“Sometimes I believe that this less material life is our truer life, and that our vain presence on the terraqueous globe is itself the secondary or merely virtual phenomenon.”

lle sourit, dans le miroir. Elle sourit, cette fille, cette fille qu'Anissa ne reconnaît pas. On dirait une étrangère, on dirait quelqu'un d'autre. Mais c'est elle, elle, Anissa. Seulement, ça fait longtemps qu'elle ne s'est pas vue sourire, que ce soit sur une photographie, ou dans le reflet d'un miroir. Ça fait peut-être longtemps aussi, qu'elle ne sourit plus. Ou parfois, si, ça arrive. Elle pourrait presque compter, tellement c'est devenu rare, ses sourires sincères. Elle ne sait pas trop si ça l'attriste, Anissa, ou si au contraire, elle s'en fout. C'est peut-être le cas. De toute façon, elle s'en fout de tout. Elle se fiche de la douleur de son mari, elle ne pense qu'à la sienne. Comme si elle était la seule victime dans cette histoire, la seule blessée, la seule triste, la seule à aller mal. Mais elle n'est pas la seule, il y a lui, aussi. Mais elle s'en fout. Comme tout le reste. En ce moment, il n'y a que sa galerie d'art et cette histoire de trafic de son père qui comptent. Le reste n'importe pas. Le reste n'est pas intéressant. Elle s'en fiche du reste, tant que ça n'a pas d'influence sur son petit monde. Mais un jour, il faudrait peut-être qu'elle se réveille, Anissa.
Son sourire disparaît, dans le miroir. Et puis il revient. Ce soir, elle sourira. Et ce sera peut-être pour de vrai. Ce serait bien, pour une fois. Qu'elle sourie, qu'elle soit sincère, qu'elle ne soit pas déprimée, qu'elle ne soit pas égoïste, qu'elle ne soit pas cette Anissa qu'elle est devenue, qu'elle soit comme avant, qu'elle passe un bon moment. Elle va faire un effort, elle le sait, elle le sent. Parce qu'elle en a envie, pour une fois. Pour une fois, elle sourit sincèrement, en se disant que, oui, elle va passer un bon moment. Elle ressent presque l'excitation, comme avant. L'excitation, l'enthousiasme, qu'elle ressentait toujours avant de sortir. Au moins, son humeur est un peu moins morose que d'ordinaire. Ça fait trop longtemps qu'elle n'est pas sortie, beaucoup trop pour sa santé mentale. Elle ne supporte plus son mari, elle ne supporte plus l'atmosphère qui sévit chez eux. Elle avait besoin d'air, besoin de changer d'espace, besoin de se changer les idées. Ellie est arrivée pile au bon moment, pour la tirer de son quotidien exécrable, le temps d'une soirée.
Anissa la rejoindra bientôt. Alors, elle termine de se préparer, rapidement. Elle a sorti sa robe blanche, cachée dans le placard depuis trop longtemps, prenant la poussière et l'odeur du renfermé. Heureusement, elle l'a sortie depuis quelques jours, prenant le soin de la relaver pour faire s'évanouir l'odeur du temps, et de le repasser, pour faire s'évaporer les mois de captivité dans le placard. Elle s'est maquillée un peu, aussi, Anissa. Pour cacher ses cernes, comme quand elle a été à ce rendez-vous, avec cet architecte, la dernière fois. Elle ne veut pas que ça se voit, elle veut oublier l'angoisse de ses nuits, l'angoisse de ses insomnies. Elle s'est coiffée un peu, attachant rapidement ses cheveux avec une pince, avant de se dire qu'elle ne tiendrait pas, alors elle laisse simplement ses cheveux détachés. Une fois prête, elle part, se contentant d'un « j'y vais », sans même jeter un regard à celui qui partage sa vie, trop occupé à faire quelque chose dont elle se fiche éperdument. Elle prend sa voiture, et elle part. Elle part, rejoindre Ellie. Elle part passer une bonne soirée, loin de ses démons, loin de sa fatigue, loin de sa douleur. Elle les a laissés à la maison. Enfin, c'est ce qu'elle se dit.
