Les pétales carmin suintaient d'une rosée légère, comme pleurant le froid qui les malmenait. J'étais de l'autre côté de la rue depuis vingt minutes déjà, sans aucune indication, aucun signe quelconque de la part d'une puissance supérieure qui me pousserait à appuyer sur la sonnette. Juste au niveau du bouton indiquant un nom entendu tout au long de ma vie. Sept lettres marquées d'une manière aussi indélébile qu'au fer rouge sur ma peau. Popescu. Rien n'avait changé ici, comme marqué d'intemporalité. Les mêmes rideaux aux fenêtres, les mêmes merdes sur la véranda. Les volets auraient mérité un bon coup de peinture et les gouttières d'être déblayées, mais je reconnaissais bien le berceau de mon existence. La maison maudite, antre de malheurs indélébiles et profondément cachés.
Le détective privé que j'avais engagé m'avait fourni toutes les informations nécessaires. Qui était où. Faisait quoi. Fréquentait qui. Chacun des dossiers avaient soigneusement été étalés sur mon bureau, puis y étaient restés pendant plusieurs jours. J'étais passé et repassé devant sans parvenir à me décider car chaque choix présentait ses avantages et inconvénients. Seven me paraissait une option acceptable dans l'ensemble, mais trop de paramètres inconnus se croisaient. Elena risquait de m'ignorer et me claquer la porte au nez. Iulia piquerait certainement une crise sans précédent avant de froidement m'évincer. Quant à Mihaïl il y avait peu de chances qu'il ne parvienne à me reconnaître. Finalement la photo qui m'avait sauté aux yeux, qui s'était démarquée avec logique des autres avait été Anca. Anca la douce. Anca tout sourire avec ses yeux de biche sombres. Anca dont le visage perdait ses rondeurs d'enfance pour devenir celui d'une femme. Anca aimait les fleurs.
Je crachais l'ultime bouffée de ma blonde, qui me laissait plus d'autre choix que d'y aller. De totue manière je tolèrerais pas de tourner les talons. Quand on s'appelait Valerian, qu'on était devenu psychiatre à la force des phalanges, qu'on survivait à un Lucian, on avait pas d'autre option que d'affronter et maîtriser la panique. De tordre le cou à la vilaine peur avant de la dévorer pour en faire une arme. Jim avait été précis: en ce jour et à cette heure y avait personne à la maison. Si ce n'était elle qui depuis quelques temps ne sortait apparemment presque plus d'ici. Expirant un bon coup je poussais enfin le portail grinçant. Un long silence, plus long que n'importe quelle distance, y répondit. Jusqu'à ce qu'un klaxon affreusement terre à terre ne finisse par retentir en même temps que le claquement du verrou qui se refermait derrière moi. Abasourdis je me mis à escalader la volée de marches d'un pas lent, chancelant. Le discours soigneusement répété, les phrases préparées à l'avance, tout ça se mélangeait sous mon crâne ne formant plus qu'un magma infâme. L'évidence s'évaporait au fur et à mesure que je m'élevais pour parvenir devant la porte close. Je toquais. Trois fois. Précisément sans hésitation. Alors qu'une nouvelle fois le silence s'étirait de manière interminable. Et puis j'entendis sa voix. Exactement comme je me l'étais imaginé, presque tous les soirs dans ce moment de solitude imposante avant de basculer dans le sommeil. Elle était légèrement voilée. Incroyablement délicate. Les voyelles carillonnaient dans une mélodieuse symphonie qui me tira un sourire éclatant. Voilà, dix ans après on en était là. Avec quelques centimètres de bois pour nous séparer, tout simplement. Le battant s'ouvrit pour laisser apparaître la silhouette fondamentalement changée de ma petite sœur à la mine réjouie. Je brandis mon bouquet devant moi, tel un bouclier. Une première preuve du désir de réconciliation. Qui vacilla devant la dégringolade du sourire de la jeune femme. Anca était belle. Ses cheveux arboraient des reflets auburns en parfait contraste avec sa peau de porcelaine. Au lieu de m'arriver au plexus, je pouvais maintenant poser mon menton sur le haut de sa tête. Je la dévorais des yeux, attentif à ne pas louper le moindre détail de sa transformation de laquelle j'avais été totalement absent. "Salut Poppy." fis-je d'une voix claire et infiniment affectueuse au visage dont les traits étaient encore incertains dans la pénombre de l'embrasure. La porte s'écarta encore, déversant la lumière crue du jour tranchant sur le visage tant espéré. L'amour qui m'animait se dissout instantanément dans un flot d'incrédulité. Elle-même engloutie sous le tsunami de fureur brûlante qui s'engouffra dans la moindre parcelle de mon corps. Deux syllabes me vinrent tête. Lucian. Quatre mots me poignardèrent l'esprit. Je vais le tuer. Des auréoles violettes venaient orner les pommettes aiguës, tranchant l'éclat laiteux de son teint. Ses lèvres, bien qu'en voie de guérison, m'apparaissaient tuméfiées, prêtes à se fendiller. J'avais quitté Anca y avait douze ans dans un contexte menaçant. Et je la retrouvais identique aux cauchemars qui m'agitaient parfois. Humiliée. Fierté volée. Bafouée. Sans m'en rendre compte, les tiges des roses sanguinolentes se brisèrent sous l'impact de ma poigne, pendant tristement dans le papier de soie. Image miroir de la si jolie fleur coupée qui me faisait face.
Dernière édition par Valerian Popescu le Sam 11 Mar - 20:12, édité 1 fois
Anca Popescu
petit poney
▹ posts envoyés : 2027 ▹ points : 56 ▹ pseudo : zoé (baalsamine) ▹ crédits : hoodwink(avatar) & sial(sign) ▹ avatar : Taylor Lashae▹ signe particulier : cicatrices sur tout le corps qu'elle tente maladroitement de cacher, souvenirs d'épisodes de folie désespérée. Une voix douce, des doigts de fées, une chaleur humaine parfois trop brulante. Syndrome du Saint Bernard qui colle au coeur.
