Il est là, devant chez lui. Il veut pas rentrer. Il veut pas jouer le rôle du fils modèle. Celui que sa mère attend. Elle qui l'a laissé tombé. Si l'on en croit son comportement, c'est comme si rien ne s'était passé. Tous les soirs, ils s'installent à table et chacun y met du sien pour paraitre et avoir l'air d'une petite famille en or. Foutaises. Lui, ça le fout en l'air. Il sait pas mentir comme sa sœur. Parce qu'il voit bien qu'elle souffre la gamine. Il voit bien qu'elle va mal. Il suffit d'ouvrir les yeux pour le saisir. C'est pas la seule d'ailleurs. Lui aussi ne va pas bien, sans doutes qu'il n'ira jamais vraiment mieux, il est cassé, à bout de souffle. Il a l'impression de ne pas avoir quitté sa prison. Il rêverait de se barrer d'ici pour recommencer à zéro mais cette chance ne lui est pas donné pour le moment. Un an. Un an avec ce putain de bracelet à la con... Il est même pas sur de réussir à se débrouiller seul quand il en aura la possibilité. Après tout, il a loupé six ans de sa vie. Les années qui forgent le plus. Il est comme un gosse qu'on a mal éduquer. Puis il est tellement à la masse sur tout. Quand il a quitté la ville pour rejoindre la prison juvénile, on utilisait encore des nokia 3310. Il lève les yeux et la voit. Solveig. La fille d'à côté, la soeur de Yeva. Une nana que Simon ne connait pas vraiment, leurs échanges jusque là ont été du genre limités. Il sait une chose, elle a tendance a dévaloriser sa soeur, à la traiter comme une moins que rien. En apparence, elle se donne des airs de reine de glace. Elle joue les garces persistantes mais Simon n'y croit pas vraiment. Il a lu l’inquiétude dans son regard lorsque Yeva a failli crever des suites des intempéries. « Salut. » fit il, enclin à prendre des nouvelles de son amie. Elle a répondu à quelques uns de ses messages mais refuse d'accepter sa présence à l’hôpital. Et Simon, il s'inquiète pour la jeune femme en fauteuil. Parce que Yeva, c'est une ami comme on en rencontre peu dans son existence. Du genre a vous aidez à déplacer et planquer un cadavre si nécessaire. Il lui fait confiance et dans un sens, il a cette impression étrange de les voir se compléter. Il regarde la plus jeune des Prazdnikova. Il comprend pas qu'elle soient sorties du même moule, du même ventre, elles semblent si différentes toutes les deux, comme si elles n'avaient absolument rien en commun. La brune l'ignore. Ou peut être qu'elle ne l'a simplement pas entendu. Tout ça n'a pas vraiment d'importance. Il se lève sur sa cheville un peu boiteuse et se rapproche. « Solveig ? » dit il, plus fort pour qu'elle réagisse. Il avance jusqu'à se mettre juste devant elle, ignorant sagement la petite voix dans sa tête qui le laisse entendre que cette conversation risque de ne pas se dérouler tranquillement. « Elle va bien ? » Elle doit le trouver un peu lourdingue, puisque cette question, il lui a déjà posé la veille et l'avant veille aussi. Elle pourrait presque croire que Simon s'est amouraché de Yeva. Il se gratte la tête et ne réagit absolument pas quand sa soeur à lui passe devant eux.  La gamine l'ignore elle aussi. C'est devenu à la mode apparemment. Il ne réagit pas. Il veut pas entrer en conflit avec elle. Et cette impression qu'elle le déteste le rend nostalgique, pantois. Mais qu'est ce qu'il peut faire contre ça hein ? Si elle préfère faire comme s'il était invisible, il ne peut lui imposer sa présence.