Quand Anissa arrive, elle aperçoit vite Ellie. Elle sourit presque instantanément, sans même s'en rendre compte. Elle n'a pas besoin de jouer la comédie, avec ceux qu'elle apprécie vraiment, parce qu'avec eux, elle pense un peu moins au reste, à ce qui ne va pas. « Coucou ! » Au fond, il n'y a que durant ces moments-là, qu'elle se sent vivante, Anissa. Quand elle sort, quand elle s'amuse. Quand elle est loin de chez elle.

© Mister Hyde

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arfois, elle essaie vainement de se souvenir d'avant. A chaque épreuve de sa vie, à chaque moment où la vie lui semblait insipide, à chaque instant où l'envie de continuer était aux abonnés absents, Anissa essayait de se souvenir d'avant. Mais « avant » est vaste, « avant » est loin. « Avant » lui semble impossible à retrouver. Trop de choses ont changé ; elle a changé. Pourtant, elle donnerait tout, parfois, pour retrouver un peu de son insouciance d'enfant. Elle donnerait énormément, d'autres fois, pour oublier l'amour et ses frasques, l'amour et ses conséquences. Elle donnerait plus encore, cette fois, pour faire disparaître sa douleur. Anissa n'a plus envie d'être une adulte. C'est trop difficile, trop compliqué, trop pénible, trop éprouvant. Elle a l'impression de ne plus avoir aucune force, Anissa. D'avoir déjà tout donné pour les autres choses, d'avoir déjà tout donné avant. Elle n'a plus assez d'amour pour son mari, ni même assez d'estime pour elle-même, contrairement aux apparences. Elle n'a plus assez de force, ni assez de volonté, pour essayer de se relever. Elle n'a plus assez d'espoir, pour l'avenir. Elle n'a plus rien. Ou plutôt, c'est ce qu'elle croit. Mais Anissa a bien plus qu'elle ne le pense. Elle aurait juste besoin d'un peu d'aide, pour le voir. Pour ouvrir les yeux. Pour lui redonner goût à la vie. Pour retrouver son amour pour la vie. Pour retrouver ses passions, pour retrouver sa vie d'avant.

En attendant, elle laisse le temps passer, les jours se succéder. Elle se trouve des choses à faire, ses « objectifs ». Elle n'essaie pas de guérir, elle essaie de survivre. Elle essaie de continuer, ou de tenir, malgré la douleur toujours lancinante. Elle se trouve des choses pour se changer les idées, ou qui l'entraînent peut-être plus encore au fond du gouffre. Au fond, elle le sait, Anissa, que son mari a raison. Elle devrait peut-être se reposer, prendre du temps pour elle. Laisser tomber, et oublier cette affaire de trafic d'oeuvres d'art, qui est en train de devenir une obsession presque malsaine, qui la détruit à petit feu, et qui pourrait s'avérer dangereuse. Sauf qu'Anissa n'en a pas conscience. L'obstination a toujours fait partie de son foutu caractère.

Elle ne se soigne pas, Anissa. Elle attend. Elle voit les heures, les jours, les mois, se succéder à la vitesse d'un escargot. Elle n'est même pas capable de se prendre en main, de décider de faire des efforts pour se sentir mieux. Elle attend que ça passe. En attendant, elle sort, la nuit. Beaucoup. Souvent. Pas toujours avec les mêmes amis, mais elle sort quand même. Ça rend fou son mari. Pourtant, elle a toujours été comme ça, Anissa. Toujours éprise de liberté, toujours à avoir ce besoin de sortir et de s'amuser, de s'oxygéner, de se changer les idées. Sauf qu'il sait qu'elle va mal, alors il n'est pas rassuré. Il a peut-être peur qu'elle fasse une connerie, un jour. C'est peut-être aussi, ce qu'elle veut lui faire croire. Elle torture, et elle le sait. Et tout au fond d'elle, elle s'en veut terriblement.
