartant doucement une mèche de cheveux. Je la prends dans mes bras et l’emmène dehors, derrière la maison, là où elle est plus ou moins parvenue à se fabriquer un petit coin à elle. Je la dépose et elle bouge un peu. Fais chier. Je suis vraiment débile parfois.
Je l’embrasse sur le front alors qu’elle fronce les sourcils. Et j’ai déjà un putain de pincement au cœur alors que je sais ce que je m’apprête à faire.
« J’ai un peu déconné je crois… Mais je reviendrais. Alors reste debout farfadet. Je viendrais te chercher. C’est promis. »Elle cligne des yeux, mais je suis même pas sûr qu’elle ait entendu ou capté. Et peu importe au final. Si je reste, c’est moi qu’on enverra en taule, même si c’est ridicule. Et elle sera vraiment toute seule… Si je pars… il va continuer… Elle va me détester non ? Mais je reviendrais. Je sais pas trop quand ni comment, mais je la laisserais pas.
Je me lève avant de faire une connerie encore plus grande, genre l’emmener de suite, et me dépêche de récupérer ce que je peux. Pour aller où ? J’en sais foutre rien. Je monte dans la voiture, avec le peu que je possède et démarre.
Ouais, je vais le regretter je sais.
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Je m’essuie rapidement les mains sur un chiffon avant de recommencer à trifouiller ce foutu moteur. Ça a un peu été tendu d'avoir ce boulot sans expérience. Mais j'apprends vite, je fais beaucoup d'heures et j'emmerde personne, donc ça va. Mais j'avoue qu'entre le boulot, le sport et les cours le soir, c'est un peu compliqué.
Les journées passent plus vite, et même si c’est payé une misère, je peux pas trop faire la fine bouche. J’ai bossé sur un bateau de pêche aussi, sur des chantiers... Et dans un fast-food, et dans des diners, enfin, j’y bosse encore d’ailleurs les soirs où j'ai pas de cours. C’est tranquille et ça ramène pas mal de pourboires. Et de nanas ouais. Donc c’est plutôt chouette.
Je me redresse quand la fin de journée sonne, faisant craquer mes épaules, avant de m’arrêter quand Matthew m’appelle. Lui, je l’aime bien. C’est le patron du garage mais il est cool. Et c’est lui qui m’a poussé à étudier un peu pour tenter les exams pour être secouriste ou pompier, il s'en fout, juste pour que je fasse quelque chose de mieux, juste parce que je lui en ai parlé un soir autour d’une bière, il y a quelques mois, quand j’ai commencé à bosser pour lui. Il me sourit.
« Mon pote Joe, il bosse à la caserne où t’as fait tes exams. Je lui ai dit de me prévenir. » Il me tape dans le dos.
« Ça, ça vaut au moins une tournée. »Je secoue la tête, les sourcils froncés, alors que j’esquisse petit à petit un sourire en pigeant. Bon, c’est plus d’une tournée au total, vu que je finis complétement torché… mais c’est quand même super cool.
Alors je recommence et bosse encore plus dur. Mais plus ça va, plus je me rends compte que j’aime ça.
Alors je révise et bosse pour faire les formations pour être EMT-A. Et en fait, c’est pas super sorcier, même pour moi…
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Je la regarde alors qu’elle dort, soupirant en silence et remontant doucement la couverture sur ses épaules.
Pas un mot. Elle a pas décroché un mot depuis qu’elle est montée dans la bagnole au lycée. Bon, en étant objectif, si elle avait pas voulu, elle serait pas venue, je l’ai pas forcé ni rien, donc c’est qu’elle le voulait. D’un autre côté, vu qu’elle avait à choisir entre l’autre connard et moi, j’étais peut-être le moins pire des deux. Heureusement que je suis le moins pire.
Elle a encore des bleus. Et son bras. Elle a un putain de plâtre. Je serre les poings et me force à respirer calmement. Et je comprends toujours pas comment les gens peuvent fermer les yeux et faire comme si tout allait bien, comme si tout était normal. Et c’est vraiment parce qu’elle était là, mais j’ai eu une envie folle d’entrer dans la chambre de sa mère, et de… Je sors en silence de la voiture et fais quelques pas dehors. Je lève la tête vers les étoiles, qu’on voit vachement bien d’ici. Je sais même pas si c’est une bonne idée. Et si ça va pas ? Si elle est pas heureuse ? Je sais, je sais, ça sera pas pire. Mais ça suffit pas ça. Elle mérite vachement mieux.
Je reviens vers la voiture et la regarde dormir sur la banquette arrière. On dira ce qu’on veut, mais c’est fou comme les gosses changent en deux ans. Je l’aurais reconnu n’importe où, elle a encore ses joues de hamster, un peu moins mais quand même, mais elle est devenue… Bon, elle a toujours été mignonne, c’est clair. Mais là, elle est… super jolie oui. Vraiment.