Elle oscille Anca, dangereusement, lame dans la main comme un appel pour reprendre les vieilles habitudes. Une incision, toute petite, personne ne verra rien. Personne ne saura rien. Parce que c’est plus simple comme ça pas vrai ? Au fond qu’est-ce que sept ans de thérapie peuvent soigner quand on est aussi déglinguée qu’elle ? Pas grand-chose. Inspire, expire. Elle repose la lame à sa place, et soupire lentement. Elle est stupide. Tellement stupide. Mais tellement mal. Pourtant elle ne devrait pas, y a Jemmy maintenant, Jemmy et ses sourires, Jemmy et ses rires, Jemmy et son amour. Je t’aime. Il lui a dit. Mais y aussi Jemmy et ses poings, et la chose qui lui est rappelé chaque matin quand elle se regarde dans le miroir, quand elle essaye de camoufler ses bleus sous une épaisse couche de maquillage. Comme avant. Comme il y a sept ans. Retour en arrière. Non. Elle refuse. Pas question. Puis c’est différent pas vrai ? Cette fois ci c’est elle qui est en faute, c’est elle qui a tout fait foirer en couchant avec Michael plutôt que de rester fidèle. Elle la mérite, cette douleur. Putain ce qu’elle la mérite. Et c’est ça le pire. C’est ça que Seven ne comprend pas, ni sa mère, ni même le reste. Y a personne qui comprend. Pas même Junior, puis qu’elle l’a envoyé promené. Seul Michael aurait pu comprendre, ce besoin de punition. Mais encore une fois, elle avait coupé les ponts. Il n’y avait plus grand monde maintenant, qu’une maison trop vide hantée par sa mère et elle. Si fatiguant. Si usant. Elle était piégée Anca. Voila ? Piégée dans cette foutue bulle. Il n’y avait personne dans la maison, elle avait prétendu un mal de crâne pour éviter d’aller à l’église, laissant sa mère s’y rendre seule. C’était mieux comme ça, elle avait besoin d’un peu de calme, de silence, d’être seule pour essayer de se ressourcer. Puis la maison pour elle toute seule signifiait que Jemmy pouvait passer, et que ça au moins, ça illuminerait sa journée. Alors oui elle s’était faite belle, jolie robe et cheveux coiffés, elle avait cuisiné toute la matinée, avait tout préparée. Puis elle s’était rendue dans cette foutue salle de bain pour se maquiller, effacer les traces de leur altercation, de leur dispute. Comme si ça pouvait changer quelque chose, leur permettre de recommencer. C’est là où elle avait craqué, les yeux sur cette putain de lame de rasoir abandonné, et le ventre qui se serre encore et encore et encore. Comme un appel. « Merde » Et la sonnette qui résonne dans toute la maison, la ramenant brutalement à la réalité. « J’arrive ! » du moins elle essaye, claudicante dans l’escalier, le ventre encore douloureux même après les quelques mois de guérison. Elle ne pense pas à vérifier qui est-ce qui sonne, persuadée que c’est soit Jemmy, soit un voisin en manque de farine ou une bêtise du genre. Alors elle ouvre la porte en grand, sourire aux lèvres. « Je suis là ! » Mais son exclamation meurt bien vite dans la gorge quand ses yeux se posent sur la personne en face d’elle. Oh. Elle reste un instant interdite devant cet homme au sourire ravageur et au bouquet de roses. A cet homme qui lui rappelle des souvenirs d’enfants. Elle cherche Anca, elle cherche fébrilement dans tous les tiroirs de sa mémoire. Salut Poppy Sa voix. C’est sa voix qui fait tout vaciller. Et le monde d’Anca qui tout d’un coup vole en éclat. « Non. » toute petite. Elle a 11 ans à nouveau et se réveille un matin sans trouver son frère dans son lit. Elle a 11 à nouveau et elle vient de perdre la première personne de sa vie. Très vite suivit de Iulia et d’Elena, puis de Seven, de Tereza, et bientôt de Ioan et de Mihail. Bientôt il ne restera plus qu’elle et les parents. Puis plus qu’elle. Indéfiniment. Elle vacille Anca, sur le palier de la porte pendant que les pièces du puzzle se mettent en place. Et y a sa gorge qui se serre, ses yeux qui se remplissent de larmes et la douleur qui s’étale dans tout son corps sans prendre le temps de s’installer. Elle s’impose. « Non. Non. Non. Non. » Les appels en détresse quand elle avait 15 ans, les messages sans réponse et sa vie qui s’écroule. Je peux pas. Son absence, tellement cruelle, la pire de toutes. Parce qu’il n’a jamais répondu présent ; parce qu’il l’a abandonné quand elle avait besoin de lui. Encore pire que tous les autres. Encore pire que tout. Et les larmes, bon sang les larmes qui coulent. Et ses yeux qui se posent sur ce putain de bouquet, maintenant brisé dans les mains de son frère. « Pourquoi Valerian ? Pourquoi maintenant ? » Sa voix est minuscule. Elle est minuscule. Mais moins qu’avant. Elle a grandi en douze ans. Putain oui ce qu’elle a grandit. Elle est morte et revenue à la vie trop de fois pendant qu’il n’était pas là, trop occupé à se faire un nom loin d’eux, loin de ses foutues racines. C’est trop. « Mais t’étais où putain ? T’étais où quand on avait besoin de toi ? » Elle hurle maintenant. Trop fatiguée, trop usée de se faire malmenée, à bout de souffle, à bout de nerf, comme un fil usé jusqu’à la corde au point de se rompre. Et c’est ses poings qui s‘abattent sur le torse de ce frère, elle frappe Anca, de toute ses forces, parce qu’elle ne sait pas quoi faire d’autre pour pas étouffer. « J’ai plus besoin de toi. T’as pas le droit » Pas maintenant, pas quand tout bascule à nouveau. Il a pas le droit. Tout sauf ça. Elle a envie de le tuer, puis de se tuer ensuite, de plus rien ressentir, de partir, juste. Elle en peut Anca, de tous ces sentiments, de la douleur permanente, de la tristesse. Cette putain de tristesse qui n’en finit jamais.
Anca avait cinq ans et le sourire plein de fossettes. Anca et ses yeux plissés de bonheur. Anca qui me tendait un bouquet de fleurs champêtre qu'elle venait de ramasser au petit bonheur la chance. C'était la plus belles de fillettes de son âge, et moi du haut de mes quinze ans j'étais aussi fier qu'un coq d'avoir une petite sœur pareille. Personne n'avait intérêt à l'embêter. A y toucher. J'préférais plaider coupable pour ses bêtises auprès du paternel plutôt qu'elle soit punie. Dans ces cas-là Anca me regardait toujours avec de grands yeux larmoyants, désolée du fait que j'écope de la sentence mais consciente de l'ogueil qui m'animait. Si forte que j'pouvais pas m'empêcher de mettre un point d'honneur à pas pleurer quand la gifle claquait suivie de sa sœur jumelle. Elle était jolie Anca. Dans sa petite robe d'été blanche à poursuivre une libellule. L'enfance innocente qui émanait d'elle me mettait un baume apaisant au coeur. Je m'émerveillais de la regarder rire aux éclats alors qu'elle se cassait la figure. Puis qu'elle se tournait vers moi pour m’appeler...
"Pourquoi Valerian? Pourquoi maintenant?" Les syllabes prononcées d'une voix étranglée fracassèrent mon cher souvenir en milliers de brisures. Toutes s'enfoncèrent avec précision dans chaque centimètre carré de mon palpitant. Je vis le visage tant aimé se transformer en masque fendillé de fureur, m'agonisant de reproches informulés. Que m'étais-je imaginé? Que la gosse adorable que j'avais quitté allait m'ouvrir pour me sauter au cou en me demandant de l'emmener chez le glacier? Chacun des coups qu'elle se mit à assener comme une dératée, ne martelant pourtant faiblement la poitrine me confirmaient à quel point je me trompais. J'écarquillais les yeux de surprise, l'image de la fillette bienheureuse me tendant les bras se superposant encore à la femme devant moi. L'incrédulité laissa place à l'instinct alors que je lui attrapais les avants-bras pour la maintenir fermement contre moi. "J'suis là maintenant Anca." Typique d'un Popescu, songeais-je ne constatant les pétales écarlates froissées et piétinées sur le sol. On énonçait l'évidence sans même songer à s'excuser avant. Ça nous brûlait la bouche d'être désolé, de reconnaître à la face du monde qu'on avait des torts. Mais surtout j'avais peur de poser des mots là-dessus. Sur plus d'une décennie de néant. J'avais jamais connu de douleur plus atroce qu'aujourd'hui. Même pas quand Lucian m'avait cassé le coxis à coup de pointe de pompe. Même pas quand, un fois dans le bus en partance pour New-York, j'avais chialé comme un nouveau-né en me rendant compte de ce que j'abandonnais. Même pas quand Zita s'en était allée danser ailleurs, sous d'autres draps. Mes cellules avaient tellement mal que mon cerveau se montrait incapable de réagir réellement. J'pouvais que me souhaiter d'être foudroyé par un infarctus bienvenu qui mettrait fin à cette pitoyable entrée en matière. "Arrête!" m'exclamais-je en la serrant davantage dans mes bras, sans violence néanmoins pour ne pas risquer d'entacher sa peau avec une nouvelle rosace violacée "Calme-toi Poppy, merde!" L'un de ses poings crispés me parvint en plein dans l’œil me faisant tressaillir. "ANCA STOP!" J'avais sérieusement haussé le ton cette fois. La ressemblance vivace avec le paternel me frappa de plein fouet, rajoutant de l'acidité sur la plaie. J'me mis à parler d'une voix douce, de la même manière que je lui racontais des histoires étant petite. J'lui lâchais les poignets pour l'enfermer dans une étreinte fraternelle en lui caressant les cheveux, respirant avec délice son odeur si fleurie. J'en avais rien à foutre qu'elle ruine mon costume à 600$ en le barbouillant de fond de teint. Je rejettais pas sa réaction. Elle avait le droit, oh oui elle l'avait, de me frapper de tout son soûl si ça pouvait l'apaiser. Mais cette douce enfant le regretterait ensuite et je ne voulais pas lui procurer une nouvelle source de remord. Fallait que le cercle vicieux se brise. Qu'elle se serve pas de la méthode Popescu pour tout régler: jouer des poings jusqu'à laisser le problème agoniser par terre dans les bouillons de son sang. Fallait que ça cesse. Et puis je réalisais sa chaleur contre moi. Sa respiration haletante. J'étais pas dans un de mes foutus rêves, Anca était bien là, abîmée, fragilisée, mais vivante et daignant poser les yeux sur moi, même amplis d'incompréhension et de peine. De haine. "J'suis là Poppy maintenant." Quelques secondes de silence alors que je rassemblais mon courage pour balancer des mots dérisoires. Illusoires. "J'suis désolé." Val n'était plus un môme désœuvré et perturbé. Il était devenu un homme, avec son passé à porter et un homme assumait toujours les conséquences. La fuite n'était plus une option. Et voilà tout ce qu'on y récoltait en la laissant trop longtemps gangréner. J'aurais aimé lui expliqué mon gestes. Les détails. Ce poids d'aîné étouffant, la nuque à courber devant une autorité despotique qui entrait en totale contradiction avec mes principes. La soif de liberté brimée par cet avenir tout tracé et pitoyable qu'on m'offrait à vingt-ans. J'aurais voulus lui expliquer ce jour de mes dix ans où j'avais durement pris conscience, avec toute la clarté effrayante d'un enfant, que jamais j'pourrais rester toute ma vie dans les griffes du tyran. Exilé volontaire, j'étais parti sans un bruit, comme l'expiration d'un nouveau né, pour disparaître dans la nuit. Je m'étais reconstruit une identité pierre par pierre, jusqu'à obtenir une place forte assez solide pour résister aux ouragans. Et aujourd'hui mes murs étaient assez grands pour y abriter ceux que j'avais pitoyablement laissé derrière. A condition qu'ils veuillent y entrer. "J'suis désolé." répétais-je une nouvelle fois d'une voix plus assurée. Parce que même si j'allais peut-être le regretter je préférais laisser le pont-levis grand ouvert, quitte à être dévasté par un courroux terrible mais infiniment aimé.
