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 crashing waves (daivak)

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Daire Méalóid

Daire Méalóid
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▹ signe particulier : elle est atypique, daire. des tâches de rousseur prononcées, l'accent bourdonnant de l'irlande du nord, la peau encrée et la clope au bord des lèvres. une balle dans la poitrine, et une nouvelle cicatrice sur son bas-ventre.
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MessageSujet: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptyLun 29 Jan - 16:22


Elle avait perdu la notion du temps dans les méandres de sa soirée, aussi fût-elle étonnée de constater de l’agitation aux abords de l’Inferno alors qu’elle pressait le pas sur le trottoir d’en face. C’était peut-être l’heure, après-tout, mais la batterie de son portable était morte et la nuit bien installée dans un ciel de ténèbres. À la lueur des réverbères et des ombres mouvantes aux alentours, les constellations de son visage paraissait dessiner une carte sur ses traits fatigués. Lassés, sûrement. Le stripclub lui rappela sa dernière altercation avec Ryan, lorsqu’elle lui avait cassé le nez au milieu de la salle au milieu de tous, et qu’ils s’étaient faits jeter dehors comme des malpropres. L’image même du skinhead apparaissant dans ses pensées lui vrilla les tympans l’estomac, et l’exaspération monta crescendo dans ses veines. Ses pas martelant le bitume dans une hargne certaine l’éloignèrent de ce lieu à l’ambiance électrique, alors même qu’elle n’avait pas tenté d’y remettre les pieds depuis. Elle ne s’était pas leurrée, comme partout on oubliait jamais sa tête atypique son regard colérique ou sa tignasse flamboyante – à peine le temps de mettre un pied à l’entrée qu’elle aurait certainement terminé dans une benne à ordures. C’était peut-être sa place, après tout, une décharge. À l’instar de son existence qui ne cessait de se désagréger entre ses doigts comme des miettes d’une vie saccagée éparpillées sur l’asphalte et balayées par sa propre tempête. Soupir de la désolation entre les lippes, alors qu’elle y glissa une cigarette.

Comme souvent, toujours, ce n’était pas sa soirée. En raison de ses multiples retards et absences au garage, et face à la menace d’un licenciement de plus en plus prégnant, Daire avait soudoyé son patron pour faire des heures supplémentaires en soirée – à défaut d’avoir su lui accorder du temps dans ses journées mouvementées. Elle détestait ça, se mettre à genoux supplier quémander la deuxième chance. Avec elle, c’était toujours tout ou rien, dans ses excès ses éclats. Elle ne regrettait jamais, demandait rarement le pardon. Pourtant, elle avait un besoin viscéral de ce travail qu’elle bafouait les trois quarts du temps, une nécessité de vie ou de mort sur l’argent qu’elle en tirait ; parce que ce n’était pas seulement son toit sa vie qu’elle assurait, au contraire, c’était la survie de sa mère qui y passait. Comme dans tout ce qu’elle entreprenait tout ce qui lui importait, elle était capable de s’abstenir tout faire voler en éclats. Ce n’était plus seulement détruire ce qui la détruisait elle, c’était être à l’essence même de l’annihilation originelle. Tout foutait le camp entre ses mains et elle n’était capable de rien retenir. Pas un grain, pas une décence. En pleine conscience de ses faits et gestes mais aliénée par sa colère inconsistante mais trop constante, envers elle-même envers le monde.

Elle avait obtenu sa nocturne au boulot, non sans peine, non sans clémence de son patron habitué à ses menaces ses insultes. Peut-être qu’il avait pitié d’elle, ce qui la révulsait d’autant plus. Être mécanicienne, c’était sûrement la seule chose tangible qui lui permettait de se maintenir l’esprit occupé et les pensées focalisées seulement sur ces tâches. Quand tout partait en vrille autour d’elle par sa faute ou dans son impuissance, elle avait au moins le pouvoir de remettre des choses en place entre des tas de tôles et des vieux moteurs. Alors elle avait terminé assez tard, sur les coups de vingt-trois heures que lui avait indiqué l’horloge du garage en partant, et personne n’avait répondu à ses messages durant tout ce temps. Ses bouteilles à la mer s’étaient muées en insultes et remontrances, et son cellulaire avait fini par l’abandonner dans ces batailles vaines.

Daire portait encore son bandana dans les cheveux, celui qui lui permettait de maintenir ses mèches impossibles à coiffer lorsqu’elle avait la tête plongée sous un capot ou dans des tâches diverses. Elle avait encore les mains noires malgré se les être lavées plusieurs fois, et des tâches de suie au milieu des éphélides de son visage. Elle faisait tâche au milieu de la nuit, comme si cette soirée ne pouvait pas se prêter à la fête. Pourtant, elle n’avait aucune envie de rentrer. Aucune envie de se heurter à l’un de ceux qui aura été vexé par ses derniers messages, aucune envie de se prendre la tête ou de ne trouver que du silence comme simple présence. Ancrée dans sa solitude comme les étoiles dans le ciel, comme si telle était sa place naturelle, elle se laissa ballotée au gré des ruelles jusqu’à ce qu’un panneau lumineux d’un bar quelconque ne lui indique qu’il y avait un tournoi de shooters organisé pour la soirée. Elle ne croyait pas au destin, mais ça aurait pu assurément en être un signe. C’était un territoire de plus à conquérir, en sachant que la victoire lui était quasiment assurée. Athlète de grande renommée dans les basses de l’alcool, elle était presque invincible selon les personnes qui l’entouraient. L’animation semblait légère sur la terrasse où quelques âmes bravaient le froid pour leur pause cigarette, tandis que des cris plus ténus s’échappaient des entrailles du bar à la piètre allure. Puis son regard céruléen se posa sur l’homme qui semblait être le videur, et qui la dévisageait d’un air qui voulait tout dire. De celui je te connais toi, t’as déjà foutu ta merde ici. Peut-être un peu parano, elle n’avait pas pour habitude de retenir tous les visages de ceux qui l’avaient jetée dehors. Putain. Un groupe exubérant sortit à grandes pompes du bar et un jeune homme s’approcha d’elle pour lui demander si elle avait du feu tandis qu’elle jetait son mégot calciné. Acquiesçant en dévisageant ce visage qui lui plaisait bien, elle attendit qu’il lui rende son briquet avant de sortir une nouvelle cigarette. Qu’elle n’eut jamais le temps d’allumer. Un des types en piètre posture bouscula son ami avant d’être secoué d’un spasme et de déverser le contenu de son estomac sur les pieds de la rouquine.

Ce fut la détonation tant redoutée du cataclysme irlandais aux veines déjà en ébullition. « Putaaain, va vomir tes tripes ailleurs connard !! » Daire se recula et lui balança un coup de pied pour qu’il aille s’écrouler autre pas, ce qu’il ne manqua pas de faire en roulant sur lui-même tout en essayant de lui cracher quelques insanités inaudibles. Ce pauvre type semblait avoir amorcé la grande marrade de la soirée à la vue de l’hilarité générale de sa bande, mais celui qui lui avait demandé le briquet avait une autre lueur dans le regard. « Suce ma bute ou ferme ta gueule la rouquine » Nope, il ne lui plaisait plus. Nouveaux éclats de rire débraillés dans la tribune, nouveau tapage au fond de son âme où ne se dressait plus qu’une colère accumulée de cette sale journée. « Si t’essaie, j’te l’arrache avec les dents » Aucune méfiance dans ses paroles, toujours que de la défiance. Tête brûlée n’ayant peur de rien, pas même de se prendre une raclée par quatre nigauds imbibés d’alcool divers. Elle avait la présence familière de son couteau dans une des poches de son jean mais même sans, elle l’aurait provoqué de la même manière. Reine des esclandres et des phalanges en sang. L’insulté ne se laissa pas impressionner, au contraire il semblait plus enhardi comme si un nouveau challenge des plus simples s’offrait à lui. Quelle erreur. Il s’approcha d’elle tranquillement sans qu’elle ne daigne reculer, et posa ses mains sur ses épaules. Elle détesta instantanément ce contact, la lueur dans son regard, pourtant elle lui rendit son sourire de toute la beauté du sien. Mensonge. Avant de basculer son front en avant dans toute sa force pour lui percuter le crâne dans un excès assourdissant. « MERDE PUTAIN » Le jeune homme tituba en arrière et Daire profita de l’avoir déstabilisé pour lui voler sa bière des mains. « Merci pour la bière, c’est sympa » Clin d’œil de l’insoumission de la défiance, du dérapage de trop, ponctué de gorgées avalées comme un trophée. Sauf qu’ils se mirent tous à l’encercler, excepté celui qui vomissait encore ses tripes, et elle se retrouva acculée contre un mur un lampadaire qu’en savait-elle. L’échauffourée prit une ampleur si prévisible qu’elle ne fut guère étonnée de sentir les premiers coups s’abattre dans son estomac ses côtes, alors qu’elle fracassa la bouteille de bière sur le crâne de l’un d’eux. Capharnaüm d’insultes et de cris sous l’indifférence générale, comme s’il s’agissait-là d’une grande banalité – une jeune fille aussi têtue fut-elle en proie à un surnombre d’hommes aux hormones ravagées. Enfoirés.  

