Ils avaient juste prévu de violents orages. Pas de quoi s'en faire a priori. Fallait juste être vigilants qu'ils disaient, et limiter les déplacements. Par chance je bossais pas, mais j'avais besoin de sortir cette après-midi là, pour récupérer la paie d'un petit boulot que j'avais fini la veille, et j'y tenais à mon petit chèque, ça fait toujours plaisir d'avoir une petite rentrée d'argent sur son compte hein, personne dira le contraire ! Du coup je suis passé sur mon lieu de travail, un bar discothèque où j'ai bossé pratiquement un mois avant la fin de mon contrat, tous les soirs. Je suis d'ailleurs vachement content de finir, parce que les horaires de nuit c'est pas trop mon truc, du coup j'suis un peu crevé et tout. Je vais enfin pouvoir me reposer, hallelujah ! Mon petit chèque en main, je l'ai glissé dans une pochette dans mon sac, en me disant qu'au moins s'il se mettait à pleuvoir sur le chemin du retour il serait protégé. Et puis je suis reparti.

Mais les choses se sont pas vraiment passées comme prévu. Tout s'est passé super vite. La pluie et le vent qui se déchainent et soudain les alarmes. C'était définitivement pas de simples orages, et je voyais la merde venir. Un ouragan. Un putain d'ouragan. Le type de truc qui était vraiment pas prévu dans le déroulement de ma journée. Et le temps a changé tellement soudainement que je me suis abrité dans un magasin en premier lieu. Et à travers la vitrine, on pouvait voir des trucs s'envoler. Le ciel était noir, la pluie empêchait de plus en plus d'y voir quoi que ce soit, juste des formes au loin. C'est quand je reçois un premier message de Iulia que je commence à réaliser vraiment ce qu'il nous arrive. On est tous en danger. J'envoie un message en urgence à Anca, parce que c'est la première à laquelle je pense et dans la foulée je réponds à ma grande soeur pour la rassurer. Puis, j'envoie ce que je peux à mes autres frères et soeurs. Il y a d'autres personnes à qui j'aurais aimé demandé des nouvelles, être sûr qu'ils vont bien, mais là, tout de suite, j'ai pas pu en faire plus. Mihail me dit qu'il est sorti chercher Rez et j'essaye de le raisonner, mais je sais qu'il abandonnera pas sa soeur. Je commence à comprendre que je risque de perdre l'un des miens à tout moment, et je flippe.

j'ai pas eu le temps de répondre à plus de messages. L'électricité a été coupée dans le magasin et presque aussitôt, un projectile a explosé la vitrine en milles morceaux. Les cris des gens et les sirènes me rendaient dingue, et fallait que j'essaye de rentrer à la maison... J'étais pas si loin que ça, c'était le quartier d'à côté, deux ou trois rues plus loin après... Je croiserai peut-être même Mihail en sortant, et je pourrais le ramener si c'est trop dangereux. Je suis sorti, avec quelques autres personnes, mais on s'est séparés assez vite. Le vent était tellement violent que j'avais l'impression de tanguer comme un bâteau à chacun de mes pas. La pluie, en plus de ça, me forçait à plisser les yeux très fort, c'était dur d'avancer, mes oreilles sifflaient, ma tête tambourinait ... Mais je savais que j'étais pas très loin alors j'essayais de me hâter comme je pouvais.

Le sol glissait de plus en plus. J'ai regardé vers mes pieds, me demandant pourquoi c'était de plus en plus difficile d'avancer. L'eau m'arrivait déjà presque à la cheville. J'ai couru sur le trottoir le plus proche pour rester hors de l'eau et j'ai continué. Je sais même pas si j'arrivais à penser à quoi que ce soit. Je voulais avoir la certitude que tout le monde allait bien, mais impossible de regarder si j'avais reçu une réponse, je pourrais pas voir l'écran dans cet état. La seule solution était d'arriver vite à la maison, de voir qui s'y trouvait, et d'arriver ensuite à contacter les autres. La peur, c'est pas quelque chose que je connais beaucoup, parce que quand on a été élevé comme un Popescu on apprends à se foutre de la peur, à la domestiquer. Mais l'éducation Popescu elle nous prépare pas à ça. J'ai déjà faillis perdre des membres de ma famille, mais là, je risquais de tous les perdre d'un coup, et même de ne jamais réussir à rentrer à la maison sain et sauf. Et j'en avais la boule au ventre. Je crois que c'est cette peur qui ralentissais mes pas. J'ai secoué la tête deux ou trois fois, pour chasser l'eau de mon visage en même temps que les idées noires qui emplissait ma tête.