Je ferme les yeux et m’adosse à la bagnole, en me laissant glisser à terre. Et le fait qu’elle ait pas parlé change rien. Elle est pas contente, mais ça, je comprends. j’ai mis du temps à revenir. Trop sans doute. Beaucoup trop. Mais je pouvais pas l’embarquer sans avoir un travail qui paie et sans appart digne de ce nom. Pas vrai ? Je pouvais pas, ça aurait été... Et puis, ils auraient fait le lien avec moi mine de rien. Là, ils chercheront pas deux fugueurs... Ouais, on va dire ça.
Je sais. C’est pas seulement parce qu’elle était en danger ou malheureuse là-bas. J’ai eu du temps pour réfléchir et comprendre. Même si je suis toujours pas d’accord. Non, je suis pas d’accord avec ce que je ressens. C’est une môme. Une très très jolie fille, mais… Une enfant.
J’appuie ma tête contre la portière en soufflant un rire silencieux. Au final, je m’en fous, je ferais avec. Tant qu’elle va bien. ouais, voilà. Juste faire en sorte qu’elle soit heureuse. C’est un bon plan.
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Je regarde le mec qui me tend sa carte d’identité et autres papiers dans l’enveloppe, avant de m’en saisir et d’y jeter un coup d’œil. Stevenson. Le nom bateau par excellence. Quoique c’est toujours mieux que Smith… Et puis, quand ça avait été pour moi, je m’étais dit que ça sonnait pas si mal, Luka Stevenson. Quinn Stevenson, c’est pas mal non plus. Je vérifie que tout est là, genre je vais savoir dire si ça fait assez vrai, et je lui tends la liasse de billets. Il compte, hoche la tête, me sourit, me serre la main et se casse.
Bon, plus de voiture, mais on en a pas vraiment besoin à Savannah pas vrai ? Et là, au moins, elle peut s’inscrire au lycée. Enfin, non, elle va s’inscrire. C’est le deal. Elle suit les cours et bosse, et on fait de la coloc. Même si c’est moi qui finance, et que je sais que ça lui plait pas des masses. Mais vu qu’avec ou sans elle, ça me coute pas plus cher… Chut, je sais, j’aurais pas besoin d’une deuxième chambre sans elle, j’aurais moins de bouffe, etc… Mais ça fait pas une si grande différence. Je la laisserais se charger du ménage, vu qu’elle a déjà fait la gueule en arrivant devant l’état de l’appart. Encore plus fait la gueule. Comment me faire culpabiliser en moins de deux de pas pouvoir lui offrir mieux. Au moins, y a pas de cafards ou de rats dans celui-là, contrairement à certains que j’ai eu avant. Et on a des sommiers. Parce que dormir par terre, c’est pas top à force non plus. Et il est pas si mal rangé ou crade que ça, sinon j’y ramènerais pas de filles…
Enfin bref.
Elle fait la gueule donc, mais ça lui passera. Un jour ou l’autre. En attendant, elle va pouvoir reprendre une vie plus cool, et reprendre les cours, même si ça lui plait pas des masses. Elle en a besoin. Autant de la vie normale, un minimum, que des cours en eux-mêmes. Parce qu’elle est super douée, et je refuse qu’elle gâche tout ça. Je sais, on dirait un vieux quand je parle. Mais clairement, je m’en cogne.
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Je replace une mèche de cheveux derrière son oreille en souriant, avant d’aller lui embrasser le cou, mes mains agissant seules pour passer sous ses fringues. Je dis une énième connerie qui la fait glousser et se rapprocher de moi. Je lui proposerais bien de venir chez moi, mais on sait comment ça va finir… Enfin, moi, je sais. Bon, okay, on aura eu une super nuit. Et puis, elle va se lever. Et croiser Quinn. Et ça va finir en prises de tête, engueulades et claquage de porte.
Et là, bordel, je me rends compte que j’ai Mindy dans les bras, superbe blonde de son état, que je suis en train de l’embrasser et de la tripoter, et que je pense à… Fait chier. Pourtant, elle est carrément… c’est politiquement correct bandante ? Non, je crois pas, mais elle l’est. Et elle est gentille en plus, et amusante. J’ai quand même un sérieux problème moi.
Mon téléphone vibre. Elle me regarde en fronçant les sourcils et je secoue la tête.
« Ah merde. Je suis d’astreinte et y a une urgence… Je suis désolé. » Je l’embrasse et lui souris.
« Je te rappelle demain, ça marche ? »Elle hoche la tête, visiblement déçue, mais n’insiste pas, bon point pour elle. Je l’embrasse une dernière fois, manquant de la faire basculer sur le siège du café où on a pris un verre et me sauve. Et je réponds à Josh que c’est okay pour vendredi soir.
Je vais quand même pas commencer à me cramer mes coups tout seul… si ? Je soupire et me passe une main dans les cheveux, avant d’aller faire un tour en ville. D’un ridicule.
Je vais chercher une pizza, champignon et double fromage, avant de rentrer à l’appart. Je la pose sur la table. Elle devrait être rentrée à cette heure-là. Je fronce les sourcils et me dirige vers sa chambre en entendant des voix. J’ouvre et rentre à moitié avant de me figer. Oui, ça m’apprendra à pas frapper, je sais. Parce que là, dans sa chambre, y a un mec. Un petit merdeux boutonneux qui ouvre des yeux grands comme des soucoupes en me regardant. Et elle… Putain. Elle est en t-shirt. Et oui, j’ai noté qu’elle était… qu'elle devait avoir que ça... Je reporte mon attention sur lui, le dévisageant alors que ma voix se fait glaciale.