Anca Popescu
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▹ posts envoyés : 2027 ▹ points : 56 ▹ pseudo : zoé (baalsamine) ▹ crédits : hoodwink(avatar) & sial(sign) ▹ avatar : Taylor Lashae▹ signe particulier : cicatrices sur tout le corps qu'elle tente maladroitement de cacher, souvenirs d'épisodes de folie désespérée. Une voix douce, des doigts de fées, une chaleur humaine parfois trop brulante. Syndrome du Saint Bernard qui colle au coeur.
Pourquoi ? Elle voudrait lui hurler toute sa rage au visage, toute son incompréhension. Disparue la gamine aux pas maladroits qui venait se réfugier dans les bras de son frère après une bêtise ou une crise de larmes. Disparue la gamine idolâtrant l’ainé, y a plus que du désespoir et de la déception dans son cœur maintenant. Alors elle crie Anca, elle frappe Anca mais il vient se saisir de ses bras pour essayer de la maintenir. Qu’il essaye seulement, elle en a assez de se faire diriger par des hommes qui se pensent plus important qu’elle. J'suis là maintenant Anca. La bonne blague. Elle voudrait rigoler si elle n’avait pas la gorge aussi nouée. Si elle n’avait pas autant envie de pleurer. Parce que c’est vraiment hilarant. Après Elena, Valerian ? Le retour du fils prodige ? Ils se sont donné le mot pour faire le défilé des gens décevants ? « c’est trop tard ! Tu comprends ça ? Trop tard ! » Elle a grandit maintenant, elle s’est construit une putain de carapace pour se protéger du reste du monde, pour se protéger de la violence, de la douleur. Pour s’enfermer aussi, sans que l‘extérieur ne puisse l’atteindre, pour l’attaquer…Ou pour l’aider. Alors elle se débat Anca, elle frappe, sans vraiment regarder où, comment, essaye de se libérer de l’emprise des mains de son frère. Parce qu’elle étouffe maintenant, quand on lui enserre les poignets. Elle y trouve plus rien de rassurant dans ce geste, juste des flashs de souvenirs désagréables, de goût d’hémoglobine sur la langue et dans les dents. Arrête non, elle sait pas. Calme-toi Poppy, merde! Instable, hostile. ANCA STOP! Et le cri qui claque dans l’air, la figeant sur place. Elle se recroqueville presque, attendant la suite, l’engueulade, les cris, les coups. Comme si c’était normal maintenant. Comme si c’était devenu son quotidien. Elle retient son souffle, serre les dents, mais c’est les bras de son frère qui s’entourent autour d’elle pour l’attirer contre lui. Pour la calmer. La rassurer. Elle pourrait y prendre goût. Elle se laisse aller. Un instant de faiblesse qu’elle contre rapidement. J'suis là Poppy maintenant « Ca change rien » qu’elle persifle étonnée par sa propre rage, par sa propre colère. Sans doute qu’elle est trop fatiguée, trop loin dans le noir pour essayer de comprendre, de sourire, de se réjouir des retrouvailles avec le frère qu’elle avait toujours considéré comme un modèle. S’il avait réussi pourquoi pas elle ? Hein ? Elle aussi avait rêvé d’un avenir en or, chirurgienne de génie au futur brillant. Mais le destin en avait décidé autrement. Aujourd’hui elle n’allait même plus en cours pour son diplôme d’infirmière et était incapable de chercher un travail. Aujourd’hui elle passait ses journées dans son lit à attendre le moment où Jemmy venait pour éclairer sa journée. J'suis désolé Elle étouffe un hoquet, mélange d’indignation et de surprise, serrant les poings, fermant les yeux. Il a pas le droit. Pas le droit de chercher à se faire pardonner. Il a pas le droit tout simplement. Et tous les autres seraient d’accord avec elle, quoi que, elle doit sans doute être celle qui s’en préoccupe le plus dans cette famille de déglingués. J'suis désolé. Elle s’écarte de lui et lui fait signe de rentrer dans la maison en silence. Pas besoin de montrer au reste du monde la tempête qui gronde au sein de cette famille, ils sont déjà assez stigmatisés comme ça, alors pas besoin d’en rajouter. Elle referme la porte et s’y adosse, les bras croisés elle défie Valerian du regard. Bon sang ce qu’il a changé, adieu l’adolescent qu’elle a vu disparaitre du jour au lendemain, elle a en face d’elle un homme. Mélange subtile de Lavinia et de Lucian, à en faire tourner les têtes avec son costume luxueux et ses cheveux coiffés à la perfection. Un Popescu d’un univers parallèle. Non. Plus un Popescu. Plus du tout. « Désolé pour quoi Valerian ? » Sa voix est tremblante mais ses mots se veulent secs, comme pour prouver qu’elle est devenue de glace, plus la gamine brulante qu’elle était avant. Tu parles. Impossible. Mais il ne le sait pas « Désolé de ne pas être venu quand j’avais besoin de toi ? Désolé d’être parti sans un mot ? Désolé de ne même pas être venu au procès de Iulia ? Ou tout simplement me visiter à l’hopital quand j’ai essayé de me tuer ? » Elle tremble complètement maintenant, bouffée par les souvenirs qui reviennent en rafale. « Désolé d’avoir été aussi égoïste ? » Soudain une sonnerie la fait sursauter. Le four. Sans attendre elle se précipite vers la cuisine pour sortir du four le gateau qu’elle préparait. Presque brulé, de justesse. Rageuse elle jette le plat sur le comptoir et se tourne vers son frère qui l’a suivit jusqu’ici. « Tu sais que ta famille pars en lambeaux ? Que Ioan est alcoolique ? Que Seven est un putain de dealer ? Que Iulia cherche du travail pour survivre avec sa fille ? Tu sais que j’ai faillis crever ? ENCORE ? » Elle lève son t-shirt pour dévoiler son ventre, où serpentent de fines entailles blanches, souvenirs du lycée quand elle se blessait pour évacuer. Puis y a le pansement, immense, qui lui entour encore l’abdomen. Parce qu’elle n’arrive pas à guérir, parce qu’elle ne cicatrise pas assez bien. Parce que y a plus rien qui va tout simplement. Elle essaye de faire la fière Anca, mais elle y arrive pas. Et tout d’un coup elle se laisse juste tomber au sol, recroquevillée sur le carrelage, et les larmes qui débordent, intarissables, la douleur qui chuinte, et le ras-le-bol général.