En une fraction de secondes, le vent m'a fait faire un écart d'une trentaine de centimètres et j'ai glissé du trottoir où j'étais. Je me suis retrouvé à moitié dans l'eau, et j'ai mis au moins vingt secondes avant de reprendre mes esprits et de comprendre que j'étais tombé. Putain Ioan relève toi vite. L'eau qui impregnait mes fringues ralentissait mes mouvements. Je me suis appuyé pour me relever et là... Une douleur aigüe qui m'arracha un cri de souffrance. Je me suis retrouvé en moins de deux dans l'eau à nouveau. J'ai porté ma main à ma cheville, impossible de la toucher sans presque tourner de l'oeil. J'étais fatigué, la douleur me terrassait presque. J'allais pas pouvoir me relever, je tiendrais pas debout, le vent me remettrais dans le caniveau directement. J'avais tellement mal que j'arrêtais pas de gémir de douleur, mais y avait pas de temps à perdre, fallait que je prenne sur moi et vite.

Je pouvais pas abandonner maintenant... J'ai appuyé mes bras sur le trottoir et j'ai commencé à me hisser comme je pouvais pour avancer, en rampant à moitié sur le sol, ou plutôt dans l'eau, car ça ne cessait de monter. Et plus le niveau montait, plus je ralentissais. L'adrénaline provoquée par la douleur et par l'urgence de la situation me permettait de garder quelques forces, mais je commençais à être à court. Je fatiguais, j'étais crevé, je gardais les yeux fermés la plupart du temps. J'ai travaillé de nuit toute la semaine, presque pas dormi, et finalement mon corps s'en ressentais. J'étais plus capable de faire le moindre mouvement et d'un coup je suis retombé contre le trottoir, incapable de bouger plus. Je crois que j'ai réussi à cacher quelques larmes parmis les lourdes gouttes d'eau soulevées par la tempête. On dit souvent que quand on sent la mort venir, on revoit sa vie défiler. J'sais pas si c'est vrai, parce que ma vie elle est trop merdique pour que je m'en souvienne maintenant, franchement, y a pas pire avant de mourir que se dire que toute notre vie a été un pur echec. Mais j'ai essayé de me remémorer le visage de certaines personnes. Essayé, parce que tout devenait un peu flou pour moi. Il y avait Poppy, Iuiu, Mimi et même Seven, parce qu'au final j'l'aime un peu. Rez, Tintin, Lena, Cezar et bien sûr ma petite Lina... Puis quelques potes, qui ont été proches de moi, même s'ils ont été rare. (HRP : Et ne me faites pas dire Sid, vous savez que j'y penses fort) Et puis plus rien, j'étais incapable de réfléchir plus, j'ai gardé les paupières fermées très fort. Et j'me suis dis que c'était quand même une mort vachement pourrie, pas vraiment le style que j'aurais imaginé. Ils vont me manquer putain. J'veux être avec eux. J'suis désolé pour tout ce que j'ai pu dire ou faire de mal à mes frangins et frangines. J'pense que si je dois vraiment mourir maintenant, j'aurais préféré être avec eux. J'vous aimes putain. Restez à l'abri, prenez soin de vous, j'vous en supplie.

J'allais mourir c'était certain... D'ici quelques secondes, quelques minutes. J'allais peut-être me retrouver noyé, ou même me prendre un projectile, j'en sais trop rien, mais je reverrais jamais ma famille. J'avais trop envie de leur dire pleins de trucs, des trucs inutiles comme un peu plus "mignons". J'avais envie de prendre Anca dans mes bras, de la serrer doucement en lui disant que ça va aller, qu'elle sera heureuse un jour, et que tout ce qui est arrivé il y a sept ans, ça sera plus qu'un lointain passé. J'aurais bien encouragé Mihaël une dernière fois pour ses études, j'aurais donné une dernière bonne grosse claque à Seven, dessiné une dernière grosse teub sur le visage de Constantin pendant qu'il dormait... Et pendant quelques secondes, j'me disais qu'au final y avait eu aussi du bon dans cette famille. Avant qu'une pensée plus funeste effleure mon esprit. Et ou est-ce qu'ils sont, mes frères et soeurs, en ce moment ? Est-ce qu'ils sont seulement encore en vie ? Est-ce qu'ils sont à l'abri ? Je me suis remis à avoir peur, j'arrivais plus à reprendre mon souffle. J'veux pas mourir si c'est pour mourir sans savoir comment ils vont ... Mais c’était comme ça, j'y pouvais plus rien maintenant, j'avais trop mal, j'étais trop épuisé...

