Le téléphone qui vibre pendant que j'avance d'un pas rapide. Je décroche tout en continuant à avancer, pressé.
- C'est moi. Évidemment que c'est lui, y a que lui qui m'appelle. Je souris. T'as entendu les infos, quelque part ?
Je fronce les sourcils, surpris par sa question. Dans un réflexe instinctif, je regarde autour de moi avant de répondre.
- Euh, ben non, pourquoi ?
- Bon, écoute, panique pas - génial, je sens que je vais paniquer - mais ils bloquent complètement Tybee Island.  Sûrement de la connerie tout ça mais... bref, paraît qu'il y a un virus qui traîne.
Je m'arrête aussitôt, la bouche entrouverte les yeux écarquillés et dans ma poitrine, mon cœur qui rate un battement et se heurte douloureusement à cage thoracique.
- Attend, q-quoi ? Un virus ? Quoi comme virus ? Tu vas bien ?!
Je me remets aussitôt en route et accélère le rythme, cent fois plus pressé d'arriver. Putain, putain, c'est quoi cette histoire encore ? Je l'entends tousser au téléphone et je deviens livide.
- Mieux vaut que tu restes où t'es, ok ? t'approches pas, ça sert à rien t'arriveras pas à entrer.
Je m'étrangle à moitié.
- Que je res.. ? Mais t'es malade ! J'arrive d'accord ? Enferme toi quelque part tout seul en attendant que j'arrive d'accord ? Et lave toi les mains.
Ma voix se fait autoritaire et sans plus attendre, je me mets à courir. Est-ce qu'il pense vraiment que je vais le laisser là-bas, tout seul ? Hors de question. Jamais.

- J't'ai dis de pas paniquer...
Ben oui bien sûr, il est coincé dans une zone contaminée et je ne dois pas paniquer. Il en a de bonnes lui. Qu'est-ce qu'il m'énerve quand il fait ça. Celui que rien n'atteint, comme si rien n'était jamais grave. Je l'entend geindre au téléphone lorsque je lui dis que j'arrive mais ça ne me fait pas ralentir pour autant. S'il croit que je vais l'écouter, il se leurre.
- Oui, bien sûr, la sécurité sanitaire décide de mettre toute une ville en quarantaine, mais si je me lave bien les mains ça va aller.
Je grogne un peu, agacé par ses sarcasmes immatures.
- Ecoute, on n'sait pas comment le virus se propage alors on est jamais trop prudent ! Arrête de faire chier et fait ce que je te dis. S'il te plait.
Pourquoi il refuse toujours de m'écouter ? Pourquoi faut toujours qu'il n'en fasse qu'à sa tête ?
- Ecoute-moi putain, j'veux pas que tu viennes, je te dis ça ne sert à rien tu vas être bloqué.
Blablabla. Je ne l'écoute pas. Par contre, j'entends. Je l'entend qui tousse et la panique grandit, prend toute la place.
- Pourquoi tu tousses ? T'es contaminé c'est ça ? C'est pour ça que tu ne veux pas que je vienne ?!
La foule s'intensifie et bientôt, j'aperçois les véhicules militaires et sanitaires. Putain de bordel de merde. C'est du sérieux.
- Je bouge pas du foyer moi, de toute façon. Il peut rien m'arriver.
Je ralentis, essoufflé.
- Ben oui, c'est bien connu... Je reprends mon souffle. - Le virus va s'arrêter aux portes du foyer. C'est comme les nuages nucléaires qui s'arrêtent aux frontières des pays. Trop sympa d'leur part.
C'est un bordel sans nom autour de moi. Ça crie, ça se bouscule, ça proteste, ça pose des questions. Y a des journalistes partout, des gens au téléphone, c'est n'importe quoi.
- Putain Micha, ça a l'air vraiment grave.
Faut que je trouve un moyen de rentrer.

- J'tousse pas...
- C'est ça..
Que je me marmonne à mi-voix, plus pour moi que pour lui. Il ne tousse pas, j'ai des hallucinations auditives, je suis la Jeanne d'Arc de la toux.
- De quoi tu causes ?
Je lève les yeux au ciel, classique.
- Laisse tomber et lave toi les mains, pitié.
Mais il a probablement raison. Ça ne suffira peut-être pas. Vu ce qu'il se trame aussi, ça a l'air vraiment vraiment grave. Comme le scénario catastrophe d'un film Hollywoodien. Je n'aime vraiment pas ça. Mon souffle refuse de se calmer, malgré le fait que je récupère de ma petite course.