Dans son champ de vision obstrué, elle eut le temps d’en apercevoir un se courber en deux dans une plainte étouffée, pourtant elle était certaine de ne pas l’avoir touché, il était trop loin de son champ d’action. Elle étouffa une insulte mistral lorsqu’elle fut soulevée de terre comme une brindille soufflée par une bourrasque, autant pour cette situation dont elle n’avait plus aucune maîtrise que pour l’étau qui l’enserrait sur ses côtes mâchées. Elle eut beau s’époumoner, râler, lâcher une flopée d’insanités improbable pour son minois dans son fort accent irlandais comme à chaque fois qu’elle enrageait, il n’y avait rien à faire. Ses pieds s’agitaient dans le vide, percutant le visage de quelqu’un au passage, et la scène lui rappela vaguement une autre survenue quelques semaines plus tôt. Comme un arrière-goût d’impuissance et de déjà-vu dans cette manière d’être traitée comme un chiffon sale.
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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptyMar 30 Jan - 13:34


CRASHING WAVES
novak & daire
I've been on a long road With the devil right beside me. Rising with the morning sun, It's a hunger that drives me. I can take a beating, I'll rise again. Burning through the jungle until the end, I can live forever. I'll rise again, keep rising up. I'm a champion.
▲▼▲

Les soirées de congé, c'était sacré. Ça l'avait toujours été, aussi loin que ses souvenirs remontaient. Y avait beau avoir la misère dans le monde et la violence dans les cœurs des passants, y avait beau avoir la vermine qui rampait dans les rues et le besoin de ses poings qui se faisait sans cesse réclamer, il avait depuis longtemps décrété que, lorsque l'heure de prendre une pause était arrivée, rien ni personne n'avait le droit de l'en tirer. La décision, il l'avait payée. Plus de fois qu'il ne pouvait le compter. Payée dans la chair et dans le sang, payée dans l'exaspération la plus totale. Payée dans la sensation de ne jamais être capable d'arrêter complètement d'exister, d'arrêter de travailler l'espace d'une foutue soirée. Chaque fois, il digérait l'amertume sans que celle-ci ne déteigne sur ses traits, laissant à croire à tous les parasites qui venaient le sortir de la paix que ce qu'ils faisaient était toléré. C'était l'inconvénient du silence. L'inconvénient de ne pas être capable de s'énerver, et de ne pas être capable de refuser quoi que ce soit à un appel de la loyauté.

Et ce soir encore, elle l'avait trahi. Il avait les pieds croisés sur la table basse et le cul enfoncé dans le canapé, Evil Dead de lancé à la télé et le carton d'une pizza format party démesuré posé sur le coussin à ses côtés. La soirée avait bien commencé, mais quelqu'un, quelque part, avait pris la décision de la pimenter avant qu'elle ne soit terminé. Quelqu'un qui avait décidé de faire le con, et qui avait forcé Lazar à changer les plans de Bran pour la soirée. Forcé Lazar à passer un coup de téléphone au colosse pour lui demander de rappliquer. Nous faut quelqu'un pour garder la porte. Bran est occupé. C'est pour une heure ou deux, pas plus. Rapplique, Novak. Rapplique sans protester. Réfléchis pas et pense pas à grogner. De toute façon, y a rien à négocier. Et même si Lazar avait eu une once de flexibilité dans la manière dont il gérait son établissement, y aurait toujours rien eu à marchander. Les loups répondaient toujours à l'appel. Et Novak, y en avait pas un qu'il avait manqué, pendant toutes ces années.

Soirée de congé torpillée, mais pas assez pour le forcer à laisser le chien-loup derrière lui. Il avait sifflé l'animal, qui était sorti à ses côtés sans un bruit. Couché dans la rue, près de la porte d'entrée, pendant les deux heures que son quart de travail improvisé avait duré. Et lorsque ça s'était finalement terminé, lorsque Bran avait pointé le bout de son nez pour reprendre son poste, Novak n'avait pas traîné. Il avait avalé le shooter qu'on lui avait offert en signe de dédommagement, et il avait filé. Кербер sur les talons, il s'était enfoncé dans l'obscurité qui avalait progressivement la rue. Il s'était arrêté dans un petit restaurant aux deux-trois clients distraits et silencieux, avait commandé l'un des meilleurs - et des plus gros - kebabs du quartier, et s'était appliqué à le dévorer, lentement mais méthodiquement. Y avait eu que la rage d'une cigarette pour lui faire accélérer la cadence, et les trois dernières bouchées avaient disparu plus rapidement qu'aucune autre auparavant. Puis il était sorti, ignorant les regards courroucés que le client assis au comptoir jetait au chien qui le suivait.

Le vieux briquet qui claque familièrement en s'ouvrant, et la flammèche vient trouver le bout de la clope sans se faire prier. Il ouvre grand les poumons, alors qu'y descend la première bouffée de nicotine. Immobile sur le trottoir, à quelques mètres de la sortie du restaurant. Кербер assis à ses côtés, il observe les environs. Il semble n'y avoir plus rien pour perturber la tranquillité qui est en train de le submerger, après presque trois indésirables heures de dérangement. Rien, à part le chahut qui gonfle devant un bar, un peu plus loin sur le trottoir d'en face. Ses yeux restent fixés sur l'altercation qui est en train de se déclencher. Un gamin dégueule sur les pieds de ce qui a l'air d'être une gamine. Ça met pas plus longtemps pour partir en vrille, et il n'a pas besoin de se rapprocher pour sentir les événements dégénérer. Et c'est à sa manière de bouger qu'il la reconnaît. Cette fougue qui lui traverse de part en part l'aura, alors qu'elle balance un coup de tête dans le front d'un des emmerdeurs qui ont eu la mauvaise idée de l'approcher. Il se souvient pas de son nom, se souvient même pas de la raison pour laquelle il l'avait balancée sur son épaule pour la jeter sur le trottoir de l'Inferno, quelque temps plus tôt. Tout ce qu'il sait, tout ce que le corps de cette rouquine et sa manière de bouger lui crient, c'est qu'il s'agit de la même fille. À croire que les ennuis tombent toujours sur les mêmes, que sa mère dirait. À croire qu'c'est toujours les mêmes qui crachent à la gueule des emmerdes sans se soucier de les provoquer.