C'est là que j'ai entendu une voix féminine. Est-ce que je suis mort ? J'suis au paradis et je me fais déjà accueillir par de jolies filles ? Putains me dis pas que je suis mort puceau en plus ... La loose. .. je lève la tête, les yeux toujours embrumés par la pluie et le vent, je vois mal, mais je suis définitivement pas mort, j'suis encore sous la tempête, à Savannah. Ouais, y a bien une jolie fille, mais elle aussi elle est en danger, elle se tient à un poteau pour ne pas se faire emporter et elle me tend la main. Merde Ioan arrête de rêvasser et réagit, sinon elle va y passer aussi. Je me suis redressé pour attraper sa main et j'ai commencé à me hisser comme je pouvais vers elle. Je voulais me lever, j'ai encore fais quelques essais peu concluants. Le vent avait redoublété d'efforts. Elle avait l'air d'avoir peur, j'etais dans le même état d'ailleurs. Et pourtant elle est sortie pour m'aider, donc faut pas que je la mette plus en danger qu'elle ne l'es déjà. Je l'entends à peine mais elle me demande si je suis blessé, je regarde vers ma cheville, j'essayé d'articuler et de parler fort, parce qu'avec le vent et la tempête c'est un peu difficile.

" Je me suis tordu la cheville, j'arrive pas à me lever ..! "

Avec son aide j'ai pu m'approcher du poteau auquel elle se tenait, je m'en suis servi pour essayer de me relever. C'était difficile, avec juste un pied et le vent qui arrêtait pas de me faire basculer mais j'ai réussi à me remettre droit. C'était déjà ça, j'étais debout, sur un pied, mais j'étais pas très stable. J'avais peur de tourner de l'oeil. Aller, j'peux le faire. Ioan pense au nombre de fois où tu t'es fais tabasser la gueule, mettre par terre, dans des etats pas possible, que ce soit par ton père, lors d,engueulades avec tes frangins ou même avec des mecs dans la rue ... T'as vécu pire comme douleurs nan ? C'est pas la première fois que tu te blesse nan ? OK t'es crevé, mais tiens bon. Le son de sa voix traverse toutes les autres nuisances sonores et me tire de mes encouragements silencieux. Elle me dit son prénom, enfin je crois, j'ai cru entendre, mais j'hésite un peu, je crois que c'est Ellie. C'est déjà un peu mieux maintenant que je suis plus proche d'elle.

" Moi c'est Ioan, enchanté... Tu sais que t'es vachement jolie ? "

Je sais pas trop pourquoi je sors ça, si c'est une tentative de dédramatiser la situation où juste une façon de me destresser et m'empêcher de me pisser littéralement dessus... j'en sais trop rien, mais bon, quand on stresse on dit tout ce qui nous passe par la tête non ? Je balaye les alentours du regard, l'eau est encore montée d'un cran par rapport à quand je suis tombé. La question c'est " est-ce qu'on va réussir à aller se mettre à l'abri ? "

" Par où on va maintenant ...? "

Ou du moins, essayer d'aller, parce que c'est pas dis que j'arrive à avancer, vu comment je douille. Je me demande même si c'est pas cassé tellement ça me lance. Puis je sais pas où elle habite, si même on va pouvoir retourner la bas vu que tout s'innonde de plus en plus... bref, là, je sais pas où donner de la tête. ..