- Woo...
Je me fige.
- Woo ?? Quoi "woo" qu'est-ce qui a ?!
Qu'est-ce qu'il me fait là ? J'oublie un instant tout ce qui se trame autour de moi pour me concentrer sur lui, le regard affolé.
- Bordel Junior, je t'ai dis de pas venir ! Casse-toi, t'as compris ? Barre-toi tout de suite ! Eloigne-toi de Tybee !
Je me redresse, surpris de cette agressivité soudaine. J'entrouvre la bouche mais aucun son ne sort. Perdu, je recommence à regarder autour de moi, sans plus savoir quoi faire.
- Je..
Je, je, je quoi putain ? Je panique.
- J'me sens pas très bien ok ? C'est sûrement que dalle mais t'as pas intérêt à te pointer, de toute façon, tu pourras pas entrer. J'pense qu'il n'y a rien de grave, mais... mais j'veux pas que...
Je deviens livide à ses paroles. Comment ça il ne se sent pas très bien ? Non. Non ! Mon palpitant s'affole, mon ventre se noue et je suis pris de bouffées de chaleur.
- J'veux pas prendre le risque qu'il t'arrive quoi que ce soit... s'il te plait, fait ça pour moi. Va en centre ville, prend un café, on se verra quand la quarantaine sera levée..
Mais je ne l'écoute pas et je parle par-dessus la fin de sa phrase, nerveux.
- Attend, attend, c-comment ça tu te sens pas bien ? Putain, je.. Je passe une main sur mon front. - Je n'irais nulle part putain ! Tu crois que je vais te laisser tout seul dans ce merdier ?! Tu m'connais mal ! Et raccroche pas ok ? Je t'interdis de raccrocher.
Je souffle, tourne en rond, tout s'emmêle dans ma tête. Je finis par m'approcher du barrage et notamment d'un militaire.
- Excusez-moi, faut que j'passe.
Ma voix est tremblante mais autoritaire malgré tout. L'homme me toise brièvement.
- Personne ne rentre, personne ne sort. Eloignez-vous maintenant.
- Mon frère est dedans ! Et je ..
- Eloignez-nous !
Je me fais éjecter en protestant, furieux.
- Micha, est-ce que des gens sont morts ?
Sûrement. Ou ça ne va pas tarder en tout cas vu les moyens déployés pour contrôler le quartier. Je commence à longer le barrage, à la recherche d'une faille. Je rentrerais, qu'il le veuille ou non. Je ne l'abandonnerais pas.

- Rien je... J'me suis relevé trop vite.
- T'as bu ?
Que je demande aussitôt, avec l'espoir que ce soit. Que ce ne soit rien d'autre que ça. Encore un énième abus de bières. Je tends l'oreille alors que j'entends une voix autre que la sienne venir du combiné mais je ne perçois pas tout et très vite je n'entends plus rien. Je me braque un peu. Je préfèrerais le savoir seul cloîtré quelque part. Y a trop de monde au foyer, beaucoup trop de monde.
Alors je m'emballe, j'accoste un militaire sans plus attendre, ignorant les protestations de Micha dans le combiné. Mais ça ne se passe pas comme prévu et j'enrage. Les salauds. C'est pas comme si je demandais à sortir de la zone de quarantaine. Je veux y entrer, putain, y entrer.
- Tu vois, tu peux pas entrer... j'te jure ça sert à rien que tu poireautes devant pendant des heures, et si jamais... si jamais y a vraiment un virus qui traîne bah... peut-être qu'il vaut mieux pas que tu sois dans le coin...
Je fronce les sourcils, en colère. Ma voix se charge d'émotions, un peu trop peut-être, elle devient tremblante.
- T'es sérieux ? Tu crois que je vais t'abandonner ? Que je vais attendre à l'extérieur pendant que t'es là-bas et me contenter de prier pour que tu t'en sortes ?
On a déjà abandonné Bee, je ne referais pas deux fois cette erreur. Je déglutis, mes yeux se gorgent de larmes à cette pensée. Je me sens vraiment mal. Hors de question de perdre Michael. Hors. de. question.
- Ouais, enfin... tu sais, c'est ce qu'ils disent aux infos... c'est peut-être... peut-être pas vrai. Je t'en supplie, éloigne-toi de Tybee. Je... ok, ça va, peut-être bien que je suis malade et si c'est le cas... si c'est le cas hein ? Ca servirait à quoi que tu sois avec moi ? A que dalle, je veux pas qu'il t'arrive un truc.