Pourtant, en cet instant, il n'y a rien qui aurait pu le faire bouger de son point d'observation. Rien d'autre que la volonté de rentrer chez lui, rien d'autre que le besoin de rester loin de toute alléchante action. Tout ça, c'était pas ses oignons. Il la connaissait même pas, cette fille. Il l'avait vue l'espace de quelques minutes, quelques heures, jusqu'à ce qu'elle ne foute la merde avec son copain skinhead, et qu'il ne les attrape sans ménagement pour les balancer à la porte. Il ne lui devait rien - et certainement pas un coup de main. C'était cette idée fermement implantée en tête qu'il absorba la dernière bouffée de nicotine de sa cigarette. Il laissa le mégot tomber au sol, l'écrasant du talon de sa Ranger usée. Prêt à tourner les talons, prêt à s'en aller. Mais malgré cette décision, malgré la promesse à lui-même et malgré son irritation latente, ses yeux se posent une dernière fois sur la scène au moment où il s'apprête à s'éloigner. Une fraction de seconde, c'est pas long. Mais ça l'est suffisamment pour voir un des types, un peu plus à l'écart des autres, dégainer un couteau et s'approcher sournoisement du tas. Pas capable de savoir comment l'infiltrer pour accéder à la petite carcasse qu'on a acculée au mur. Pas capable de trouver le moyen de percer les rangs pour percer la furie, perfidement.

Fais chier. Fais chier qu'les gens n'aient plus aucune conscience des manières de se comporter. Fais chier qu'personne pense à se respecter, dans un putain de monde où la moitié des problèmes seraient pourtant réglés par un peu d'intégrités. Mais on lui a arraché la gorge pour l'empêcher de parler, tout comme on a arraché les yeux à la justice pour l'empêcher de voir qui elle oubliait de frapper. Y a plus de valeurs qui tiennent. Plus rien d'autre que les instincts bestiaux et violents, plus rien d'autre que le besoin de se prouver supérieurs aux autres requins du bocal. Fais chier. Fais chier de devoir abandonner ses principes pour une bande de p'tits cons, fais chier d'avoir dû laisser tomber un Не померај се à Кербер, qui n'a rien demandé d'autre qu'un peu d'attention de son maître pour la soirée. Fais chier.

Avant que personne ne l'ait remarqué traverser la rue et franchir la dizaine de mètres qui le séparait du trottoir du bar, sa main puissante a attrapé le gamin au couteau pour le tirer hors de la mêlée dans laquelle il essayait encore de s'infiltrer. Il le balance à terre sans se soucier de lui épargner le dos ou la tête. Sous la force qu'on déploie à la foutre au sol, le gamin s'y écrase avec un glapissement surpris. Il voit pas le pied venir lui broyer le poignet pour le faire lâcher son couteau, voit pas la lame être repoussée plus loin, dans le caniveau. Et le Serbe ne s'embarrasse même pas d'un coup de plus. Il est déjà retourné vers les quatre enflures qui continuent de s'acharner sur la rouquine. Maintenant qu'le sang a commencé à couler, faudra plus qu'un peu de bon sens pour l'arrêter. Ça va prendre quelques dents, ça va prendre des grognements étranglés. Ça va prendre ces sons si familiers qui peuplent ses cauchemars comme sa réalité depuis de trop longues années.

Numéro quatre rejoint rapidement numéro cinq sur le pavé. Ça n'a pris qu'un poing violemment enfoncé dans ses côtes pour le faire ployer, souffle coupé. La main puissante s'est ensuite refermée sur le col de sa veste pour le soulever dans les airs ; une jambe l'empêche de retomber sur ses positions, et il s'étale sur le bitume dans une bien mauvaise position. Son épaule coincée a fait un drôle de bruit en touchant terre, et on peut déjà l'entendre geindre. Mauviette.

Numéro trois ne fut pas aussi surpris que numéro quatre et numéro cinq, lui. Il avait vu numéro quatre se faire envoyer au tapis comme s'il n'avait été qu'un gamin mal-élevé corrigé par un père trop sévère. Son corps se dressa et sa fureur se dirigea vers le nouveau venu, l'intrus. Celui qui avait osé interrompre le festin des hyènes pour défendre le bout de viande que les charognards se débattaient. Il avait la violence peinte sur les traits, l'alcool stupide qui lui voilait les yeux et qui lui tordait la gueule pour le rendre encore plus haineux. Le poing qu'il balance manque pourtant sa cible, et il se retrouve bien rapidement avec le bras tordu dans le dos. Affaissé sur lui-même, l'épaule en train de sortir de son gond trop fragile, il ne voit même pas numéro deux qui se prend un coude dans la tronche au moment où ses yeux se retournent vers le géant aux yeux noirs. Noirs du sang, noirs de rage. Un geste sec, et l'épaule de numéro trois se déboîte férocement. Un deuxième coup de coude, suivant de trop près le premier, et numéro deux s'écroule, sonné, le nez complètement écrasé et le bas du visage en sang. Numéro trois gît face contre terre, essayant de se retourner et s'acharnant à le faire du côté de son épaule démise. Crétin.

Il n'a même pas besoin de s'occuper de numéro un, qui s'est reculé d'un pas titubant en voyant numéro trois se rouler à terre. Et comme il n'a eu besoin de personne pour tomber, se prenant les jambes dans celles de numéro deux, poids mort alcoolisé. Le colosse lui jette à peine un regard méprisant, se tournant vers la petite silhouette mal en point que les numéros un, deux, trois et quatre maltraitaient encore, quelques secondes auparavant. Il enroule son bras autour de ses côtes, la soulève de terre comme si elle ne pesait rien. Un poing dégagé au cas où le besoin s'en ferait ressentir. Et elle gigote, la gamine. Foutu air de déjà-vu alors qu'elle fait tout son possible pour se tirer de l'étau qui la tient à plusieurs centimètres du sol. Il y met bientôt le deuxième bras, quand le pied de la rouquine percute la gueule de numéro un, qui s'était finalement décidé à bouger. Faudrait pas laisser la proie s'échapper. Faudrait pas laisser une ombre débarquer de nulle part pour la leur voler. Mais l'ombre a des serres, l'ombre a des dents. L'ombre a la violence au corps et le meurtre à l'âme, et c'est rien qu'un foutu mystère qu'ils soient encore vivants pour en parler. Fallait croire que l'ombre avait d'autres priorités que de les achever.

La priorité, elle continue de le faire chier. Elle continue de se débattre comme un beau diable alors qu'il se refuse à la lâcher. Encore un mètre ou deux, et il la laissera aller. Pas besoin de s'éloigner davantage pour le moment. Même si les ivrognes se relevaient, y avait fort à parier pour qu'ils ne retombent au tapis en moins de temps qu'il ne faudrait pour le déclarer. Que ce soit par leurs propres moyens ou bien aidés de quelques doigts cruels pour leur faire regretter leur arrogance, ils n'auraient pas l'occasion de s'approcher à nouveau de la reine de la défiance. Reine des ennuis, reine des phalanges cassées. Reine d'un monde qui, le temps de quelques minutes, était parti en fumée.

Il la laisse retomber au sol sans grand ménagement, s'éloigne d'un pas pour ne pas prendre dans le nez la mandale qu'elle ne manquera pas de lui lâcher s'il n'y prend pas garde. Elle a un mur pour s'appuyer, elle a les yeux d'un géant pour ne pas la quitter. Elle a les instincts d'un tueur en alerte pour s'assurer que les p'tits cons restent à une distance suffisante d'eux pour l'instant - distance de quelques mètres seulement. Elle a l'air abîmé, elle a la mine défoncée et le corps qui semble lui aussi en avoir hérité. Mais elle respire. Elle a les yeux ouverts et la verve qui ne cesse de fuser depuis qu'il a mis les pattes sur elle. Comme un foutu air de déjà-vu. Une situation qu'il n'avait pas voulu recréer, et dans laquelle il regrettait déjà d'avoir mis les pieds.

Reste à terre, morveuse.
Reste à terre, ou relève-toi pour t'en aller.
Mais si t'es pour continuer dans ta lancée des mots bas, des mots crachés, reste à terre.
Reste là.

Gueule cassée, pas besoin d'en rajouter.
C'est l'seul conseil qu'on peut te donner, si tu veux pas devenir la numéro zéro d'un compte déjà bien entamé.

