« T’as ta carte d’identité ? Tu fais pas 21 piges. » Roh putain, sans déconner ? J’avais vraiment encore besoin de sortir des billets de ma poche pour qu’on me laisse sortir de la supérette avec des maudites bières ? Fait chier. J’aurais pu en piquer dans le frigo de l’appart. Je l’ai même déjà fait, mais quand l’un des mecs est venu me gueuler dessus pour me dire qu’il fallait pas toucher à la marchandise sans demander… Plutôt crever. J’aimerais bien qu’on soit plus de filles à l’appart, parfois. Pour se serrer les coudes, pour rigoler entre nous, pour… j’en sais rien. J’aimerais bien avoir des potes moi, c’est tout. Et c’est pas avec Peter, Bren ou Curly que je vais m’en sortir. Entre ceux qui me prennent pour une gamine ou ceux qui peuvent pas m’saquer sans raison. « Tiens, t’es content ? » Je sortais un billet de dix dollars de ma poche, le posant sur le comptoir. Le mec derrière la caisse souriait comme un débile. « Allez, tchous. », je récupérais mon petit pack de bières. Douze canettes rien que pour moi. Je les cacherais probablement sous mon lit pour que personne mette les mains dessus puis je les boirais de temps en temps, quand j’serais pas de bonne humeur, quand j’aurais envie de m’amuser. Je fume souvent. Des cigarettes, des joints. La bière, par contre, ça arrive moins souvent. J’en bois une, deux de temps en temps, pas plus. J’suis pas une alcoolique.

Je quittais la supérette du coin tenant mon pack d’une main, surfant sur Twitter de l’autre. J’avais récupéré un téléphone il y a déjà quelques temps, j’avais créé un compte Facebook, un compte Twitter. J’y comprenais pas grand-chose, mais j’arrivais à m’en servir pour discuter avec les autres. Sil, Jael, Otto. On se suivait, puis parfois, on s’envoyait des messages. Otto répondait d’ailleurs à celui que je venais de poster, demandant si quelqu’un aurait envie de se siffler une bière. M’annonçant qu’il était à l’appart, je lui répondais que j’arrivais. Je montais les escaliers à vive allure sans pour autant essayer de me péter les jambes, puis je poussais la porte de l’appart sans vraiment savoir qui était là, vêtue d’un sweat noir et d’un jean déchiré de la même couleur, mes converses aux pieds. Certains devaient probablement encore dormir dans les chambres… en tout cas, je ne voyais personne dans le salon. Je me permis donc de m’installer dans le canapé, mon précieux sur les genoux, attendant impatiemment qu’Otto me rejoigne. Je ne le connaissais pas plus que ça, mais c’était quelqu’un de chouette. On a parlé brièvement, il avait l’air sympa, puis j’avoue aimer son style. Les mecs qui portent des robes, des collants, du maquillage… ça arrive pas souvent. Et même si je déteste ces trucs-là, j’suis fière de voir qu’il ait les couilles de s’habiller comme ça malgré le regard des autres. Moi, on a beau me prendre pour un mec, j’m’en tape. Mais pour lui, ça doit être plus dur… les gens sont cons, des moqueries, il doit en entendre un tas.

Twitter... qui aurait cru que les Lost Boys ait l'usage de Twitter ? Pas Otto en tout cas, il avouait volontiers qu'à l'origine il avait une image très cliché d'une bande de gamins perdus vivant en tas dans un immeuble. Otto, quand on lui avait vendu ces images, il imaginait le squat, le truc délabré, les mecs qui mettent les seaux à la fenêtre pour récolter de l'eau de pluie et se faire des douches froides, les mecs qui pour avoir de l’électricité détournaient le courant directement depuis un poteau électrique. Mais non, au final cette petite bande de truands, de garçons et de filles pas très propres et avec rarement un rond se baladaient quand même tous avec des putain de smartphones et des réseaux sociaux à ne plus savoir où regarder. Otto devait avouer que le monde évoluait vachement plus vite qu'il ne l'aurait imaginé, au point que même le clodo du coin avait le dernier Iphone. Cela aurait pu en être terrifiant, surtout quand on croyait dur comme faire au soulèvement des machines mais en réalité... en réalité Otto trouvait cela vachement marrant, surtout quand une discussion con sur Twitter pouvait lui permettre de passer une soirée bière avec un des autres membre du groupe avec qui il n'avait pas encore eut l'occasion de vraiment parler, du moins pas assez pour tout connaître de l'autre.

