Le soleil est presque absent pourtant Rhoan sue il tangue il étouffe. Il étouffe quand les gens le bousculent, quand il ramasse une fille qui tombe à ses pieds presque piétinée le visage en sang. Il étouffe quand il sent le poids du flingue dans son sac quand il réalise qu’il a oublié de le charger avant de partir, quand le coup de feu dans la foule n’était pas le sien, quand il se rend compte qu’il n’est pas le seul avec une arme prête à être sortie à tout moment. Rhoan n’a pas peur, il étouffe juste, parce qu’il est un humain normal, parce qu’il se prend des coups d’épaule de coude qu’il entend les cris les bruits de coups. y’a la panique dans les yeux des gens, y’a même des mômes qui pleurent, et il ne comprend pas pourquoi. Il entend du bruit et les gens qui fuient alors il va à contre-courant, il pousse les silhouettes il se fraye un chemin, c’est comme l’apocalypse qui se déroule sous ses yeux flous. Et puis au milieu de la rue, c’est le carnage. Rhoan n’est pas particulièrement non-violent, c’est même le contraire la plupart du temps, quand il bout, se contient puis explose il cogne il frappe il crie il faut qu’il casse des choses qu’il détruise, mais là il a l’impression de tomber au cœur d’un règlement de comptes géant, y’a des poings qui s’abattent des os qui craquent des corps qui ploient du sang qui coule à ne plus pouvoir distinguer les corps, certains sont couchés par terre il espère juste qu’il n’y a aucun mort. Mais pour combien de temps ? il ne joue jamais les héros, c’est pas son genre, et même s’il a de la force au combat il n’y a rien qu’il puisse faire, alors il commence à tourner les talons jusqu’à ce que son œil soit attiré par quelque chose,
Ou plutôt quelqu’un.
Et il reconnaît directement le corps déjà marqué qui se fait bouffer par les coups de poing, il entend d’ici la mâchoire craquer car il l’a fait craquer avant, il le voit d’ici riposter se jeter sur le mec comme un chien enragé. Ça tourne dans sa tête il devrait se barrer mais il observe les traces de bleus pas encore effacés sur la peau il imagine les cicatrices le long de son dos la balafre épaisse comme la sienne sur sa joue et « putain d’merde » il réalise même pas que ses jambes le guident tout seul il en revient pas, il est vraiment en train de faire ça. Il prend part à la bataille il se jette dans la gueule des loups, c’est quand le type en face de Seven sort un couteau que ça vrille dans son cerveau, que Rhoan grogne démarre bondit et cogne cogne cogne encore. « LACHE LE SALE FILS DE PUTE ! » ça sort tout seul quand ses poings s’abattent quand le mec finit par terre et qu’un autre s’ajoute quand il s’improvise lion enragé qu’il cogne sans même savoir où frapper. Quand il esquive de justesse une lame que son cœur s’emballe en imaginant un revolver près de son crâne à nouveau, quand son regard croise celui de Seven qu’il y voit de l’incompréhension, quand il espère que le sien brûle de haine –même s’il sait que ce n’est pas le cas. C’est avec tout le mal du monde qu’il s’extirpe de la foule en le tirant par le bras sans lui demander son avis, la lèvre inférieure en sang les phalanges rougies. « On s’casse ! » ça lui fait mal de dire on pour parler de Seven et lui mais il peut pas faire demi-tour plus maintenant et plus en le voyant aussi affaibli. Les types les ont vu partir alors il court et il le porte à moitié, son tee-shirt est trempé celui de Seven est poisseux contre sa côte, il se pose pas de questions quand il ouvre la première porte devant eux d’un coup de pied, qu’il trouve un escalier qu’il le prend en tirant Seven avec lui. Il entend déjà les bruits de pas il imagine déjà les balles partir il sait que Seven voudra y retourner il sait même pas pourquoi il était en train de cogner, ils sont dans une espèce de cave y’a une ouverture sur la rue, il voit les pieds qui courent autour d’eux l’impression d’être pris au piège. Mais pour l’instant il regarde pas autour de lui il s’assoit par terre reprend son souffle regarde ses poings abîmés. « Y’a que moi qui ait le droit d’te buter. » C’est la seule excuse qu’il a trouvé pour le sauver et maintenant il ose même pas le regarder.

C'est à croire qu'le chaos dans sa tête a pris vie – autour de lui ça cogne ça gueule ça saigne, autour de lui tout s'met à tourner. Il sait pas ce qui s'passe et il a pas envie de savoir, tout ce qu'il voit c'est la violence partout partout partout et ça fait écho jusqu'aux tréfonds de ses entrailles. Il voudrait s'y jeter corps et âme et tant pis pour les plaies mal refermées tant pis pour la douleur qui continue de le torturer. Il sait que c'est une mauvaise idée, qu'il est pas en état – p't'être bien que ça le tuera. Il en a plus rien à foutre.

