Ma vie a débuté en Écosse, loin de Savannah. Mes parents se sont disputés pour savoir comment je m'appellerais, et ils ont fini par me donner le doux prénom de Keiran. C'est celui que mon père voulait pour moi. Ma maman, elle voulait qu'on me prénomme Meredith, c'est pourquoi j'ai fini par être Keiran Meredith Oliver. Et oui, ça fait trois prénoms, et ça a été un peu difficile par moments quand on me demandait de me présenter, les gens savaient jamais si mon prénom était Oliver, Keiran ou même encore Meredith. Parfois même, ça m'amusait un peu. J'ai eu la chance de naître dans une famille plutôt aisée. Mon père est chirurgien et ma mère physicienne. J'ai également une grande sœur, Cyara, alors pour mes parents c'était vraiment le choix du roi : une fille et un garçon, on était vraiment la famille un peu clichée mais visiblement plutôt parfaite.

Quand j'étais enfant, j'étais de santé assez fragile. Je tombais tout le temps malade pour un rien et il m'arrivait souvent de devoir manquer l'école à cause de ça. Du coup, c'est ma grand-mère qui prenait soin de moi. Je l'aimais beaucoup et j'aimais également aller passer du temps avec elle. Parce qu'elle était la femme la plus gentille de la terre, mémé Anne. Elle avait toujours un paquet de bonbons cachés dans un coin. Je me souviens m'être fait punir par mes parents une fois, alors qu'on avait un diner chez elle. Et bah mémé Anne, elle m'a quand même donné une glace quand ils ont eu le dos tourné. Mémé Anne elle m'a également offert ma première console de jeux, c'était une super NES et j'ai passé un temps fou à jouer dessus, c'est sûrement de là que me vient ma passion des jeux rétros.

J'avais beau être quand même un gosse de riche, j'ai jamais été du genre à me vanter. J'avais un certain succès dans la cour de récrée même ! On peut dire que j'ai jamais été réservé, parce que je suis le premier à parler aux gens que je ne connais pas, encore aujourd'hui. J'aime apporter mon aide, j'aime être utile… C'est un peu comme si c'était dans ma nature. On peut se dire que j'ai été un peu le gamin modèle, pourtant il y a toujours eu un truc qui « cloche » chez moi. En effet, j'ai jamais été attiré par les filles. Je me souviens avoir répondu à une amie de ma mère me demandant si j'avais une amoureuse à l'école que « les filles, c'est nul ». Bah, ça l'a fait rire vous voyez, parce que c'est mignon un gamin qui dit ça. Et puis, « De toute façon c'est un vrai garçon ton fils, y a pas de soucis à se faire ». C'est le genre de phrases lambda qu'on peut entendre certains adultes dire quand on est enfants, et on comprend pas forcément. Parce qu'ils se disent que de ne pas aimer les filles quand on est enfant, c'est drôle, ça veut rien dire, ça changera quoi. Parce que si un petit garçon aime les jeux vidéos et les petites voitures, « y a aucun risques ». Risque de quoi au juste ? Parfois il m'arrive d'entendre ce genre de phrases encore, venant de parents. Et je me dis aujourd'hui que c'est le genre de choses que je pourrais jamais dire à un enfant, parce que je sais d'expérience que ça peut fermer l'esprit de certains et que ça peut faire souffrir d'autres… Enfin bref, cette petite information qui devrait normalement n'être qu'un petit détail anodin va malheureusement me causer bien des soucis, alors on sera bien sûr menés à en parler de nouveau…

