✧ 01 On dirait pas qu’elle vient d’une famille pétée de thunes quand elle s’traîne en jogging à l'appart', quelle fait sa paresseuse ou quand elle arpente les couloirs de la fac comme n'importe quel étudiant. On croirait pas que son père est un magnat du pétrole qui cherche à se diversifier et que sa mère dirige la fondation de cette même compagnie. Ouais non, ils sont cool et simples les Al Shaikhly. Y a peu de gens qui savent exactement ce qu’ils font dans la vie d'ailleurs. Mais dans le milieu, ils sont réputés pour leur pragmatisme et leur sérieux. Impartiaux et très ouverts. Quoique sachant très bien et très subtilement appuyer là où il faut pour obtenir ce qu’ils souhaitent. L’habitude de côtoyer des politiciens et lobbyistes certainement. Bien sûr, la famille a été décriée de tous les côtés : traitre à leur pays pour les uns, portefeuille de terroristes pour les autres. Les raccourcis sont vite faits pour les esprits étriqués. Surtout quand rien n’est vrai. On peut se faire de l’argent sans vendre son âme au diable. D’ailleurs, y a pas plus occidentalisés qu’eux. Et y a pas plus généreux qu’eux. Ils ont fait le choix d’adopter tous leurs enfants. Les trois frères de Nur ont aussi été adoptés là-bas, en Irak, tous sortis de la guerre et d’ses débris. C’est la petite dernière, la seule fille de la fratrie, à la fois chouchoutée et constamment emmerdée, surveillée. C’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui encore, quand on ne l’entend pas, elle tape du pied. Mais oui sinon, les parents sont cool, vraiment. Ils sont même à la page côté technologie. Ils donnent sans compter à leurs enfants. Nur sent bien que son père n’est pas forcément le plus à l’aise avec elle, mais l’envahissement maternel compense. Ils sont un peu trop parfaits en somme. Elle les trouvera certainement moins cool quand ils essayeront de lui présenter un futur mari… ✧ 02 Étrangement, elle dit rien quand on la traite de sale arabe, ou pire. Quand les voisins la regardent d’un mauvais oeil ou quand la police se méfient. Quand les contrôles d’identité se succèdent avec la même suspicion. Elle dit rien quand on la traite de pervertie. Les “on” qui viennent des deux camps, elle les a entendu comme ses parents et elle les entends encore. Parce qu’elle n’a vécu dans “son pays” que jusqu’à ses six ans. Y a été pour quelques vacances. Parce que ses parents ont tenu à ce qu’ils connaissent un minimum. Parce qu’ils leur ont toujours laissé le choix de croire en ce qu’ils veulent, de la façon dont ils le veulent. Nur pique d’ailleurs des rituels dans tout ce qui lui plaît. Mais ça la blesse quand même. Plus encore quand c’est un patient qui la rejette. C’est là où c’est le plus difficile. De pas tout envoyer valser et de retenir un “bah va crever !” qu’elle ne pense pas. ✧ 03 Nur a toujours eu une curiosité maladive, jusqu’au besoin scientifique de savoir pourquoi et comment. Faut tout décortiquer en vrai si ça ne fonctionne pas assez bien rien que dans sa tête. Elle veut comprendre. Elle dévore les bouquins avec une rapidité étonnante. Petit ogre de connaissances, sa mémoire effarante lui a permis de ne jamais redouté les études. La théorie c’est presque trop facile, mais elle adore encore plus passer à la pratique et se mettre au défi de faire face à la réalité. Ses expérimentations ont permis de redécorer quelques pièces de la maison à plusieurs reprises et son frère le plus proche porte fièrement quelques marques dont elle est à l’origine. “Ce ne sont pas des cicatrices, ce sont des histoires !” Qu’elle justifie encore.