C'était juste dingue. Ce vent, cette tempête, tout. Et cette putain de douleur, j'arrivais pas à penser à autre je chose. Je me demandais de plus en plus si ma cheville n'était que foulée, et pas cassée. J'la sentais plus et en même temps ça me faisait trop mal, c'était un peu space. On m'aurait dit " Hey en fait regarde tu t'es amputé tout seul du pied " ça aurait été pareil là. Mais j'étais pas mort pour le moment et c'était le principal non. Y a à peine quelques minutes je m'imaginais déjà ne jamais revoir les Popescu, le sourire d'Anca, la sale tronche de Sev ... Et là il y avait quand même un peu d'espoir, alors je plongeais mon regard dans celui de la jeune femme qui était venue à mon secours. Elle doit être un peu barrée elle aussi, si elle est sortie juste pour moi, alors qu'on est même pas sûrs de survivre là. Je continuais d'essayer de réfléchir, de mettre mes idées en place pour au moins tenir debout comme il le fallait. On était tous les deux aggrippés au poteau, qui commençait même à vaciller avec la puissance du vent. Fallait pas qu'on traine, je suppose.

Ellie, si c'est bien son prénom, m'expose son plan. Elle me montre d'un petit mouvement de tête la direction à suivre pour rejoindre sa maison. Dans ce coin là, ça me semble encore faisable. Parce que l'eau est pas encore montée trop haut par rapport à un peu plus bas dans la rue. " Tu crois que tu vas tenir jusque là ? " qu'elle me demande. J'en sais trop rien. Je suppose qu'il le faut après tout, on peut pas faire autrement. Et j'aurais l'air de quoi si j'étais même pas capable d'avancer, et s'il fallait que ce soit une fille qui s'épuise à me trainer jusque là bas ... J'aurais l'air d'une tapette non ? Et Popescu et tapette ça va pas ensemble, c'est un peu comme essayer de mélanger l'huile et l'eau, ça fonctionne pas. Alors j'allais faire mon mec fort, j'pourrais chialer ma mère quand je serais seul.

" Ouais ! Tu m'as pris pour quoi, marcher sur une jambe sous un ouragan, j'fais ça tous les jours, même les yeux fermés ! "

J'ai ris un peu, même si j'ai faillis tousser comme un con deux secondes après parce que c'est pas trop une bonne idée d'ouvrir la bouche quand il pleut des cordes comme ça. Mais c'était un rire plus sincère qu'avant, parce que j'arrivais à avoir des pensées un peu moins stressantes. J'arrivais au moins à avoir les idées un peu plus claires... Ellie venait de passer mon bras autour de ses épaules pour que je m'appuie et nous nous sommes un peu décollés du poteau qui nous retenait et qui menaçait de s'effondrer à tout moments maintenant sous la force du vent. C'était parti pour les minutes les plus longues de ma vie, je me demandais combien de temps il allait nous falloir pour atteindre l'autre bout de la rue, si on y arrive un jour... On a commencé à faire quelques pas. Je serrais les dents par moments, mais avec son aide ça allégeait tout de suite un peu mon calvaire. Je l'ai entendue me demander de lui parler un peu de moi, avant d'ajouter que j'étais plutôt mignon. J'ai légèrement souri.

" C'est déjà arrivé, mais ça fait toujours plaisir à entendre ~ "

Je me demandais ce que je pouvais bien lui raconter sur moi... Parce que j'estime qu'il n'y a pas grand chose d'important sur ma vie, du moins, pas grand chose que j'ai envie de divulguer à une jolie fille que je connais à peine, surtout dans la situation dans laquelle on est... J'ai pas envie qu'elle regrette d'avoir aidé une espèce de loque qui passe son temps à mettre sa vie en danger ~

" J'ai ... J'ai huits frères et soeurs. Cézar, Iulia, Constantin, Elena, Anca, Seven, Mihail et Tereza. Et une nièce, Madalina... C'est la fille de Iulia... "

A chacun de mes pas, prononcer leurs prénoms, me souvenir d'eux, ça me donnait la force pour oublier la douleur et la peine que j'avais à avancer. Même quand ils sont pas là, ils m'aident tellement. Et pourtant, j'suis même pas foutu de leur montrer qu'ils comptent pour moi. J'suis qu'un gros débile. Puis je me suis souvenu que j'avais pas vraiment de nouvelles d'eux pour le moment ... Et je me suis dis qu'il fallait que je me remette à parler et que j'arrête de penser, sinon j'allais me remettre dans un état de stress pas gérable.

