Chaleur cuisante. Souffle brûlant. Y a le sable qui se faufile partout. Comme les cris de l’extérieur qui percent malgré les murs en terre. Le sol tremble à chaque impact et tous les petits bras se resserrent les uns contre les autres à chaque déflagration. Le décor et les visages sont flous. Il y a de grandes tentures brodées au mur, des petits visages effrayés à côté de moi, collées à moi. Comme si je pouvais les protéger alors que cela me semble impossible. Je reconnais quelques coupes courtes chez certains garçons, surtout celui avec la cicatrice sur son crâne. Sensation familière dans la poitrine. Je ne vois que son sourire triste et les bouts du toit de l’orphelinat qui tombe trop près de nous. Des mouvements vifs émanent un peu plus loin. Les adultes chuchotent dans cette langue qui accroche mon palais. C’est indistinct, comme un conte lointain et puis il y a l’agitation qui vient les capturer. Les enfants protestent quand on les tire de leur coin. Les mains sur nos bras frêles qui serrent et tirent trop fort. Peu comprennent. Et nos petites jambes essayent de suivre le rythme malgré tout quand on nous brusque à se dépêcher où le soleil risque de nous tomber dessus. Le ciel est aveuglant et les peurs stridentes dans les rues de Bagdad. Les équilibres se rompent facilement dans notre course pour trouver un nouvel abri ? Je ne sais pas, je ne suis pas sûre. Mon coeur est sur le point d’exploser hors de ma poitrine. Mes poumons se sont enflammés. Et j’ai peur. Ça crépite partout dans mon sang, bourdonne dans mes tympans, repères déjà perdus. Jusqu’à l’éclat percutant. Soufflant. La sensation d’être projetée violemment. Je me réveille en sursaut. Avec cette image déboulant sous mes paupières d’un corps calciné. Avec l’odeur associé. Mon estomac se retourne sur lui-même et je me précipite dans la salle de bain pour n’en ressortir que vingt minutes plus tard.

J’vais jamais me rendormir avec ces conneries. Il aurait mieux fallu que je sorte en soirée et que je m’assome avec l’alcool pour éviter d’avoir ce genre de rêves merdiques. Encore. C’est de plus en plus fréquent et c’est souvent le même. Sauf que je n’avais encore jamais vu la fin. J’sais que ce sont des souvenirs qui remontent. J’arrive maintenant à reconnaître certains mots en irakiens. Mais est-ce que tout est vrai ? Est-ce que mon esprit ne tord pas la réalité ? Je suis incapable de délier le faux du vrai. J’décide que j’en parlerai à Valerian la prochaine fois, mais en attendant… J’vais tourner en rond dans le salon pour passer le temps. Allumer toutes les lumières sur mon passage pour annihiler la nuit noire qui m’effraie parfois. J’avance doucement pourtant, d’abord jusqu’à la cuisine pour me servir un verre d’eau, puis jusqu’au balcon pour m’en griller une et cracher la nervosité.
C’est là que je retrouve mon acolyte d’insomnie. “Hey... Ça va ?” La silhouette nerveuse du grincheux de la coloc' est déjà posée là. Notre rituel est déjà ancré. Il me passe son briquet alors que je me cale contre son épaule sans rien dire. Fatiguée mais l’accès à Morphée refusé. Le calme de Rhoan à cette heure-là me fait toujours du bien. Pourtant, nos orages s’entendraient bien si il était un peu plus ouvert. J’en suis certaine. “Qui veille sur nous ce soir ?”, que je demande en levant le nez vers l’obscurité au-dessus de nous.