Du coup Otto se préparait, appliquant méticuleusement ce rouge à lèvres noir sur ces lèvres car il n'aimait presque que le noir et qu'il passait un petit coup d'eye liner pour rehausser son regard. Car il se fichait bien des remarques de Sasha sur le fait qu'ils n'allaient pas sortir en boite, Otto aimait ça se rendre joli. Il avait peut être zéro sens de la mode mais au moins... il aimait se rendre plaisant, à lui même en tout cas, dans le miroir car après il ne s'en sentait que mieux. Il quitta finalement la salle de bain, rejoignant le salon dans une tenue parfaite si il avait voulu tirer un gros poisson. Un skinny jean noir troué, un bas résille franchement visible en dessous, par dessus le tout une jupe écossaise rouge sur laquelle tombait telle une cascade ses têtes de poupées décapité et pour achever le tout un bête t-shirt noir avec un bomber noir franchement usé. Au final c'était un style plutôt sobre mais jouant assez avec les genres pour attirer les gros poisson que Otto aimait prendre pour cible tout en énervant les homophobes. « Me voilaaaaaaa ! Prêt à siffler des bières ! » Fit-il en levant les bras telle une star car Otto aimait se moquer des stars. Il traversa d'un pas rapide le salon et attrapa le bras de Sasha sans se montrer brusque pour autant avant de lui lancer un « Restons pas là, les autres chieurs vont vouloir siffler les bières avec nous si il se réveillent ou entre. On va aller sur le toi comme ça on pourra pisser sur les passants. » Le sourire à ses lèvres s'élargit alors qu'il commença à la tirer pour lui donner le dernier coup de pouce avant de la libérer afin de la laisser aller à son rythme tandis qu'il quittait l'appartement et grimpait les marches avec entrain, prêt à se changer les idées et à questionner Sasha qui, à son goût, était une bien étrange et intéressante petite créature parmi les LB.

Depuis quelques temps, je sais pas si certains l’ont remarqué mais je fais de plus en plus le premier pas avec les autres. J’ai offert un truc à Bren en espérant pouvoir discuter un peu avec elle, j’ai proposé à Otto, un garçon que je ne connais qu’à peine de siffler des bières à l’appart. Je m’améliore. Est-ce que c’est une bonne chose, ou est-ce que je devrais faire attention ? J’en sais rien, en tout cas, j’ai juste remarqué qu’en ce moment, c’est plus facile pour moi. D’habitude, j’évite de m’intégrer, je préfère ne pas m’attacher aux gens parce que j’ai peur de les perdre, j’ai peur qu’on me déçoive ou qu’on finisse par me faire un coup de pute… Mais rester seule toute la journée, c’est quelque chose qui commence à me gaver. Vous y croyez ? J’suis toute seule depuis toujours, et c’est après quinze ans que j’commence à en avoir marre. Vaut mieux tard que jamais… J’espère juste ne pas regretter de m’ouvrir autant pour certaines personnes.

« Enfin. T’en as pris du temps. » je lui répondais, riant un peu alors qu’il s’approchait du canapé, quittant enfin la salle de bain dans lequel il avait probablement passé une bonne trentaine de minutes si ce n’est plus. Il m’a attrapé le bras pour me lever du canapé. Je fronçais un peu les sourcils. Je savais pas vraiment comment il fonctionnait, donc je me laissais faire. « Ouais, d’accord… c’est pas con ! » je riais, me levant du canapé, un grand sourire aux lèvres avant de le reprendre. « Ouais, j’te laisserai pisser sur les gens seul, du coup… j’pense pas que mon corps soit compatible avec cette tâche. » Pisser sur les gens… ? Vraiment ? C’était bien un mec, en chair et en os.

