T’as déconné. Tu l’sais que t’as déconné. Mais t’y croyais vraiment. Qu’on venait de t’foutre un piège. C’est ça aussi, quand tu vis au milieu de ton monde à toi. A vent des coups de feu et des billets volés. Tu te fais pas que des amis. T’es trop chiant pour ça. Trop insoumis. Trop instable. Donc oui, t’as cru qu’on t’avait envoyé dans les eaux dangereuses. T’as juste essayé de frapper en premier pour ne pas te faire baiser. Et pas de la bonne manière. Mais maintenant que t’as compris qu’elle était juste une gamine comme toi, juste un peu différente, tu t’en veux. A croire que t’as quand même un coeur. Quelque part. Dissimulé derrière une bonne dose de conneries.

Tu sais pas vraiment ce que tu fous là. Devant cette maison que t’as visité il y a une dizaine de jours. T’as pas tellement réfléchis à ce que t’allais dire. De toute façon, elle va probablement juste te jeter salement. T’aurais surement fait pareil pour être honnête. Tu soupires légèrement, passant la main dans tes cheveux en jetant un petit coup d’oeil derrière toi. Ok. T’as l’air d’un taré à juste rester planté là. Tu sonnes. Ca s’trouve, elle est même pas là. Ou c’est un gros bonhomme qui va t’ouvrir pour te péter la gueule pour avoir fait du mal à sa fillette. Mh… T’imagines trop de trucs. La porte s’ouvre et tu te surprends à retenir ta respiration comme un idiot. Mais non. Ce sont simplement ses cheveux blonds qui apparaissent dans l’embrasure de la porte. « Hum… Hey… » Tu passes ta main sur sa nuque, faisant un petit sourire gêné. C’est tellement loin de tes habitudes. Nora rigolerait bien si elle te voyait tient. « J’venais pour m’… » excuser. T’as jamais été très bon pour dire ces mots. Trop fier pour ça. Pour s’abaisser à s’excuser. « … pour vérifier que ça allait … » Excuse bidon. Ca sonne tellement faux entre tes lèvres. Tu retires ton sac à dos d’une de tes épaules pour fouiller à l’intérieur et en sortir une bouteille de vodka. « J’me suis dit que c’était quand même mieux que des fleurs toutes moisies … » Drôle de façon de t’excuser. Pourtant, c’est la tienne. Et tu penses pas vraiment pourvoir faire mieux. Tu lui tends, lui faisant un sourire un peu maladroit, espérant sincèrement qu’elle essayera pas de juste t’exploser la bouteille à la gueule.

Tu t’fais accueillir comme un chien. Faut dire tu t’y attendais plus ou moins. Faut dire, t’as un peu été un con la dernière fois. Pour le coup, même toi tu l’admets. Mais c’est elle aussi. Elle prête confusion avec son fauteuil roulant et sa capacité à se lever. Mais non. Il parait que c’est pas feint. T’y crois maintenant. Elle t’en aurait collé une depuis longtemps sinon. « Et ne pas voir ta jolie bosse, ça aurait été dommage ! » Tu joues la carte cynisme. La carte humour noir. Ce genre de trucs, ça passe ou ça casse. Mais il faut être honnête, accompagné de vodka, ça passe toujours mieux. Elle l’attrape, l’observant un instant avant de soupirer puis de te laisser entrer. C’est beau la magie de l’alcool. Tu savais bien que remplacer les fleurs par une bouteille de vodka c’était une bonne idée.