Rhoan n'arrive pas à dormir.
Il se tourne et se retourne dans son lit, pose la tête sous les oreillers pour étouffer le bruit. Il a tout essayé. Mais les petits couinements des souris qu'il a ramené à l'appartement le dérangent trop et le stressent. Agité d'un tic nerveux, il balance sa jambe hors du lit, dans le vide.
Il songe sérieusement à les ouvrir en deux, ces rongeurs de malheur.
Au début, il pensait que c'était une bonne idée, et son professeur lui avait encouragé à mener à bien son expérience. Le labyrinthe comportemental, il avait toujours rêvé de faire quelque chose dans le genre. Et puis ses colocataires ne s'y étaient pas opposés (sauf Bo, mais quand il s'agit de Rhoan, Bo râle tout le temps, alors il avait juste chassé ses remarques d'un geste de la main. Tiens, maintenant qu'on y pense, si les souris venaient à trop l'emmerder, il pourrait toujours les lâcher dans le lit de son colocataire préféré. Un sourire machiavélique se dessina sur ses lèvres).
Rhoan soupire et décide qu'il n'y a plus rien à y faire. Les nuits d'insomnie, il peut seulement essayer de s'occuper en attendant que le sommeil le frappe d'un coup, comme une massue. Il s'avance vers la cage ou Minus et Cortex le regardent d'un œil malicieux. Et quand il passe son doigt entre les barreaux, les animaux tentent de le mordre.
« Saletés de bestioles. J'arrive pas à croire à votre ingratitude. » il marmonne tout seul, comme d'habitude.
Ça ne sert à rien de tourner en rond dans sa chambre comme un lion en cage. Rhoan se connaît et il connaît ces nuits sans sommeil où il essaye en vain de fermer les yeux pour les rouvrir quelques secondes après. Il sait que l'atmosphère confinée de sa chambre n'y changera rien. Alors il saisit son paquet de clopes, toujours déformé à force d'être trimballé partout avec lui, son zippo, et il trouve le balcon pour s'adosser près du vide.
Quelques minutes passent, l'air de la nuit sur son visage fatigué, le faible rayonnement de la lune pour le bercer, et Rhoan s'entoure du silence. Quand sa tête vrille, c'est le meilleur remède. Juste la mélodie silencieuse des étoiles pour faire taire les idées en vrac. Mais il n'a pas le temps de se plonger dans sa torpeur habituelle que la porte coulissante s'ouvre et qu'une silhouette en émerge. Rhoan ne répond pas à son « ca va », il sait qu'elle sait. Il sait aussi que ça ne sert à rien de retourner la question. Rhoan ne parle que quand c'est nécessaire, et les cheveux en bataille et les mains tremblantes de Nur expliquent déjà tout d'elles-même. Lorsque la lumière du briquet éclaire son visage, il sourit, et pointe son doigt vers le ciel qui les surplombe.
« On a la Chevelure de Bérénice qui se rapproche d'Arcturus. Et juste là... La constellation du chien, je crois. »
Il se gratte le crâne en évitant toujours sa cicatrice, la mine un peu gênée.
« Quand j'étais gosse, je connaissais tout ça par cœur. Mais maintenant... »
Un petit coup sur le haut de la tête pour signifier sa perte de mémoire. Ca aussi, elle sait.
« Tu vois quoi. »

“On a la Chevelure de Bérénice qui se rapproche d'Arcturus. Et juste là... La constellation du chien, je crois.” Je suis son doigt du regard pour capturer les formations stellaires dont il parle, mais leurs noms ne disent absolument rien. J’acquiesce tout de même. Petite aussi, je laissais mon grand-frère Jeiran me raconter les histoires des constellations, plus parce que j’aimais la façon dont il en parlait que pour les histoires en elles-mêmes. J’étais plus éblouie par le crépitement dans ses yeux que par celui accroché au voile noir au-dessus de nos têtes. Et franchement, peut-être qu’il m’aurait réellement captivée si il avait parlé d’extraterrestres, de secrets extragalactiques ou de vies cellulaires hors des frontières de notre univers. Il n’y a que la partie scientifique qui pourrait éveiller en moi une vraie curiosité, alors que je ne peux m’empêcher de pointer les inexactitudes des films de science fiction quand par malheur il y en a un qui passe à la télé. “Quand j'étais gosse, je connaissais tout ça par cœur. Mais maintenant… Tu vois quoi.” Oui je vois. Je vois très bien. J’en ai encore des frissons quand je repense à cet incident, son malaise, le passage à l’hôpital et la vérité sur ce qui se cache dans sa tête. Il nous a fait une sacrée frayeur ce jour-là. Plus jamais. Putain, plus jamais. Du coup, il ne se doute pas forcément que j'ai bien l’intention de passer sous crâne au scan assez régulièrement et qu’il n’aura pas son mot à dire. Interdiction de nous faire un alzheimer précoce, un avc ou de nous claquer entre les doigts. “Pourquoi ça te passionne tant ? C’est si loin de nous...” J’ai un peu de mal à comprendre. Et je préfère m’attacher à plus simple. L’incandescence au bout des doigts et entre les lèvres, le froissement de la cendre, la fumée qui trouble la vue. Chaque sens s’y suspend, dépend, pour retrouver pieds, lentement. Je resserre mes genoux contre moi et y pose mon menton. “Même si j’suis bien contente qu’elles soient là... les étoiles, la lune, tout ça... vu que maintenant j’ai un peu peur du noir tu sais...” Il sait, seul témoin, mais ça fait partie des secrets dont il garde les raisons pour lui.