« T’as 30 secondes pour prendre tes fringues et dégager ou je te passe par la fenêtre. »Et il est pas aussi con qu’il en a l’air parce que 10 secondes après, y a plus personne. Enfin si. Il y a elle. Et moi donc. Je reste le regard fixé dans le vide, la mâchoire contractée, essayant de faire taire cette jalousie possessive qui me donne envie de lui casser la gueule à lui. Et de la plaquer elle contre le mur. Sauf qu’elle est pas à moi. Mais alors carrément pas. Et sérieux, vu le nombre de filles que je ramène, je peux quand même pas me permettre de… Sauf que je m’en fous. Y a rien de logique ou de cohérent. Elle, elle…
« Luka je… » Je la laisse pas finir, je m’en fous, je veux rien savoir. Alors je lâche, d'un ton bien plus sec que je ne l’aurais voulu.
« J'ai ramené de la pizza. Viens manger. » Avant de sortir aussi rapidement que je suis rentré. Et y avait pas eu de repas aussi silencieux et tendu depuis plusieurs semaines maintenant.
J’aurais dû m’y attendre. Je veux dire, elle est belle, intelligente, drôle et… et elle a 16 ans…
A ma décharge, je pensais pas que ça ferait aussi mal. Ou que ça arriverait en fait. Ouais, je suis con parfois, c’est déjà acté ça.
Et elle finit par se sauver, pour rejoindre ses copines. Je reste à tourner en rond, rangeant mécaniquement, avant de prendre mes clefs et mon blouson, et de sortir, le téléphone à l’oreille.
« Finalement, ça c’est vite fini, t’es encore dispo ? Ça te dit un ciné ? » … Ouais, je sais, je sais.
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Je rentre et jette mon blouson sur une chaise, avant de virer mes chaussures. Je me dirige vers le frigo et attrape une bière. Frigo désespérément vide, faut que j’aille faire les courses demain… Si j’ai une journée moins grosse qu’aujourd’hui, parce que là, je suis lessivé. Faut dire qu’avec la formation en plus, ça me fait la masse d’heures en plus. Mais je me plains pas non, c’est cool. Ça se passe bien, l’équipe est super sympa et j’adore ça.
Je lance un regard en direction de la chambre de Quinn, avant de soupirer. Non, je n’y rentrerais pas. Je n’y mettrais plus jamais les pieds, c’est clair.
Depuis ? Bah depuis, je fais la gueule, même si je peux pas trop le justifier. J’ai clairement pas le droit d’être jaloux, encore moins d’être possessif pas vrai ? Et c’est pas comme si en plus, de mon côté, je ramenais pas des nanas à l’appart… Et du coup, elle aussi fait la gueule. Enfin, elle, c’est plus ou moins comme d’hab on va dire, mais comme j’ai dû mal et que je l’évite un peu, elle aime pas, donc c’est pire. Surtout que j’ai ramené une ou deux filles depuis oui. Donc on fait le minimum syndical… Enfin sans doute un peu plus, mais…
Bref, tout ça pour dire que c’est tendu et que j’ai toujours du mal. Et qu’elle me manque. C’est bon, j’ai jamais dit que j’étais ni logique, ni cohérent hein.
Je m’affale dans le canapé et allume la télé, zappant les chaines sans réussir à me focaliser sur l’une d’elle. Et au bout de quelques minutes, j’entends la porte de sa chambre et des pas. Je lève les yeux, et je pourrais presque entendre mon cœur à la fois se calmer de la voir seule, parano moi ?, et s'accélérer en la voyant tout court. Je laisse voler un vague salut entre nous, avant de la quitter des yeux et de reporter mon attention sur la télé. Enfin, si on veut ouais. Je l’entends ouvrir le frigo et les placards, me retenant de dire que je peux aller chercher un truc à bouffer si elle veut. Parce que je suis en colère tout à fait.
Et je la sens à côté, qui m’observe une ou deux secondes, avant de se poser à côté de moi dans le canapé. Je hausse un sourcil en voyant le coussin atterrir sur ma jambe, suivi de peu de sa tête. Je reste le bras sur le dossier du canapé, sans bouger, alors qu’elle finit de s’installer, recroquevillée contre moi. Je la fixe, alors qu’elle a le regard rivé sur l’écran, genre tout va bien. Sauf que je la connais et qu’elle est limite figée. Je soupire silencieusement, avant de descendre ma main et de la poser sur son bras, mon pouce caressant sa peau. Et paf, je la sens instantanément se détendre. Et je me retrouve à esquisser un sourire comme un con.
Et nous voilà reparti à nous foutre d’un film, et rien que pour l’entendre rire, ou se foutre de moi pour le coup, je parodie les acteurs avec des accents débiles.
Ça craint d’être aussi sensible à l’humeur et aux sentiments de quelqu’un d’autre non ?