Il voit un type en train de fracasser une voiture et il cherche pas à comprendre, il fonce tête baissée, fait voler son pied derrière un genou pour le faire ployer. C'est gratuit c'est le besoin de prendre part au chaos, le besoin de tout laisser sortir même s'il doit y laisser sa peau. Qu'on le cogne qu'on l'achève, qu'on finisse ce que tous les autres n'ont pas su faire ; JJ Sam Rhoan Peadar ils ont tous un goût d'inachevé. Dans l'fond il se sent invincible Seven, malgré les balafres et les blessures qui n'se ferment pas, malgré son air de fantôme sa façon de tanguer à chaque pas qu'il fait. Il se sent invincible parce que la liste de ses ennemis est plus longue que son bras, parce qu'ils veulent tous le buter mais qu'ils sont pas foutus d'y arriver. Il se sent éternel immortel, comme si rien n'pouvait l'atteindre comme s'il était certain de ne jamais se briser. Alors il n'a pas peur quand il se jette dans la gueule du loup, quand il attaque sans raison juste pour se mêler à la foule qui perd l'esprit. Peut-être que lui aussi est en train d'sombrer dans la folie.

Il ne fait pas un son quand l'autre riposte, quand ses boyaux se tordent sous l'impact. Pas un son quand il lui colle un coup de tête, quand il récolte un coup de pied. Ça part dans tous les sens et il sent les plaies se rouvrir, le sang qui s'remet à couler. Ses côtes grincent – y en a déjà trois cassées qui n'ont pas eu l'temps de se ressouder. Son dos lui fait mal – ces traces là il sait qu'elles resteront douloureuses jusqu'à la tombe. Ses muscles protestent – il dort peu et mange encore moins, il en demande trop à son corps qui n'peut plus le suivre dans sa destruction. Il tangue quand sa mâchoire se fait cueillir au vol, il entend craquer il crache ; du sang et une dent. Une molaire en moins et un sale goût de rouille sur la langue, il se rue sur son adversaire sans hésiter. Il frappe il se fait frapper il sait plus faire la différence entre ses coups et ceux de l'autre, il s'en fout.

Il a tellement mal que sa vision devient floue, il s'en fout.
Il tient presque plus debout, il s'en fout.

C'est à peine s'il voit la lame briller, il est prêt à l'impact prêt à la sentir trancher la peau, il est prêt à l'accueillir sans broncher. Il attend une douleur qui n'vient pas. « LÂCHE LE SALE FILS DE PUTE ! » Sur le coup il n'reconnaît même pas la voix ni la silhouette, il comprend pas pourquoi on vient se foutre au milieu pourquoi on l'empêche de récolter ce qu'il a semé. Il a pas peur de s'faire planter Seven – il est persuadé que même ça, ça n'suffira pas à le tuer.

Et puis il reconnaît Rhoan.

Rhoan qui cogne, Rhoan qui se déchaîne qui prend sa place qui attise sa haine. Il fait même pas attention à l'autre type qui s'incruste, ses yeux ne voient que Rhoan et il voudrait lui sauter à la gorge mais il est figé. Il comprend pas – Rhoan est venu l'aider ? Ça n'a pas d'sens et son cerveau n'arrive pas à l'emmagasiner, c'est une information qu'il est incapable de gérer.

Leurs regards se croisent et c'est la première fois depuis longtemps que ça ne suinte pas de haine. Il sent la poigne sur son bras, sa carcasse qui s'fait tirer brutalement. « On s’casse ! » Et il sait plus s'il doit rire ou hurler, s'énerver ou suivre sans résister. Il essaie d'se dégager de son emprise mais Rhoan a bien plus de force que lui et ça l'enrage, il tire il lutte il grogne – dans le vide. Rhoan soutient son poids il le porte à moitié, ça lui donne envie de tout casser. « MAIS LÂCHE-MOI PUTAIN ! » Il a beau protester rien n'y fait, il est prisonnier. Tellement occupé à tenter de se libérer qu'il ne fait pas attention à la direction qu'ils prennent, la porte les escaliers la cave, quand il réalise enfin c'est trop tard il a l'impression qu'ils sont coupés du monde.