Alors que j'avais à peine dix ans, j'ai dû affronter le décès de mamy Anne. Morte de vieillesse pendant son sommeil. J'ai été inconsolable pendant quelques semaines malgré les tentatives de ma sœur pour me faire penser à autre chose. Elle et moi, on était toujours en train de se chamailler d'habitude. Mais je crois que cette perte nous a rapprochés elle et moi et c'est à partir de ce jour qu'on est devenus plus soudés que jamais. Notre mère, qui venait de perdre la sienne, était malheureuse elle aussi et elle ne cessait d'y penser. Il n'y avait plus aucun bruit chez nous, juste un silence de mort. Et c'est là que l'idée du déménagement s'est imposée à mon père. Il pouvait être muté aux Etats-Unis, et comme ma mère ne pouvait plus sortir dans la ville où elle a passé sa vie sans se rappeler de mémé Anne, la décision fut prise rapidement. On allait partir vivre très loin, de l'autre côté de l'Océan, pour commencer une nouvelle vie et peut-être enfin mettre fin à cette longue période de deuil qu'on a connue…

Ça a été difficile de s'acclimater à Savannah, notre nouvelle ville. Moi j'entrais au collège et avec ça, dans les années emmerdes de l'adolescence. Je pense que tout le monde sera d'accord pour dire que le collège c'est une grosse merde et je m'attarderais pas trop dessus parce que je ne veux pas raviver de vieux souvenirs. J'essayais de rester le gars jovial que j'avais toujours été mais je me suis vite rendu compte qu'à cet âge là, on ne peut pas se faire des amis partout. Ouais, on s'est moqué de moi, mais j'étais sûrement pas le seul à avoir vécu ça. J'étais un adolescent, comme tout le monde je découvrais un peu tout, notamment les sentiments amoureux. On peut pas dire que je sois réellement tombé amoureux à cette période là, mais j'ai commencé à ressentir de l'attirance pour certains gars de ma classe. J'ai connu ses moments un peu gênants où je me surprenais à en mater certains dans les vestiaires avant d'aller au sport. Les moments où on se questionne un peu, où on se demande si on est « normal », où on se trouve con quand les mecs nous demandent si on trouve telle ou telle fille « bonne »… J'ai eu des moments de doutes hein, parce que quand on voit que même les programmes scolaires n'abordent pas vraiment la question de l'homosexualité, on se demande parfois si c'est pas une tare, on se demande ce qui cloche chez nous, et on a envie d'en parler à personne pour pas que ça se sache. Personnellement j'ai essayé de rentrer dans le moule à cette période, parce que je me suis dis que ça passerait peut-être ?

Après ça, t'arrive au lycée. C'est plus cool, les gens sont plus ouverts, y a moins de personnes qui crachent sur la gueule des autres … Et c'est là que j'ai commencé à me sentir plus libre. Je me suis entouré d'une bande d'ami.e.s géniaux et je me suis dis que j'allais pouvoir être moi-même. J'ai rencontré un gars à ce moment-là. Un gars qui s'assumait totalement. Il était homosexuel et ça semblait poser de problèmes à personne dans notre groupe d'amis. Alors je me suis dis, « pourquoi pas? », c'était peut-être pas si tabou que ça après tout. J'ai passé beaucoup de temps avec lui et j'ai pu lui parler. C'est la première personne a qui j'ai avoué mon homosexualité et il m'a beaucoup aidé. Grâce à lui, j'ai arrêté de me sentir « anormal » et je me cachais plus. Je suis même sorti avec un mec à l'époque, un gars de deux ans de plus que moi, qui étais vachement mignon. Et parce qu'on ne peut rien cacher à ma grande sœur, elle l'a su assez rapidement et j'ai pu en discuter avec elle également. J'ai eu la chance d'avoir une grande sœur ouverte d'esprit. Elle était heureuse pour moi, mais en même temps, elle m'a conseillé de ne pas en parler à mes parents pour le moment, parce qu'ils n'étaient sûrement pas prêts. Après tout, nos parents nous avaient toujours élevés comme leurs petits enfants parfaits, ils nous aimaient plus que tout, mais c'est comme s'ils avaient déjà voulu tracer toute notre vie. Ils nous imaginaient déjà, ma sœur et moi, avec notre mari et femme respectifs, nos enfants, notre métier de rêve… Et « ça », ça pourrait perturber nos plans. Mais, Cyara, elle était prête à m'épauler le jour où j'aurais choisi de faire mon coming out, et je lui étais vraiment reconnaissant…

