Pour une histoire, elle n'a rien de normal. Contrairement à la plupart des gens, la notion-même de normalité paraît abstraite dans un schéma où toute son histoire semble tordue et accompagnée, au regard d'une rareté déprimante, de quelques traits de normalité. Mana est né de deux parents à l'amour impulsif, une passion dévorante et oppressante qui les poussa à tout donner dans un amour qui ne put survivre devant leurs personnalités respectives et l'étendue de leur égo. Oui, c'est sûrement la bonne façon de dire les choses - car quand leurs différences prirent le dessus sur leurs projets communs, tout implosa. C'est dans un climat pareil que Mana vécut ses premières années, une séparation de parents jamais mariés alors qu'il n'avait qu'un an et le juge trancha, en vue de ces deux cas désespérés, que le paternel était le moins pire de ce duo ridicule.

Le père de Mana était réalisateur de films, peu connu mais suffisamment investi pour gagner sa vie largement. À défaut d'un moral, c'est sa stabilité financière qui avait dûc convaincre le juge de confier un enfant à cet homme. Pour autant, c'était quelqu'un de très occupé et travailleur. Il poussait les acteurs à se donner, cherchait le succès avec acharnement, donnait tout dans chaque métrage. D'abord, Mana a vécu avec lui, très jeune. C'était bien trop lointain pour qu'il ne s'en rappelle mais il avait les vestiges de sa mémoire enfantine qui tournoyait dans ses pensées mélangées comme une vérité timide, un secret caché dans un comportement si grossier et improbable qu'il n'en semblait pas réel. Cette façon d'être, couplé à un manque de temps - et d'attention porté à son enfant - certains fut que Mana fut confié à sa mère qui n'avait jamais lâché l'espoir de le récupérer.

La mère de Mana était directrice de zoo. Jeune femme d'origine japonaise, elle adorait son établissement et donnait tout pour qu'il marche - n'hésite pas à renvoyer les mauvais employés et prenant le temps pour chaque animal et ce fut la façon dont se sentit Mana, comme une nouvelle pièce de cette collection étrange et hypocrite. Les souvenirs sont plus clairs - ces animaux étranges, vacillant entre la satisfaction et un malheur discret, comme s'ils n'osaient pas le montrer alors qu'ils n'avaient aucune raison de l'être. Du moins, Mana ne comprenait pas. Il y avait tous ces gens derrière les cages, devant les spectacles, au-dessus de la pitié et sous cet échafaudage économique qu'elle avait mis en place. Quelle mère était-elle, et c'est ce qui la perdit, c'est ce qui lui fit perdre son enfant alors qu'il n'avait pas dix ans, le confiant à une famille d'accueil autrement plus responsable.

Quel soulagement, Mana. Ce ne sont sans doute pas les pires mais les plus irresponsables et il pouvait enfin grandir. Il n'avait pas à s'inquiéter, il n'y avait rien de grave ou de danger enfoui - c'est ce que chacun pensait. Mais la vérité est toute autre. Les parents de Mana se sont rencontrés en hôpital psychiatrique.
Depuis leur rencontre, ils allaient mieux. Depuis leur sortie, ils allaient bien. Et depuis leur rupture, tout allait mal.
Ils ont rechuté, mais pas en pire - et ils haïssaient assez l'hôpital pour être capable de cacher leur folie au public. Ils voulaient se jouer du monde après avoir compris qu'il était impossible d'y vivre naturellement. Et il fallait lui envoyer un successeur, quelqu'un qui semblait pur, doux, innocent, qu'ils chercheraient à protéger comme si lui aussi n'était pas un problème. Un enfant formaté dans les moindres détails, presque inconsciemment, comme une machine de vengeance.

De son père, Mana retient. "Rejoue cette scène", "cache tes émotions inutiles" et "ne sois que ce que tu as besoin d'être" - cette violence, acharnement, cette recherche exagérée d'un succès qui n'a aucun sens. Mana n'avait pas besoin de naturel ou d'humanité quand les masques et le mensonge comblaient toute cette part de lui. Les coups donnés, les cris la colère, et c'est toute cette négativité qui construisit un rempart adéquat à toute humanité.

De sa mère, Mana retient. "Ne t'encombre pas des gens inutiles" des employés flemmards qui s'emploient à consoler plutôt qu'à conformer ces animaux qui de toute façon n'en ressentent rien. Ne garde pas en toi cette sentimentalité qui n'a aucun sens. Mana n'avait pas besoin de ces sentiments qui n'avaient pas le moindre sens - il pouvait rester de marbre et couper court à tout ce qui le ralentissait dans sa propre quête du bonheur.

Peu avant ses 10 ans, il a été retiré à ses parents mais c'était déjà trop tard. Il était déjà marqué profondément. Pourtant, Mme Whittaker fut de son mieux pour bien l'élever mais le fait de bien l'élever se coupla à cette peur enfouie, ce devoir de le redresser comme s'il était déjà tordu - et cette acceptation silencieuse le persuada qu'il était déjà différent. Elle n'avait pas tort, au fond. Mais ce fut ce qui marqua la fin de ses espoirs. Pour autant, Mana était intelligent : il s'adapta à cette nouvelle vie et entama très sérieusement des études. Il n'avait pas l'intention de finir comme ses parents, assumant à moitié sa façon d'être. Il resterait lui-même, mais il serait assez intouchable pour ne pas avoir à le regretter. Le collège fut d'une facilité accablante et il tomba dans le top 100 de son lycée sans difficultés alarmantes.

Mais une fois arrivé à l'université, quelque chose le gêna. Quelque chose n'allait pas. Les études supérieures, le monde était à ses pieds, tout était à sa portée d'une poignée de main, d'un effort presque insignifiant - et il se refusait de céder à cette façon si aisée de faire les choses. Pour Mana, il n'était pas question de suivre les attentes de ses parents qui maintenant, lui semblaient évidentes. Il rassembla ses économies, fit ses adieux à la famille Whittaker maintenant qu'il avait obtenu sa majorité et déménagea à l'opposée du pays jusqu'en Géorgie à Atlanta où il s'installa. Durant quelques années, il enchaîna les petits boulots dans l'espoir de trouver une situation stable, économisant. Il se contentait d'appartements ridicules mais il finit par déménager de nouveau. Savannah s'avéra être une ville de choix. Les loyers étaient bien plus abordables, et, avec la promesse d'un travail de manager du personnel - en vue de son expérience -, une colocation largement à sa portée au niveau financier, il s'installa ici il y a maintenant quelques semaines.

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