Avant, lui et sa mère s'échappaient loin des lumières de la ville, quand il était gosse et elle clean, quand ses mains ne tremblaient pas encore et qu'elle pouvait prendre le volant. Ils s'allongeaient dans l'herbe sans prendre gare aux moustiques, lui enfoui dans sa longue chevelure blonde, pointaient du doigt les astres. Rhoan essayait souvent de faire revenir ces moments vaporeux dans sa tête, sans succès. Ils apparaissaient parfois par flashs, comme le reste. Ces bouts d'existence qui le guidaient, qu'il arrivait à recoller pour former un ensemble incohérent, rapiécé, usé. Il se gratta le crâne, ses yeux naviguant de Nur aux étoiles, des étoiles à Nur.
Dans des moments comme celui là, il était heureux de ne pas l'observer de là-haut.
Beaucoup de gens la voient, la cicatrice sur son crâne, en dessous des cheveux ras. Ils ne posent pas de questions, détournent le regard ou le dévisagent. Il faut dire qu'une croix sur la tête ça donne un peu l'air d'une cible. Nur est une des seules à savoir pour de vrai, à l'avoir connu dans un moment de faiblesse, celui où il n'avait pas d'autre choix que de le dire. Il ne voulait pas que ça se sache à la coloc, car il ne voulait pas faire de la peine ou attiser la curiosité. Lui restait dans son coin et regardait les autres de loin, ça lui allait très bien. Et puis, un jour, il est tombé, et tout est devenu noir. Les visages inquiets au dessus de son lit d'hôpital ont délié sa langue.
Des fois, Nur le regarde comme un cobaye.
Des fois, Nur le regarde comme une bombe à retardement.
Ce qu'il est.
« Ça me fascine parce qu'on est minuscules dans un monde d'immense. Et parce qu'il y a tellement de choses à savoir et à découvrir. Je préfère le monde à l'humain. On est des poussières. »
Sans le vouloir, il passe son bras autour d'elle.
Il parle un peu plus que d'habitude.
Il hoche la tête, oui. Il sait.
« Ma lumière est jamais très loin. Et elle a des poings qui savent cogner. Même si ce qui est fait.. »
Il soupire. Il aurait aimé savoir plus tôt, arriver plus tôt, et agir plutôt que venger.
« Est fait. »