(c) blue walrus
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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptyDim 11 Fév - 0:26


Reine des esclandres et des phalanges en sang. En l’espace de quelques secondes, son piédestal de fortune de souffre s’était essoufflé dans le chaos qu’elle avait elle-même engendré. Le temps d’un instant, colère et son acolyte inconscience s’étaient heurtées contre la bassesse des ivrognes d’un soir. Hormones en bataille fracassées contre une guerre qui leur était étrangère ; dans le fond ils étaient certainement ceux qui l’avaient provoqué en premier. Ils auraient pu passer leur chemin. S’esclaffer de l’état pitoyable de leur ami aux tripes fragiles, hausser les épaules devant la réaction criarde disproportionnée de la rousse, et tourner le dos à l’insurrection d’une flamme ravagée. Ils auraient pu, le faire. Se détourner l’attention pour affliger leurs cigarettes de leur taux d’ivresse excessif, s’en retourner à l’intérieur du bar pour continuer leurs aventures iconiques ou s’en remettre aux mains de la nuit. Ils auraient pu, pourtant il y avait cette vague s’entrechoquant sans cesse contre le récif. Ils auraient pu le jurer que c’était sa faute à elle, qu’elle les avait aguichés de son regard de son attitude, mais ils n’avaient été que trop aveugles. Ils s’étaient brûlé les ailes contre le bûcher aussi bien qu’elle-même avait déjà les siennes calcinées depuis trop d’années. D’altercation en désordre, les âmes échauffées s’étaient entrechoquées dans une lutte inégale. Aussi féroce pouvait être la proie, il lui serait toujours difficile de vaincre face au nombre. Daire avait été acculée sans sommation, destinée à l’abattage dans son abnégation.

Elle s’était d’elle-même muée en offrande aux charognes dans cette volonté insalubre de dépenser d’essouffler le mal qui lui rongeait les veines. Mais une fois qu’ils eurent bien assimilé la férocité masquée sous le couvert du statut de victime dont ils l’avaient affublé, qu’ils eurent constaté qu’elle était largement en mesure de se défendre au-delà de ce qu’ils avaient estimé, ses poings aux phalanges arrachées furent entravés. Daire était diablement efficace dans son acharnement avec une droite implacable, mais bien qu’elle n’était pas en reste sur d’autres mouvements, avoir la moitié d’elle-même immobilisée foudroya son trône des échauffourées dans ses fondations. Elle avait la fatigue de sa longue journée dans les muscles, ils avaient l’ivresse dans le sang. Elle était seule avec ses pensées consumées dans sa folie polluée, alors qu’ils étaient plusieurs enivrés dans leurs volontés exaltées. C’était l’injustice du bitume de la jungle, la lutte des âmes égarées dans les basfonds sombre d’une ville gangrenée. De cette médiocrité insipide qu’elle avait apprivoisée tant bien que mal depuis trop longtemps, de cette loi fabulée des tréfonds d’un monde de cendres qui lui avait soufflé dès les prémices de cette bagarre qu’elle était celle qui devra ployer contre son gré.

Le buste assiégé, elle ne pouvait plus parer les assauts. Lorsque sa tête bascula en arrière pour se fracasser contre le crépis sous l’impulsion d’un coup au menton, ses pensées s’effilochèrent dans l’égarement à la lueur aveuglante. Aux chocs successifs dans le ventre contre ses côtes, son corps bascula de nouveau en avant et à la montée de la bile, son crachat vermeil s’échoua sur le visage de l’un d’eux. En punition, ce fut au tour de son arcade sourcilière de céder sous les phalanges ennemies, puis s’enchaîna une escalade de violence insensée. Dans le chaos quelques éclairs de lucidité éparses, égarée dans sa tempête dans leur conquête. Elle insulta, Daire. Elle assassina de ses mots de ses prunelles, elle donna coups de pieds de genoux et coups de coude pour se libérer, aussitôt de nouveau maintenue avec une fermeté renouvelée. C’était pour cette raison qu’elle ne remarqua pas la lame soudaine étincelante dans la main de celui qui s’était tenu en retrait, aveuglée par les quatre autres qui lui obstruaient autant la vision que l’épiderme. Pour cette raison également, qu’elle ne vit pas l’ombre s’abattre sur le malheureux impétueux, déjà enfermée qu’elle était dans l’obscurité de ses geôliers.

Peut-être même dans sa propre pénombre à elle.

Comme une tâche effacée de la surface de son champ de vision, l’un des jeunes imbibés se courba le souffle coupé, avant de se retrouver le cul contre l’asphalte. Ses gémissements se mêlèrent à la violence de l’altercation, aux souffles absorbés dans leur surprise générale et à celui saccadé des râles de l’irlandaise. En autant de temps qu’il n’en avait fallu pour que son monde enflammé ne parte en fumée, l’épaule de l’un sortit de ses gonds en même temps que le bas du visage d’un autre se teinta de son hémoglobine, avant qu’ils ne s’éclatent à leur tour contre le bitume. Et voilà la brindille à la défiance soufflée soulevée de terre comme une malpropre, sans aucune considération. Elle lui brailla de la lâcher dans un souffle saccadé arraché de ses lippes, tandis que dans une pression de ses bras elle essaya de se dégager du nouvel étau. Beaucoup plus solide que le précédent, celui-ci n’avait besoin que d’un seul bras pour la maintenir dans son entrave quand les jeunes avaient eu besoin de s’y prendre à plusieurs. Tempête bousculée dans ses habitudes, Daire n’était pas certaine d’apprécier la tournure de la situation. Incapable de prendre conscience de si cela jouait en sa faveur ou non, irradiée dans sa colère face à son incapacité de s’en être sortie par elle-même.

« LÂCHE MOI P’TAIN ! »

Son pied percuta les vestiges du visage de la dernière silhouette encore debout, et le second bras de l’équation inconnue s’enroula autour d’elle pour mieux la maîtriser. Ballotée ainsi et la pression sur ses côtes lui retournèrent l’estomac tandis que la ferveur de la baston brûlait encore dans ses veines. Elle gesticula autant que s’éreinta la poignée de secondes durant laquelle il l’éloigna du bar, essayant même de lui mordre le bras sans succès dans son agitation et face à la douleur qui lui irradia les entrailles suite à un mauvais mouvement. Une flopée d’injures se batailla au bord de ses lèvres, certaines percutant l’air alors que d’autres étaient ravalées au fond de sa gorge. À la ferveur de son accent étranger accentué dans ses éclats de rage, bientôt les insultes compréhensibles se muèrent dans son gaélique maternel. Jusqu’à ce que, finalement, ses pieds touchèrent à nouveau le sol. Sans que cela ne parvienne à raccrocher sa raison au macadam, l’incandescence de sa défiance la propulsa dans un énième dérapage de sa destruction si familière.

Le silence soudain faisait tant de bruit dans la nuit qu’il lui était impossible de remettre de l’ordre dans ses pensées. Avant qu’il ne lâche complètement, Daire donna une impulsion de tout son dos contre le buste de l’importun afin de le déstabiliser pour mieux le repousser, sans succès. Ce fut comme se fracasser contre du béton épais contre lequel elle rebondit comme une poupée désarticulée pour mieux se retrouver les genoux par terre. Dans ce souffle partiellement coupé, ses poumons clamèrent la dépendance à la nicotine plutôt que d’être malmenés une énième fois. Désarmée contre le bitume, la jeune révoltée encore sous l’emprise de l’effervescence de l’esclandre se redressa dans cette même dignité de l’insoumission qui lui correspondait si bien, et s’en alla s’écorcher une nouvelle fois contre le géant. « Téigh trasna ort féin ! » Alors qu’elle s’apprêtait à s’abattre sur son visage du plat de la main, ses prunelles céruléennes s’éclatèrent dans la pénombre du regard abyssal de l’autre. Ce qu’elle y trouva aux premiers abords la souffla dans sa volonté et la claque initialement prévue se substitua à un coup maladroitement porté dans l’épaule. Un sombre connard maugréé tout en étant à moitié contenu, puis elle s’écarta hâtivement en craignant la riposte. Des regards comme celui-ci, elle n’en avait que peu connu. Et pourtant, elle en avait croisés des yeux éreintés, des affamés, des hantés, des saccagés. Quelque chose s’était immiscé dans le creux de son estomac aussitôt qu’elle s’était égarée dans les siens, lui intimant le recul le silence l’abdication. Mais Daire n’était pas de ces personnes qu’on soumettait, qu’importait la prestance ou la violence d’autrui. Alors sa violence s’était adaptée bien que misérablement, puis comme un ricochet, elle dévia sa route pour se détourner du mastodonte et faire face au mur. Dans ce besoin d’expulser de dégueuler tout ce qui n’avait eu de cesse d’attiser sa haine à peine quelques minutes plus tôt, son poing s’écrasa sur la cloison dans un cri de rage. Phalanges définitivement explosées dont l’attestaient les traces vermeilles échouées sur les briques, mais les vaisseaux sanguins encore en ébullition. Ça ne s’arrêtait jamais jamais jamais.