Pourtant, ce moment-là, il est jamais vraiment venu. Plus le temps passait, plus mes parents avaient l'air fier de ce qu'on était devenus Cyara et moi. D'ailleurs, ma sœur a rencontré un gars et elle l'a présenté à nos parents. Ils avaient pleins de projets, mes parents avaient l'air si heureux … Et c'est là que cette pensée m'est venue à l'esprit : Jamais ils n'éprouveront ce bonheur là si je leur présentais un homme. Ils s'inquièteraient pour moi, me diraient sûrement que ça peut être dangereux si je tombais sur des personnes malintentionnées, ils se plaindraient même sûrement du fait que je ne puisse pas avoir d'enfants avec un homme … Ils auraient honte d'en parler à leur amis pendant leurs soirées, parce que ce n'est pas quelque chose dont ils seraient capable de se vanter, comme ils le font avec ma sœur … Et j'ai eu la boule au ventre le jour où j'ai pensé ça. Mes parents ont toujours tout fait pour moi et moi je serais pas capable de les rendre heureux en retour. Je devais être le pire fils du monde, et ça je ne le supportais pas, parce que j'ai toujours fais passer le bonheur des autres avant le mien. Je ne pouvais pas leur dire ça, vraiment pas. Même si Cyara a essayé de me raisonner et de m'en empêcher, j'ai quitté mon petit ami, et j'ai recommencé à me cacher, comme-ci toute ma période lycée n'avait jamais existé.

J'ai rencontré Thea quand j'étais à la fac de lettres. C'était une jeune fille adorable, avec des rêves plein la tête et en plus de ça elle était plutôt jolie. Je suis devenu proche d'elle assez rapidement, parce qu'on s'entendait parfaitement bien. Les gens autour de nous auraient pu parler d'un coup de foudre, mais on avait l'air parfaitement assorti. Et moi, on peut sûrement dire que je suis tombé amoureux d'elle. On est sortis ensembles et d'après les autres, on était même un beau couple. Je l'ai présentée à ma sœur et à mes parents. Bien sûr, mes parents étaient ravis, parce que leurs deux enfants chéris prenaient le chemin qu'ils avaient imaginé pour eux. Et moi, j'étais heureux de pouvoir leur procurer ce bonheur là. Je peux pas mentir là-dessus, j'ai connu de vrais moments de bonheur à cette période là, même si au fond, je savais très bien qu'il me manquait quelque chose, mais je m'étais juré de taire ce truc au fond de moi.

Le temps a passé. J'ai emménagé avec Thea et on passait beaucoup de temps ensembles entre les cours. Pourtant, plus les choses avançaient, plus je ressentais comme un vide. Peu importe les sentiments que je pouvais avoir pour elle, mon attirance pour les hommes me quittait pas, et c'est normal, on peut pas vraiment renier ce qu'on est. J'ai vécu des jours pires que d'autres. Parfois j'ai eu envie de tout lâcher, d'avouer tout à ma famille, mais je pouvais pas leur faire ça, enfin c'était vraiment compliqué. D'autres jours, j'allais mieux et je me sentais presque à ma place dans cette vie là. Jusqu'au jour où tout a basculé. Thea est tombée enceinte. L'annonce de la nouvelle m'a fait l'effet d'une grosse claque. D'un seul coup, tout s'est écroulé et j'ai commencé à faire des crises d'angoisse à longueur de temps. Thea a mis ça sur le dos du stress de devenir père, mais elle avait déjà tout prévu, elle avait plein de projets pour nous, notre future vie à trois … Mais pour moi tout s'était arrêté. Je voulais plus avoir à me cacher et ma santé se dégradait. Cyara m'a demandé à plusieurs reprises de dire tout à notre famille, parce qu'elle voyait bien que cette vie là était pas faite pour moi. Mais encore une fois je l'ai pas écoutée, je voulais blesser personne et j'ai encore tout caché.