Mais elle continue de sortir. Comme ce soir, avec Ellie. Anissa a besoin de ces moments-là. Ce sont les rares instants où elle se sent à peu près bien. Alors, quand elle arrive au lieu convenu avec son amie, elle sourit presque instantanément. « Pas autant que toi ! » s'exclame-t-elle, en réponse. Au fond, ça la touche. Au moins, elle n'a pas l'air d'une épave – du moins, elle l'espère, sincèrement. « Ça va. » répond-t-elle seulement d'abord, mince sourire aux lèvres. « Et toi, alors ? » Elle n'a pas envie d'évoquer cette douleur qu'elle essaie d'ignorer, et puis, de toute façon, elle ne voit pas tellement ce qu'on peut dire de plus sur ça. Elle préfère demander à Ellie comment elle va, elle. Même si Ellie a ses propres problèmes, même s'il n'est pas forcément évident qu'elle, elle se sent bien. Tout le monde ne se sent pas forcément bien. Le monde n'est pas rempli de bisounours, mais Anissa semble l'oublier quelques fois. Il n'y a pas qu'elle qui cache ce qu'elle ressent. C'est même ce que font, la plupart des gens. « Evidemment ! Toujours ! » s'exclame Anissa en réponse, son sourire s'agrandissant bien plus, cette fois. Elle laissera ses vieux démons derrière elle, ce soir. « J'ai terriblement soif, en plus. » ajoute-t-elle, un sourire en coin. Pas sûr qu'elle rentre dans un bel état. Jeff' risque de s'en arracher les cheveux. Cette pensée la fait rire, intérieurement. Cruelle avec son mari, Anissa ? C'est un euphémisme. « Et toi, prête ? Tu penses tenir le coup ? Quoique, je suppose que tu es bien entraînée, maintenant. Faut dire aussi, t'as eu un bon mentor. » la taquine-t-elle, son sourire en coin ne quittant pas son visage. Au moins, évoquer un temps où elle se sentait bien, met Anissa de bonne humeur. Elle a même envie de rire. Tout semble s'être envolé – pour l'instant. « Je plaisante. On y va ? »

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es jours se répètent, inlassablement, mais une part d'Anissa, se dit encore, qu'un jour, tout ira mieux. Elle en a vécu, des épreuves. Mais elle est forte, elle saura se relever. Un jour. Pas tout de suite, pas maintenant. Elle a besoin de temps, de se laisser du temps. Besoin de temps pour être malheureuse, besoin de temps pour souffrir. Besoin de temps pour évacuer le mal, pour évacuer tout ce qu'elle contient. Elle n'a pas encore le courage de laisser sortir la douleur, Anissa. Cette dépression n'existe pas, parce que son nom n'a jamais franchi les lèvres de la blonde. Elle y pense, parfois, bien sûr. Mais jamais, elle ne l'a dit. Comme si elle ne voulait pas que ce soit officiel.
Elle est en dépression. C'est vrai, pourtant. Son mari le voit, pourtant. Sa sœur aussi, peut-être, quoiqu'elle n'a pas eu de nouvelles depuis longtemps – et tant mieux. Marnie tente peut-être de faire son deuil, elle-aussi. Mais Marnie n'était pas aussi proche de leur père, alors Marnie n'était pas aussi affectée pas sa mort, elle ne pouvait pas être affectée par sa mort, voilà ce que se disait Anissa, toujours enfermée dans sa grosse bulle d'égoïsme et d'égocentrisme. Anissa, elle ne pensait même plus à l'état d'esprit dans lequel pouvaient se trouver les deux personnes au monde qui devaient tenir le plus à elle. De toute façon, au fond, elle n'a jamais été vraiment proche de Marnie.