La tempête s'apaisa un peu, retombant dans un tremblement fragile. Anca s'arracha sans aménités à mon étreinte, laissant un froid piquant à la place de sa petite silhouette. Sans piper mot je la rejoignis à l'intérieur. Le claquement de la porte me fit tressaillir, même après une éternité sans l'entendre. Combien de fois l'avais-je guetté pour savoir juste à sa puissance de quelle humeur serait Lucian? Combien de fois avais-je vu ma mère sursauter lorsqu'il lui parvenait aux oreilles? Combien de fois l'avais-je également manqué, lorsque Iulia, Elena puis Seven s'en étaient allés? Dans la lumière douce de l'entrée l'état de la jeune femme me paraissait moins alarmant. Les bleus se camouflaient habilement sous le maquillage, ses cernes, témoins de longues nuits, disparaissaient. Ses yeux étincelaient de fureur, contrastant avec la voix douce qui se mit à débiter le flot de reproches habitant son coeur depuis plus de dix ans. Au fur et à mesure la vague enfla pour finir par tout renverser sur son passage. Et moi, petit plongeur dans son scaphandrier, je luttais intérieurement tant bien que mal. Parce que je m'étais préparé y a un moment. Chacune de mes extrémités avaient été lestées de plomb pour résister au tsunami. Y avait que mon palpitant en ballotage peu favorable. Lui que j'pensais fort se désagrégeait aussi vite qu'une feuille de papier dans l'eau, trahissant mon émotion en me nouant brusquement la gorge. Impossible de protester contre l'évidence qui tintait à mes oreilles. De toute manière qu'aurais-je pu dire? Je n'avais pas été là, c'était un fait. M'excuser changerait rien au vide créé à la manière d'un trou noir qui avait aspiré loin, très loin, une partie de l'innocence d'Anca. De son amour également. Je savais déjà tout ça, ma seule crainte était d'avoir rendu stérile la petite parcelle qui m'était dédiée et que rien n'y repousse jamais. Je la suivis dans la cuisine comme un ectoplasme silencieux, faisant peu cas de la presque perte tragique de sa pâtisserie, la détaillant sans relâche, encore et encore comme pour rattraper un peu ce manque d'elle. J'préférais me taire devant Anca, la laisser évacuer plutôt que de contrer. J'aurais aussi pu me mettre à pleurer mais mes glandes lacrymales étaient aussi sèches que du sel. Puis j'avais entendu dire que l'acceptation arrivait après la colère. Stoïquement j'endurais ses cris tempétueux. Stoïquement je la regardais soulever ses fringues. Stoïquement je constatais chaque zébrure blanchie, chaque bandage qui lui comprimait l'abdomen. La punition était bel et bien là avec tous les intérêts. Dans mon cerveau ça tournait en boucle: qui? Qui? QUI? Mes phalanges blanchissaient, promettant une vendetta impitoyable pour le ou les coupables, sans me douter un seul instant que ça allait être compliqué de mettre une rouste à un ouragan. Celui qui lui avait amoché le visage en revanche le sentirait passer, pas assez longuement à mon goût. Finalement elle s'effondra comme une poupée de chiffon, se laissant aller à un chagrin d'enfant. Un qui donnait des hoquets et qui piquait les yeux. Un de ceux que je savais gérer comme quand elle revenait de l'école avec un petit fumier qui lui avait tiré son goûter. Lentement, par peur qu'elle disparaisse tel un mirage, je m'approchais d'elle pour m'agenouiller à ses côtés. Puis je l'attirais vers moi, plus tendrement que je l'avais sans doute jamais fait. "Anca ce que je vais te dire est certainement la chose la plus injuste de toute ta vie. Mais je suis là et je compte bien rester. C'est despotique et égoïste. Dégueulasse même. Mais je t'aime." J'avais conscience de la cruauté dont je pouvais faire preuve: elle résonnait dans chacun de mes os. Ça devait lui faire autant de bien que de mal d'entendre ça. Autant que moi de lui dire. Rien n'excusait ce que j'avais pu faire, ou plutôt pas fait. De son point de vue en tout cas, et je n'avais aucun droit d'alourdir davantage son chagrin en lui exposant les raisons de mon départ. En revanche je prenais celui de revenir dans sa vie. "Le regard que tu as depuis tout à l'heure je sais bien ce qu'il veut dire: laisse-moi tranquille." J'appuyais à nouveau mon menton sur le sommet de sa tête brûlante et secouée par des sanglots amers. "Le problème c'est que tu l'as pas dis justement... Alors fais-le. Et je te jure que je débarquerais plus jamais sans que tu ne demandes." J'étais extrêmement sérieux. Contrairement auparavant je ne tournerais pas les talons pour aller m'installer à des milliers de kilomètres, mais me contenterais d'observer de loin, dans l'attente d'apercevoir un signe d'encouragement. Une vie trépidante pour aucun de nous deux. Nécessaire toutefois. J'avais trop longtemps fermé la porte à double tours, trop longtemps été lâche à en crever. De la pulpe du pouce j'essuyais maladroitement les joues douces inondées de larmes. J'venais de basculer quinze ans en arrière alors que sur le sol de cette même cuisine j'y avais ramassé ma mère un soir. Hors de question que ma frangine marche dans ses pas. Qu'elle se retrouve à craindre la présence d'un homme. Où à se rendre compte, les mains dans l'eau de vaisselle, que sa vie est brisée depuis bien longtemps. Qu'elle est juste debout sur ses deux jambes, en sursis.
Anca Popescu
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▹ posts envoyés : 2027 ▹ points : 56 ▹ pseudo : zoé (baalsamine) ▹ crédits : hoodwink(avatar) & sial(sign) ▹ avatar : Taylor Lashae▹ signe particulier : cicatrices sur tout le corps qu'elle tente maladroitement de cacher, souvenirs d'épisodes de folie désespérée. Une voix douce, des doigts de fées, une chaleur humaine parfois trop brulante. Syndrome du Saint Bernard qui colle au coeur.