" Notre nom de famille c'est Popescu. C'est roumain, nos parents sont nés là-bas ...! Je saurais pas trop quoi dire de plus ... Au pire on pourrait se poser des questions ... "

J'avais à peine fini ma phrase qu'une rafale de vent a faillit nous faire dévier. J'ai posé mon pied dans la flotte deux secondes en essayant de nous stabiliser. Reflexe con hein, parce que visiblement je fais que des choses débiles dans ma vie. Je me suis un peu crispé autour de ses épaules, mais j'ai fais mon possible pour pas gueuler. C'était encore tellement loin ...

“Je le savais, en te voyant, je me suis dit : c'est un battant !”

Ouais... Disons ça, je dois tenir le coup, c'est pas si horrible que ça non ? Ellie et moi on continuais à avancer, lentement, en essayant de braver la tempête, les pieds dans l'eau qui nous rendait le pas super lent. La moitié du temps on était obligés de garder les paupières fermées parce que le vent froid et la pluie nous embrouillait la vue. C'était pas une partie de plaisir. On continuait à parler pendant qu'on marchait, pour penser à autre chose sûrement, pour nous donner un peu plus de courage. Elle me dit que mes parents n'ont pas chômé et ça me fait rire, parce que c'est vrai. Combien de fois je l'ai entendue, la blague du " et vous avez jamais pensé à glisser des capotes sur leur oreiller ? ", on me l'a même sortie sur mon formspring me semble. Et oui on y a pensé, parce que faire autant de gosses c'est pratiquement de l'inconscience. Qui fait ça si c'est pour leur faire vivre une vie merdique hein ? C'est peut-être le propre des Popescu. Elle me demande également si je suis l'un des plus jeunes de la famille, et il se trouve qu'elle est en face du gamin qui serait pile au milieu. 4 avant, 4 après !

" Je suis au milieu en fait, je suis le cinquième né. Donc j'suis ni vraiment dans les cadets ni vraiment dans les aînés... "

On était de plus en plus proches de la boutique qu'elle voulait qu'on atteigne pour se rapprocher de notre point d'arrivée. Ça semblait encore loin mais c'était déjà une première étape de passée. A force de marcher sous l'ouragan, je sentais de moins en moins mon pied, j'avais beaucoup trop à me concentrer pour ne penser qu'a la douleur, il fallait que je tienne debout, que je tienne le coup et puis parler ça me permettait de penser un peu à autre chose. Je remercierai jamais assez la demoiselle venue me sauver pour son idée cool, même si c'est galère de s'entendre par moments à cause du sifflement fort du vent et des claquements de la pluie contre les vitres et les bâtiments. Elle a l'air d'accord pour qu'on se pose chacun des questions, jusqu'a ce qu'on soient arrivés. Si on continue comme ça, on est bien partis, et on a quelques chances de s'en sortir. Je sais pas quel pourcentage mais ça augmente, j'vous assure !

" J'ai vingt-quatre ans et toi ? "

Elle avait l'air d'être dans la même tranche d'âge que moi, mais je pose quand même la question. Elle me demande comment je vais, je lui repone en serrant les dents que ça pourrait franchement être pire et que je sentais plus trop ma cheville pour le moment, à force de me cogner sur tout ou de marcher dessus pour reprendre mon équilibre, je suis peut-être immunisé ! Nan plus sérieusement, j'espère vraiment que c'est pas cassé, juste foulé, parce que j'ai pas envie de me taper un plâtre... enfin vous me direz si je meurs ce soir on s'en fout que ce soit casse ou foulé non ?
On a repris notre chemin après qu'on ait légèrement perdu l'équilibre une nouvelle fois et j'ai décidé de lui poser une question aussi, il n'y a pas de raisons qu'il n'y ai que moi qui soit interrogé. Alors que j'allais me mettre à parler, elle m'à dit de garder courage et de penser fort à ma copine et mes frangins frangines. J'ai légèrement souri.

" J'ai pas de copine, mais ça marche si je m'en invente une dans ma tete a la limite ? Genre une jolie fille, un peu comme toi ! Bon, j'arrête de dire de la merde ... A mon tour de poser une question... Tu fais quoi dans la vie ? "

C'était une question un peu banale je suppose mais ça m'intéressait de savoir. Alors que je terminais de poser ma question on avait presque atteint le premier point de notre périple. A un mètre à peine du mur qu'on devait rejoindre, je me suis presque laissé tomber contre le mur en l'entraînant du coup avec moi vu que mon bras était toujours autour de ses epaules.