Dans un éclat de discernement éperdu, Daire assimila aigrement qu’elle tournait le dos à l’inconnu – chose qu’elle ne se permettait jamais. Durant ce même laps de temps suspendu dans le capharnaüm de son être, elle prit conscience qu’il était intervenu dans la rixe pour lui venir en aide – deuxième chose qu’elle n’acceptait pas jamais. La rage au ventre, la tempête à peine essoufflée dans la chair. Au fond de son âme, se mutilaient l’envie irrésistible de retourner massacrer ces mêmes abrutis qui l’avaient fracassée sans trop d’obstacles, et le besoin impérieux d’assommer de faire ployer le sauveur dans sa violence chaotique. L’irlandaise se retourna trop vivement, pointant son doigt meurtri sur le visage de son interlocuteur silencieux. « J’m’en sortais très bien toute seule ! » Deux pas titubants de plus. Pas un remerciement, ce n’était pas de sa trempe. Hors de question d’y penser de l’admettre de lui concéder. « Mais d’où tu sors merde, à t’mêler des affaires des autres ?! » Outre la véhémence de ses paroles et la fureur de tout son être, son regard observa plus attentivement celui qui lui faisait face en même temps que ses muscles crispés se contenaient de s’écraser encore et encore. Il y avait comme un foutu air de déjà-vu dans cette silhouette imposante, une impression de déjà-vécu dans ces bras massifs. Elle l’avait au bout des lèvres au bord de la conscience, elle en était certaine à présent, elle le connaissait déjà.

Et puis, l’adrénaline retomba enfin.
Le goût de fer mélangé à sa salive, ses côtes fêlées – trop certaine qu’elles n’étaient pas brisées, les poignets douloureux. La sale écorchure à son arcade qui commençait déjà à gonfler, ses mains en sang, les prémices des premiers hématomes sur son épiderme.
La défaite.
Le vide autour d’elle. En elle.
Putain, flanche pas Daire.

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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptyJeu 15 Fév - 2:13

Ça ne faisait que quelques pauvres minutes qu'il était intervenu, mais l'amertume du regret commençait déjà à s'accrocher à son palais. Y avait quelques points chauds sur sa poitrine, là où la tornade avait écrasé ses maigres coups emplis de mauvaise volonté. La douleur était pourtant presque inexistante. Rien qui n'affecte vraiment le géant aux yeux aussi noirs que l'âme - aussi noirs que la brutalité avec laquelle il s'était imposé dans la mêlée pour l'en tirer. Il l'a à peine relâchée qu'elle s'est retournée vers lui, verve au bord des lèvres, venin débordant de sa bouche aux insultes plus nombreuses que les dents. Et il la regarde, l'énervée. Il la regarde alors qu'elle lui parle dans une langue qu'il ne comprend pas. Il la regarde armer sa main, et ses iris se saisissent brusquement des siens. Une prise visiblement inattendue, qui lui fait flancher bras et volonté. Le coup qu'il reçoit dans l'épaule ne le fait pas bouger, et l'anticipation couplée à la faiblesse de l'offensive lui permet de ne pas lui en décocher un plus lourd et plus féroce en contrepartie bien méritée. Ses poings restent dépliés. Ses phalanges à peine abîmées par les quelques coups qu'il a donnés s'agitent à peine, tandis qu'il laisse la tempête se briser contre lui à la manière d'une vague contre la digue. Elle se rend vite compte que c'est inutile, pourtant. Qu'il n'y a rien à tirer de la muraille humaine qui lui fait face, et que sa colère aura plus d'impact sur les briques derrière elle. Elle se retourne, son poing s'écrase sur le mur. Et Novak ne tremble pas. Y a pas la moindre réaction sur ses traits - ni choc, ni inquiétude, et certainement pas d'intérêt. Si elle veut empirer son état, libre à elle. Sa mission à lui s'arrête là. La lame traître ne s'est jamais plantée dans sa chair, et elle est en vie. Tout ce qui importait, désormais, c'était de la conserver dans cet état. De s'assurer que cette bande de crétins consanguins ne reviendraient pas lui rendre les coups qu'un géant sorti de nulle part leur avait donnés. De faire en sorte qu'elle puisse rentrer chez elle sans avoir plus rien à craindre de ces quelques connards écervelés qui s'étaient mis dans son chemin et qui l'avait violemment heurtée, pour le simple plaisir d'avoir quelque chose à se mettre sous les poings - pour le simple besoin d'avoir un corps à déchiqueter et un os à ronger.

Quand elle se retourne finalement vers lui, elle a laissé sur le mur l'empreinte sanglante de ses phalanges repliées. Elle pointe l'un de ses doigts amochés vers lui, et elle se met à beugler. La fierté plus grosse qu'elle, l'orgueil amoché par le secours qu'on lui avait porté. Elle titube, refusant toujours d'admettre que le coup de main avait été le bienvenu. Et peut-être que n'importe qui, face à une ingratitude de cette ampleur, aurait fini par rétorquer, pour qui tu te prends, hein ? Mais Novak, lui, ne cille pas. Ses yeux ne lâchent pas la gamine enragée, et rien ne laisserait présager qu'il comprenait même ce qu'elle disait. Il encaissait les mots comme les coups - immobile et immuable.

Mais d'où tu sors merde, à t'mêler des affaires des autres ?! C'était une bonne question. Une question qu'il avait commencé à se poser dès la seconde où il avait mis les pieds au milieu de l'altercation. Une question qui lui tournait plus encore en tête depuis qu'il avait attrapé la petite tempête pour la mettre à l'abri - tempête qui ne voulait visiblement pas être touchée ni protégée. Ça ne le surprend pas, il faut bien l'avouer. Mais la vérité, c'est qu'il ignore totalement quoi lui dire. Qu'il n'a pas les réponses qu'elle cherche, et qu'il ne saurait pas plus expliquer qu'elle l'élan de générosité insoupçonné qui l'a forcé à s'interposer. Il préfèrerait tourner les talons et s'en aller. Siffler son chien et prendre le chemin de son appartement, une clope entre les lèvres et le cœur allégé d'une soirée terminée. Il ne sait pas ce qu'il fout à rester là pour la regarder - à planter ses yeux de mitraille dans ceux du tsunami qui lui fait face. Elle ne tirera rien de lui, et il n'est pas certain d'avoir envie de tirer quoi que ce soit d'elle. Pas certain d'avoir envie d'expliquer un geste que lui-même ne comprenait pas. Pas certain de vouloir se taper plus longtemps les insultes et le mépris, la fierté déplacée et la rage démesurée.

Pourtant, il ne bouge pas. Il se voit tourner les talons mais ne le fait pas. Se sent continuer son chemin, sans être capable de s'exécuter. Y a quelque chose qui le force à rester, quelque chose qui lui est arraché par l'attitude défiante de la rouquine. Peut-être est-ce la chute d'adrénaline, qu'il voit dans ses yeux et observe dans la posture précaire de son corps. Il se demande un instant si elle ne va pas s'effondrer, là. Finalement battue par le chaos qu'elle semait. Il a l'impression qu'elle va lui filer entre les doigts. L'impression que, malgré l'incrédulité de la situation, être intervenu n'avait finalement pas été la plus mauvaise des idées.