Tu entres à l’intérieur. Ca parait différent de la dernière fois. Plus grand. Peut-être parce que, cette fois ci, tout est noir. Comme si personne ne vivait réellement dans cette maison. Ou bien que cette personne se cachait des autres. Mais tu te contentes de la suivre, passant sa chambre pour aller dans la cuisine. « Tu mets quoi dans ta vodka d'habitude ? »  Tu hausses les épaules. A vrai dire, la vodka, c’est pas ta préféré. T’as plus tendance à t’égarer vers le rhum ou le whisky. Ou bien la tequila. La vodka, c’est un peu le dernier recours des alcool forts. Tu sais pas trop pourquoi. Peut-être parce que, justement, tu ne sais jamais vraiment avec quoi le mélanger. Tu trouves ça dégueulasse avec le coca. Et avec le jus d’orange, franchement, c’est pas dingue. Mais quitte à boire de l’alcool pur, tu préfères autant le whisky. Du coup, ne sachant pas bien quoi répondre, tu lâches un peu connement « Un peu plus de vodka ? » Tu lui souris vaguement, l’observant se déplacer dans son fauteuil. T’es toujours pas très confortable avec ça. Et tu te sens idiot de le ressentir. Mais c’est là. Pourtant, d’habitude, t’es toujours le premier à te foutre de la différence. T’en sais rien. Ptête parce que tu trouves ça triste. De voir une jolie fille comme ça dans un truc aussi moche. Tu l’observes te servir un verre remplis, éclatant de rire lorsqu’elle te le tend. « Bah putain, t’y vas pas à moitié toi » Mais tu le prends quand même avant de le tendre vers elle « Cheers » puis jusqu’à tes lèvres. Tu grimaces légèrement en sentant l’alcool couler le long de ton oeusophage. « … Tu vis toutes seule ? » C’est pas vraiment que ça t’intéresse. Mais ça t’intrigue. Comment elle fait si elle est toute seule ? Ca doit pas être évident dans une chaise roulante.

Tu peux presque voir la douleur se matérialiser sur son visage. Pas une douleur physique. Non. Simplement la douleur de l'écrasante vérité. De cette amie fidèle et pourtant si fourbe. Cette putain de solitude. Tu regrettais presque d’avoir posé cette question qui se voulait pourtant innocente. Parce qu’en vrai, t’as aucune idée de c'que t’es censé répondre. T’as jamais été du genre compatissant. Tout le monde a son dose de merdes. Certains plus que d’autres, c’est vrai. Mais à ce niveau la, il faut avouer que tu te démerdes pas mal. T’enchaines les emmerdes. Les mauvais choix et les coups du sort. C’est le mélange des deux qui fait que t’as plus tellement d’endroit où vivre. Tu te la joues squatteur, passant du matelas de Nora au lit de Soan. “Pas cool…” Commentaire à la con. Tu portes ton verre à tes lèvres, comme pour justifier que tu n’as rien d’autre a dire. C’est pas moi, c’est la vodka.

« C'est sympa d'être venu. » Tu hausses vaguement les épaules.C’est pas comme si t’avais énormément d’autres truc a faire. Et puis, il faut l'avouer, ça t’a foutu un peu mal de la cogner pour rien. T’es peut être con, mais t’es pas violent pour rien. Quand tu frappes, c’est sur des gens qui peuvent te frapper en retour. Fille ou garçon d’ailleurs. Pour ça, on peut pas dire que t’es macho. Si une fille est capable de t’en foutre une, tu vois pas pourquoi tu te retiendrais à lui rendre la pareil. Mais frapper des gens juste pour les voir morfler, non merci. Tu poses ton regard sur elle lorsqu’elle te demande tes préférences en musique. Tu t’en fou. Qu’elle mette bien ce qu’elle veut. T’aimes beaucoup la musique, mais tu t’y connais pas tellement. T’as tendance à simplement écouter ce qui te passe sous la main. Sans vraiment te poser plus de question. « Comme tu veux »

La soirée fait doucement son bout de chemin à la lumière de l’alcool qui coule dans vos veines. Les rires raisonnent dans les murs vides avant de s’y perdre un peu. Et tu perçois parfois cette lueur triste dans son regard. Comme si elle était prête à éclater en sanglot. Ou éclater tout court. Et finalement, l’alcool baissant toutes les barrières, tu finis par demander « Comment t’as atterri dans s’te chaise ? T’en avais trop marre de marcher ? J’peux comprendre au passage » Tu ris comme un idiot. Pourtant, t’en penses pas un mot. T’en crèverais toi, dans une chaise roulante. T’en crèverais parce que t’aimes beaucoup trop vagabonder. Et te battre. Défier le monde du haut de ton mètre quatre vingt dix. Nan, plutôt crever que de te retrouver cloué dans un chaise.