Elle est devenue un tantinet sadique. Peut-être que ça va de pair avec son égoïsme. Elle a toujours été cynique, Anissa, pourtant. La dépression-sans-nom-et-inexistante n'a fait qu'accentuer son caractère amer, que la rendre plus désagréable qu'elle ne l'a jamais été. Pourtant, elle n'est pas méchante, à l'origine, Anissa. Elle a toujours eu du mal à gérer la douleur, c'est tout. Ou plutôt, c'est trop. Mais elle n'y peut rien, si elle n'a jamais su se débrouiller avec ce sentiment compliqué. Avec des tonnes de sentiments, en fait. Quand elle va mal, elle part en vrille.
La preuve.
Elle repousse Jeff, et se sent attirée par d'autres. C'est mal, elle le sait. Elle s'est détestée pour ça, au début. Mais étrangement, comme rien ne va dans son couple, au lieu d'essayer d'arranger les choses, elle s'enfuie. Elle abandonne. Lâchement. Mais elle se déteste. Elle se déteste de songer aussi souvent à Casey, qui l'attire à un point fou, qui l'obsède follement, qui la hante à la folie ; en bref, Casey qui la rend complètement folle, quand Jeff ne suscite plus rien chez elle. Elle se déteste de baisser les bras pour son couple, de ne plus avoir la force de faire un effort. Elle se déteste de le blesser comme elle le fait, elle se déteste d'être ce qu'elle est. Elle le torture et se torture. Mais elle ne peut pas s'en empêcher.
Elle essaie à peine de s'aider. Elle continue de sortir, de faire ce qu'elle fait d'ordinaire. C'est pas forcément bon pour elle, ou au contraire, peut-être que c'est une manière d'avancer. Elle n'en sait fichtrement rien, elle s'en fout bien. Au moins, elle s'amuse. Un peu. « Super alors ! » Elles mentent toutes deux, mais elles savent toutes deux qu'il vaut mieux ne rien demander. « Tant mieux, plus loin de la maison je suis, mieux je me porte ! » dit la blonde sur le ton de la plaisanterie, en se mettant à rire, bien que cette phrase soit pourtant criante de vérité. « D'acc', si tu y tiens. Je m'occupe de la suivante. Et après, on trouvera bien d'autres volontaires. » répond-t-elle en souriant, lorsque son amie déclare qu'elle paiera leur première tournée. Anissa aime aller en boîte, pour la musique, et sans doute plus encore, pour l'alcool. Étrangement, malgré son mal-être, elle ne boit pas plus qu'auparavant, peut-être parce que l'alcool n'a pas sur elle, l'effet tant recherché par d'autres, de faire oublier toutes les problèmes. Dans son cas, il ne fait que les lui rappeler davantage encore, quand elle finit trop ivre. « Je suis certaine que ton mentor est fier de toi, alors. Tu pourrais même lui apprendre quelques trucs, je suis sûre, parce ton mentor s'est plutôt contenté des bars, dernièrement, et n'a pas mis les pieds dans une boite de nuit, depuis... belle lurette. » Son sourire en coin demeure sur son visage, tandis qu'elle prononce ces derniers mots. « Le décevoir ? Ne t'en fais pas pour ça. » Et elle se met à rire, Anissa, alors que c'est devenu tellement rare, ces temps-ci. Et elle suit Ellie, qui l'entraîne par le bras, dans le boite, où déjà bon nombre de gens se trémoussent sur la piste de danse. Alors qu'elles arrivent au bar, Ellie leur commande deux shots de tequila. « Wow, la soirée commence bien ! » commente Anissa, avec enthousiasme. « Oh, tu sais, la routine. Je crois qu'on bat les records de conversations les plus courtes, avec Jeff'. Sinon, ma galerie d'art va ouvrir prochainement. D'ailleurs, tu pourrais venir au premier vernissage, si ça t'intéresse. » dit-elle avec un sourire sincère, éludant le sujet de son mari avec une rapidité déconcertante.  De toute façon, le son est bien trop fort, pour qu'elle s'éternise à ce sujet, bien inintéressant, selon elle. « Et toi alors ? Quoi de beau ? » demande-t-elle, tandis qu'on leur sert leurs verres de tequila.

