Knoca -  Go ahead and break my heart, you had me from the start

Elle sait pas ce qu’elle fout là. Putain. Mais qu’est-ce qu’elle fout là ? Dans cet univers qu’est pas le sien ? Les pieds dans le sable et le vent dans les cheveux. Elle se sent hors contexte, hors sujet. Gamine du haut de ses 15 ans elle a essayé de se faire belle : camouflant du mieux qu’elle a pu les bleus qui fleurissaient sur ses joues, sur son cou. Mais la douleur était encore présente. L’humiliation aussi. Et malgré tous les shampoings répétés, y avait toujours cette putain d’odeur de glace cerise qui hantait ses cheveux. Elle a vu le regard de Ioan sur sa mâchoire quand elle est rentrée, prétextant une chute dans les escaliers. Classique. Mais la dernière chose qu’elle voulait c’était que sa famille s’en mêle. Ils étaient déjà bien trop impliqués à son goût.
Alors ouais, elle sait pas ce qu’elle fout là, dans sa robe trop grande, trop démodée, trop blanche, trop longue. On dirait une amish. Ou bien une dame blanche. Du genre à faire peur sur les bords d’autoroute. On la regarde en coin, on rigole sur son passage. Putain, elle aurait pas du venir, l’invitation était surement une blague. Pour se foutre un peu plus d’elle. La pauvre roumaine stupide et sans amis, incapable de se fondre dans la masse. De riposter. La cible préférée de cette année, de l’année dernière et surement de l’année prochaine. Parce qu’il fallait pas déconner. Pourtant quand Anca avait trouvé el carton d’invitation dans son casier, elle s’était dit… Pourquoi pas ? Pourquoi pas essayer ? Et pour la première fois de sa vie, elle avait fait le mur. Le cœur battant, elle avait ouvert sa fenêtre et était sortie, manquant une ou deux fois de se rétamer. Tereza et Madalina l’avaient regardé atterrir souplement au sol et Anca avait porté son doigt à ses lèvres. Ca sera un secret entre nous, entre filles, pas besoin d’en parler pas vrai ? Parce que si Ioan apprenait qu’elle était sortie comme ça, il se fâcherait. Très fort. Quant à Seven…. Elle voulait même pas qu’il sache qu’elle était capable de faire le mur. Parce qu’à partir de là surement qu’il se croirait tout permis. Et ça pas question.
Elle avait emprunté le vélo de Sidney. De toute façon, il serait surement pas à la soirée, trop occupé à se morfondre dans son lit en pensant à Mads en écoutant des chansons d’amour stupide.  Elle espérait secrètement que la jeune fille se rendrait compte un jour de l’amour que lui portait Sidney. Parce que putain ça crevait les yeux.
Enfin bref, elle avait piqué le vélo de Sidney et ni une ni deux avait foncé vers la plage, le cœur battant à un rythme indécent, partagée entre l’angoisse la plus totale et l’excitation. C’était sa première soirée, toute première. Peut être que les gens se rendraient compte qu’elle n’était pas celle qu’ils croyaient, qu’elle n’était pas comme sa famille, comme ses frères, comme son père et qu’elle méritait une chance. Une chance d’être leur amie, leur confidente, rigoler et danser avec eux, s’asseoir sur les mêmes bancs à la cantine. Ou tout simplement qu’ils arrêtent de la frapper. Juste que ça cesse. La violence, les moqueries, le nez ensanglanté et les mains bandées. Putain, si seulement. Si seulement. C’était son rêve à Anca. Enfin son deuxième rêve. Le premier elle le gardait contre son cœur, elle le chérissait plus que tout : faites que sa famille soit heureuse. Mais le deuxième, bon sang, le deuxième ? Elle n’arrêterait jamais d’espérer, et que malgré les insultes et les regards en biais, elle baisserait pas les bras.

Elle était arrivée, à l’heure où tout le monde s’installe, pas à l’avance, pas en retard. Juste assez. Et pour ça Anca était plutôt fière. Elle avait posé les pieds au sol et avait détaché ses cheveux. Pour une fois elle se sentait belle, ptêtre presque à la hauteur de certaines filles qui étaient ici. Le côté débauché en moins. Mais on pouvait pas tout avoir pas vrai ? Doucement, elle s’était mêlée à la foule, attrapant un gobelet de bière qu’une main inconnue lui avait tendue. Elle avait porté le verre à ses lèvres et avait gouté. Première soirée. Première bière. Et sur son visage y a un sourire brillant qui s’étale. Parce qu’elle est heureuse Anca, elle a l’impression de vivre autre chose, un rêve et non plus sa putain de vie.
Autour d’elle ça pulse, ça fume, ça s’entrechoque. Corps et langues, ça danse dans un rythme qu’elle ne pourra selon elle jamais suivre. Et le rouge lui monte aux joues, rapidement. Trop rapidement. C’es peut être la bière, peut-être la chaleur, peut être le vent. Elle se sent dépassée Anca, par tous ces évènements. Elle voit plus les regards intrigués qu’on lui lance, elle voit plus rien, juste le ciel un peu trop grand, un peu trop noir, et les étoiles. Les putains d’étoiles. Alors elle se laisse tomber, allongée dans le sable encore chaud, elle ferme les yeux un instant, pour arrêter le manège qui tourne devant ses yeux.  La musique s’atténue doucement dans ses oreilles et soudain elle a l’impression de flotter. Sur un nuage sableux. Elle voudrait plus jamais se relever.