Sans oublier mon précieux pack de bières, on quittait tous les deux l’appartement des lost boys, montant rapidement les escaliers pour enfin pousser la porte qui menait au toit, d’ailleurs vide à cette heure-ci. Il faisait pas chaud, il faisait pas froid… il faisait juste bon. Il n’y avait pas plus de soleil que lors des autres jours, tant mieux, je déteste le soleil. Je me suis ruée jusqu’au bord du toit où j’ai déposé les canettes pour m’asseoir sur le bord, les pieds dans le vide. « T’attends quoi ? » Je lui lançais alors que j'ouvrais déjà l'une des canettes, en foutant un peu par terre... j'aurais pas dû bouger la boîte dans tous les sens.

Du temps ? Otto prendre du temps ? Bien sûr qu'Otto prenait du temps, il avait justement tout son temps ! Après tout n'étais-ce pas là tout l'intérêt de vivre dans la rue ? C'était en tout cas l'avis de Otto et c'était pour cette raison aussi qu'il avait décidé de se pouponner comme une jolie poupée même si il allait se contenter de boire des bières sur le toit. Il ne prit donc pas la peine de répondre à la remarque de la plus jeune, se contentant de lui tirer la langue tandis qu'il tirait gentiment Sasha à se lever et le suivre. « Oh si tu savais ce que l'on voit dans les bars parfois... franchement l'excuse d'être une fille ne prend plus, vous visez même mieux ! » Otto se mit à rire mais en même temps... en même temps il était sérieux ! Il en avait vu des choses étranges dans les bars glauques où il avait traîné juste pour traîner dans des bars glauques et en effet... les femmes étaient compatibles avec ce genre de tâches et visaient parfois même mieux que les hommes. Donc non, cela ne prenait pas avec lui ! Même si non, il n'a pas réellement prévu de faire ça une fois là haut... non pas qu'il n'en soit pas capable, loin de là, mais à choisir sur quel genre de population pisser il préférait pisser sur ses voisins de Tybee Island.

Une fois arrivée en haut sa camarade ne l'attendit pas, se dépêchant de rejoindre le bord du toit sur lequel elle prit place sans réfléchir aux conséquences d'une possible chute mortelle et douloureuse... Otto aimait ça ! Elle avait du cran la petite et il n'aurait pas à s'emmerder à juste regarder le ciel en buvant des bières, tous les deux pourraient flirter avec la mort en agitant les pieds dans le vide comme des enfants, des enfants sans peur ni grande espérance de vie. Il se précipita à son tour pour la rejoindre, sautant presque par dessus le rebord et lâchant un bon gros « Merde ! » en voyant sa chaussure se barrer et chuter... chuter... jusqu'à faire un gros boing sur la benne à ordures qui se trouvait plus bas... oui, Otto aurait très certainement dû faire ses lacets ! Mais il regarda sa petite chaussette rouge et haussa finalement les épaules avant de commencer à balancer ses pieds « Boarf, elle risquera pas de tomber plus bas comme ça ni de se barrer sans mon pied. » Otto prit alors une cannette, l'ouvrant au dessus du vide après avoir vu l'accident survenu avec celle de Sasha avant de vite la ramener à sa bouche, attrapant ce qui gouttait encore et laissant une belle marque noir sur le rebord de cette dernière « Pourquoi tu recherchais un mec mortel ? Puis tu entendais quoi par mortel aussi ? Wesh t'es pas une demi déesse hein ? Genre fille d'une déesse style Héra, Athéna ou Paluténa ? » Otto la regardait d'un air très sérieux car tout de même... ce serait vachement la classe de connaître une demi déesse !