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l lui est déjà arrivée de s'imaginer ce qu'il pourrait se passer, si elle le larguait. Elle n'en a jamais parlé à qui que ce soit, mais, oui, l'idée lui a déjà effleuré l'esprit. Mais elle n'en a pas honte. Anissa, elle a surtout honte de s'imaginer avec quelqu'un d'autre. De toute façon, elle ne peut pas se résoudre à le faire. Un jour, tout ira mieux. Vraiment ? Une part d'elle, s'accroche encore. Une part d'elle s'accroche à lui, parce qu'il est le premier, le premier qu'elle a vraiment aimé. Elle s'accroche aux souvenirs, elle s'accroche au passé. Elle s'accroche à avant, mais pas à maintenant. Peut-être que d'une certaine manière, elle a encore besoin de lui. Peut-être que d'une certaine manière, elle a besoin de savoir, qu'elle est encore aimée par quelqu'un, au moins. Elle a conscience de ses défauts, elle a conscience de ce qu'elle est, Anissa. Elle se reproche des choses, trop de choses. Mais elle ne fait rien pour changer. Elle a arrêté d'essayer. Jeff, lui, il n'abandonne pas. Jeff, lui, il reste là. Est-ce qu'elle l'aime toujours, Anissa ? Évidemment, oui. Mais d'une manière différent. Ce n'est plus comme avant. Elle ne sait pas à quel moment ça s'est terminé. Peut-être que c'est elle, qui a merdé. Peut-être que c'était foutu, bien avant la fausse-couche, bien avant qu'ils parlent d'être parents. Peut-être que c'était déjà foutu, quand il l'a larguée pour partir faire ses études. Peut-être qu'ils n'étaient pas destinés à être ensemble, contrairement à ce qu'ils disaient avant, en riant. Peut-être que ça l'était même avant de commencer. Elle ne saura jamais. Il a tellement de choses, qu'elle ne sait pas, Anissa. Et elle déteste ça.
Des fois, elle aimerait écouter ses envies. Mais elle a quand même une conscience, An. Elle est capable de pas faire de conneries. De ne pas céder à ses envies. Surtout quand elle sait que ça fera du mal aux gens. Elle a réfréné un certain nombre d'attirances, au cours de sa vie. Ça fait pas d'elle quelqu'un de mauvais, ça fait d'elle quelqu'un d'humain. Il y a eu Ellie, il y a eu Casey, il y a eu l'architecte de sa nouvelle maison, il y a des gens, plein de gens. Mais quand on regarde ailleurs, c'est que quelque chose cloche, non ? Anissa, elle n'a jamais voulu admettre les failles. Elle préfère laisser couler, laisser les choses arriver, sans rien faire. Elle est lâche. Elle a peur, aussi. Peut-être. « Bien sûr que non. C'est pas drôle, sinon. » répond-elle, sourire en coin. Elle se sent plus légère, maintenant qu'elle est là. La pression est partie en même temps qu'elle quittait la maison. Ici, elle respire mieux, Anissa. Elle respire tellement mieux, quand Jeff n'est pas là, à l'étouffer avec son amour beaucoup trop protecteur. Elle préfère largement être là, avec Ellie. Avec Ellie, ça a toujours été tellement plus simple. Anissa se met d'ailleurs à rire, en entendant les mots de cette dernière. « C'est vrai. Il y a des habitudes qui ne se perdent jamais. » Jeff a toujours détesté, qu'Anissa retrouve ses vieilles habitudes. Même si, au fond, elle ne les avait jamais délaissées. Elle avait toujours aimé s'amuser, elle n'avait jamais cessé de sortir. Même au début de sa grossesse. Mais lui, il n'aime pas ça. Il est tout le temps sur son dos, de toute façon. Elle déteste qu'il lui fasse la morale, elle déteste qu'il la prenne pour une enfant. Parce qu'elle a alors l'impression, qu'il ne la prend jamais au sérieux. Qu'il ne lui fait pas confiance. Et rien ne l'énerve jamais autant, que ça. « Tant mieux ! » s'exclame la blonde, en réponse à son amie. Mais son regard se voile. Il y a