« Tu sors ? » C’est la voix de Peter qui me fait sursauter et j’essaye de cacher le paquet qui trône dans mes mains. Peine perdue. Il me dévisage longuement, il remarque sans doute mes lèvres trop rouges et ma robe. Il remarque sans doute aussi que pour une fois j’ai fait un effort, je me suis bien coiffée, bien préparée. Que je vais pas du tout mendier. « Je. Heu. Je vais au Smoking Dog apporter un cadeau à Nora » Ma voix semble ridicule, comme toujours quand je suis avec lui et j’ai l’impression de rapetisser à chaque seconde. « Je peux annuler si tu veux »  Mais j’aimerais vraiment pas. Il pousse un soupire avant de secouer la tête « Non vas y profite mais rentre pas trop tard ». Je bug un instant, attendant la blague, la chute. Mais rien. Il est sérieux. Un rire m’échappe et je me jette à son cou, déposant un rapide baiser sur sa joue. « Merci merci merci »  et sans plus attendre j’enfile mon manteau et claque la porte.
Noël est passé. Mais dans la rue y a encore toutes les décorations, les guirlandes lumineuses, l’esprit de la fête quoi. J’enfourche mon vélo, enfile mes gants pour me protéger, pose le paquet dans le porte bagage et je fonce vers Historic District. J’ai pas vraiment les moyens de me payer le bus, le velo c’est plus simple, moins complexe. Gratuit. Mais fatiguant. Tant pis. Je suis heureuse. J’ai hâte de voir Nora, j’ai hâte de lui parler, de rigoler avec elle. J’ai hâte de croiser Jack aussi, s’il est là, de lui faire un petit signe et de m’assurer que tout va bien. J’ai hâte de voir ces gens qui sont rentrés petit à petit dans ma vie sans prévenir.
Arrivée devant le pub j’enchaine mon vélo à un poteau et je me recoiffe. J’essaye de toujours bien m’habiller quand je viens là, bien me maquiller aussi. Non pas que le pub soit sélectif, loin de là. Je veux juste pas passer pour la nana paumée qui me colle à la peau. Puis pour me vieillir aussi, histoire qu’on pense que j’ai vraiment 21 ans, ce qui est complètement faux. J’inspire un grand coup avant de pousser la porte et de m’engouffrer à l’intérieur. La chaleur se fait sentir et j’ai l’impression que mes joues vont prendre feu. Du regard je cherche Nora et je la trouve derrière le bar, comme toujours. En quelques enjambées je l’ai rejointe, sourire aux lèvres, je m’assois sur un tabouret « Parait que vous offrez des Iced Tea madame. J’viens profiter de l’offre » accent pourrave de cow-boy paumé, rire cristallin, je me débarrasse de mon manteau que je poste sur le siège d’à côté.

pas de partie de cache-cache aujourd’hui ? Non, parce qu’il n’y a pas besoin de se cacher aujourd’hui. Parce qu’il n’y a pas Jack pour me pousser dans mes retranchements et me donner envie de disparaitre. Parce qu’il n’y a pas Sil non plus pour me jeter des regards assassins. J’hausse les épaules en rigolant « que veux tu je suis grande maintenant, faut arrêter de se cacher » même si je sais qu’à la première occasion, je filerais m’enfermer dans un placard pour sentir en sécurité. Mais avec Nora je me sens en sécurité. Elle a cette espèce d’aura qui la rend différente, forte, tellement forte, loin de moi, loin de ce que je ne serais jamais. Je l’admire pour ça. Et ça me rend envieuse, parfois, souvent. j’vais finir par croire que tu viens plus pour me voir Elle me pose un verre devant moi et je secoue la tête vivement. Moi ? Ne plus venir la voir ? Pas question. Je serais extrêmement triste sans Nora, parce que Nora c’est un peu un de ces oasis, de ces gens qui me comprennent sans vraiment poser de question, qui m’acceptent comme je suis. Et inversement. « Tu rêve, même crevée je viendrais te hanter, on se débarrasse pas de moi aussi facilement. » J’aspire une petite gorgée avec ma paille et le sucre explose dans ma bouche. Ca fait combien de temps que j’ai bu de soda comme ça ? Trop longtemps je crois. « C’est parce que j’ai eu quelques soucis dernièrement » rien de grave, la routine, le commissariat, Seven, Bren, les gens. Ma peau encore marquée, les bleus qui fleurissent sur mon corps et mon cœur, et cette foutue envie de pleurer tellement jme sens dégueulasse. « Mais je suis là maintenant. » Et je compte pas partir.