Simon n'a que peu de personnes sur lesquelles se reposer. Il n'y a même que Yeva. Une amitié sans doutes un peu bancale mais qui comble la solitude. Une amitié qui s'est crée facilement, risible de surcroit. Les deux bêtes noires qui s'allient pour palier à ce qui les empêche d'avancer sereinement. Malgré ce que l'on pourrait imaginer, ils ne se tirent pas vers  le bas ces deux là. Bien au contraire. Ces instants qu'ils partagent où ils ont le sentiment d'être plus unique que jamais.   Il voit bien qu'il attise son exaspération. La jolie Solveig déplore sa venue. Ça ne l'empêche pas d'insister. De se jouer de son comportement de diva en se montrant un peu lourdingue, l'obligeant à lui faire face. Elle ne peut l'ignorer plus longtemps. « oui, comme hier. » Un silence. Un soupir. « si tu t’inquiètes autant va la voir, je suis pas un pigeon voyageur. » Si seulement. Mais Yeva refuse sa présence. Elle appuie là sur une corde un peu sensible. Ça le bouffe de se sentir aussi inutile alors que c'est là qu'elle aurait sans doutes le plus besoin de lui. Parce qu'il y a une part de ça dans la relation qui les unit, ce sentiment d'être utile à quelqu'un. Il peut rien faire et ça le foutrait presque en l'air. Il veut comprendre. Il veut se dire que cette position de faiblesse n'a rien d'enviable et que sa voisine n'a aucune envie qu'il la voit sous ce jour. Alors il accepte. Il agit pas sur ses angoisses qui retombent clairement sur Solveig à cet instant. « ou vous êtes en froid ta petite copine et toi ? » Ce sourire narquois qu'elle affiche. Une vrai tête à claque quand elle s'y met. Simon ne sait pas grand chose de la brune. Il ne connait que son prénom, des bribes sur son histoire. Il n'a jamais vraiment creuser. Elle ne lui a jamais donné envie de le faire. Elle qui impose une distance entre eux une fois de plus. Elle qui joue les vipères. « Tu crois que parce que t'es jolie, tu peux traiter les autres comme de la merde ? » Il baisse la tête. Il a sa réponse. Aucune raison de rester plus longtemps près d'elle. La mégère pourrait choisir de passer ses nerfs sur lui. Pourtant, y'a ce truc qui crie à l'intérieur et il ne peut refréner ses mots: « Toi aussi t'es inquiète pour elle. » Il n'a pas de doutes là dessus. Déjà parce qu'il sait qu'elle passe la voir. Aussi parce qu'il a pu observer son comportement autour de sa sœur. Elle la traite comme si elle s'en foutait mais les attentions sont là. Elle l'aide à passer les marches, elle envoie des messages si elle rentre trop tard. Peu agréable, certes, mais faut lire le sens caché. Faut voir plus loin que ce qu'elle veut donner. Faut le vouloir en même temps, parce que le visage qu'elle montre ne donne pas forcément envie d'en savoir plus. Peut être que ce n'est qu'avec lui, peut être que Solveig se montre charmante avec les autres. Il n'est pas sur de vouloir le savoir de toutes façons. « Tu sais quand elle rentre ? » reprend t-il. Des réponses qu'elle n'acceptera sans doutes pas de donner. Tant pis, il aura essayer au moins.

Solveig est aussi agaçante qu'elle n'est jolie. Elle fait partie de ces filles froide, presque vulgaire qui pensent que le monde doit leur bouffer dans la main. La réalité est bien différente en fait. Il ne lui en veut pas vraiment de lui asséner toutes ses remarques un peu cinglante, il sait ce que c'est que d'avoir un incendie au fond du ventre. De cracher sa colère contre un monde qui déçoit sans arrêt. Lui même en veut souvent aux autres d'être ces moutons de panures. Il en veut à sa mère surtout mais ça il ne l'admettra jamais. Parce qu'elle n'a pas fait les choses contre lui mais pour elle. Son égoisme lui a pesé trop longtemps, si longtemps qu'il s'est transformé en une rage qu'il garde au fond du ventre, tapis, guettant le bon moment pour sortir. Et je peux vous dire que ce jour là, ça risque de ne pas être jolie jolie... Sa mère avait asséné sur son coeur un coup trop grand, trop fort. Plus encore que son propre père. Il avait eu mal si longtemps qu'il avait finit par comprendre une chose: les déceptions, on s'y fait. C'est comme ça, un jour où l'autre, les gens finissent toujours par vous décevoir. Par vous blesser, volontairement ou non. Elle se protège par ce biais. Du génie surement, sauf qu'elle doit parfois se sentir terriblement seule. « non, j’sais pas, bientôt je suppose. qu’est-ce que ça peut te faire ? » Ce que ça peut lui foutre c'est qu'il est terriblement inquiet, on parle là quand même de la seule personne qui s’intéresse à lui avec sincérité. Tout simplement parce qu'il tient à elle, c'est si difficile à croire. « si ça t’intéressait tant que ça t’irais lui poser la question directement simon. » Il a bien essayé. « Elle veut pas me voir. » avoue t-il, la mine maussade. Ca fait mal rien que de la dire. Il comprend pas Simon, pourquoi elle est si réticente à l'idée qu'il la voit, comme ça. Il les croyait plus proches. Il ne comprend qu'ils le sont sans doutes trop et que Yeva n'a pas envie de laisser le gamin la voir dans cet état désastreux. Un peu de honte mêlé à de la peur. « oh, ou alors je me plante complètement et t’as toujours pas le droit de sortir de chez toi ? » Un pique auquel il ne prend même pas le temps de répondre. Il ne veut pas entrer dans son petit jeu malsain. Il préfère éviter de lui donner cette satisfaction, parce que c'est ce qu'elle cherche Solveig non ? A le faire sortir de ses gongs. « ça sert à rien de lui donner de faux espoirs. » Il fronce les sourcils et répond: « De quoi tu parles ? » Parce qu'il n'a sincèrement aucune idée de ce dont elle est en train de lui causer la belle. Il saisit pas. Ca peut paraitre neuneu mais jamais il n'a voulu blesser sa voisine. C'est la dernière des choses qu'il voudrait faire d'ailleurs...