" Pouce ! Pause de cinq secondes ! "

Je lui ai un peu souris tandis que je reprenais mon souffle. Quelques secondes rapides de ŕépit avant de nous y remettre, j'avais juste besoin de ça. J'ai profité de ces quelques instants sans bouger et sans avoir â me tenir en équilibre, adossé au mur, pour regarder l'état des rues, ce que j'avais pas encore vraiment fait. Et je suis resté sans voix. Des morceaux de trucs non identifiés volaient un peu partout, s'écrasait pas loin de nous, sur les murs, les voitures qui commençaient à être emportées plus loin par l'eau qui montait de plus en plus... le gris du ciel, beaucoup trop foncé. Et Savannah défigurée, comme je l'aurais jamais vue. C'est la merde. Je me suis mis à penser a ce que tout le monde allait devenir après ça. Les familles heureuses comme les personnes âgées, les enfants, les celibataires et les etudiants... toutes ces vies qui vont changer du jour au lendemain, tout ce qu'il faudra reconstruire, et ceux qui vont perdre des membres de leur famille, des amis, des amours... Putain, on a mérité quoi pour avoir ça dans la gueule ?

" Je sais pas toi, mais j'ai hâte d'être à l'abri... ça va devenir dangereux, avec tous les trucs qui volent n'importe comment ... Tu vas bien toi ? Fais gaffe quand même. "

On continuait de parler pendant qu'on avançait. C'était une drôle façon d'apprendre à se connaître, un drôle de contexte surtout, mais c'était mieux que de chialer et d'attendre que ça passe. Au moins j'avais pas vraiment perdu mon humour et c'était bon signe. Je sais pas quand j'ai appris à prendre tout à la rigolade d'ailleurs c'est pas vraiment mon truc à la base. Y a quelques années, j'aurais traversé cette épreuve là, j'aurais fini par m'énerver sur ma jambe, forcer comme un con, et puis j'serais peut-être mort comme ça, au milieu de la rue. Et on aurait repêché mon corps, comme ça. La pire fin possible. On peut pas dire non plus que j'ai goût à la vie maintenant, j'srais plutôt du genre à me mettre à chanter du Queen et à partir comme ça. " I don't want to die, I sometimes wish I never been born at aaaaall~ " Enfin, finalement, je crois que c'est dans ces moments là, où on risque notre vie, qu'on y tient le plus, qu'on se dit que finalement on veut pas mourir. Et tu verras que si on survit à ça, je vais retourner à ma petite vie merdique, à m'enfiler de l'alcool et de la drogue ... A me mettre en danger, consciemment en plus. Haha quel con. S'il y a un Dieu qui existe comme certains le dise, il serait bien con de me laisser survivre à ça pour que je me tue quelques temps après avec mes conneries.

J'écoute les réponses d'Ellie. Je la regarde même, quand la pluie et le vent me laissent un peu de répit aux yeux parce que c'est pas facile de distinguer quelqu'un quand t'as de l'eau dans la gueule, mais ça a l'air d'être vraiment une jolie fille. Elle m'annonce qu'elle a vingt-deux ans. Un peu plus jeune que moi, elle est placée pile entre Seven et Anca ! Ouais l'âge des frangins frangines c'est une mesure chez moi. Et puis alors qu'on continue à parler et que j'essaye de me concentrer sur autre chose que ma douleur, elle dit un truc qui me fait buguer.

“Ou m'imaginer nue.”

J'ai ouvert grand les yeux -enfin autant que je pouvais, pour les mêmes raisons citées ci-dessus- et je me suis mis à rire comme un con. Avant de tousser parce que j'ai avalé de l'eau de travers.

" Pourquoi pas, mais si tu me fais faire ça il va me falloir un exemple après, sinon je vais être frustré de pas savoir ! "

Si on est parti sur les répliques un peu bizarres ou carrément beauf je suis le premier qui réplique. Et dans ce cas là on a pas fini ! Je l'entends ensuite me dire qu'elle est interne en médecine et que j'ai de la chance d'être tombé sur elle et j'aurais pas dis mieux. Et ça explique aussi pourquoi elle a fait la folie de sortir de chez elle pour me venir en aide, c'est quelqu'un qui aide son prochain. Je les admire ces gens là, moi je suis même pas capable de m'aider tout seul alors faudrait pas me confier quelqu'un...