On est minuscules mais il y a encore plus minuscule. J’acquiesce de la tête en esquissant un sourire. C'est vrai qu’il y a une infinité de choses à connaître. C'est passionnant. Mais aussi bien je comprends ses réticences avec l’humain pour avoir parfois l’envie d’enfants défenestrer quelques-uns, autant je ne pourrais pas m’en passer. Je ne gère pas bien la solitude. J'ai besoin d’interactions même si c'est dans la douleur, la méfiance ou la colère. Mais heureusement il n’y a pas que ça. J'espère qu'il le voit. Surtout depuis qu’il vit ici. Dans le chaos de la coloc, j'espère qu’il voit aussi tous les rires, toutes les croyances, toutes les bêtises et tous les contacts qui font que ce bordel est joyeux. Je m’attarde sur son profil et non pas sa cicatrice. Parfois, je me demande ce qu’il a fait avant pour qu’il soit si calme, si… silencieux. Il parle peu. Il observe. Parfois il pique, parfois il enrobe. Comme là quand il m’entoure, me couve comme si il cherchait à me protéger. Je soupire d’aise. Commençant à me détendre, à me sentir en sécurité. C'est sûr, c’est mieux que quand je claque la porte de ma chambre et m’y enferme des heures durant refusant de sortir de mon trou. Trop d’émotions. C'est le risque avec les humains. Je le sais. Il le sait. Je sais qu’il sait. Mon rire se fait bancale au fond de ma gorge quand il parle de ses poings. “Ouais… Merci.” Je le sais aussi ça. Derrière la distance et la carapace de ses yeux infaillibles, Rhoan bout, vibre sous des émotions qui aimeraient certainement éclater plus souvent. Et j’peux pas dire que je comprends ce que ça fait d’arriver après la bataille, de devoir dealer avec ses déceptions, ses frustrations et des envies de vengeance. Il a juste pu m’aider à cacher la misère et le secret au reste de la coloc. Il y a des sujets qui m’importent, avec lesquels je ne rigole pas, ils le savent. Mais je ne suis pas la fille triste et fragile qui se recroqueville sur elle-même après s’être faite agresser après une soirée parce que sa peau était trop basanée. Du moins, j’veux pas qu’ils sachent, j’veux pas qu’ils me voient comme ça. Et des fois, Rhoan il me regarde comme ça. Surtout quand il insiste pour venir me récupérer quand je lui dis que je rentre seule, et que je ne résiste pas à mes petites peurs de victime. Ça m’énerve. Coup d’oeil sur ce monde qu’il adore pour soupirer avec lui. “Mais tu sais, si c'est pour que je finisse par les rafistoler, ça ne sert pas à grand chose.” J’pourrais plaisanter, dire ‘quoique, un p’tit coup de bistouri mal placé et on n’en parle plus.’ C’est pas l’envie qui m’en manque. Mais ça serait terriblement faux et ma foi serait totalement faussée. “J’teste le bartitsu. Tu connais ?” À vrai dire, ça ne me plaît pas réellement de devoir apprendre à me défendre. C’est pas dans mes mécaniques tout ça. Je ne sais pas si je vais en faire bien longtemps, si ça me convient réellement… Trop défensif peut-être pour ma personnalité ? J’en sais rien. Et je n’aime pas ne pas savoir. Ça se marque sur le manque de conviction lacée à ma voix. “Pas que je n’aime pas t’avoir en garde du corps quand il faut hein...” Mon épaule vient chahuter la sienne, le sourire revenant petit à petit dans mes mots. “Mais tu peux pas continuer comme ça.” Je détourne le regard vers la nuit noire. “Et moi non plus.” L’exigence dans le ton contraste avec la lueur oscillant entre méfiance et défi au fond des yeux, alors que mon dos s’arrondit, que je m’enfonce contre le mur, dans l’ombre de Rhoan. Malgré tout. Malgré le fait que dans mon sang, dans le sable de mes origines, y a peut-être bien toujours eu un combat à mener...