Je regarde Nora quitter le bar un instant pour revenir avec deux parts de tarte aux pommes dans les mains et mon ventre se met à gronder en écho. Je hais mon ventre dernièrement, il ne se tait jamais. Une deuxième gorgée sucrée, je la remercie du regard attrapant la cuillère entre mes doigts. J’hésite. Puis je sors de ma poche quelques pièces avant de les tendre vers Nora « Si y a pas le compte je donnerais le reste la prochaine fois » parce que ça me gêne un peu, de piquer dans le garde-manger comme ça.
t’es.. jolie. Ses mots me prennent au dépourvu et je relève la tête, les joues rosies par le compliment. Peter me le répète souvent, mais c’est toujours mieux quand c’est une amie chère qui vous le dit, enfin je crois. « Merci. Toi aussi. Enfin t’es toujours jolie » je m’emmêle, je m’embrouille, mange un bout de tarte pour me taire. C’est mieux comme ça. Je la regarde s’acharner sur le comptoir pour nettoyer. Je fouille dans ma poche avant de faire glisser un petit paquet plein de couleur vers Nora. C’est pas grand-chose, j’ai pas les moyens de plus, mais j’ai fabriqué un petit bracelet rouge avec de tout, de rien que j’ai grappillé partout. Pis y a un dessin aussi, un petit dessin de nous deux mains dans la main avec une tenue de dinosaure. J’espère que ça lui plaira « C’est…Enfin. Voila. » je sais pas trop quoi dire d’autre, le cœur battant, j’attends.

Quoi comme soucis ? Elle s’inquiète Nora, ça se voit sur son visage, même si elle voudrait pas le montrer. J’aime pas ça, j’aime qu’on s’en fasse pour moi, qu’on se dise que je vais pas bien ou que rien ne va autour de moi. Alors je plaque mon sourire le plus doux que j’ai sur le visage, je secoue la tête, j’élude. Comme toujours. Je minimise les choses. Je veux pas qu’elle entre là dedans Nora. Je veux pas qu’elle sache. Elle serait déçue, terriblement déçue.   « Tu sais des bricoles, fuites d’eau à la maison, la crève pendant une semaine, des trucs comme ça »   des seringues dans les veines et des coups au cœur, des bleus qui fleurissent à même la peau en partenariat avec la douleur. Mais je sais gérer. J’ai appris, depuis le temps. Puis y a Nora, Nora et ses sourires cachés, et sa chaleur dorée. Nora elle me donne toujours envie de rigoler, de m’envoler avec elle. Puis Nora elle est complice, le genre de relation que je n’ai avec aucun LB finalement. Y a cette lueur espiègle dans son regard quand elle me rend mes pièces, comme un secret échangé. J'dirais rien si tu dis rien non plus. Motus et bouche cousue je fais semblant de coudre mes lèvres et enfourne mes pièces dans ma poche. Au fond ça m’arrange, je préfère éviter de me faire gronder, c’est tendu en ce moment.
Sans hésiter je commence à taper dans la tarte, c’est sucré, ça fond dans la bouche et j’essaye de savourer. Ca remplis un peu mon ventre, calme mon pseudo appétit. J’aime bien. J’aime beaucoup. Pendant un instant je me retrouve basculée en arrière, avec mon père au resto, à commander ce que je veux sans aucune limite, à savourer la tarte pomme vanille du café d’à côté.