Je continue d'avancer à la recherche d'une brèche dans le barrage, d'un endroit sans surveillance, n'importe quoi où je pourrais me glisser. Et tout en avançant, je me mets à hurler dans le téléphone, au bord de la crise de panique, la voix chargée de sanglots.
- J'VEUX PAS QU'IL T'ARRIVE UN TRUC NON PLUS ! Micha je.. putain. Je t'ai déjà perdu une fois je .. je veux pas revivre ça d'accord ? Il faut que je rentre. Il faut que je te rejoigne, il faut que je t'aide, il faut que je sois là. Je vais trouver un moyen Micha, t'entends ? Je vais rentrer et je trouverais une solution pour toi si jamais t'as le virus.
J'm'en fous si c'est pas possible, cette option n'est juste pas envisageable pour le moment. Les mains tremblantes, je fulmine en constatant que la quantité de militaires et de policiers ne faiblit pas au fur et à mesure de mon avancée. S'il faut, je me jetterais à l'eau et je nagerais jusqu'à rejoindre Tybee Island par la plage.

-  J't'ai dis que j'm'étais relevé trop vite !
Ça ne me rassure pas. J'aurais préfère qu'il me dise oui, qu'il est bourré comme pas permis et que c'est pour ça qu'il est vaseux. Juste ça, rien d'autre. Rien qui puisse me donner des sueurs froides.
- C'est ça... faut que tu pries pour moi.
Je connais son opinion sur la question et je la respecte, je la comprends même. Parce que il m'arrive de douter parfois, de me poser des questions. De me dire que c'est pas possible tout ça. Y a cette contradiction entre notre éducation - bourrage de crâne serait plus exact - et la logique. Je préfère garder le silence, ce n'était franchement pas le moment pour se lancer là-dedans. Et à vrai dire, pour l'instant, j'avais plus envie d'agir que de prier. Sûrement qu'un véritable croyant aurait fait l'inverse. Sûrement.
- Tu peux rien faire. T'es pas médecin.
Sa voix est trop calme, comme résignée. Et ça me glace le sang. Je me sens de plus en plus nerveux, je continue d'avancer sans parvenir à réfléchir. J'suis p't'être pas médecin mais j'suis malin, je suis sûr que je peux trouver une solution. J'en suis fermement convaincu. Je n'ai pas le choix. Il faut que je trouve. A chaque fois que je l'entends tousser à nouveau, je pâlis un peu plus. C'est insupportable comme situation. Cette impuissance va me rendre dingue.
- Junior... tout ce qui t'arrivera à faire si tu me rejoins c'est... c'est d'être contaminé aussi. Si c'est... si c'est aussi grave qu'ils le disent, alors y a vraiment rien à faire. Mais... mais ça va, t'inquiète pas.. je suis pas inquiet moi.
- T'es pas inqui.. ?! Mais putain ! T'es pas bien, je t'entends tousser je, je le sens que t'es pas bien Micha me prend pas pour un con ! Y a forcément quelque chose à faire. Y a toujours quelque chose à faire.
Je sais que c'est faux mais je refuse clairement d'accepter cette réalité.
- Tu sais quoi... va prier. Non je suis sérieux. Vas-y, ça te fera du bien. C'est pas grave.
Les larmes me montent aux yeux et je me tends de plus en plus. Faut qu'il arrête, putain. Qu'il arrête d'être calme comme ça. Comme s'il acceptait son sort sans rechigner, sans se battre. Il n'a pas le droit.
- Non j'ai pas envie de prier Micha ! J'ai envie de te sortir de là ! Je rentrerais, j'te jure que je vais rentrer. J'en ai rien à foutre d'être contaminé si tu l'es aussi. Je pourrais pas vivre si t'es plus là. Et tu le sais très bien.
Il le sait, parce que c'est pareil pour lui. C'est une sorte de vérité évidente, y a rien qui puisse changer ça. On est trop liés pour survivre l'un sans l'autre. Je regarde autour de moi, cherchant à rassembler mes esprits pour trouver une chose intelligente à faire. C'est là que je repère un des camions des autorités sanitaires. Je m'approche prudemment et quand je suis sûr que personne ne me voit, je pénètre dedans, priant pour qu'il soit vide. Bingo. Y a des combinaisons et je me dis que c'est peut-être ma porte d'entrée. Je murmure tout doucement.
- Micha, j'ai peut-être trouvé le moyen de rentrer en toute sécurité.
Et je m'en fous s'il désapprouve.