quelques temps, elle n'aurait pas pu faire ça. Le souvenir de sa grossesse ayant pris fin prématurément, lui revient en plein dans la figure, soudain. Elle s'empresse alors de chasser les pensées tristes qui envahissent sa tête. Elle ne veut pas être triste, ce soir. Elle veut simplement s'amuser, passer un bon moment, avec Ellie. « On verra. » répond-elle en haussant les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance. Comme si elle s'en foutait. C'est l'impression qu'elle donne, souvent. C'est l'impression qu'elle veut donner, surtout. Mais c'est pas vrai ; elle ne s'en fout pas, An. « Génial ! Je suis ravie que tu veuilles venir. Puis, tu pourras égayer la soirée, comme ça. J'ai peur que ce soit mortellement ennuyeux. » admet-elle en riant, bien que ce soit vrai. Elle est terrifiée par l'ouverture de la galerie, Anissa. Elle a peur que les gens soient déçus, que les gens préfèrent quand son père en était le propriétaire. Malgré toute la haine qu'elle a contre lui, une part d'elle l'admire encore. Elle a peur de ne pas égaler son père. De faire un flop. « D'accord, pas de soucis, je te tiens au courant. » D'une certaine manière, elle est rassurée, Anissa, qu'Ellie soit là. Ça lui fera au moins une personne bienveillante – elle ne compte plus Jeff parmi ces personnes. Elle ne sait même pas, si sa sœur voudra venir. L'art, ça n'a jamais été son truc. « Oh c'est génial ! Tu penses à quoi ? » demande-t-elle, sincèrement intéressée. Les mathématiues, les sciences, ça n'a jamais été son truc, mais ça ne veut pas dire qu'elle ne s'y est jamais intéressée. Elle s'intéresse à beaucoup de choses, Anissa, c'est d'ailleurs là l'une de ses grandes qualités – comme quoi, elle n'a pas que des défauts. « Je te souhaite bonne chance... je suis sûre que tu trouveras. » Elle sourit, sincère. Et une idée lui vient. « Mais... si tu veux, je peux te proposer quelque chose, à la galerie ! » s'exclame-t-elle, avec enthousiasme. Ce ne serait peut-être pas grand-chose, mais c'est toujours mieux que rien. Et puis, elle voudrait l'aider. « Ça peut toujours être un petit truc, en attendant que tu trouves quelque chose de mieux. » Elle pourrait avoir besoin d'une secrétaire, ou quelqu'un pour l'aider à organiser le vernissage, ou même pour servir des boissons aux clients. Elle est débordée, Anissa, il lui reste encore des tonnes de choses à faire, avant la ré-ouverture de la galerie. Ça la fait paniquer, même si elle ne le dit pas, à personne. Pas même à Jeff – surtout pas à Jeff.
Voyant Ellie boire son verre d'un coup, Anissa l'imite quelques secondes plus tard, avant d'être entraînée par son amie vers la piste, où se déhanchent déjà plusieurs personnes. Bon sang, ça fait tellement longtemps, qu'elle n'est pas venue ici. Même les shots de tequila, ça fait longtemps qu'elle n'en a pas bu – et elle doit admettre, ça lui a manqué. Pour une fois, elle se sent vraiment libre, libre de faire tout ce qu'elle veut. Sans pression, sans limites. Juste, ce soir, elle veut profiter. Alors elle commence à bouger, au rythme de la musique. Elle chante, aussi, parce que c'est une autre chose, qu'elle adore. Elle n'a jamais eu beaucoup de mal à se lâcher en boite, elle n'a jamais eu beaucoup de mal à s'amuser. C'est dans sa nature. Elle sait être sérieuse, mais elle sait s'amuser. C'est pour ça, aussi, qu'elle n'a pas tellement de points communs avec sa sœur. Marnie, elle n'a jamais été un mentor, pour Anissa. Elle a appris toute seule, elle a tout découvert, toute seule. Et puis, après, elle a montré à Ellie. Anissa, elle a pris l'habitude de sortir avec elle, depuis des années déjà. Elles rigolent bien, ensemble.
