✧ 01 Atticus est un artiste. Atticus est un artiste et c’est ça le plus important. Il peint, il écrit, il dessine, il est photographe et musicien. Il ne crache jamais sur une opportunité d’apprendre quelque chose de nouveau parce qu’il sait que les images sont parfois nécessaires là où les mots ne suffisent pas, que la musique est parfois la seule chose assez puissante, assez précise pour mettre le doigt sur telle ou telle émotion. Atticus n’est le meilleur dans aucune discipline mais ça lui est égal. Il ne crée pas pour la reconnaissance et la postérité, il crée parce que, s’il n’avait pas ça, il ne serait qu’un trou noir. De toute façon, il ne recherche la perfection ni dans ce qu’il observe, ni dans ce qu’il fait. Ce n’est pas ça, son obsession à lui, pas du tout. Atticus, il a une passion pour le sublime. Parfois, c’est la beauté dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus grand, de plus vertigineux. Parfois c’est la laideur, ou l’horreur telle qu’elle en est saisissante. Et puis ça peut être quelque chose de commun aussi, quelque chose qu’il sera le seul à remarquer mais qui le fera se sentir infiniment petit et infiniment grand à la fois, tout à fait perdu et parfaitement à sa place en même temps. Et c’est son esthétique à lui dans tout ce qu’il fait, son idéal en tout cas. ✧ 02 Atticus est narcoleptique depuis l’adolescence. Il est incapable de lutter contre ses accès de sommeil soudains et il peut s’endormir n’importe quand, n’importe où, y compris en voiture. Ça lui arrive tous les jours, parfois plusieurs fois, et ce n’est pas pour autant qu’il dort comme un bébé la nuit. Il a tendance à dormir par tranches d’une heure, entrecoupées de phases d’éveil parfois aussi longues, ce qui explique qu’il ait quasiment toujours l’air crevé. Il lui arrive aussi, en cas d’émotions fortes, d’être atteint de cataplexie. Dans le pire des cas, tous ses muscles se relâchent, il s’écroule sur place et se retrouve incapable de se relever pendant quelques minutes. D’autres fois, il perd seulement le contrôle des muscles de son cou et son visage, ce qui n’est pas beaucoup mieux quand quelqu’un lui demande d’expliquer ce qui lui arrive alors qu’il est incapable de parler. Heureusement, ça ne lui arrive que quelques fois par an, mais ça empire avec le temps. Et puis avec tout ça, il est sujet à des ivresses et des paralysies du sommeil, des troubles de la mémoire et des hallucinations au réveil et à l’endormissement, ce qui lui donne l’air franchement délirant quand on n’est pas au courant de sa maladie. Pas qu’il soit vraiment sain non plus. ✧ 03 Atticus est une créature d’instabilité. Il a l’esprit qui vacille comme la flamme d’une bougie et son regard cerné de mauve toujours à la recherche de quelque chose pour l’accrocher. Il a les jambes qui le portent n’importe où et qui flageolent quand son coeur s’emballe. Il n’est pas simplement instable, il ne supporte pas la stabilité. Atticus, il est né pour vagabonder au gré des mains tendues et chasser les tornades, pour capturer les fulgurances et des fragments de vies. Quand il est statique, c’est l’asphyxie, il panique et il étouffe. Et il se fait peur, Atticus, parce qu'il ne contrôle ni ce qui lui passe par la tête, ni les réactions de son traître de corps à ses émotions, parce qu'il a sans cesse besoin d'exutoires pour canaliser tout ça. Ça a toujours été l'art avant tout, mais parfois ça ne suffit plus. Il n'a jamais gobé autant de pilules que depuis son retour à Savannah, pour échapper à la sclérose qui coïncide toujours avec son retour au bercail. Des pilules pour planer, des pilules pour jubiler, des pilules pour s'assommer. Il essaie de maîtriser ses humeurs comme ça, à défaut d'avoir le moindre contrôle sur son corps. ✧ 04 Atticus, il a toujours eu le sentiment d'être dans l’œil du cyclone. Il se sent comme anesthésié, comme si les autres vies fusaient et frémissaient autour de lui sans le toucher. Parce qu’il voudrait tout vivre plus fort, beaucoup plus fort. Il a ce cœur bouillonnant, cette âme qui ne demande qu’à se déchaîner, cette passion qu'il crache sur les toiles et les pages blanches, qu'il grave sur les murs et sur sa peau, et ça ne suffit jamais. Il a du mal à se sentir lié au reste, à caler son rythme frénétique sur celui du monde. Atticus, il ne réalise pas que c’est lui, le cyclone. ✧ 05 Il a un désir de violence