Tu t’souviens des photos dans sa chambre. Tu t’souviens l’avoir vu sur un cheval. Tu t’en souviens parce que tu t’étais dis que c’était quand même grave bizarre pour une fille en fauteuil de faire du cheval. T’avais pas vraiment réalisé à ce moment là qu’elle pouvait un jour avoir été normale. Enfin … si on pouvait considéré être dans une chanson comme anormal. T’as jamais été très bon pour définir le normal de l’anormal. Peut être parce que t’as toujours joué avec les limites de la normalité. A être trop loin de ce qu’on attendait d’un gosse et pourtant si proche de l’image de l’orphelin en colère qu’on pouvait imaginer.

Tu hausses les sourcils lorsqu’elle avoue que l’accident n’était si accidentel. Que tout était la faute d’une fille. D’une salope comme elle le disait si bien. « Elle devait pas beaucoup t’aimer » T’as cette façon de dédramatiser la situation avec une connerie. « J’espère que tu lui as crevé les yeux après » C’est ce qui t’aurais fait. Sincèrement. Suffit de voir tes plans fourbes pour faire tomber le gamin que ton père a pris sous son aile pour s’en rendre compte. Tu relèves les yeux vers elle lorsqu’elle dit que si elle le pouvait, elle foutrait son fauteuil aux ordures. Tu hausses vaguement les épaules. Et ton âme de joueur s’éveille. C’est probablement pas très sain. Voir carrément malsain. Mais t’as déjà ingéré trop d’alcool pour te rendre compte que ça pourrait mal finir. Une nouvelle fois. « J’suis sur que tu pourrais. Tu t’lèves déjà ! » C’est con. Parce que tu sais rien de ce qu’elle vit. De la douleur qu’elle peut ressentir lorsqu’elle est debout. Mais ça, ça te passe au dessus de la tête. Tu ris doucement lorsqu’elle change de sujet et s’allume une pote. Et dans un sourire, tu la lui piques des mains pour la porter à tes lèvres et tirer une taf. Un petit sourire malicieux et tu viens la porter de nouveau à ses lèvres à elle, la lui rendant innocemment. Puis tu rigoles doucement à sa question. Parle moi de toi. Pas vraiment quelque chose que tu fais en général. Ou du moins, pas sérieusement. Tu dis des conneries pour te vanter un peu, mais oh grand jamais tu ne parles du vrai toi. Et puis, la réponse à sa question n’a rien de très amusante. Si t’es là, c’est parce que t’y es né et que t’en es jamais parti. Et puis, mine de rien, toi tu l’aimes bien cette ville. T’y as tes petits repères. Et puis y’a Nora. Ya Lachlan aussi. Même si t’es plus sur que ça soit une bonne chose ou non. Y’a globalement tous les gens que tu connais. Et tu te vois pas tellement te barrer comme ça. Tu hausses vaguement les épaules, lui avouant simplement l’ennuyante vérité « J’suis né là et j’suis jamais parti ». Tu te contentes de sortir une de tes clopes à toi, lui piquant son briquet pour l’allumer. Et innocemment, tu glisses le briquet dans ta poche. Sale habitude de voleur.

« Ça te dit que l'on commande des pizzas ? T'as faim ? » Tu souris. Carrément. Tant que c’est elle qui paye … Parce que tu roules pas tellement sur le fric en ce moment. Le trafic d’armes trainent un peu et Nash a pas de quoi te payer des milles et des cents au bar. Alors même si tu files plus de fric à Peter, tu restes un peu à sec. Même carrément à sec, il faut l’avouer. « J’crève la dalle » C’est vrai d’ailleurs. Faut dire, t’as pas bouffé le midi. « N’importe quoi sauf de l’ananas ! » Tu la regardes chercher son téléphone des yeux avant d’ajouter « Sérieux, faut être tordu pour mettre de l’ananas sur une pizza ! » Puis voyant que son téléphone n’étant pas là, tu finis par sortir le tient, soufflant en souriant « C’est ça que tu cherches ? » Tu mets ta main en l’air avant de la défier avec malice. « Met toi debout si tu l’veux ! J’suis sur tu peux ! » Tu ris doucement. Trop bourré. Trop con.