Tout en dansant, elle regarde Ellie, les yeux fermés. An la trouve presque apaisée. Elle l'observe, un peu comme avant. Avant, quand elle sortait avec son frère, mais qu'elle regardait un peu trop Ellie. Au fond, elle a toujours senti cette attirance. Elle a juste préféré la taire, comme tant d'autres. Pour ne pas faire souffrir, une nouvelle fois. Et puis, ça s'est fini, avec son frère. Et l'attirance s'est rangée dans un coin – plus ou moins. Mais elle la sent ressurgir. Alors elle s'arrache à sa contemplation, et essaie de penser à autre chose. « Faudrait vraiment qu'on sorte ensemble plus souvent ! » s'exclame Anissa, le plus fort possible, pour qu'Ellie l'entende.

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t si la galerie déçoit ? Et si ça ne plaît pas ? Et si elle n'est pas faite pour ça, Anissa ? Tellement de questions envahissent sa tête. Elle flippe, elle est anxieuse comme elle ne l'a jamais été. Elle ne joue pas sa vie, pourtant. Au pire, ça fera juste un flop. Mais cette galerie, au fond, c'est toute sa vie. C'est son rêve, depuis son plus jeune âge. C'est une promesse de son père, depuis toujours. Et c'est à elle, maintenant. Elle a encore du mal à y croire ; surtout, elle aurait aimé en hériter d'en d'autres circonstances. Surtout, elle aurait ne pas découvrir, ce qu'elle a découvert. C'était pas prévu, tout ça, c'était pas le deal. Y'a tout qui lui est tombé dessus, mais Anis, elle avait rien demandé. C'est peut-être pour ça, qu'elle a l'air d'être en colère, contre le monde entier. « Je sais pas... Ça m'angoisse. » avoue la blonde, un peu piteusement. « Mais merci de ta confiance, tu es adorable. Comme toujours. » Nouvel aveu. Ou peut-être pas. L'ambiguïté est-elle seulement perceptible, dans ses propos ? Elle n'en sait rien. Et puis, ce n'est même pas volontaire. Ou plutôt, si, mais disons qu'elle a arrêté d'essayer de ne pas dire ce qui ne doit pas être dit. Elle arrête les efforts, elle n'en peut plus de plaire à tout le monde – notamment à son mari. Au fond, elle se doute que c'est foutu, entre eux. C'est peut-être pour ça, qu'elle agit comme ça, avec lui. De toute façon, elle n'a plus rien à perdre. « Wow, ça m'a l'air bien compliqué, tout ça. Mais je suis sûre que tu y arriveras. Bon courage pour choisir ! T'as pas une petite préférence, quand même ? » demande-t-elle, avec un sincère intérêt. « Je t'imagine tellement dans Grey's Anatomy. » dit la blonde, avant de se mettre à rire. « Par contre, j'espère pour toi que ton Dr Mamour mourra pas, tu lui diras de faire gaffe aux camions. » ajoute-t-elle, sarcastique. « Plus sérieusement, j'ai pleuré quand il est mort dans la série. » admet-elle, prenant un air grave.