inextinguible dans les entrailles. Il n'est pas en colère, pourtant, pas révolté. Sa violence à lui, elle n'a rien d'aussi civilisé. Elle est viscérale, c'est sa nature, c'est ce qui le gouverne et l'empoisonne. Il la contient, il essaie d’en faire de belles choses. Parfois, elle le dépasse, alors il la dirige contre lui-même parce qu’il a peur d’en perdre tout contrôle autrement. Il rêve d'ouragans, Atticus, il rêve de crashs, de naufrages, d'incendies, d'apocalypse. C'est ce qu'il a plein la tête et le corps, alors il ne sent rien quand le monde extérieur se contente de l'effleurer. Atticus, il faut le frapper, il faut l'écorcher, il faut le percuter, il faut lui briser le cœur. ✧ 06 C'est tout ce qu'il veut, au fond, qu'on lui brise le cœur. C'est pour ça qu'il lit, qu'il voyage, qu'il écoute de la musique, qu'il se perd dans les musée, qu'il va au cinéma. C'est pour ça qu'il est tout le temps fauché, à force d'aller chasser les sensations aux quatre coins du monde ou, à défaut, des bouquineries poussiéreuses. C'est pour ça qu'il traîne dans les rues et les bars, à chercher le contact, à chercher une étincelle dans les regards pour arrêter de se consumer tout seul. C'est pour ça qu'il respire. ✧ 07 D’une certaine façon, Atticus vit en tension entre deux réalités, celle des grands romans et celle de tous les jours. Atticus, il a été élevé aux romans, ils ont été sa nourriture plus que n’importe quoi d’autre, ils ont été ses parents, ses autres frères et sœurs, ses amants, ses amis, ses passions, ses tourments. Pour lui, la vie, c’est celle des romans, ça devrait l‘être. C’est peut-être pour cette raison que l’autre, la sienne, elle lui semble insipide. Les gens, il faut les creuser tellement pour avoir accès à leur cœur, tellement que souvent il finit par les inventer. Et lui, il a l’impression qu’il lui manque quelque chose, comme des terminaisons nerveuses au cœur, quelque chose comme ça oui, comme s’il n’était pas complet, pas fini. ✧ 08 Il a commencé la musique avec le piano vers six ans et joue aussi du violon et de la guitare depuis l'adolescence. Il a dépensé la première paye de son nouveau travail dans l’achat d’un violoncelle, mais il débute seulement. Outre ses propres compositions, il joue principalement du classique. Dans le rock, il a un faible pour la distorsion, les sons saturés voire un peu crasseux, comme il dit, mais il est très difficile. Et si lui ne chante pas, il tombe régulièrement amoureux d’une voix pour peu qu’elle lui fasse de l’effet. ✧ 09 Dans l’ensemble, il fait honneur à l’éducation très classique qu’il a reçue — pas nécessairement académique, c’est souvent un gros mot dans la bouche d’Atticus, mais pas populaire non plus. Il est très critique dès qu’il s’agit d’art contemporain, de musique, cinéma et littérature populaires. Il se fout qu’on le traite d’élitiste, parce que ce n’est pas entièrement faux quand il est question d’art, selon ce qu’on entend par là. Il n’hésite pas à donner son avis honnête, et sans mettre de gants, parce qu’il estime que la platitude « il en faut pour tous les goûts » est une véritable connerie. De toute façon, il a beau exprimer ses opinions comme des vérités générales, il a conscience de leur subjectivité — c’est simplement trop évident à ses yeux pour qu’il prenne la peine de le préciser, mais il heurte parfois les fiertés. Et puis même lui a ses péchés mignons et fait quelques exceptions. Ce qu’il trouvera merveilleux d’inventivité ou de technique dans une réalisation contemporaine laissera peut-être le reste du monde très sceptique, et ça ne lui pose pas de problème non plus. Ce qu’il déteste, c’est l’attitude des vrais élitistes, ceux qui estiment que la populace peut se contenter de la médiocrité. ✧ 10 Atticus n'hésite pas à aborder les gens dans la rue, à raconter sa vie, à demander qu’on lui raconte la sienne. Il est capable de passer des heures à parler avec des clochards et des ivrognes, ceux qui n'ont rien de mieux à faire, ceux que les autres préfèrent ne pas voir, qu’ils font semblant de ne pas entendre quand ils les interpellent. Atticus, il les entend. Il les écoute, il les photographie, il les dessine, il les écrit, et les échanges se poursuivent en lui bien après qu’il les ai laissés. ✧ 11 Quand on dit d’Atticus qu’il aime raconter sa vie, il faut prendre raconter au sens fort du mot. Atticus, il raconte des bobards, il