un. famille, le syntagme étranger, l’inconnu qui sonnent creux à ses oreilles. maman a mis au monde des jumeaux, mais maman a jamais vraiment su endosser le rôle maternel. maman, elle avait le cerveau d’une gamine de quinze ans. instable, fragile. on savait jamais vraiment où la trouver, où la joindre. elle disparaissait aux premières lueurs du jour, et la vieille bicoque familiale se trouvait vide de sa présence pendant des jours et des jours. des semaines. parfois alors elle revenait, les yeux brillants, le sourire béat coincé aux lèvres, déversant ses plus belles promesses, faisant miroiter un avenir où elle ferait enfin acte de présence. où il ne serait question que de farrah, jack et elle. et puis le lendemain c’était de nouveau le silence radio, le désert. faut dire que maman, elle tombait éperdument amoureuse au moins vingt fois par mois. alors elle préférait vivre la grande vie, se laisser happer par les premiers émois, les sentiments amoureux plutôt qu’élever ses propres gosses. oui elle était comme ça, maman.
deux. papa,il était cadre. puis boucher, jardinier, homme d'affaires. papa il était un peu tout et rien à la fois dans la bouche de la matriarche. les mensonges éhontés pour cacher l’horripilante vérité. parce que maman, elle n’a aucun souvenir de l’homme qui l’a engrossé. alors elle préfère s’inventer ses propres vérités.
trois. jack, il n’a jamais supporté le comportement de sa mère. l’abandon constant, les promesses, les illusions amères, l’instabilité. colère bouillonnante qui brûlait en fond de ses entrailles à chaque fois que son visage s’imposait durement à son esprit.
quatre. farrah c’était son tout. ce lien fusionnel sur lequel on ne pouvait poser les mots. farrah, c’était le phare dans la tempête, le radeau au milieu de l’océan. se comprendre en un regard, sans éprouver le besoin de souffler le moindre mot. farrah c’était l’âme à laquelle se raccrocher. mais farrah, c’était aussi l’ouragan, les montagnes russes. l’orgueuil, l’envie de protection, la possessivité. farrah c’était le tsunami d’émotions contradictoires. parce qu’y avait plus qu’elle qui comptait chez les flores.
cinq. farrah, c’était aussi la dictatrice familiale, intimement persuadée qu’elle avait le pouvoir de réunir cette famille éclatée. d’améliorer les relations mère et fils. elément de discorde au sein des jumeaux incapables de trouver un terrain d’entente. incapable de réduire ce fossé qui se creusait entre eux.
six. jack le fuyard, trouvant refuge dans la rue, loin de l’étouffant malaise familial, loin des conflits avec sa sœur. jack c’était ce gosse qui arpentait le bitume usé, celui qu’on voyait trainer un peu partout. il a jamais fréquenté les bonnes personnes, jamais fait les bons choix. son éducation, il l’a tirée de ces journées sans saveur, des deals, des coups portés sur les flancs, des ecchymoses violacées imprimées sur sa peau. c'est là-bas qu’il a tout appris, qu’il s’est endurci.
sept. nash ça a d’abord été le voisin. aujourd’hui c’est le pilier, le frère sur qui on peut compter depuis des années. deux âmes reliées, se raccrochant l’un à l’autre pour s’éviter de divaguer.
huit. il a été trop égoïste, jack. il le voyait, il le sentait qu’il perdait peu à peu pied avec farrah. qu’il la perdait tout court à jamais vouloir faire d’effort pour leur famille. surtout pour elle, au fond. pourtant il a rien fait. il a rien fait pour tenter de panser les blessures béantes. il a fait l’con jack. le lâche.
neuf. c’est la maladie, qui a rendu prisonnière la mère de son étau douloureux. happée vite, trop vite. farrah est restée à son chevet jour après jour, heure après heure. jack n’y a pourtant pas mis un seul pied dans ce foutu hôpital. jamais. petit con trop orgueilleux, trop de rancœur étouffée au fond du palpitant. et puis maman est décédée. et jack n’a toujours pas daigné se bouger.