" Moi je fais pleins de petits boulots, je suis pas assigné à un truc en particulier, j'ai pas fais d'études, j'suis plutôt dans la catégorie des ratés tu vois ! "

Juste après notre petite confession métiers, on a fait la petite pause que j'ai réclamée. Et c'est pendant ces quelques secondes sans bouger que je me suis vraiment rendu compte de l'ampleur de la chose. On a pas avancé de beaucoup mais une fois adossé au mur, je pouvais arriver à contempler un peu le quartier. Putain... Les putains d'effets spéciaux là. Je vous assure, j'ai l'impression d'être dans une nouvelle génération de films où on peut ressentir ce qui arrive. Et ça serait un truc à faire ça ! Qu'est-ce que j'aurais aimé que ce soit pas réel. Et je me suis demandé ce que je ferais si j'étais pas ici. J'aurais sûrement été dépenser mon salaire et je me serais couché comme une loque pour enfin profiter d'un peu de sommeil. Car je le sentais plus avec l'adrénaline des premiers mètres, mais ma fatigue elle recommençait à se pointer maintenant que je bougeais plus. Quelle idée d'avoir choisi comme boulot serveur dans une boîte, pile la semaine de l'ouragan, ils pouvaient pas prévenir ?~ Après m'être assuré qu'elle aille bien, enfin, "aller bien" c'est un bien grand mot dans cette situation... Mais juste après qu'elle m'ait dit aller bien, on a décidé de se remettre en marche. J'ai serré sa main, peut-être un peu trop fort d'ailleurs, mais me dire qu'on était plus très loin ça me remotivait un peu. J'ai avancé en essayant de ne pas trop peser sur elle, parce que je ne voulais pas nous ralentir trop. J'ai essayé de nous remettre dans le bain en posant ma question.

" Tu aimes faire quoi, en dehors de ton boulot ? Tu as des loisirs ...? A part la course en duo dans la flotte ?~ "

J'étais pas mort. C'était quand même un exploit. A chaque instant, à chaque pas qui nous rapprochait, j'avais cette impression de confort qui arrivait, du genre, la pensée du " c'est bientôt fini " qu'on a à chaque fois qu'on fait un truc chiant. Comme si j'allais passer la porte de l'appartement d'Ellie et d'un coup, tout redeviendrait comme avant. Il y aurait pas eu d'ouragan, pas de cheville tout ça. Mais je suppose que le plus chiant était à venir. Le pire surtout. Car survivre c'est une chose. Le pire ça va être quand on va tous revenir à la réalité, quand l'adrénaline sera retombée. Quand on aura réalisé l'étendue des dégâts sur la ville. Quand on essayera de retrouver nos amis et membres de la famille. Et si on les retrouve pas, qu'est-ce-qu'il se passera ? Qu'est-ce que seraient les Popescu si quelqu'un manquait à l'appel hein ?

On continuait de parler tout le long. Ca gardait mes sens plus ou moins en éveil. Puis visiblement on arrivait tous les deux à discuter avec humour. C'est le principal, comme on dit il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Puis un mec ça pleure pas de toute façon, alors on va dire que c'est la seule option ! En réalité je commence à être crevé, à force de forcer, à force de rester concentré sur mes mouvements, à force de braver le vent, de garder les yeux fermés très très fort... Franchement si on continuait pas de parler, je me serais endormi, là, comme ça, debout, ou plutôt pas pour longtemps... Aller encore un effort. Concentre toi sur sa voix.

" Et toi, à part tenir le record du cloche-pied, tu aimes faire quoi ? ”

J'ai rigolé encore une fois en essayant de pas me manger une tonne d'eau et de vent dans la gueule. Qu'est-ce que j'aime faire moi ... C'est une bien bonne question. Je peux décemment pas répondre que j'aime m'enfiler de l'alcool jusqu'à me déprimer sévère, ou fumer, ou me droguer pour être un peu high de temps en temps. Et pourtant vu comment je suis crevé j'aurais été cap de le faire, mais je pense pas que c'est le genre de choses qu'on a envie d'apprendre sur la personne qu'on est en train de sauver. Genre " salut je suis en train de sauver un pauvre type qui se ruine la vie tout seul " ... Elle pourrait peut-être me jeter et rentrer chez elle ... Haha ... C'est là que j'ai pensé au dessin.