Je brise le souvenir en tendant mon cadeau maladroit à Nora. J’espère qu’elle va aimer. C’est fait de pas grand-chose, mais c’est tout ce que j’ai. Je pourrais avoir plus. Mais j’en veux pas. Pas de cet argent caché dans la maison du diable, de ce qui a un lien avec elle. Je dévisage Nora, silencieuse, impatiente. J’ai envie de la voir sourire, rire. J’ai envie de lui faire plaisir, de lui faire comprendre que pour moi ce qu’elle m’offre chaque fois qu’on se voit c’est essentiel, une bouffée d’oxygène dans un monde pollué. J'adore. J'vais l'accrocher dans ma chambre.   « Je voulais faire un truc plus grand mais j’ai pas trop eu le temps »   Je suis un peu embêté, mais je vois bien que ça lui plait. Et ça me rassure. Pareil pour le bracelet autour de son poignet. Je sens mon cœur qui gonfle et j’affiche un sourire stupide. Pour cacher ça j’attrape le reste de ma tarte au pomme avec mes doigts et je l’enfourne, mâchant consciencieusement pour ne pas en perdre une miette et savourer l’instant. T'as deviné ce qui t'attendait alors ? J’avale une gorgée de soda pour tout faire passer et je me recule un peu, les joues rosies parce que j’ai pas l’habitude de ça.   « Je sais pas ! Dis moi. Je devine jamais rien je suis pas douée aux devinettes »   Ah ça non. Je suis même très nulle. Mais ça m’a jamais empêché de vivre. Je gigote sur mon siège, et j’me sens comme une gamine de cinq and qui attend sa surprise, battant des pieds dans le vide sur mon tabouret.

tu me le dirais si ça allait pas, hein ? « Oui promis ! » Et dans ma bouche y a ce goût amer propre au mensonge. Le truc c’est que je veux pas l’emmerder avec ça Nora, elle a ses propres soucis, j’ai les miens, faut qu’on soit grandes et qu’on apprenne à s’occuper de nous même avant de s’occuper des autres pas vrai ? Ou quelque chose comme ça. Je pourrais jamais tout lui dire à Nora, de peur de voir la déception se dessiner sur son visage. Ca me boufferait je crois. Je lui offre un petite sourire avant de continuer à siroter mon soda, profitant de la chaleur du bar, du brouhaha en fond sonore et de la présence de Nora, qui me met toujours du baume au cœur.
Finalement Nora disparait à l’arrière du bar pour revenir avec quelque chose. Un cadeau. Pour moi. Mon cœur se met à battre plus vite, comme une gamine la veille de noël. Parce que au fond, c’est un peu ce que je suis actuellement. c’est un cadeau un peu spécial Spécial ou non c’est un cadeau, son cadeau, d’elle a moi. Alors je vais pas faire ma difficile pas vrai ? Finalement elle pose sur le comptoir un bocal. Je m’approche un peu pour voir ce qu’il y a dedans et mon regard s’éclaire quand j’aperçois la tortue. tu savais qu’elles descendent des dinosaures ? Cette fois ci j’explose de rire, envoyant au loin mes soucis. Je commence à tapoter doucement sur le verre pour attirer l’attention du petit animal avant de secouer la tête. « Pas tout à fait des dinosaures, c’est des proches parents. Les dinosaures se sont éteints, les tortues elles se sont adaptées » Mon ton est posé, bien différent de celui que j’emploie habituellement, mais c’est la vision du petit animal qui me calme tout d’un coup et qui éveille en moi cette Jael fascinée par la nature qui avait disparue avec le temps. je l’ai trouvée au bord du lac, elle bougeait plus. elle a failli se faire écraser. « La pauvre… » que je ne peux m’empêcher de murmurer avant de détourner mon regard du bocal. Je sais que c’est courant, que la vie est injuste, mais ça me brise le cœur à chaque fois d’entendre ce genre d’histoires. faut en prendre soin pour qu’elle guérisse, tu crois que tu pourrais faire ça ? Peut être. Je sais pas. C’est tellement le bordel chez moi. Mais en même temps si je ne le fais pas qui le fera ? Je hoche doucement la tête avant de retourner à ma contemplation. « Elle est magnifique, ça serait dommage de pas lui donner sa chance » j’ai envie de la lui donner, cette foutue chance, de la prendre avec moi et de l’aider à se reconstruire, avant de lui rendre sa liberté. « Merci Nora, de l’avoir récupéré, sans toi elle serait surement morte » Je dévisage mon amie avec un petit sourire amusé. Elle a un cœur bien plus gros qu’elle ne voudrait le faire croire, je le sais, je le vois bien moi son cœur. « Faut lui donner un prénom ! T’as une idée ? Si c’est moi je vais finir par l’appeler Dent Tranchantes » comme dans le film avec les dinosaures.

