Votre pire souvenir (ou par défaut votre meilleur souvenir)?  La nuit était tombée depuis plusieurs heures sur l’Afghanistan. Au sein de l’hélicoptère qui emmenait l’une des escouades d’assaut sur la cible de l’opération, un lourd silence s’était battu dans l’obscurité. Les vrombissements des rotors de l’appareil fendant l’air comme seule berceuse pour les dernières minutes. Owen était en position face à la porte. Les yeux rivés sur son frère d’armes mâchouillant avec dédain son chewing-gum empestant la menthe verte. Un sourire amusé se dessinait sous son épaisse barbe quelques secondes avant que le co-pilote de l’appareil ne lui annonce dans l’oreille « Une minute avant arrivée sur cible. Je répète. Une minute avant arrivée sur cible. » Quelques instants plus tard, le co-pilote ouvrait la portière et alors qu’il passait ses jambes à l’extérieur. Les yeux rivés sur les autres véhicules militaire stationnant au dessus du village. Une main tapant fermement sur son épaule avant qu’il ne s’empare de la corde. Une ribambelle de militaires glissait déjà des cordes suspendues aux hélicoptères quand une première détonation résonnait dans son oreille. A quelques dizaines de mètres de son appareil, un corps glissait à une vitesse anormalement élevée le long de la corde avant de s’écraser au sol dans un grand fracas.

Owen s’emparait de la corde alors que le bruit des rafales automatiques fendait l’air sous les rotors des hélicoptères. Il glissait le long de cette corde priant pour ne pas être sur la trajectoire d’une balle. Au moment où ses pieds touchaient le sol, les flashs lumineux des rafales apparaissaient dans son champ de vision. La main portant instinctivement à sa radio hurlant « Jekyll, ici Hyde. Sommes dans une embuscade. » La respiration haletante dans sa course pour se mettre à couvert derrière un muret. Il hurlais plus fort en entendent comme seule réponse des crachotements dans sa radio « Répétons, sommes dans une embusc… arrggh »

Il chutait lourdement au sol attrapant. Une vive douleur s’emparant de son tibia. A cet instant précis, alors que la douleur le faisait hurler essayant de ramper au sol vers son abri. Owen comprenait qu’une balle venait de créer sa trajectoire à travers sa chair. Un liquide chaud coulait le long de sa chair et remplissait lentement sa rangers. Les dents serrées essayant de se relever sur une jambe avant de s’écraser a nouveau lourdement. La poussière se soulevant à l’impact de son corps sur le sol. Il se laissait glisser sur le dos voyant une ombre cagoulée venant dans sa direction. Son arme. Où était son arme ?! « Merde ! Merde ! Merde ! »

Les mains tremblantes de panique essayant de s’emparer de l’arme de poing accrochée à sa ceinture. Du coin de l’œil, il voyait l’ennemi mettre son arme contre son épaule prête à faire feu. Owen s’emmêlait les doigts en essayant de sortir son arme de son holster. La respiration haletante et le cœur s’emballant. C’était donc faux. On ne voyait pas sa vie défilée devant ses yeux à l’approche de sa mort. On paniquait comme un enfant en priant pour qu’un miracle nous sorte de cette situation. « Désolé Amy… J’aurais essayer » Il soupirait ces quelques mots en boucle pendant un moment qui lui semblait une éternité avant qu’une détonation ne déchire l’air.

Les yeux fermés et se crispant sur lui-même. Il ne respirait plus mais continuais d’entendre le vacarme des armes et des hélicoptères. Owen ouvrait doucement un œil observant son frère d’arme texan courir dans sa direction en mâchouillant son chewing-gum qu’il lançait avec dédain et irrespect sur le cadavre de l’homme qu’il venait d’abattre. « Soixante seizième fils de pute » A seulement quelques mètres du corps immobile de Owen qui reprenait lentement sa respiration. Les yeux rivés vers le ciel dans une position digne du christ. « Tu t’prend pour Jésus ? » Owen en avait oublié la douleur qui lui transperçait les tibias et souriait en sentant la poigne ferme de son camarade sur son gilet. « J’ai jamais été aussi content de voir ta sale gueule de texan » lâchait alors Owen en s’agrippant à lui pour venir sauter à cloche pied derrière le muret.