Elle a envie de croire que c’est une farce du destin. Que c’est juste une couche en plus à rajouter à la misère ambiante, la cerise sur le gâteau. Comme si ça suffisait pas, comme si elle avait pas déjà assez de soucis à régler actuellement et qu’un frère fantôme revenant après toutes ces années était franchement hilarant. Non. Non pas du tout. Surtout pas pour Anca, Anca trop sensible, Anca trop aimante, Anca tellement ancrée à sa famille qu’elle a choisi de vivre plutôt que de les abandonner, quand Seven l’a supplié sur ce matelas pourris, alors qu’elle était à deux doigts d’abandonner. Elle étouffe, pleure, hurle. Parce que Valerian c’était une plaie recousue, elle avait appris à accepter avec le temps, à l’oublier graduellement. Mais aujourd’hui on venait de rouvrir cette plaie sans ménagement, sans anesthésie, sans prévenir. Et la douleur est bien là, cuisante, brulante, partout à la fois et Anca n’arrive pas à gérer. Valerian et ses yeux trop sombres, les mêmes que Seven ou Mihail, les mêmes que Lavinia. Valerian et la mâchoire paternelle, Valerian et cette putain d’odeur de richesse qui ne lui ressemble pas. Mais après tout, qu’est-ce qu’elle en sait maintenant Anca ? Après tout ce temps. C’est plus Valerian, c’est un putain d’inconnu qui a volé le visage de son frère et qui est revenu la torturer. Peut être pour ça qu’elle a envie de le torturer en retour, de le provoquer. Peut être pour ça qu’elle lui montre les cicatrices qui décorent son ventre qui était encore intact quand il l’a quittée. Regarde Val, regarde ce que t’as manqué. Elle pourrait pousser le vice, jusqu’à lui montrer les sillons en relief sur ses poignets, là où la lame s’est enfoncée trop profondément jusqu’à sectionner les veines. Parce qu’il était absent évidemment. Qu’il était pas là à l’hopital quand elle avait essayé de rechuter, ni pendant ces sept années à osciller, à essayer de se relever. Alors qu’elle avait besoin de lui. Besoin de son frère. De son grand frère. La chute au sol est dure, mais Anca s’en fiche, Anca s’en fout. Elle pleure parce qu’elle ne sait que faire ça en ce moment, qu’elle a l’impression que ses larmes ne se tariront jamais. Seven lui dirait putain Anca arrête de chialer. Mais pas Valerian. Non. Pas Valerian. Il a jamais eu ce poison dans la voix, ces mots assassins parce qu’il ne sait pas dire la vérité. Trop honnête justement. Et quand il l’attire contre lui, inconsciemment elle répond à son étreinte, s’agrippe à lui, à sa chemise, ancrant ses doigts sur le tissus par reflexe, par désespoir. Me laisse pas, me laisse pas, me laisse pas. Anca ce que je vais te dire est certainement la chose la plus injuste de toute ta vie. Mais je suis là et je compte bien rester. C'est despotique et égoïste. Dégueulasse même. Mais je t'aime. Les mots qui s’enchainent, qui traversent jusqu’à son cerveau pour faire la connexion. Elle arrête de respirer. Je t’aime. Et les larmes qui redoublent parce que personne ne le lui dit jamais vraiment et qu’elle a l’impression d’asphyxier. Je t’aime. Parce qu’elle sait que c’est vrai et que pendant un instant elle a l’impression d’être de nouveau cette gamine aux genoux bousillés qui revient pleurer dans les bras de l’ainé de cette famille cassée. Le regard que tu as depuis tout à l'heure je sais bien ce qu'il veut dire: laisse-moi tranquille Le regard ? Ah oui. Le regard. C’est vrai. La haine, la rage, l’absence. Ces émotions qu’une simple étreinte avait réussi à faire taire. Si faible, trop faible. Serghei l’engueulerait sans doute, Seven et Mihail aussi. Mais elle arrive pas Anca. Elle arrive plus. Parce que cette putain d’étreinte est une arme de destruction massive contre ses remparts et qu’Anca est faible. Si faible. Trop faible. Quand il s’agit de sa famille. Le problème c'est que tu l'as pas dis justement... Alors fais-le. Et je te jure que je débarquerais plus jamais sans que tu ne demandes Elle étouffe un hoquet, s’écarte d’un coup pour pouvoir le regarder dans les yeux. Les larmes ont cessé de couler. Elle repasse les mots dans sa tête, secoue la tête. « C’est injuste. » Tellement injuste. Parce qu’il sait parfaitement qu’elle est incapable de le faire sortir de sa vie. Parce qu’il sait surement qu’elle a pas changé après toutes ces années, contrairement à lui, qu’elle est toujours cette gamine au cœur bordé d’illusions. « T’es injuste Valerian, tellement injuste » et la voix qui tremble, les mots qui vacillent. Elle se rapproche, se rapproche de lui, front contre front, yeux dans les yeux. Elle enfonce son doigt dans la poitrine de son frère et murmure « T’as de la chance que je sois clémente. T’as de la chance que je sois la plus facile à convaincre. » Elle bouillonne d’émotions, de besoin de lui faire comprendre qu’elle est sérieuse, terriblement sérieuse. « C’est ta dernière chance Valerian, dernière. Si tu me mens, si tu fais tout foirer, t’es comme mort pour moi tu comprends ça ? » ultimatum, fais pas tout foirer cette fois. Elle déconne pas Anca, parce qu’il y a bien peut être une chose qui a changé chez elle. Y a cette volonté maintenant, ce cœur un peu plus froid, un peu moins coloré, comme si la mort lui avait volé quelque chose à chaque fois qu’elles s’étaient rencontrées. « Et ça veut pas dire que je t’ai pardonné, tu comprends ça ? Tu m’as laissé tomber. Tu m’as laissé tomber quand ton rôle c’était de me soutenir. » Elle finit par le relâcher, par s’écarter, fatiguée. Tellement fatiguée. « T’es même pas venue me voir à l’hôpital » la voix minuscule, plus une question qu’une reproche. Pourquoi ?
La voix tremblante retentit enfin, ricochant contre les carreaux de cuisine parfaitement entretenus et miroitant. Rebondissant entre mes côtes jusqu'à malmener mon palpitant. Mais loin de le laisser se démonter je me rendais compte que l'usure menée à l'encontre des défenses de ma jeune sœur portait ses fruits. Minimement mais bien réellement tout de même. Les fissures commençaient à apparaître dans l'épaisse muraille, cisaillant peu à peu le mortier, grignotant davantage chaque lézardes dessinées. Et Anca daigna me regarder. Me regarder vraiment et non pas au travers de la loupe flouée de rage. Je retrouvais quasiment ces yeux sombres adorés renfermant un univers complexe, invisible au premier venu. Anca il fallait l'explorer dans tous ses recoins pour espérer en comprendre quelque chose. Si vous lui montriez la lune elle vous faisait découvrir toute la galaxie. Si vous l'emmeniez dans un puits elle vous faisait rencontrer l'océan. Elle trouvait la beauté dans les ombres et même les âmes les plus perdues. Je savourais son contact visuel, celui de son doigt accusateur aussi. Bien sûr que j'avais de la chance. Bien sûr que j'allais très certainement en chier pour faire irruption dans la vie du reste de la fratrie. Anca était la seule à pas avoir le cœur complètement blindé même s'il apparaissait plus aride que dans mes souvenirs. L'impact de la vie sûrement. Elle avait dû faire face à des dizaines de regards alignés en haie d'honneur. Des rangées de prunelles vides la fixant sans pour autant lui tendre la main. Des rangées d'yeux mornes et elle au milieu. Seule. Et moi j'avais décidé de sortir du rang. "Je sais. J'merderais pas Anca. C'est derrière moi tout ça." Aujourd'hui je pouvais lui apporter la sécurité matérielle grâce à mes comptes en banque dégueulant de fric. Mais surtout je voulais lui donner une présence solide bien loin du pâle fantôme de frère que j'avais pu être. Que j'avais haï du plus profond de mes tripes. Combien de fois avais-je évité mon reflet dans le miroir après une nuit agitée à cauchemarder sur la tentative de suicide de ma sœur? Combien en ayant cru devenir fou à l'idée de la peine encourue par toute la famille sous le joug du père? Et combien en imaginant Iulia entre quatre murs, cloisonnée dans sa cellule? Le déclic c'était réalisé au départ de Zita vers des horizons plus accueillants. J'me souvenais que ce matin là il faisait un beau temps terrible, avec un ciel bleu limpide et les rayons aveuglants du soleil. Il faisait bon vivre. Jusqu'à ce que je tombe sur un mot, trois lignes seulement de son écriture fine pour me signaler son aller simple ailleurs. Mon palpitant c'était