Nur c'est une constellation. Une putain d'étoile en fusion. Il a bien vu, les regards que laisse traîner Arthur parfois. Il ne connaît pas vraiment les humains, mais il sait les décrypter, juste pas comment agir. Il a su décrypter Nur au premier regard, au premier « salut » lancé du fond de la cuisine, elle en tee-shirt culotte sur le bar, lui avec son minuscule sac. Il avait pas beaucoup d'affaires à lui en arrivant, un cœur lourd et des rêves trop grands. Ils s'attellent parfois à vouloir sauver le monde, la médecin et le chercheur, l'étoile et l'astronaute. Lui il aimerait lui dire de ne pas brûler trop fort, la lumière ça fait peur. Mais au contraire, il veut qu'elle brûle, qu'elle rie, qu'elle danse et tant pis pour les autres. Même les plus forts qu'elle. Il casserait la gueule du monde entier si le monde entier voulait la bouffer toute crue. Même si elle le laisserait pas faire.
Il rit doucement et c'est beaucoup trop rare, pourtant avec elle ça paraît facile, la pause au milieu de la tempête, la douceur au fond du brasier. Il fait non de la tête, la violence il la connaît parce qu'il l'a subie, il connaît juste l'attaque, tellement peu la défense. Lui soit témoin sa tête cabossée et ses plaies par milliers. Les cicatrices le long de son corps, plaisir ou douleur souvent mêlées. Il a jamais eu besoin de rien pour se défendre, il a ses poings son flingue et sa rage jamais totalement enfouie, ça lui suffit. Il a survécu jusque là, tant bien que mal.
Et elle a raison, ils ne peuvent pas continuer comme ça, la peur au ventre sans le vouloir, les regards qui veulent tout dire, quand elle rentre à la maison trop tard, l'air de dire ça a été ? Depuis la fois, la fois de trop. Rhoan a promis de ne rien dire à personne car Nur perdue au milieu des garçons trop grands pourrait se comporter comme une reine mais préfère être étoile, distante fascinante brûlante. Y'a rhoan qui essaye de se faire soleil et qui la voit trop précieuse pour le monde des humains. Pourtant des deux c'est sûrement elle la plus humaine.
« Bientôt tu niqueras plus de mères que moi. »

Il rit et ce son vaut de l’or, il est parfait, beaucoup trop rare et précieux pour les confins de cette planète. Mais ça attire mon rire, le fait graviter à la même hauteur, discret, juste assez pour lui montrer qu’il est là, qu’il sera pas seul, quoiqu’il arrive, même quand ça ne sera plus drôle. “Ah non j’nique pas moi.” J’sais pas forcément ce que je fais, mais pas ça, ça c’est sûr. “Ou alors destruction de l’ennemi par électrocution. C’est plus cool.” La tête qui dodeline légère pour peser à l’encontre de tous les orages contenus dans ma poitrine. Pour toutes les fois où j’ai mal. Pour toutes les fois où la frustration me gagne. Pour toutes les fois où je hais autant que j’aime. Pour toutes les fois où j’m’inquiète. Et pour toutes les fois où je prends trop à coeur.

Comme quand il est arrivé à la coloc. Quand j’ai eu l’envie soudaine de renforcer les fondations de notre royaume pour que rien ne cède autour de lui. Que j’ai ressenti le besoin de m’en mêler, doucement, à pas de velours, par bribe. Parce que ça paraissait évident qu’il cachait quelques os dans ses placards. Mais que j’allais y accrocher mes affaires de toute façon. Pour que ce soit trop étroit là-dedans, pour qu’il sorte de lui-même et que j’puisse guetter les rythmes de sa respiration et essayer de savoir à quoi il pesne, à quoi il rêve.

… Au bord du lit, bol de céréales sur les cuisses, un autre “salut” en guise de réveil, curiosité couvée par la lumière matinale qui s’infiltrait en compagnie d’un billion de questions, toutes plus banales les unes que les autres, et qui ne nécessitaient pas de réponses. Pas tout de suite. Un simple et léger avertissement. J’vais tout savoir. Ce qu’il prend au p’tit déj, si il aime les films d’horreur, si son flingue est tout le temps chargé, ce qu’il préfère boire et fumer pour voir des étoiles, si il pisse debout, si ce sont ses cicatrices qui hantent ses nuits d’insomnies, combien de temps ça prend pour devenir astronaute et si il m’emmènera faire un tour dans l’espace un jour. …

Je soupire sur ce souvenir qui s’est ramené à l’improviste. C’est moi qui m’suis imposée, incrustée, mais finalement, c’est moi qui compte sur lui, qui l’remercie sans un mot quand il est là, qu’il reste pour que la lanterne dans nos corps ne s’effacent pas. Quand il modifie l’espace-temps pour qu’on danse sur nos lits lorsque revient le moment de nos pires cauchemars. Quand j’entends dans sa voix tout ce que ses mots ne disent pas. J’serai là. Je sais. Et quand sa guillotine tombera, priant pour que ça n’arrive pas, si il perd la tête, je serai aussi là.