J'ai été un vrai lâche. J'étais au bout du rouleau et j'ai tenté de me suicider. J'me suis raté, parce qu'on a eu le temps de me sauver. Et après quelques tests psychologiques, on a jugé bon de m'interner en hopital psychiatrique quelques temps. Mes parents et Thea ne comprenaient pas pourquoi j'avais pu faire ça, ils venaient me rendre visite parfois, ils essayaient de me trouver pleins d'excuses, sûrement pour se persuader qu'il n'y avait aucun « soucis » avec moi… Là-bas, j'ai rencontré une jeune femme prénommée Anca. Tout comme moi, elle avait tenté de mettre fin à ses jours. On a pu passer beaucoup de temps à parler. Elle et moi, on était totalement différents, nos histoires étaient tellement éloignées l'une de l'autre et pourtant on en était venus à la même conclusion. C'était un bien triste constat, mais j'ai pu développer des liens assez forts avec Anca. Et parler avec elle me faisait un bien fou. C'est sûrement grâce à elle que j'ai pu voir en quelques sortes la lumière au bout du tunnel. Elle me faisait un peu penser à ma sœur, par moments. Parce que ce sont les deux femmes qui m'ont incité à rester qui je suis et à penser à mon bonheur avant d'essayer de ne pas décevoir les autres. J'ai également rencontré un gars là-bas. J'ai jamais trop su pourquoi il était interné ici, mais je suis vraiment tombé sous son charme à ce moment-là. Je pense que les avoir, lui et Anca, avec moi, ça m'a aidé à remonter la pente et à m'accepter comme je l'étais. Alors je l'ai fais, j'ai avoué mon homosexualité à ma famille, et par la même occasion à Thea. J'avais pris mon courage à deux mains et malgré ma peur de la faire souffrir, j'ai réussi à le faire.

Mes parents, comme je m'en doutais, ont été choqués de la nouvelle. Je ne sais pas s'ils l'ont vraiment digéré aujourd'hui encore. Ils font de leur mieux pour m'accepter tel que je suis, je le sais, mais je sens par moment qu'ils restent un peu déçus, et qu'ils pensent encore que je puisse « changer d'avis ». Pour Thea, ça a été plus dur, et je le conçois totalement. Je venais de plaquer une femme qui était enceinte de moi. Je me suis senti comme le pire des connards pendant longtemps et même parfois encore, j'ai des remords. Elle m'a détesté et c'est peut-être encore le cas. Elle m'a aussi dit des horreurs, mais avec le temps, elle a essayé de me comprendre. Je lui ai laissé le temps qu'il fallait, je l'ai laissée m'insulter, ne plus me contacter. Mais j'avais fais mon choix et je ne pouvais plus reculer.

Notre fille est née quand j'étais encore interné. Pourtant, voir son visage a été un des grands bonheurs de ma vie. Elle ressemblait à un petit ange. Et je me suis juré d'être un bon père pour elle, quand je serais sorti de là. En parlant de ça, quand je suis enfin sorti, je me suis senti comme lors de notre emménagement à Savannah, il y avait plus de dix ans de cela, comme si c'était le début d'une nouvelle vie. J'ai pris un appartement, j'ai pu finir mes études là où je m'étais arrêté, et j'ai fini par décrocher mon diplôme. J'avais le droit de voir ma fille un week-end sur deux, c'était peu, mais j'essayais de profiter un maximum de ces moments. J'ai décroché un petit boulot dans la bibliothèque de la ville. Et au fil des années, je me suis senti libre à nouveau. J'ai commencé à faire ma vie comme je l'entendais et j'ai retrouvé ma joie de vivre. Je suis resté très proche de ma sœur et même de mes parents malgré tout. Thea et moi n'avons plus vraiment de différents, même si je m'en voudrais sûrement toujours d'avoir agit comme ça par le passé. Mais maintenant, j'ai envie de vivre un peu pour moi aussi, et pour ma petite fille, parce qu'elle reste la prunelle de mes yeux.