✧ 04 “Le corps est bavard et se délecte à exprimer tout haut ce que l’on vit tout bas.” C’était son premier indice avant de vouer une vraie passion pour la médecine et la science. Ça vient de sa mère qui tentait de la rassurer alors que l’un de ses frères tombait souvent malade. Le second indice fut clairement plus parlant. Cours de dissection : la grenouille en cobaye. Elle est tombée amoureuse du scalpel. En quelque sorte. Puis, plus tard, c’est un reportage hommage aux héros du 11 septembre qui lui a donné envie d’être prête pour tout ce qui pourrait arriver et pour ne jamais avoir à laisser quelqu’un derrière elle en détresse. Elle n’arrivera jamais à abandonner qui que ce soit. C’est peut-être ce qu’on appelle une vocation, mais c’est assurément le reflet de son éducation. ✧ 05 Elle adore être à l’hôpital. Même si c’est éreintant physiquement et psychologiquement, ça reste passionnant. Son caractère piquant a remis à sa place quelques médecins arrogants dès le premier stage. Les infirmières l’ont à la bonne depuis ce jour, mais globalement, elle a le contact facile et sait obtenir les meilleures cas à force de persuasion et de négociation -une vraie couleuvre. Nur est l’une de celle qui résiste le mieux à la pression, notamment aux urgences où elle aimerait passer plus de temps, car c’est là où les plantes vertes ont le plus de chance de passer à l’action. Son esprit vif, méthodique et tenace y est certainement pour quelque chose. Tous les trucs dégueu et le trop-plein de sang ne l’effraient pas. Ça en a déçu plus d’un. Elle rêve aussi de passer plus de temps sur le terrain auprès des ambulanciers pour voir ce que c’est, mais c’est pas pour tout de suite. Elle ne sait d’ailleurs toujours pas quelle spécialité choisir l’année prochaine, il y a tellement de choses à explorer, ça serait sans fin. Son indécision commence un petit peu à l’inquiéter. ✧ 06 À la coloc’ depuis 3 ans, elle cuisine comme un cordon bleu. Pas de spécialités, elle teste tout, de toutes les inspirations du monde, et parfois des trucs plutôt compliqués. Si ça ne fonctionne pas en médecine, elle pourra certainement se reconvertir en chef. Du moins, c’est ce qu’elle se dit. Et toute la coloc’ en profite. En revanche, il ne faut pas compter sur elle pour ranger et nettoyer. Elle sème ses petites affaires dans tout l’appart et même dans les chambres des autres. Le pourquoi du comment reste un mystère. Les araignées de la coloc’ : il est interdit de les tuer sous peine de se voir empoisonné. ✧ 07 Elle a de drôles de fascinations, un brin contemplative : les plantes vertes mais surtout les cactus, les jeux d’ombres et de lumières, les parfums et senteurs d’ailleurs, les couteaux de vieilles manufactures, les films d’horreur, le feu, les cigares, et tellement d’autres choses qu’il serait impossible de tout lister. ✧ 08 Nur aime les fêtes métissées et chaloupées. Elle préfère quand on s’embrasse entre potes pour se dire bonjour, elle préfère quand on s’embrasse entre copines échevelées et rieuses, quand on s’embrasse entre amants incertains. Fière de cette mixité dragueuse, de ces corps décontractés, de ces peaux multicolores à frotter fort les unes contre les autres comme le font les chamois quand ils ont du chagrin. Fière de ces désirs qui jettent le voile, qui se décagoulent. Bref, c’est une fêtarde invétérée. On se demande souvent comment son petit corps peut tenir debout avec autant d’alcool dans l’sang. Elle préfère d’ailleurs ça aux drogues qu’elle consomme avec parcimonie, préférant vendre les médicaments qu’elle pique à l’hôpital. Mais c’est pas à cause de la pression qu’elle fait la fête et se lâche, parce qu’elle gère plutôt bien, c’est juste un exutoire comme un autre à ses sentiments qu’elle met en réserve jusqu’à l’explosion. Elle a intégré la Korpo de la fac et organise les soirées médecine avec Artie, l’un de ses colocataires. ✧ 09 Amie fidèle à qui on peut tout dire, auprès de qui on peut tout cacher, Nur est une tombe.  me de parieuse, entre deux cas ou deux cours, ça lance des défis ridicules et complote blagues sur blagues avec la complicité de qui veut. ✧ 10 Nur paraît peut-être un peu autoritaire -trop sûre d’elle. Parfois, elle s’exprime trop, prend trop de place, trop envahissante, trop sociable et la seconde d’après, elle se referme dans son bunker. Sensibilité de merde ! Elle peut faire peur aussi quand elle crise et casse et pleure, mais elle a un grand coeur, toujours fébrile, quoique bourré de contrastes et de mauvaise foi, mais il est bien en place, battant drôlement fort pour tous ceux qui l’entourent. Elle est prête à tout pour eux, surtout à les sauver. Mais chut, faut pas trop l’dire.