Rhoan le lâche et s'assoit par terre, pendant que lui lutte pour rester bien droit malgré son squelette qui le supplie de se poser de le laisser respirer. Il peut pas. Il veut pas ployer. « C'quoi ton problème ? » L'incompréhension surplombe sa rage et il serre les poings quand il le dévisage. Mais Rhoan n'le regarde pas, Rhoan joue au lâche et Seven ne sait plus quoi penser. « Y’a que moi qui ait le droit d’te buter. » Et c'est plus fort que lui il éclate d'un rire qui n'en est pas vraiment un, juste du bruit qui ressemble plus à rien. Il est à bout d'souffle, du sang plein la bouche – son sourire devient rouge. Les seules couleurs sur ses traits sont celles de la douleur, le pourpre le bleu le violet, sans elles il a l'air d'un macchabée. « T'en as pas marre de dire que tu veux m'buter ? T'en seras jamais capable alors ta gueule, ça devient pathétique là. » Parce qu'il en a eu des occasions mais il les a toutes loupées, à croire qu'il veut pas y arriver. « Et arrête de m'courir après bordel, t'es pire qu'une groupie. » Il le regarde de haut, mépris au coin des lèvres et rage au fond des yeux. Quand il lui tourne le dos il n'hésite pas une seule seconde il n'fera pas marche arrière, tant pis s'il a du mal à marcher, tant pis si ses cellules lui hurlent toutes de s'arrêter, tant pis s'il doit s'accrocher à ce qui l'entoure pour n'pas tomber. Il est prêt à partir sans se retourner, encore une fois.

« Crève. »

Qu'il crève puisqu'ils peuvent pas s'entretuer, puisqu'ensemble ils peuvent pas exister.
Qu'il crève parce que Seven veut pas l'faire en premier.

Le souffle court il coupe sa respiration, y’a encore l’adrénaline dans ses veines, comme chaque foius qu’il cogne. Seven qui se débat qui s’apprête déjà à partir. Rhoan il voit rouge, c’est tellement facile, avec Seven c’est comme une alarme à chaque fois, une alarme qui hurle dans sa tête qui fait vibrer le bout de métal dans son crâne et qui allume tous les voyants, qui lui donne à chaque fois envie de montrer les dents. Il se jette presque sur lui en entendant les pas les bruits de traque qui viennent du haut, la main plaquée sur sa bouche pour le faire taire, la poigne autour de lui pour l’immobiliser, comme s’il était son prisonnier. « Tu restes là. » et il grogne il aboie même s’il chuchote, les mots acerbes lancés comme des insultes jusqu’à déchirer la chair d’un coup de mâchoire parce qu’il sait pas faire autrement Rhoan, parce qu’il a jamais appris à rassurer à dire reste à s’inquiéter et qu’avec Seven c’est pire. Pourtant dans sa cage thoracique, au fond tout au fond bien planquée y’a une boule qui lui donne envie de gerber, qui s’agrandit quand il repense aux poings du type sur lui, qui lui donne envie de tout cogner. « J’te jure si tu nous fais repérer j’te défonce et tu regretteras de pas être resté dehors avec ces types. » En haut ça cogne mais il n’entend pas de porte s’ouvrir à la volée, rien de brisé, juste son souffle chaotique et celui de Seven contre sa paume. Puis à travers le soupirail, les pas s’éloignent. « On va les trouver et les buter ces fils de pute », il entend tout comme s’ils étaient trop près. Et il n’a pas peur de se battre, il a peur du nombre, de ne pas faire le poids lui qui s’est pourtant déjà cogné à plus fort que lui. Seven a déjà l’air d’un cadavre, il serre son poing libre. Il le laissera pas retourner dans le brasier, il le laissera pas se faire buter. Il a des réponses à avoir, il a encore des coups à donner. Ses mots lui ont fait mal parce qu'il a raison. Il aurait pu le buter, y'a eu son canon dans sa bouche, ses coups répétés. Il a jamais réussi à le tuer, il s'en sort toujours, il glisse entre ses doigts. Et il sait que c'est parce qu'il n'y met pas assez de bonne volonté, parce qu'au fond, il continuera toujours à l'épargner. Ça le fait rager. « Et si j’crève, tu crèves aussi. » Puisqu’ils sont bons qu’à se détruire, à chaque fois. Les yeux de Rhoan s’adaptent à la pénombre petit à petit, il voit une table renversée, un espèce de fauteuil, quelques instruments chromés qui brillent sans comprendre quoi exactement et il ne peut pas s’approcher pour vérifier, y’a toujours Seven retenu par sa poigne il croit même qu’il a enfoncé ses ongles dans son bras. C’est pas qu’il veut pas qu’il parte.
C’est qu’au fond, il veut pas qu’il crève.
Il est pas encore prêt à le laisser crever.