Quelles sont les personnes en qui vous avez le plus confiance ? Il n’a toujours eu confiance que dans sa famille, et plus précisément dans sa femme. C’était elle qui avait sa confiance absolue et aveugle. Depuis qu’elle est décédée, Owen n’est plus le même homme. Il n’accorde sa confiance qu’a peu de personne et ceux-ci sont d’anciens frères d’armes qu’il considère comme des membres de sa famille.

Avez-vous perdu un être cher au cours de votre vie ? Les traits du visage déformés par la fatigue et le chagrin sous son épaisse barbe. Owen s’élançait à vivre allure dans les couloirs sombres de l’hôpital. Le seul son de ses énormes rangers percutant le sol accompagnait ses mouvements. Comment ? Comment diable ses jambes faisaient-elles pour continuer de soutenir son poids ? Il n’avait pas réussi à fermer l’œil depuis pas loin de vingt-quatre heures. Dans l’avion qui l’avait fait revenir au pays. Owen n’avait pas décroché ses yeux d’une photo de sa femme. Elle, ses cheveux bruns et son sourire. Elle était celle qui partageait sa vie depuis bientôt vingt ans.

La main se resserrant sur la poignée de la porte. La respiration haletante et le cœur battant la chamade dans sa cage thoracique. Les larmes coulaient sur ses jours lorsqu’il pénétrait dans la chambre tamisée. Il aurait aimé ouvrir cette porte pour surprendre ses enfants. Qu’ils se jettent sur lui avec des sourires et des larmes de joies après bientôt dix mois de séparation. Qu’il s’agisse d’un évènement heureux mais à la place. Quand sa fille se jetait directement sur son père entourant les bras autour de son corps. Il ressentait chacun de ses sanglots embrassant délicatement ses cheveux avant que sa grand-mère ne l’attrape par le bras murmurant « Laisse ton papa, ma chérie…Viens avec moi ». Owen sentait la tristesse dans la voix de sa mère venant déposer doucement ses lèvres sur la joue de son fils. Une main tremblante passant sur l’arrière de sa nuque.

Le regard du Sergent Brooks se déposait sur le lit. Elle était là, Amy. Oui. C’était bien SA Amy immobile dans le lit et reliée à plusieurs appareils. Dans la chambre il n’entendait pas un bruit. La panique s’emparait alors de lui cherchant du regard après l’électrocardiogramme et lorsqu’il posait finalement son regard sur celui-ci… Eteint.

« Non…Non… Non… » Il restait immobile tremblant observant les membres de sa famille et un médecin baissant doucement la tête murmurant. « Je suis désolé Sergent Brooks… Votre femme est décédée il y a vingt minutes… » « Amy… Non… non… » Owen enfouissait les mains dans son visage pris de terrible sanglot et titubant. Il répétait en boucle son prénom sentant ses genoux fléchir avant de s’écrouler au sol. Un cri perçant résonnant dans la pièce alors qu’il éclatait en sanglot se redressant à l’aide de son père et d’une infirmière. Dans le couloir, il entendait sa fille appeler après son père pendant que sa grand-mère essayait de calmer celle-ci.

« Sergent Brooks… Sergent Brooks. » Il entendait les doigts du médecin claquer au niveau de son oreille. Les yeux dans le vide et rouges de chagrin. Owen relevait la tête dans une sensation de vertige. Il reprenait doucement ses appuies pour se remettre sur ses pieds répétant « Je suis désolé Amy… Pardonne moi… » Les yeux rivés sur le corps de sa femme. Dans un ultime effort il se redressait faisant face à son fils et l’attrapant pour le plaquer contre lui.

« Dégage connard ! DEGAGE ! » Il sentait alors les mains de son fils se plaquer contre son torse et le repousser avec violence. Les yeux rougis par la haine et la colère, repoussant à nouveau son père grognant « T’es qu’un sale con qui nous a abandonner… » Quelques secondes plus tard, Owen abattait son poing sur le visage de son fils sous les cris de sa propre mère. Redressant son bras venant a nouveau lui abattre son poing en travers du visage avant de se faire plaquer au sol par son frère d’arme qu’il avait abandonner dans le parking. Le texan machouilleur de chewing-gum se saisissant de son bras pour l’immobiliser grognant « T’es vraiment qu’un sale con Brooks… Amy est morte, putain ! M’oblige pas a te casser le bras. S’il te plait. Brooks. Pas devant ta fille. »