" J'aimais bien dessiner avant ... J'voudrais m'y remettre ... Puis j'aime bien écouter de la musique. J'adore Queen. "

C'est des trucs déjà un peu plus positifs. Alors qu'on se rapprochait, j'ai pas eu le temps de réagir qu'Ellie nous a fait éviter une poubelle qui fonçait sur nous. Vous croyez que c'était le boss final ? Genre ça veut dire que c'est bientôt fini ? Et qu'on a survécu à cette traversée ? Visiblement oui ... Ou pas, puisque l'escalier du désespoir se dressait devant nous, avant d'atteindre notre saint graal. La quête continue du coup. Youhou. On a monté hyper lentement, parce que je galérais mais au moins je me suis appuyé sur la rembarde et moins sur elle ... Et autre point cool, on était à l'abri de la tempête ! On est arrivés en haut, elle m'a aidé à m'allonger et j'ai lâché un putain de soupir de soulagement.

" Je crois que j'ai jamais été aussi bien. "

Vraiment. On était sains et s- aïe putain... J'avais oublié cette histoire de cheville, et du coup ça m'a pas fait que du bien quand elle a retiré ma chaussure.

On avait continué nos questions tout le long. “Tu dessines quel genre de choses ?” Je dessine pratiquement plus. Mais quand j'essayais de m'en rappeler je revoyais quelques images d'il y a longtemps. Je dessinais pas mal de personnages, je m'inspirais souvent de comics que je lisais ce genre de trucs. Et j'avais même une certaine passion pour les paysages en peinture, j'ai jamais trop su pourquoi. La peinture de toute façon c'est ce que je préférais dans l'art ... Je me contentais de répondre tout ça à Ellie, comme ça me venait à l'esprit, d'une façon totalement naturelle, sans réfléchir et tout, parce que j'avais plus vraiment la tête à réfléchir. “ J'aime beaucoup Queen moi aussi. Quelle est ta chanson préférée ?” J'avais même pas hésité. J'ai pratiquement haussé la voix avec un certain enthousiasme. Bohemian Rapsody. Y a même pas besoin de chercher plus, c'est clairement celle-ci. Je me suis souvent surpris à la chantonner d'ailleurs. I don't wanna die, I sometimes wish I'd never been born at all. Ce genre de pensées que j'avais déjà très jeune au final et c'est triste. Me suis toujours senti assez proche de cette chanson. J'en sais trop rien c'est comme ça, et pourtant c'est pas vraiment le type de musique que j'écoute beaucoup aujourd'hui, mais j'apprécie toujours autant.

Le temps des questions étaient révolu. Du moins des questions sur nous-même, des réflexions presque philosophiques qu'on avait dehors quand on essayait de rester debout et de tenir le coup. Là, j'étais enfin allongé. Enfin en sécurité. Et pour le coup, je la laissais s'occuper de moi, même si elle devait aussi être fatiguée de notre périple.

“Tu veux boire quelque chose ? Ou manger ?”

Manger, je crois que ça me tentait vraiment. Mais en même temps j'étais hyper crevé, je serais capable de m'endormir comme ça en essayant de manger ce qui était ridicule. Plus jamais je bosserais autant.

" Boire ... Je crois que j'ai vu trop d'eau pour le restant de mes jours, haha~ Par contre manger, pourquoi pas, te prends juste pas trop la tête pour moi. "

On était en train de tremper le canapé. C'est vrai qu'il faudrait qu'on songe aussi à se changer, ça évitera d'attraper une pneumonie et d'en mourir après avoir bravé tant de vent et de poubelles maudites qui volent. Je l'ai regardée un moment pendant qu'elle me disait que j'avais été très courageux. J'ai eu un léger sourire en coin, le sourire un peu fier, quand on te fait un compliment et que t'es vachement flatté surtout quand il vient d'une jolie fille. J'avais presque l'impression d'être dans un rêve avec l'adrénaline qui retombait.

" Merci pour tout, vraiment. "

Je lui serais redevable à vie. Je sais même pas comment je pourrais faire pour la remercier. J'ai fermé les yeux un moment...