Il ne s'en va pas. Contre toute attente, et contre ce que lui-même aurait pensé. Il ignore si c'est la familiarité de ses traits, ou le fait qu'ils se soient déjà croisés. Mais y a quelque chose qui le pousse à rester. Comme s'il voulait être là pour la rattraper, lorsque viendrait le temps pour elle de s'écrouler. Il savait pourtant que son aide ne serait pas la bienvenue - et il n'avait pas plus que cela envie de la lui donner. Il ne servait à rien de poursuivre la recherche de ses motivations inexistantes, et il n'en avait pas l'intention. Autant se résoudre à la désagréable évidence : il était là pour rester, sans avoir aucune idée de ce qui l'animait. Il était là pour rester, et il serait à ses côtés lorsqu'elle flancherait. Car la question ne se posait pas, et y avait qu'à voir sa gueule amochée et la faiblesse avec laquelle elle se tenait désormais : elle allait s'écrouler. Il le sentait, et tout son corps se tendait vers elle. Prêt à la rattraper. Prêt à encaisser les coups qu'elle lui donnerait lorsqu'elle réaliserait qu'il allait encore une fois lui tendre la plus inattendue des mains.

La situation était dans un équilibre des plus précaires quand il entend l'aboiement, de l'autre côté de la rue. Un pas en arrière pour prévenir tout éventuel coup qu'elle aurait le ridicule instinct de lui donner pour s'échapper, et il tourne la tête vers Кербер, resté sur le trottoir opposé. Son œil suit la direction vers laquelle la gueule bavante du chien grogne, et il aperçoit l'un des types qui s'est relevé. Le nez en sang du coup de pied que la petite tornade rousse lui a balancé, il hésite entre tituber vers eux ou s'éloigner. En écho aux grondements d'avertissement du chien, le colosse se redresse. L'autre le toise un instant, cessant sa progression. Ses yeux passent du géant à la rouquine, et il crache un filet de sang sur le pavé. Méprisant. Arrogant. Mais pas téméraire pour deux sous. Il recule, s'efforçant de ne pas leur tourner le dos. Tu m'paieras ça, pétasse, que dégueule ses yeux. Tu perds rien pour attendre.

Il s'éloigne, rapidement, le lâche, et les yeux du serbe se posent à nouveau sur le chien. De l'autre côté de la rue, celui-ci s'est mis à piétiner. Aboyant toujours, prêt à traverser pour venir le rejoindre. Y a pas le moindre véhicule pour s'approcher ; brièvement, Novak siffle, et l'animal accourt. Foulée ample, presque le ventre presque à ras le sol, le flanc de la bête vient trouver la jambe du gangster. Good girl. « добра девојка. » La chienne émet un léger couinement, et s'écarte d'un pas. Elle s'assied, et son regard alerte se vrille sur la rouquine. Les yeux de Novak retournent également vers elle. Il la toise quelques instants, avisant la rue où ils se trouvent et les ennuis qui risquent d'arriver bien vite s'ils ne s'éloignaient pas des quelques victimes laissées sur le pavé. Quelqu'un devait bien avoir déjà appelé les flics, et mieux valait éviter que les choses ne s'enveniment d'une manière qu'il n'aurait pas souhaitée. Mieux valait foutre le camp, tant qu'il était encore temps. « Tu ferais mieux de pas rester là. » Moi, j'dis ça pour toi. Mais si tu veux jouer les gamines orgueilleuses et rester, à ta guise. J'risque pas de m'écrouler d'une seconde à l'autre, contrairement à toi. Si tu préfères rester, t'faire ramasser et interroger, c'est ton choix. Compte simplement pas sur moi pour te filer un coup de main avec ça. Casser des gueules, ça m'va. Pour c'qui est du reste, démerde-toi.

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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptyMar 6 Mar - 22:25


Mutisme exacerbé dans la muraille humaine, comme un mur de ciment imperturbable aux âmes écorchées s’écrasant dessus. Plus que la terre qui encaissait le crash, il était le phare qui surplombait la tempête. Un tas de roches inébranlable qui essuyait les secousses comme on enverrait valser un insecte insignifiant. Son silence était assourdissant de son chaos mais vide de ses réponses. Daire comblait toujours le calme de son vacarme, les fissures de ses ravages. Elle était toujours les acouphènes austères de quelqu’un, le bruit de fond incessant qu’on ne parvenait jamais à faire taire. Dans ses éclats en tout genre, infatigable. Et c’était ce qu’elle faisait, de grands éclats contre l’autre, qui ne réagissait pas. Pas un sourcillement de sourcils, pas un frémissement de chair, ni même une poignée de lettres prononcées. Il était de marbre quand elle était de rage, et plus rien n’avait de sens. Confrontation de l’effrontée percée par les aboiements soudain de l’autre côté de la rue, mais Daire ne profita pas du détournement de l’attention pour s’échapper rapidement. Son regard obliqua en même temps que celui de l’autre dans la direction concernée, un instant subjuguée par le molosse qui siégeait sur le bitume comme une gargouille. De ces silhouettes sorties des ténèbres sans aucune appartenance distincte, avant de disparaître à nouveau dans la pénombre de la nuit. Elle ne remarqua pas l’écart du géant à ses côtés, prenant le temps de contempler la scène qui s’offrait à eux. Un des sales types qui l’avaient agressé avant de devenir amas de chair brisée ensanglantée, s’était redressé dans un sursaut d’insubordination. Il avait piètre allure, ils pouvaient apercevoir l’hémoglobine étalée sur son visage de l’endroit où le roc avait laissé la vague s’échouer. Elle ne savait pas qu’il résultait là son œuvre désespérée quand on l’avait soulevée de terre, mais elle en ressentait quand même une certaine satisfaction de le voir dans cet état. Il sembla hésiter, pantin désamorcé sur son bout de trottoir sanguinolent. Qui d’entre la bête et la tornade méritait son attention, qui d’entre le bourreau ou la victime pouvait susciter un assaut suicidaire. Durant cet affrontement du regard, le chien n’avait pas cessé de grogner, comme prêt à s’abattre sur le malencontreux déchu dans sa soirée entre amis. La scène avait quelque chose de surréaliste, à l’aura jaunâtre des réverbères et colorée de l’enseigne en néon du bar. Les corps désarticulés sur le macadam, baignant dans leurs gémissements et la dislocation de leur dignité. Le faux-téméraire cracha son dégoût, son avertissement, sur le béton – affront auquel elle répondit sans aucune hésitation, de ce majeur levé bien haut dans sa direction comme une nouvelle défiance. Même si un certain soulagement se profila dans ses veines en l’observant s’éloigner définitivement d’eux, c’était surtout la rancune qui prit sa place de maître au creux de ses entrailles. Ils se recroiseraient, c’était certain. Daire retombait toujours sur le chemin de ceux qui voulaient lui faire la peau.

Elle n’avait pas bougé d’un centimètre, peut-être de peur de sentir son corps s’effondrer sous son poids au moindre mouvement – et elle ne pouvait pas se le permettre. Les muscles encore tendus par les échanges de coups, ses nerfs relâchaient la pression doucement jusqu’à atteindre le point de rupture aussi sournoisement que surgissait toujours la colère ravageuse. Elle croisa les bras contre sa poitrine comme pour se maintenir elle-même dans le vacarme de son être, et son regard suivit la trajectoire du molosse qui accourut vers eux lorsque l’autre siffla, comprenant alors qu’il s’agissait du maître de son apparition mystérieuse. Daire observa silencieusement le duo incongru qui lui faisait face, se concentrant surtout sur le visage énigmatique de celui qui avait eu la bonté – l’insouciance – de la sortir du lynchage public dont le rapport de force avait été bien vite inversé pour la faire passer au rang de victime impuissante. Sa mâchoire se contracta à cette pensée tandis que ses neurones en pagailles s’éveillèrent à l’accent prononcé d’une remarque dans une langue étrangère. Elle arqua légèrement un sourcil, impassible devant l’échange, se familiarisant rapidement avec la sonorité des mots – désormais certaine qu’il était question d’un jargon slave des pays de l’Est. Pas la Russie, mais la linguistique en était proche. Comme Anton et Bran, leur langue maternelle était le serbe. Lumière s’en fut enfin dans son cerveau fatigué de la soirée trop longue et éprouvante, même si le cheminement n’avait pris que quelques secondes, sur l’identité du gaillard. « T’es l’videur de l’Inferno » Ce n’était pas une question, seulement une constatation. De cette révélation dépitée dans l’aigreur de l’amertume, au souvenir de celui qui l’avait déjà portée sur une épaule comme un vulgaire rien, pour la jeter au dehors de la boîte de nuit sans plus de retenue. Parce qu’elle avait cassé le nez de Ryan, cet enfoiré de crâne rasé qui avait continué les hostilités sur le bitume.