En attendant, y a l’instant de faiblesse qui revient, et mes doigts qui s’agrippent à son t-shirt, et ma tête qui se repose sur son épaule. “Si jamais on… si jamais je reperds encore : dis rien, fais rien et promet de pas en souffrir. Un seul autre échec, ça suffit.”

Y’a des moments comme ça, où il se pense invincible. Ou trop faible. C’est foutrement pareil au fond, une illusion qu’on se donne, haut ou bas mais on est tous pareil face à l’infini. Les étoiles le crament et il a mal les yeux qui piquent. Quand il tourne son regard vers Nur c’est une foutue galaxie sous ses paupières. Elle est belle, Nur. Il le sait, le monde entier le sait. Mais elle est abîmée et ça le fait chier de savoir qu’au fond, elle a peur, peur que ça recommence, peur que la couleur de sa peau ait des conséquences. Elle s’accroche à lui et au creux de sa gorge Rhoan étouffe un soupir, une main qui frôle ses cheveux, gestes de tendresse maladroits qu’il n’arrive pas à contenir. Avec les amis ou les amants c’est la même chose, Rhoan a les mains qui tremblent il a peur de noyer son cœur. Il secoue la tête. « J’peux pas te promettre ça. » De pas s’énerver s’inquiéter de ne pas vouloir se venger. C’est pas qu’une question de protection c’est qu’il se contrôle pas totalement. Et Nur n’est pas faible elle n’est pas une proie c’est sûrement ça le pire dans tout ça. Ça n’aurait pas du arriver, et encore moins maintenant que Rhoan est là.
Il se frotte les yeux, ressemble à un enfant. Y’a des moments au cœur de la nuit où Rhoan paraît presque innocent, c’est rare qu’il laisse tomber le masque, qu’il passe de la bête féroce à celui qu’il est vraiment. Mais il est trop fatigué pour faire semblant. « Tu dors avec moi ? » Il chuchote à peine, preuve de faiblesse.

Deux gamins qui ont peur du noir. Ça doit ressembler un peu à ça. Surtout vue d’en haut, là où les loupiottes clignotent. Deux enfants à la tendresse trop violente. C’est peut-être ça aussi leur problème à tous les deux. Surtout de leur point de vue à eux, là où leurs coeurs font souvent feu.
Mais c’est pas grave. Je sais comment ranimer les myocardes. Et je sais aussi que je lui montrerais un jour comment faire. On en a tous les deux besoin. Pour plus étouffer, ni nos peurs ni nos soupirs. Plus de poumons corrompus. On les écrasera, les éclatera. Poings, bras et âmes levés contre les silences pendus à nos nuits.
Et quand il ne promet rien, moi j’entends un de ses voeux, celui de ne jamais capituler, jamais abandonner. Et même si sa réponse ne me plaît pas, ce secret-là me va. Ce non-dit, je le chéris, dans l’éclipse d’un fin sourire qui ne le trompera pas. T’es irrécupérable. Entre remontrance et affection. T’es pire que mes frères. C’est certainement pour ça que mon attachement à Rhoan est si fort. Famille d’adoptés, j’ai la même habitude ancrée dans les veines. Tu poses vraiment la question ? C’est presque comme si c’était écrit dans les astres qu’il admire tant. Qu’on allait construire notre forteresse de draps et nous endormir dans le creux d’armures probablement trop douces pour nous mais terriblement méritées. Dans une autre vie, on devait déjà être amis, on devait déjà avoir trouvé nos abris, on devait déjà jouer à cache-cache avec Morphée, avec d’autres flambeaux dans les yeux. Mais le repos du guerrier, il est pour lui et lui seul. Allez. Juste un dernier soupir autorisé. We can rest.