dix. farrah, elle a jamais voulu pardonner, alors elle a fini par exploser. et elle l’a abandonné. la porte qui claque, le coup de vent et puis le silence. lourd, pesant. farrah c’était un tout. son tout. mais farrah c’est devenu l'étrangère. la rage, l'orgueil, l’abandon. c’est aussi le regret, s’aimer sans pouvoir de nouveau se le dire.
onze. jack, il a vécu son départ comme une trahison. la distance et la tristesse ont tout dévasté, tout emporté. aujourd’hui, y a plus que de la colère et du chagrin mal dissimulés. il se persuade vainement qu’elle a fait son choix en l’abandonnant, que rien n’est de sa faute, à lui. parce que c’est plus facile de reporter la rage contre quelqu’un d’autre que soi même, faire croire à tout le monde qu’on est capable de passer à autre chose. qu’on vit dans le présent sans regret. mais farrah, c’est la seule chose qui le rappelle à l’ordre. qu’on oublit pas aisément, qu’on guérit pas facilement.
douze. jack, il s’est enlisé, prisonnier des pensées douloureuses. il s’est fermé, a pris un peu de distance, les traits du visage durcis par le chagrin. maudissant cette gémellité, cet attachement éprouvé qui l’a rendu vide, creux. jack il est devenu moins tolérant, plus dur et impatient, le sarcasme aussi affuté que des lames de couteau.
treize. le sentiment d’abandon lui fait perdre pied. peur viscérale lui mordant les entrailles, peur de faire face aux gens qui partent, aux gens qui l’abandonnent. alors l’attachement est difficile, l’appréhension guette, n’est jamais bien loin.
quatorze. jack, il a peu, si peu d’estime pour lui-même. y a le regard insolent parfois arrogant, souvent froid, le sourire agaçant au coin des lèvres. on le croirait presque confiant, trop peut-être. pourtant jack, il a jamais cru en lui. jamais cru qu’il serait capable de faire quelque chose de bien dans sa vie. jamais pensé qu’il serait à la hauteur. et parfois il le voit encore, ce petit morveux qu’il a été. et qu’il pense être encore parfois.
quinze. faire dans la légalité, ça n’a jamais vraiment été envisageable. un bar miteux hérité d’un vieil oncle et trois habitués imbibés dissimulant l’argent sale d’un trafic d’arme qui prend de l’ampleur de jour en jour aux côtés de nash, l’acolyte des premières heures.
seize. ils n’ont commencé que récemment, nash et jack. un an tout au plus. et malgré l’instabilité des débuts, malgré le bar à gérer, les bénéfices difficiles à générer, ils savent de mieux en mieux s’organiser et s’entourer pour éviter de couler. ils la connaissent que trop bien, la galère. celle dans laquelle ils se consument depuis des années. ils ont pas peur d’y foutre les pieds. et puis ce vieux bar un peu minable, c’est leur meilleure possibilité pour eux de pouvoir aller et faire venir les armes, blanchir l’argent des affaires effectuées.
dix-sept. les extrêmes prennent facilement le dessus, le sourire passager est souvent vite happé par les pensées sombres et tourmentées et jack s’enferme rapidement dans son monde noirci en à peine une misérable seconde. c’est déroutant, inattendu. on sait jamais comment le gérer, on sait jamais comment le prendre.
dix-huit. jack, c’est l’affrontement perpétuel entre l’impulsivité du gosse des rues impossible à réfréner et le sang-froid dont il s’efforce de faire preuve au quotidien.
dix-neuf. il est souvent méfiant, octroie sa confiance difficilement. jack il est sans scrupule : ça n’a aucune importance pour lui de blesser les gens qui n’ont aucune incidence sur sa vie.
vingt. il s’encrasse les poumons avec le tabac. cette sale habitude de toujours avoir sa clope fumante au creux des lèvres. ça carburerait même à la caféine et au whisky, quand on se sent incapable de se maintenir à flot. y a pas d’état d’âme à se bousiller la vie jusqu’au bout.