Un vieux rock qui grésille de la radio que son père lui a offert avant qu’elle ne revienne à Savannah. La fenêtre est grande ouverte. Serena n’aime pas le silence total. Faut qu’il y ait de la musique ou au moins les sons d’une vie pas loin. Des oiseaux. Des klaxons. Des voix qui s’emportent. Peu importe. Ça la réconforte. Comme le carillon suspendu à la fenêtre qu’elle a ramené du Tibet et qu’elle ne lâche pas des yeux. Téléphone dans une main, joint dans l’autre. C’est déjà le deuxième, mais celui-ci n’est pas médicinal. C’est le normal. Le classique, moins les herbes spéciales de la concoction qu’elle a l’habitude de demander à Seven. Elle observe la fumée rencontrer les tiges de bambou, puis se décide enfin à écouter le message vocal en attente depuis deux jours sur son téléphone. Madamesoille Gianelli, ici le St Joseph Hospital. Encore. Nous avons vos résultats d’analyse depuis quelques temps déjà et vous avez dû recevoir une lettre. Son regard échoue sur le dit-courrier posé sur le bureau, mais c’est plutôt comme si elle ne le voyait pas. Il faut vraiment que vous preniez rendez-vous pour qu’on en parle. Rappelez-nous. Elle raccroche. Soupire. Éloigne d’un revers de main las le bout de papier, cherchant à l’enfouir un peu plus entre les croquis qui traînent. Message effacé. Problème reporté. Téléphone abandonnée dans son foulli de papier. C’est plus la peine tout ça. Ça va mieux. Elle n’a plus ces épisodes douloureux qui la renvoient quatre ans en arrière. Et c’est pas parce qu’elle fume largement plus de ces bâtonnets miracles. Même si à vrai dire, l’idée d’enrichir ce petit con de Popescu trace l’ironie sur ses lèvres. La douleur des uns en enrichit toujours d’autres ? Bref. C'est passé.
Mais depuis ce matin, elle s’ennuie, tourne en rond, s’occupe sans grande concentration. Absente. Si elle devait dire à quoi elle pense, la réponse serait probablement “rien”. Le vide. Elle ne fait qu’hésiter. Dessiner. Coudre. Sortir. Dormir. Elle a fait un petit peu de chaque, et ça manquait cruellement de couleurs et de saveurs tout ça. C'est pas habituel ce besoin de distraction qui ne trouve pas satisfaction. C'est avoir faim, mangé et ne pas être rassasié. Elle devrait définitivement ressortir. Aller bosser au Smoking Dog ou passer au Troisième Oeil pour papoter avec Madame ou Robin. Mais redressée, déjà en mouvement, elle a finalement changé d’avis et file vers sa salle de bain dans l’optique de se faire couler un bain dans ce qui ressemble plus à un cube qu’à une vraie baignoire. Les fesses posées sur le rebord, le joint au bec, à mesure que l’eau monte, Serena y ajoute les huiles essentielles qu’elle a l’habitude de porter. Un peu de bergamotte citronnée. De l’orange et de l’abricot. Les parfums la font déjà voyager dans la maison familiale à Naples quand elle joue à créer des clapotis. C’est le déraillement de la radio qui la tire de sa rêverie et l’oblige à revenir dans la pièce principale et multifonctions. Ce truc va finir par rendre l’âme à force d’être secoué pour fonctionner. Puis finalement, la blonde réussit à se concocter un p’tit programme tranquille. Posée sur un tabouret, la radio est rapatriée dans la salle de bain pour accompagner le bouquin et la bouteille de tequila. Mais c’est quand elle farfouille encore dans ses affaires que l’on vient frapper à la porte. “C’est ouvert !” Réponse automatique. Imperturbable dans sa recherche, elle persévère sans se soucier de qui rentre chez elle. Serena a adopté les coutumes des pays qu’elle a traversés. Mais les gens continuent de frapper avant d’entrer. C’est pas normal selon ses principes. Elle leur a déjà dit pourtant. Mais c’est pas grave. C’est vite oublié. “Hey Atlas… Tu vas bien ?” Le sourire gourmand revient au galop en l’apercevant. Elle a l’impression que ça fait longtemps qu’ils ne se sont pas vus. L’embrassade est là, avec le même fondant que d’habitude. Peut-être même plus chaleureux que d’ordinaire. Parce que, décidément, elle est pas faite pour vivre toute seule. De plus en plus. Elle a besoin que d’autres être gravitent autour d’elle pour se sentir elle-même plus vivante, plus joyeuse. Elle est peut-être bien trop partageuse, mais c’est un cercle vertueux pour une fois, non ? “Oh merde attend ça va déborder !” Contact écourté, la blonde file refermer le robinet central. “Quoi ?”, demande-t-elle en rivant ses yeux aux siens, après une pause contre l’encadrement de la porte dégondée. “Interdiction de se moquer de mon programme plan-plan. Sinon tu n’es pas invité dans ce superbe cube aquatique.” La fierté faussement touchée qui roule sur sa risette. “Sérieusement. Tu peux rester. J’ai à boire. Je peux trouver un truc à grignoter si il faut...” Et son regard repart grignoter ailleurs. “Oh mais j’ai un truc qui pourrait te plaire. Faut que je le trouve. Attends un peu...” Ça y est la bougeotte revient comme un souffle dans ses mouvements un peu précipités, presque comme si son corps disait vite, vite, faut profiter d’être en vie.