enjolive, il déforme, il sublime, il se raconte comme une histoire, et il fait la même chose avec ce qu’on lui confie. ✧ 12 Sa grande joie et sa grande tristesse, c’est qu’il est un amoureux de la conduite. Il est l’heureux propriétaire d’un camion aménagé qui était sa principale habitation lorsqu’il a fait des road trips dans tous les coins des Etats-Unis. Il adore les longues routes qui traversent les Etats américains en ligne droite et se laisse aller à des excès de vitesse quand il est seul. Tout ça fait de lui un abruti suicidaire, bien entendu, puisqu’il est dangereux pour lui de conduire avec sa maladie. L’accident qui lui a valu un traumatisme crânien et lui a coûté son ex-copine — celle qui n’est pas morte — ne l’a pas vraiment vacciné. C’est donc à son grand dam qu’il prend surtout les transports en commun depuis qu’il est rentré à Savannah, mais il tâche de se montrer responsable pour son petit frère et son père. Il ose à peine se permettre le vélo, parce qu’il aurait moins de chance de tuer quelqu’un en cas d’accident, mais lui pourrait mourir, et il sait que son frère le suivrait si ça arrivait. ✧ 13 Il aime la route, mais il aime la mer aussi. C’est la passion de son père qui lui a appris à naviguer sur son voilier, The Argonauts. Le voilier n’est plus en très bon état pour voguer mais Atticus vit dedans et le sort quand même du port à l’occasion, puisque son père n’y a plus goût depuis la mort de sa femme. Il le squatte malgré son père qui aimerait bien le revendre, à vrai dire, mais Atticus compte le lui racheter lorsqu’il en aura les moyens. ✧ 14 On l’aura compris, Atticus est un touche-à-tout. Mais contrairement à beaucoup de touche-à-tout qui se contentent d’effleurer les nouvelles disciplines, Atticus est déterminé et n’aime pas laisser quelque chose en plan. C’est même un acharné. Il se lance rarement dans plusieurs projets à la fois, parce qu’il a besoin de se donner à fond dans chaque chose et il sait très bien qu’il se rendra malade s’il en a plusieurs sur le feu. Il n’est pas vraiment perfectionniste, par contre. Il préfère encore bâcler un travail pour passer à la suite, lorsqu’il ne s’en sort pas, plutôt que de le considérer « en cours » indéfiniment. ✧ 15  Il fonctionne un peu de la même manière dans ses relations aux autres, pas étonnant qu’elles tiennent rarement sur la durée. Atticus, il cherche toujours à retirer quelque chose de ses rencontres et il peut devenir intrusif et envahissant dans l’espoir de découvrir ce qu’il cherche — parce qu’il ne sait pas ce qu’il cherche, la plupart du temps. S’il voit ses relations sans lendemain comme des petits tableaux à poser dans un coin une fois qu’ils sont achevés, sa vision d’une relation idéale serait plutôt celle d’un morceau de musique à composer, puis à maîtriser pour pouvoir le jouer à l’infini, le décliner, le vivre et le revivre. Alors il s’invite dans les vies, il s’y fait une une place et en pompe la substance pour en faire quelque chose de beau. Mais quand il sent qu’une relation ne le mène nulle part, qu’il pense en avoir déjà retiré l’essentiel ou ne jamais y parvenir, il peut décider de passer à autre chose aussi brutalement qu’il poserait son violon pour reprendre ses pinceaux. Le problème d’Atticus, c’est qu’il ne sait pas aimer. Atticus, il aime d’un amour égoïste, il veut posséder, il vampirise. Quand il en a terminé, il met les voiles, et il ne se retourne pas sur les carcasses qu'il abandonne dans son sillage. ✧ 16 Il partage avec son petit frère un certain penchant pour l’humour noir, et depuis qu’il travaille dans une entreprise de pompes funèbres, il est très inspiré. Heureusement, il n’a jamais affaire aux clients dont le cœur bat encore. ✧ 17 Il a un style vestimentaire assez éclectique, du banal jean tee-shirt au veston et pantalon ajusté en passant par le sarouel. Il a quand même une préférence pour les vêtements amples et fluides. Il traîne beaucoup en kimono chez lui et il sort régulièrement comme ça quand il a une course à faire. Il possède aussi une bonne dizaine de chapeaux, de la casquette de baseball au béret en passant par le chapeau de paille. Il a rarement l’occasion de porter son haut-de-forme, mais ça lui arrive quand même sans raison particulière — rarement avec le kimono. ✧ 18 Atticus n’est pas tombé dans la drogue pour des raisons récréatives, au départ. Il a commencé à prendre