L’attention de l’autre et de son compagnon se posèrent à nouveau sur elle, mais la concernée ne quittait pas du regard le grand brun. Ayant maintenant constaté qu’il était bien doué de la parole et qu’il pouvait entendre ce qu’elle lui vociférait dans toute son amertume, Daire essayait de cerner les motivations de l’individu. Ce n’était pas pour lui venir en aide qu’il l’avait virée de l’Inferno, seulement pour entraver le tapage qu’elle avait semé comme les graines de la discorde qu’elle dispersait partout dans ses flammes. Il n’avait pas essayé de l’éloigner de Ryan, ni cherché à comprendre les motivations d’un tel désordre. On les avait fichu dehors sans discussion, et elle ne l’avait plus jamais revu. Jusqu’à ce soir, jusqu’à ce que son corps soit encore enlevé d’une bagarre interrompue. Cette fois-ci, il était évident qu’il ne l’avait pas fait pour les mêmes raisons – il n’avait même eu, aucune raison de le faire. Aucune responsabilité en raison de son travail, encore moins à son égard. Il était intervenu sans que personne ne lui ait rien demandé, et certainement pas pour sauver une demoiselle en détresse car il devait probablement se souvenir du spécimen qu’elle était. Elle ne supportait pas, ces absences de réponse à ses questions. Être confrontée au silence quand son monde n’était que chahut, se résigner capituler accepter le suspend de l’interrogation n’avait rien de réjouissant. L’irlandaise était déstabilisée dans l’incompréhension, ce qui la frustrait d’autant plus et la plongeait toujours dans la douceur écorchée d’une nouvelle colère. « Tu ferais mieux de pas rester là. » Un ricanement éraflé glissa entre ses lippes avant qu’elle ne balaie une main vers le ciel, les bras pourtant toujours croisés devant elle. « Ah. Donc l’serbe parle bien l’anglais ». Agacée qu’il ne réponde pas à ses questions, excédée qu’il lui assène cette remarque qu’elle entendait trop souvent. Elle n’était jamais au bon endroit, c’était inhérent au chaos qu’elle provoquait partout où elle allait. « J’ai l’habitude » qu’elle lança dans la ferveur de la tempête, tout en haussant les épaules. L’habitude d’être au milieu des conflits alcoolisés, d’être ramassée sur le trottoir seulement parce qu’elle avait participé à une bagarre expéditive. Pour tout un tas d’autres choses, aussi. Elle partageait une grande histoire d’amour archaïque avec l’ensemble des flics de Savannah.

Ses prunelles céruléennes délestèrent l’étranger de leur hargne, pour se poser sur le molosse assis calmement à côté de lui. Plus à l’aise avec un animal qu’un être humain, la tempête cabossée dans son identité, au monde trop lent pour une matière grise trop rapide. Elle enleva son western bandana sa tignasse en désordre avant qu’il ne la quitte définitivement pour rejoindre le sol ; il était sale du cambouis du garage, comme le reste de son corps, bien que ce dernier était également parsemé de tâches vermeilles séchées. Un instant d’hésitation empreint d’un soupir de lassitude, et la révoltée s’approcha du duo pour s’abaisser au niveau du chien. Quelque chose craqua dans ses os esquintés, pas certaine que ce soit enfoui au plus profond de son être ou que ça ait résonné sur les pavés de la rue. Elle n’avait aucune appréhension dans ce genre, ni aucune méfiance. Dénuée de l’appréhension face au danger, son inconscience n’était plus à prouver. Ce fut pourtant sans aucune brusquerie qu’elle glissa son foulard rouge autour du cou de l’animal, sans aucun bruit si ce n’était peut-être le chaos de ses pensées se fracassant par vague dans ses veines où le tumulte de la colère et de la chute de l’adrénaline ne faisait pas un mélange agréable. Dans le fond, c’était aussi une manière de remercier celui qui avait préservé sa vie et le reste de sa dignité pour la soirée – ce qu’elle n’admettrait jamais de pleine conscience, encore moins de vive voix.

Elle se redressa péniblement en s’appuyant sur ses genoux, et n’adressa pas un regard de plus à l’autre. Trop occupée à sortir un paquet de cigarettes de ses poches, dans la nécessité brûlante d’absorber l’étouffement dans ses poumons. Tout en glissant un bâton entre ses lèvres, elle commença à s’éloigner d’eux dans la direction opposée à la terrasse du bar, ce témoin silencieux de la violence de cette nuit. Quelques pas égarés et un frisson lui parcourut l’échine, tandis que la flamme de son briquet illumina quelques secondes son visage ravagé. Une bouffée, une seule, pas le temps d’être salvatrice qu’au pas suivant, ce fut l’effondrement. Son corps céda pour lui rappeler son existence usée, et Daire se retrouva les genoux écorchés contre le macadam dans un bruit sourd se percutant dans tout son squelette. Sa clope échouée au sol, le fardeau omniprésent sur ses épaules soudainement trop faibles. Temps suspendu dans la secousse involontaire, comme à la conquête d’un souffle absent depuis trop longtemps. Tout ça pour un putain de verre, à la base. Soirée de merde, pas une once d’alcool dans le sang. Et puis soudain, le contact froid sur ses musclés épuisés. De cette même force brute qu’elle n’acceptait pas, qui vint la remettre sur ses pieds d’une facilité déconcertante. Ce contact qui lui brûla la peau comme un refus instantané, de l’aide, du spectacle dérisoire qu’elle offrait, de sa présence tout simplement. Contrecoup du passage à tabac, colère encore bourdonnante dans les veines, usure dans les muscles épuisés, tout un mélange fracassant qui se catapulta dans la paume de ses mains – et alors que la gifle claqua violemment aussi bien sur la joue du géant que dans la ruelle, elle lui cria d’une voix furieuse de ne pas la toucher.
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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptyMar 13 Mar - 21:20

D'aucuns auraient pensé qu'elle ne tenait pas vraiment à la vie. Que ça prenait un culot fou, de se tenir comme ça, face à lui, en continuant d'agir avec un air de défi. Elle n'avait pourtant pas l'air de s'en soucier. Pas plus qu'il ne lui en tenait rigueur, pour tout avouer. Fallait dire les choses comme elles étaient : cette gamine ne s'embarrassait pas de manières inutiles. Elle ne feignait pas une gratitude qui n'avait pas lieu d'être, et le serbe se moquait bien de la voir se plier en quatre pour le remercier, ou de la sentir investie d'une dette à son écart. Il n'était pas le genre à s'en formaliser — et elle ne semblait de toute manière pas être le genre à s'encombrer de ce type de pensées. Le plus simple serait le mieux. Malgré la vulgarité, malgré l'hostilité. Malgré la fierté qui pulsait dans le moindre de ses gestes, témoin de la déception de n'avoir pu s'en tirer seule, et d'avoir eu besoin d'un coup de main pour survivre au sort qu'on lui avait réservé. Novak le sentait : il y avait chez elle quelque chose d'ambivalent. Quelque chose qui le forçait à rester sur ses gardes. À se méfier du moment où elle pourrait exploser, et se retourner contre lui. Où elle déciderait que les fausses politesses à l'égard d'un inconnu seraient terminées, et qu'elle redeviendrait la petite garce qu'il avait dû jeter sans ménagement à l'extérieur de l'Inferno, malgré les poings et les pieds qu'elle avait déchaînés sur lui pour tenter de le faire lâcher. Alors, il reste loin. Prudent. Conserve une distance raisonnable, et ne cherche pas à se rapprocher à moins qu'elle n'en manifeste le besoin. Il la laisse railler, le serbe parle bien l'anglais, et il ne répond rien. La toise, de son regard aussi noir qu'impassible. Ce genre d'oeillade qui aurait pu laisser penser qu'il n'avait pas compris ce qu'elle lui avait dit. Même si maintenant, elle savait. Même si, maintenant, ni l'un ni l'autre n'avait plus d'excuses pour garder la communication fermée.