raidi, cabré, avant de décrocher. Et c'était comme ça que je m'étais rendu compte du mal que ça pouvait faire. De réaliser que peut-être plus jamais on allait voir des traits familiers. Qu'il y avait une personne indispensable à notre équilibre qui était partie, en claquant tout simplement la porte. Et moi, Valerian Popescu, c'était exactement la même chose que j'avais fait des années plus tôt. Tourné le dos à ma propre famille. Ingrat que j'étais. Je scrutais le visage d'Anca, attentif aux changements qui s'y opéraient. La tempête avait laissé place à un calme relatif ponctué de remous encore instables. Mais j'y décelais plutôt de l'épuisement que de la rage. Mon instinct professionnel tira la sonnette d'alarme un bref instant avant que je ne l'éloigne tout en rangeant cette dérangeante impression dans un coin de ma mémoire. Je préférais me concentrer sur ses assertions acides. "Je sais... A cette époque j'étais..." je m'interrompis, pesant le pour et le contre de lui balancer mes anciens tourments égoïstes à la figure. "J'étais pas moi-même. Je vivais encore dans l'ombre de Lucian, même après toutes ces années à l'écart. Et justement après tout ce temps je pouvais pas débarquer comme ça." J'avais eu peur. Une peur terrible qui vous rongeait de l'intérieur de la voir pâle au milieu des machines, les bras emmitouflés d'hideux bandages. "Je savais plus où me foutre. J'étais complètement paumé et la seule chose qui me raccrochait à la terre ferme c'était mon boulot. Pourtant j'étais persuadé, la plupart du temps, d'être un type bien. C'est un mensonge qu'on fini par intégrer à force de se le répéter." Après mon évasion du domicile familial j'avais été pris par les vertiges de la liberté avant de tomber dans une spirale infernale d'auto-destruction. L'alcool, la drogue, les fêtes... Que des dorures pour dissimuler le bois pourri. Tout plutôt que d'affronter la réalité. Mais je pouvais pas lui mettre ça sur le dos, clairement. "J'ai pas d'excuse Anca. En tout cas pas qui mérites ton pardon en effet. Mais je veux me racheter. Même si je dois y passer dix ans de plus." Je me relevais en l'attrapant au passage pour la redresser également. C'était plus l'heure d'être à terre: il allait falloir faire face avec fierté. Délicatement je l'entraînais jusqu'à une chaise pour l'y asseoir. Machinalement je mis une bouilloire sur le feu pour nous préparer un thé (une chose de plus que j'avais découvert et apprécié dans le vaste monde) en fouillant dans les placards. Rien n'avait bougé. Chaque étagère avait la même utilisation que dans ma jeunesse me ramenant des années en arrière. C'était rassurant quelque part. "Anca" - j'étais dos à elle, me composant un faciès assuré pour me lancer dans une nouvelle discussion difficile - "Qu'est-ce que s'est passé pour toi ces derniers temps?" Cette fois-ci je me retournais pour la regarder droit dans les yeux, la voix grave et rassurante. "Qui t'as fait ça?" J'effleurais du bouts des doigts le creux de son cou violacé, contenant difficilement les envies de meurtres qui affleuraient. Le rouge sanglant qui envahissait mon champ de vision avait du mal à refluer. Au fond de moi, bien enfoui, j'espérais encore que mon paternel ne soit pas l'auteur de ce terrible tableau.
Anca Popescu
petit poney
▹ posts envoyés : 2027 ▹ points : 56 ▹ pseudo : zoé (baalsamine) ▹ crédits : hoodwink(avatar) & sial(sign) ▹ avatar : Taylor Lashae▹ signe particulier : cicatrices sur tout le corps qu'elle tente maladroitement de cacher, souvenirs d'épisodes de folie désespérée. Une voix douce, des doigts de fées, une chaleur humaine parfois trop brulante. Syndrome du Saint Bernard qui colle au coeur.
Elle ne sait pas si elle fait le bon choix, si le laisser entrer de nouveau dans son cœur déjà trop fracassé est une bonne idée. Puis y a les souvenirs, et le visage si familier qui a pris de l’âge, ce foutu visage qu’elle replace dans les images d’autrefois. Valerian. Le grand frère. Valerian. Et celui qui lui a arraché des larmes sans fin lorsqu’il avait disparu un matin. Le vide immense, elle s’en souvient encore, il est là, béant dans sa poitrine, à côté des autres lacérations portées par les Popescu. Un coup pour Elena, un coup pour Iulia, un coup pour Seven. Pourtant elle arrive pas. Comme elle n’a pas réussi à dire à Jemmy d’arrêter, de ne plus l’approcher. Elle sait pas dire aux autres de partir Anca. Elle peut pas. Elle aime trop pour ça, beaucoup trop, bien trop fort. Alors elle a beau essayé de repousser ce frère fantôme, une partie d’elle hurle de lui laisser sa chance, de le prendre dans ses bras et de ne plus jamais le lâcher. C’est long douze ans. Bien trop long. Je sais. J'merderais pas Anca. C'est derrière moi tout ça. Et elle a envie d’y croire. Terriblement. C’est douloureux. Elle hoche la tête doucement avant de murmure : « D’accord. Je te crois. Je te crois » Mais attention, un autre abandon, elle y survivra pas. Alors elle se fait plus douce, moins enragée, plus fatiguée. Usée. Elle laisse la tempête les dépasser et se contente de souligner l’absence de Valerian quand elle en avait eu le plus besoin. L’hôpital. Sept ans auparavant et la douleur encore présente parfois le long de ses poignets. Machinalement elle vient caresser ses cicatrice, doux relief sous la pulpe de son pouce, alors qu’elle accuse. Pourquoi ? Je sais... A cette époque j'étais... Il était quoi ? Occupé ? Pourtant que votre sœur frôle la mort de sa propre volonté, on trouve le temps de se déplacer. J'étais pas moi-même. Je vivais encore dans l'ombre de Lucian, même après toutes ces années à l'écart. Et justement après tout ce temps je pouvais pas débarquer comme ça. Le père, le père toujours. Et cette excuse qui revient sans cesse dans la bouche de Seven, de Serghei, de Ioan. Elle savait Anca, elle avait vu, ces actes de violences, quand parfois elle s’était jetée contre lui pour l’empêcher de continuer. De les tuer sous ses coups. Et les soirées passées à nettoyer les plaies de ses frères, refoulant ses larmes pour montrer qu’elle était forte elle aussi, comme eux. Tu parles. Je savais plus où me foutre. J'étais complètement paumé et la seule chose qui me raccrochait à la terre ferme c'était mon boulot. Pourtant j'étais persuadé, la plupart du temps, d'être un type bien. C'est un mensonge qu'on fini par intégrer à force de se le répéter. Elle ferme les yeux Anca. Parce que les mots sont douloureux, qu’elle a du mal parfois à se dire que les autres souffrent aussi, qu’elle n’est pas la seule dans ce foutu radeau qui coule en permanence. Ils sont tous dans la même galère, Lucian et Lavinia compris. Famille de noyés, marins pourris incapables de garder le cap dans leur vie. Et puis ses mots font échos aux siens, les mensonges qu’on se répète inlassablement pour se convaincre que tout va bien, que tout se passe bien. Je t’aime Anca. Et elle y croit. Elle y croit pendant qu’il passe ses doigts sur les bleus qu’il vient d’imprimer sur sa peau. Elle se raccroche à ça, parce qu’elle a l’impression qu’il ne lui reste plus grand-chose sinon. J'ai pas d'excuse Anca. En tout cas pas qui mérites ton pardon en effet. Mais je veux me racheter. Même si je dois y passer dix ans de plus Et sa voix qui ne tremble plus, la certitude dans les yeux de son frère, qu’il est bien décidé à se racheter cette fois ci. Elle le laisse l’aider à se relever, s’agrippant à son bras, comme avant. Comme il y a longtemps. Incapable de vraiment rompre le contact. « Je te crois. Je te crois Val’. » Et le surnom qui reviens presque inconsciemment. « On a tous nos tors, nos faiblesses, nos échecs, crois moi si y a bien quelqu’un dans la famille pour comprendre ça c’est moi… » elle rigole doucement. « Alors je te crois. Je te pardonne pas pour autant. Mais je te crois. Le reste… On avisera » comment réparer les pots cassés, recommencer à former une vraie famille, tous unis, ensemble, comme dans ses rêves. Comment apprendre à pardonner aussi, à avancer. Elle sait déjà que pour elle ce sera facile, que déjà elle commence à ne plus le détester. Mais y a les autres. Il y a Rez, il ya Mihail, il y a Ioan, il y a Serghei. Surtout Serghei. Au fond c’est jamais elle la plus dure à convaincre. C’est les autres. Tous les autres. Elle