des antidépresseurs vers seize ans, des médicaments contre la somnolence vers dix-huit. Paradoxalement, il a aussi pris des somnifères par périodes, son médecin ayant décidé de voir si mieux dormir la nuit pouvait l’aider à avoir moins de crise le jour. Il est passé par la médecine douce aussi et il continue d’alterner les solutions qui n’en sont pas vraiment et les ordonnances. À côté de ça, l’herbe le réussit assez bien quand il s’agit de dormir quatre heures sans se réveiller la nuit ou d’éviter la cataplexie quand il sent poindre une crise d’angoisse — même s’il s’endort après. Le LSD et l‘ecstasy n’ont pas franchement d’application thérapeutique. Il aime ça, ça l’inspire, ça le rend heureux, et ses trips ne sont pas toujours plus étranges que les hallucinations liées à ses troubles du sommeil. Il lui arrive de piquer les médocs que Nemo refuse de prendre, il a une définition assez bancale de ce qu’est un grand frère responsable. ✧ 19 C’est un papy sur certains points. Il utilise assez peu internet et n’est pas sur les réseaux sociaux, son téléphone portable n’a ni écran tactile ni appareil photo. Il a un drôle de vocabulaire, composé de pas mal d’expressions vieillottes, et il va souvent chercher ses insultes très loin mais il ne dit pas beaucoup de gros mots. S’il en dit de plus en plus, c’est à cause de Nemo. ✧ 20 Il y a souvent une odeur de vanille et de tabac froid qui flotte autour de lui. Il ne fume pas comme un pompier, mais les cigarillos vanille ou café crème, ça parfume, et les joints aussi. Et puis il fume à l’intérieur chez lui, alors ses vêtements en sont imprégnés malgré sa manie de laisser toutes les portes et les fenêtres ouvertes pour entendre le clapotis de l’eau, les bruits de la ville et les piaillements des oiseaux. ✧ 21 L’argent lui brûle les doigts. Pas qu’il soit matérialiste, bien sûr, mais d’une, quand on joue avec autant de supports artistiques que lui, les factures montent vite. De deux, les voyages coûtent cher. C’est comme ça qu’il se justifie, en tout cas. La vérité, c’est qu’il n’a jamais été capable d’économiser suffisamment pour financer un voyage à proprement parler. À chaque fois, il n’avait assez que pour partir et il se trouvait des petits boulots pour la suite. C’est aussi pour ça qu’il est souvent parti longtemps. Et puis il a tendance à ne pas résister à la devanture d’un bouquiniste, d’une friperie, d’un dépôt-vente ou autre magasin d’objets d’occasion. Quoiqu’il arrive, il réussira toujours à justifier les mille et un livres qui débordent des bibliothèques sur son bateau et chez ses parents — dans sa chambre, il a construit des tours de bouquins dans les coins —, même ceux qu’il a en triple ou dans des langues qu’il ne lit pas. Mais si, il finira bien par se mettre au latin. ✧ 22 Les murs de la cabine de son voilier sont couverts de fresques peintes, recouvertes et repeintes par ses soins depuis des mois, de collages et de quelques cartes postales et photos qu’il a prises lui-même, achetées ou volées, qui sont punaisées ça et là sans la moindre cohérence. Le tout donne un ensemble assez oppressant pour qui n’est pas Atticus, mais il est très à l’aise dans son petit cocon bigarré. ✧ 23 Il se dessine et s’écrit beaucoup dessus, avec des stylos ou des pinceaux, mais parfois aussi avec des objets pointus. Ses bras et ses jambes sont souvent striés de cicatrices superficielles qui forment des dessins plus ou moins compréhensibles selon leur degré de guérison et la manière dont ils se chevauchent. Il ne s’agit pas vraiment de scarifications, et il n’est pas tatoué non plus, parce qu’il a un problème avec la permanence en ce qui concerne son propre corps. Par contre, il sait les apprécier sur celui des autres et il ne rechignerait pas à y apposer sa propre signature si on le lui demandait. ✧ 24 Il aime le vide et les hauteurs. Il aime se percher sur le toit de la maison parentale, se pencher au bord des falaises et sauter à l’élastique. Par contre, il a la phobie de l’avion — l’enfermement, le fait de ne pas être au commandes, il ne sait pas trop. Il a dû traverser l’Atlantique en bateau lorsqu’il est parti faire son road trip eurasien, il y a trois ans. Il aimerait sauter en parachute — pour la chute libre surtout — mais même pour ça il n’a pas encore réussi à braver sa peur de l’avion, et ce serait un coup à ce qu’il s’endorme au meilleur moment.