L'étudiante lui dit rechercher un petit boulot. Anissa, elle pense aussitôt à lui proposer de l'aide à la galerie, parce qu'elle en a besoin. Ça la stresse, l'ouverture, alors un coup de main ne lui fera pas de mal. « J'ai besoin d'aide pour beaucouuup de choses. Du coup, ça pourrait nous arranger toutes les deux. » dit-elle, sourire aux lèvres. « J'ai besoin de serveurs, de quelqu'un pour s'occuper du site de la galerie, de quelqu'un pour le ménage, et des tonnes d'autres choses encore. J'ai toujours du travail pour mes amis, quand ils en ont besoin, ne t'en fais pas. » Elle est sincère, Anissa. Même si elle n'avait besoin de personne, elle trouverait bien quelque chose à lui proposer. Elle a les moyens de la payer – il faut dire que l'héritage n'y est pas pour rien. Elle a eu de la chance, de venir d'une famille aisée. Les petits boulots, elle en avait, quand elle faisait ses études en France, mais c'était surtout pour ne plus dépendre de ses parents. Elle voulait se débrouiller seule, même aussi loin. Mais ses parents ont toujours assuré ses arrières. « Ne t'en fais pas, ça ne me gênerait absolument pas. Je serais ravie de pouvoir t'aider. Et puis, avec ce que je te propose, les horaires seraient flexibles. Mais je peux quand même voir si j'ai des contacts qui recherchent quelqu'un, ce n'est pas un problème. À toi de voir. » Elle a parlé un peu plus fort en prononçant ces derniers mots, parce qu'avec le bruit, elle n'est pas sûre qu'Ellie entende tout. Si ça se trouve, elle n'a même pas entendu ses blagues sur Derek Shepherd.
Mais la musique finit par l'emporter, elles s'envolent vers la piste de danse. Ça fait longtemps qu'elle n'a pas dansé, Anissa, ni même chanté – surtout pas chanté, même. Elle le faisait souvent, avant. Pour la première fois depuis longtemps, elle n'a pas envie de laisser ce truc, cette « dépression », l'emporter. Elle a de bons souvenirs en mémoire, de ceux qui donnent envie de vivre. Comme la musique. La musique, ça l'a toujours mise de meilleure humeur. Des fois, elle déteste même ça. Parce que parfois, elle veut juste rester en colère contre le monde entier, mais y'a la musique, qui lui change les idées. Elle a un effet bénéfique sur son humeur, souvent. Oui, elle lui donne envie de vivre. D'accomplir des milliards de choses. Des fois, c'est frustrant, aussi. Parce qu'elle a l'impression de ne rien pouvoir faire. « Tu as raison ! » Elle s'est arrachée à sa contemplation, pour lui crier à travers la musique, qu'elles devraient faire ça plus souvent. Elle doit admettre, Anissa, qu'Ellie est toujours aussi attirante. Elle pourrait la détester, pour ça. Pas pour une jalousie quelconque. Juste parce qu'elle l'attire, elle, Anissa. Anissa mariée, Anissa cassée. Il ne s'est jamais rien passé entre elles, c'est peut-être destiné à rester ainsi. De toute façon, Anissa n'a plus d'amour pour personne, elle n'a plus d'amour que pour elle-même. Égoïstement. « Toi aussi. » elle répond, à voix basse. Ellie n'entendra certainement pas, avec tout le brouhaha. Mais elle devinera, sans doute. Peut-être. Mais elle n'est pas gênée, Anissa. Au-delà de l'attirance, son amie lui a manqué. Ellie, c'est l'une de ses plus anciennes amies – l'une de celles qu'elle voit encore. Elle en a perdu bon nombre, en vingt-sept ans d'existence. Celles qu'elle ne voit plus, elle préfère se dire que c'est qu'elles n'avaient rien à faire dans sa vie. « Je te le promets. » répond-elle. Et elle est sincère. Anissa aussi, elle tient beaucoup à cette amitié. Elle serait perdue sans elle. Elle coule déjà beaucoup – imaginez-la vivre sans l'une de ses plus proches amies. « Et toi aussi. Comment je pourrais critiquer Jeff, sinon. » dit-elle en se mettant à rire, parce qu'elle n'a pas envie d'être triste. Il n'y pas grand monde, avec qui la blonde se sent libre de parler des dessous de son mariage. Elle est peut-être lunatique, cynique et profondément égoïste, mais Ziegler, ça reste un sujet à part. Qu'elle le veuille ou non.

© Mister Hyde