se laisse guider, s’assoit sur la chaise tout en ramenant ses genoux contre sa poitrine, comme quand elle était gosse. Incapable de détourner le regard de Valerian, elle a peur qu’au moindre clignement des yeux, il disparaisse comme il était apparu. Alors elle le dévisage, note chaque détail qui lui semble important : ce costume bien trop cher, la montre à son poignet, les chaussures en cuir, tout ce qui crie au reste du monde qu’il est riche. Bien portant. Différent. Ca jure avec le reste de la maison, avec elle et son jogging troué et ses cheveux tressés machinalement, ça jure avec tout le reste ; Et pourtant. Pourtant il évolue comme s’il n’était jamais parti, la main assurée sur la bouilloire pour faire chauffer l’eau, les tasses qu’il sort et le thé. Pendant un instant Anca se prend à espérer que Lavinia rentre maintenant, qu’elle tombe sur ce fils devenu bien trop grand, trop beau, différent et pourtant toujours un peu le même au fond. Anca « Hmm ? » perdue dans sa contemplation, elle répond machinalement. Qu'est-ce que s'est passé pour toi ces derniers temps? Et les mots qui s’enchainent dans sa tête, elle cherche comment tout formuler, éviter de parler de l’impression de couler en permanence. Elle cherche à le rassurer, à lui montrer qu’elle réussi la vie mais ça serait mentir. Elle cherche comment avouer, comment faire passer la chose et c’est difficile, les phrases ne collent pas, elle ne sait pas. Puis il se retourne, face à elle, et y a plus que le noir de ses yeux. Et les mots qui se meurent. Qui t'as fait ça?. Et ses doigts sur son cou, traçant délicatement l’empreinte laissée par Jemmy dans sa chaire. Par réflexe elle recule, rentre son cou dans ses épaules comme pour cacher les marques. Elle sait que ça sert à rien, qu’il a déjà tout vu. Et que c’est un Popescu. Il réagira comme Seven. Comme tout le monde. Comme tous les autres. « Personne » et les mots qui claquent. Elle ferme les yeux. « C’est pas Lucian ni personne de la maison si tu te pose la question » Parce qu’elle sait ce qu’il pense. Elle sait. Et ça la rend dingue. Parce que Lucian ne posera jamais la main sur elle, comme il n’a jamais posé la main sur Lavinia. Et la bouilloire qui siffle, Anca se redresse pour échapper au regard de son frère, attrape le récipient et verse l’eau dans les tasses avant d’ajouter les boules à thé. Toujours dos tourné à Valerian elle murmure doucement. « C’est rien d’accord, rien que je ne puisse gérer, ça n’arrivera plus, ça n’aurait déjà pas du arriver d’accord ? » Tu l’aime ! et les cris de Seven qui lui reviennent en mémoire. Bien sur qu’elle l’aime. Bien sur qu’elle le protège. Parce qu’il n’y a plus que Jemmy et plus grand chose d’autre maintenant, et qu’elle refuse de le perdre. Pas après tout ça. Alors elle se retourne tend la tasse à Valerian avant de lui offrir un de ces sourires qu’elle a appris à construire avec le temps. « Tu habites où maintenant ? Faudra me faire visiter » et les lèvres qui tremblent légèrement. Pitié elle a juste pas envie d’en parler.
Elle avait le regard d'une biche blessée, reculant devant l'impitoyable approche du chasseur. Regard qui se mua en celui d'une louve farouche pour réfuter l'accusation informulée à l'encontre du paternel. Anca se voûta alors que je tentais tant bien que mal de contenir ma colère. Ca me soulageait quelque part que Lucian n'ait pas été à l'origine de ces marques inadmissibles. Et ça aidait un peu à redescendre. Quelques années auparavant j'aurais tout fait pour trouver, savoir, le nom du coupable. P't'être que j'aurais été jusqu'à le laisser à moitié mort sur le bitume en repartant sans un regard, phalanges sanguinolentes. Mais aujourd'hui c'était plus pareil. J'avais compris qu'exorciser sa colère en cognant et gueulant ne promettait jamais rien de bon à part se blesser soi-même un peu plus. A part faire souffrir les autres pour qu'ils finissent aussi écorché vif que vous. Alors oui, le salaud qui avait frappé ma chaire allait payer. Mais d'une manière réfléchie et précise. J'trancherais dans le vif, aussi affûté qu'un scalpel et si doux qu'il ne s'en rendrait compte qu'au moment fatidique. Ça aussi je l'avais appris: une vengeance préméditée était plus délicieuse qu'en étant expéditive. "On en reparlera plus tard alors." Une promesse pour une main tendue. Anca était majeure et vaccinée, mais c'était pas une raison pour ne pas laisser la porte ouverte. Être certain de pouvoir ouvrir les vannes quand le besoin s'en ferait sentir. Elle tenta de camoufler sa panique sous une pluie de questions sans importance face à la mienne. Déjà môme elle avait pour habitude de le faire pour détourner l'attention de notre père quand on avait fait une connerie; comment il allait, est-ce qu'il voulait sa chanson, et puis elle pouvait lui préparer un café aussi non? Parfois ça marchait. De toute manière on savait tous qu'elle était sa préférée, mais à quel prix? En dehors des benjamins de la famille forcés d'habiter ici tout le monde avait mis les voiles. J'aurais voulu la sortir de là et lui offrir la liberté, mais une infime partie de mon subconscient éprouvait une reconnaissance malsaine de pas laisser seule notre mère. Lavinia méritait aussi que quelqu'un veille sur elle. Pas moi. Pas encore. J'étais pas prêt à être pardonné par la matriarche. "J'ai fait déménager mon cabinet sur Tybee Island. Et j'habite au-dessus. C'est plutôt sympa comme coin." Discours contraire à celui que je tenais plus jeune en dédaignant le quartier comme un foutu ghetto de riches. Maintenant que j'avais les moyens je révisais mon jugement. "Tu viens quand tu veux. Surtout si tu cherches à esquiver Lucian." Si elle le voulait je pourrais être un refuge, comme elle avait été le mien à plusieurs reprises. Je remarquais également qu'elle ne tiquait plus à l'appellation de notre géniteur par son prénom. Cela faisait plus d'une décennie que les deux syllabes paternelles n'avaient pas franchi mes lèvres, trop corrosives pour les accepter. Je buvais une gorgée brûlante, grimaçant sous l'étrange goût des herbes infusées. Anca me paraissait paradoxalement fragilisée et à la fois aussi dure que du granit. Usée par un flot ténu mais continu de bouleversements compliqués à gérer. A assumer. A porter tous les jours sans jamais oublier. Elle était marquée Anca, autrement que par ces bleus superficiels. Cicatrices à l'âme et hématomes au cœur sous la couche fissurée d'un optimisme dépassé. "J'imagine que t'es en arrêt en ce moment au boulot?" J'éprouvais une sincère curiosité à ce sujet. Elle avait toujours eu une certaine ambition, parfois éclipsée par cette absence d'égoïsme qui la poussait inlassablement à s'occuper des autres avant elle-même. Peut-être que les plus jeunes de la fratrie avaient également hérité de ce trait de caractère (qui ne pouvait provenir que de Lavinia). Ils étaient encore des enfants lorsque je les avais quitté, alors il m'était impossible de savoir. Mihaïl et Tereza, les jumeaux, auraient été de bons candidats. Quant à Seven... D'après les lointaines nouvelles que j'avais eu il était à mille lieux du droit chemin. "Et les autres? J'ai essayé de contacter Iulia mais elle m'a pas répondu. Pas étonnant remarque... Je voulais aussi joindre les garçons et évidemment j'ai pas leur numéro. Tu pourrais me les filer? Sauf si tu veux pas te retrouver impliquer là-dedans." En réalité je savais pas comment les aborder. Surtout Sergheï, lui ça allait être un sacré morceau. Certainement le plus rancunier de tous, le plus costaud aussi, j'm'attendais sérieusement à devoir en venir aux mains avec lui lors de nos retrouvailles. Une amertume désagréable envahit mon oesophage à cette pensée. Pour l'instant j'étais plus ou moins parvenu à retrouver l'attention d'une de mes princesses, autant en profiter. J'aurais tout le loisir de réfléchir à chacun de mes plans d'attaques plus tard. Je savourais la présence d'Anca avec parcimonie, comme un gamin roulant encore et encore son bonbon sous la langue pour en garder le goût aussi longtemps que possible. Je finis par rester des minutes entières et sans distinction, attablé dans cette cuisine baignée de soleil. Echangeant de vive voix. Appréciant les doux silences oubliés. Je suis revenu.