Il la déteste pas Solveig. Il n'a pas une opinion aussi arrêtée à son propos. La gamine n'a pas tant d'impact que ça sur lui. Elle en a sur son ainée par contre. Ça, ça peut l'agacer, parce qu'il sait dans le fond que les deux sœurs ont juste un gros soucis de communication. Il n'est pas rare d'entendre Simon grogner et dire à Yeva de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Un truc que lui aussi connait bien dans sa famille. Sa sœur ne lui adresse plus la parole depuis qu'il est revenu, comme si elle lui en voulait et sa mère, elle fait bien des efforts pour l'inclure dans son existence mais c'est lui qui met des barrières cette fois. Il sait pas si tout ça est réparable. Il sait pas si un jour il parviendra à retrouver une vie familiale plus classique. Il n'est même pas si sûre de vouloir  en bénéficier dans le fond, y'a trop de rancoeur dans son être. « arrête s’il te plait. » Il est confus. Il sait pas . Il comprend pas. Et si sa naïveté doit ressortir comme la neige fond au soleil, il n'y peut rien le Durden. Il n'a jamais trop pensé à Yeva sous cet angle. Enfin si, une fois ou deux mais il a mit tout ça sur le compte du manque. Il a vingt deux ans et n'a jamais rien fait avec qui que ce soit depuis près de sept ans maintenant. Peut être que ça le titille parce que la belle handicapé s’intéresse un peu à lui. « non mais vraiment simon ? » Les limites de l'amitié, de l'amour, de la haine se mélangent dans son esprit. Il ne les connait plus vraiment, lui qui n'a été la cible que d’indifférence toutes ses années ne sait plus. Il a juste cru qu'elle était gentille. Ces yeux sont dans le vague, troublés. « t’as jamais remarqué comment elle se comporte avec toi ? » Apparemment les yeux de Simon sont voilés, l'ancien détenu ne sait pas.  « Elle est simplement gentille avec moi Solveig. Tu devrais peut être prendre exemple d'ailleurs. La gentillesse a parfois du bon. » Sans doutes qu'il ne veut pas voir. Il aurait trop peur de perdre la seule qui lui accorde du temps. La seule avec qui il se sent juste bien, sans se poser la moindre question derrière. « Elle me voit pas comme tu le penses. » Il insiste un peu parce qu'il flippe en fait. Y'a un truc qui se réveille en lui quand il comprend que peut être que ce qu'il ressent quand il la voit, c'est plus que de l'amitié. Comment faire la différence quand toutes les relations qu'ils a connu jusque là sont un peu bancales. « quoi qu’il en soit, fais attention avec elle. » Ses sourcils se froncent, ces prunelles plus assombries. Il la regarde. Elle cherche à l'éloigner, à le faire fuir en fait ou alors elle tient trop à sa soeur pour la voir souffrir. Il est prit entre les deux le voisin. Il n'arrive pas à bien cerner Solveig. Si secrète. Mais il penche tout de même pour la deuxième option, pour cette idée de protection envers la gamine. « Peut être que c'est elle qui me fera du mal. » enchaine t-il, retrouvant un léger sourire pour rassurer un peu la brune. « Je n'ai pas l'intention de blesser la seule personne à qui je tiens vraiment, rassure toi... » ajoute t-il, en se livrant un peu trop à Solveig. Il se pourrait qu'elle se serve de ça pour le foutre à terre, elle qui recherche sans arrêt le conflit. Tant pis. Il prend le risque quand il ajoute: « Tu lui diras que je veux la voir. » Ca sonne plus comme un ordre qu'une véritable requête en vrai mais il s'en fout pas mal.