Je le vois moi, le sourire sur les lèvres de Nora. Je fais semblant de rien remarquer, me contentant de m’émerveiller devant la petite tortue abimée. Mais je vois bien que Nora est heureuse. J’aime quand elle sourit comme ça, j’aime quand on sourit toutes les deux. J’aime tout simplement cette petite bulle qui nous entoure. comment tu fais pour savoir tout ça ? Elle est curieuse, j’ai trop parlé. J’ai cassé l’image de la petite blonde un peu stupide qui me va si bien. Lentement je hausse les épaules avant de murmurer. « j’ai arrêté l’école il y a pas longtemps, j’ai toujours aimé apprendre. Surtout les petits trucs inutiles comme ça » les tortues, les dinosaures, les cailloux aussi. Je suis capable de réciter la plus part des minéraux qu’on peut trouver dans un basalte ou bien un granit. Mais je le dis pas. Je préfère éviter. Je préfère qu’on pense que je suis qu’une idiote, une foutue conne comme ça on me fout plus facilement la paix.
c’est rien. Si c’est beaucoup, mais je sais que Nora ne va pas aimer que j’en fasse toute une histoire, alors je hausse les épaules, petit sourire amusé fiché sur les lèvres. Je suis heureuse. Je garde mon regard vissé sur le bocal, sur ce petit être qui patauge du mieux qu’il peut. Déjà je pense à où l’installer, quels livres lire pour mieux savoir, peut être même que Peter pourra m’aider. Je sais pas. J’oublie tous, les malheurs, la tristesse, c’est Noël et j’ai envie de rire. . « Merci quand même. » Pour m’apporter de la lumière alors que ça va pas vraiment. Mais Nora est déjà partie travailler, resservir un vieux gars. Elle m’entend pas. Tant pis. Tant mieux. Je sais pas.
dents tranchantes, c’est super cool comme nom. elle va effrayer tout le monde avec un nom pareil. Je rigole et mime un instant le grognement d’un T-rex dans un mauvais film de série B. . « Au moins je pourrais faire peur aux gens comme ça avec. Genre Dents Tranchantes attaque et la je balance la tortue sur les méchants et tout le monde a peur » et moi je suis sauvée. Si seulement. Mais qu’importe on la droit de rêver. Je rigole, encore et toujours. Je rigole jamais autant qu’ici. Enfin quand y a que Nora. Les autres c’est différent.
tu crois que je pourrais venir la voir, parfois ? juste pour voir comment elle va Je la regarde, et mon sourire s’estompe un peu. Chez les LB ? je sais pas trop. J’hésite. Je sais même pas si Sil lui raconte ce qu’il se passe là-bas. J’ai pas envie qu’elle devine Nora. J’ai pas envie qu’elle rencontre les autres, les perdus, les mauvais. Peter. . « Oui. Quand tu veux » Menteuse . « Je suis sur qu’elle sera heureuse de te voir ! » J’agite le bocal sous le nez de Nora avant de reprendre plus sérieuse. . « Ou peut être qu’elle viendra te voir …. Ca sera la surprise ! Quand tu t’y attendras le moins BAM dent tranchante à l’attache » pardon d‘être aussi nulle Nora mais j’essaye tant bien que mal de garder cette image que t’as de moi, parce que t’es une des rares qui compte vraiment. Vraiment, vraiment. Et ça fait mal.