Anca Popescu
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▹ posts envoyés : 2027 ▹ points : 56 ▹ pseudo : zoé (baalsamine) ▹ crédits : hoodwink(avatar) & sial(sign) ▹ avatar : Taylor Lashae▹ signe particulier : cicatrices sur tout le corps qu'elle tente maladroitement de cacher, souvenirs d'épisodes de folie désespérée. Une voix douce, des doigts de fées, une chaleur humaine parfois trop brulante. Syndrome du Saint Bernard qui colle au coeur.
On en reparlera plus tard alors. Non. Pas vraiment. Elle fera tout pour noyer le poisson, éviter le sujet. Parce qu’elle n’a pas envie d’en parler avec Valerian, parce qu’elle n’en a même pas parlé à Seven, et que de toute façon elle sait pertinemment qu’ils iraient massacrer Jemmy si elle osait prononcer ne serait-ce que la première lettre de son prénom. Elle les connait les Popescu, tous pareil avec le sang chaud qui bouillonne dans les veines, incapable de laisser un affront impuni. Le truc c’est que c’est pas un affront pour Anca, les coups, les traces, les cicatrices. C’est pas un affront parce qu’elle le méritait et que c’est entre Jemmy et elle. Et personne d’autre. Que c’est leur équilibre fragile et que plus jamais ça ne se reproduira. Ils se le sont promis. Je t’aime. Putain. Elle aussi elle l’aime, à en crever, et c’est ça qui est terrible. Alors elle ne répond pas Anca, se contente d’hocher la tête doucement avant de serrer sa tasse brulante entre ses doigts, s’asseyant de nouveau sur sa chaise, les yeux rivés sur son frère. J'ai fait déménager mon cabinet sur Tybee Island. Et j'habite au-dessus. C'est plutôt sympa comme coin. Sympa ? Anca lache un petit rire amer avant de secouer la tête. Depuis quand il trouve Tybee sympa ? Depuis quand est-ce qu’il y habite ? Ah oui, c’est vrai, depuis qu’il est devenu riche et célèbre. Merde alors. Un Popescu qui réussit c’est dingue. [color=crimson] « Tu vois l’océan ? » Qu’elle essaye quand même de répliquer, parce qu’au fond elle sait pas vraiment être mauvaise, et que même si son frère n’habite plus dans les quartiers pourris d’Historic, elle sait qu’il restera l’un d’eux. Tout au fond. Bien caché. Tu viens quand tu veux. Surtout si tu cherches à esquiver Lucian. Lucian. Elle lui offre un sourire voilé par la tristesse avant de prendre une gorgée de son thé. Est-ce qu’elle cherche à l’esquiver ? Peut être. Un peu. Elle en peut plus de ces soirées passées à le rafistoler, à recoudre son visage qu’elle a peur de voir disparaitre définitivement un jour ou l’autre. « Je prends note, merci. » Elle le dévisage un instant puis reprend « Je suis sûr que ta déco est pourrie et que ta cuisine est même pas fonctionnelle, faudra que je vienne arranger ça » on enterre la hache de guerre, une paix fragile entre les deux. Parce qu’elle a besoin de son frère en ce moment. De ses frères. Grands comme petit. Elle refuse de les lâcher, de les laisser partir alors que de nouveau ils sont tous là autour d’elle, à portée de main. J'imagine que t'es en arrêt en ce moment au boulot? Et revoilà les sujets qui fâchent. Il faut qu’elle s’active, qu’elle bouge plutôt que de rester les fesses vissées sur cette foutue chaise ou alors elle va se retrouver à craquer devant Valerian. Et ça elle refuse. Elle veut lui montrer que sans lui elle a réussi à survivre, et que même s’il a répondu absent à toutes les fois où elle l’a appelé à l’aide, aujourd’hui elle n’a plus besoin de lui de cette façon là. Aujourd’hui elle est capable, même si ce n’est pas vraiment le cas. Rapidement elle se lève et sort des légumes du frigo pour commencer à préparer le repas du soir, laver les légumes et les couper plutôt que de regarder Valerian pendant qu’elle prend la parole. « Je ne travaille plus depuis un moment ». Non. Elle ne travaille plus, elle ne va même plus en cours. C’est pas faute d’essayer pourtant mais elle n’a jamais réussi à vraiment reprendre le rythme, à chaque fois qu’elle franchissait un obstacle, un nouveau se dressait devant elle juste après. Encore, encore. Montagne infinie à escalader. « J’ai été hospitalisée après l’ouragan, je ne sais pas si tu en as entendu parler. » Elle se retourner vers son frère et soulève son t-shirt pour lui montrer la cicatrice encoure boursoufflée qui orne son abdomen. « Une barre de fer. Mais bon, tu le sais bien, pour nous abattre il faut plus que ça » plus qu’une barre dans le ventre ou des veines ouvertes dans la salle de bain, plus que dix ans de prisons ou des tentatives répétées pour sauter d’un toit, plus que tout oui. De vrai cafard les Popescu, increvables, jamais. Pourtant elle espère que lui rappeler ce qu’il a manqué lui fera comprendre à quel point il est sur le fil, en équilibre. Que si elle l’accepte, ce n’est peut-être pas le cas des autres. Peut-être pas non plus le cas de Lucian qui n’a jamais vraiment supporté le départ de son fils ainé. Et les autres? J'ai essayé de contacter Iulia mais elle m'a pas répondu. Pas étonnant remarque... Je voulais aussi joindre les garçons et évidemment j'ai pas leur numéro. Tu pourrais me les filer? Sauf si tu veux pas te retrouver impliquer là-dedans Ca répond à sa question. Anca secoue la tête doucement, choisissant ses mots avec précaution. « Il vaut mieux que tu me laisse annoncer la chose Val’… Tu peux pas débarquer comme ça sans prévenir et dire coucou, je suis rentré. Ils vont pas le prendre bien… » Elle rigole avant de se rapprocher de son frère, passant sa main sur sa joue. Depuis quand il a de la barbe, depuis quand il a des rides, depuis quand il est si différent et pourtant si identique. « Serghei te casserait la tronche, Seven aussi surement entre deux insultes...Lena…C’est compliqué quant aux jumeaux, ils ne se souviennent pas vraiment de toi tu sais ? » Trop gosses quand il est parti, encore bambins, ils ne savent de leur frère que ce qu’Anca ou Lavinia a bien voulu laisser filtrer. « Tu vas la faire pleurer » Elle. Lavinia. L’unique. Elle a la gorge qui se serre Anca quand elle attire son frère contre elle, parce qu’elle sait comment sa mère va réagir, parce qu’elle la voit trop de fois le soir pleurer sur les photos de ses gosses disparus. « Vous êtes tous parti Valerian, tous… Ca la détruit…Et Lui aussi. » Lucian. Promet moi que tu ne me laissera pas. Souvenir de cette soirée dans la cuisine en tête à tête, et les mots durs de son père qui crissent dans l’air. Il souffre Lucian, pour qui veut bien le voir. Il souffre et Anca le sait. Elle a toujours su. Anca sent de nouveau les larmes poindre, encore, encore, elle en peut plus de pleurer, à croire qu’un jour elle va finir par se dessécher. « Tu m’as tellement manqué » comme un aveux, à demi-mot, murmuré dans ses cheveux pendant qu’elle essuie rapidement les gouttes qui perlent sur ses joues.