Et elle agite la main dans les airs, l'insolente. Elle se moque bien de ce qui l'attend si elle reste là. Elle dit qu'elle a l'habitude, et Novak n'en doute pas. Ne s'est jamais posé de questions à ce sujet. Bien sûr, qu'elle est habituée. C'est écrit dans les ecchymoses sur ses poings, dans les entailles sur ses pommettes. C'est écrit dans la dégaine qu'elle se traîne, fière et remontée, ne laissant rien passer. Elle est du genre à s'attirer des ennuis plus gros qu'elle, et du genre à foncer dans le tas tête baissée. Ça ne lui a pris qu'un coup d'oeil pour le comprendre, la première fois qu'il a dû la flanquer dehors. Ça ne lui a pris qu'un bras lourdement serré autour de son petit corps pour la maîtriser — qu'une poigne de géant fortement controversée, pour sentir qu'elle n'était pas du genre à se laisser faire, et qu'elle n'avait pas pour habitude de laisser qui que ce soit se mettre dans son chemin. Que ce soit face à elle ou à ses côtés. Alors, quand elle a balayé l'air d'un geste de la main, il n'en a pas été étonné. Il ne lui serait pas venu à l'idée d'insister, lorsqu'elle hausse les épaules avec nonchalance. Et il ne dit rien de plus. Prêt à laisser couler, prêt à la laisser s'éloigner et à rentrer chez lui sans chercher plus d'ennuis.

Mais alors qu'il pensait qu'elle partirait, sans demander son reste ni s'embarrasser de la moindre pique supplémentaire, il voit son regard se déplacer. De lui au chien, et le chien qui recule d'un minuscule pas, la queue battant lentement. Il l'observe enlever son bandana. S'approcher, se baisser. Il sent l'animal prêt à reculer davantage, et l'en dissuade d'un léger claquement de langue contre son palais. Et il la regarde, alors qu'elle noue le bandana autour du cou de la bête. C'est une scène étrange. Presque irréelle. Un élan de sympathie qu'il sent résonner comme un merci, malgré l'incapacité de la rouquine à le formuler de vive voix, ou à le montrer de quelque autre manière que ce soit. Le serbe sent le chien se crisper, mais il suffit du regard du maître pour l'empêcher de se défiler. Le forcer à rester immobile et à se laisser apprivoiser par une énergie trop vive et trop chaotique pour lui. Il se tapit un peu, rentre la tête dans les épaules, mais ne bouge pas. Ne grogne pas, ne jappe pas. Ses prunelles noires fixant les azurs de la gamine. Drôle de connexion que celle du feu et de la glace, forcés à se confronter. Tel maître telle bête, après tout.

Lorsqu'elle se redresse, le silence reste. Pas un mot pour l'animal, pas un mot pour l'homme. Elle leur tourne le dos sans même les regarder, fouillant ses poches à la recherche d'une cigarette. Elle a l'air d'en avoir fini pour ce soir. De vouloir s'éloigner du bar. Peut-être que ce n'était pas une mauvaise idée. Malgré l'intervention qui lui avait évité de se faire planter, elle avait essuyé plus que la plupart des gens ne sauraient encaisser. Il lui faudrait du temps pour s'en remettre complètement. Du temps qu'elle ne prendrait pas — pas besoin d'être un génie pour s'en douter. Pour savoir que la prochaine baston aurait lieu bien trop tôt, et qu'elle ferait tout, cette fois, pour prendre le dessus. Pour ne pas laisser l'humiliation de devoir être secourue l'envahir à nouveau. Il le sent dans sa démarche, l'observe dans l'assurance qu'elle tente de dégager. Assurance bouffée par ses pas hésitants, et par la fébrilité inconsciente avec laquelle elle est en train d'allumer sa cigarette. Et Novak, lui, n'a pas bougé. L'idée de s'en aller l'a traversé. Il aurait pu décider, lui aussi, que c'en était terminé pour aujourd'hui. Qu'elle n'était plus son problème, et qu'il se moquait de ce qui aurait pu lui arriver désormais. Mais une part de lui ne parvenait pas à s'y résoudre. Un côté de lui qui avait l'impression qu'elle allait s'effondrer, à tout moment. Et s'il aurait pu choisir de partir, le bandana autour du cou du chien l'avait forcé à l'immobilité. Forcé à attendre. Attendre que passe l'accalmie.

Puis, les genoux ploient. Rotules sur le bitume, choc sourd qui secoue le corps brisé par les coups et les injures. Brisé par la cruauté de la vie qui semblait s'acharner sur lui. Le son lui parvient après l'image, et il met une longue seconde avant de finalement bouger. Avalant la distance qui les séparait d'un pas, laissant derrière lui le chien se débattre en silence avec le foulard rouge attaché autour de son cou. Et il se penche, Novak. Se penche vers la rouquine épuisée, attrape son bras d'une main, et s'efforce de ne pas trop serrer. Appuie délicatement sur son épaule, de l'autre côté, et la remet sans plus attendre sur pieds. Juste répartie, pour l'acte de générosité qu'elle avait manifesté à l'égard de la bête. Juste retour pour la simplicité de la gratitude qu'elle lui avait adressée. Sans avoir à fournir le moindre effort, elle est debout. Et lorsqu'il sent que ses pieds sont vissés sur le béton, il la relâche finalement. Ne s'attendant pas à la paume qui lui percute violemment la joue en retour.

Sa réaction est instantanée. Plus qu'il ne le voudrait — mais rien de lui ne cherche cette fois à l'en empêcher. Il attrape le poignet qui a projeté la main — cette main traîtresse qui a brusquement balayé l'équilibre si précaire de la balance. Et il serre. Serre sans se soucier de la douleur qu'il peut provoquer. Serre sans avoir aucune intention de lâcher. Il prend garde à ne pas le lui briser, prend garde à ne pas lui faire plus de mal qu'elle ne pourrait en supporter. Elle est encore debout, et lui s'est redressé. Monstre au coeur de noirceur, animal que l'on avait injustement poussé dans ses retranchements. Il serre son poignet, et il n'a pas oublié d'attraper son autre bras, pour l'empêcher de trouver un autre moyen de le frapper. Il n'a pas oublié d'exercer sur elle la force nécessaire à la dissuader de continuer. La dissuader de se défendre, la dissuader de le chercher davantage. Lui faire comprendre que le loup n'avait rien d'un chien, et que l'accès de générosité impromptue dont il avait fait preuve ne voulait pas dire qu'il essuierait toute la haine qu'elle avait à lui déverser. Il y avait une foutue limite à ce qu'il tolèrerait. Une limite qu'elle avait dépassée. Et elle avait eu beau cracher, avait beau lui ordonner de ne pas la toucher, l'irréparable avait été commis. Sa lèvre supérieure s'était légèrement retroussée, et la noirceur de son regard en témoignait : si elle s'avisait de porter à nouveau la main sur lui, il n'aurait aucun scrupule à lui rendre la pareille. À jouer avec le feu, on finit par se brûler. Elle aurait dû le savoir. Elle aurait dû le prévoir. Elle aurait dû éviter de se frotter à plus coriace qu'elle — surtout quand le monstre ne voulait que l'aider.

Monstre qui finit par se calmer. Monstre qui relâche son bras, et desserre sa prise sur son poignet. Monstre qui se rend compte de la violence qui a failli le saisir, et qui préfèrerait l'oublier. Les braises chaudes de sa colère et de son goût du sang, tapies au fond de ses entrailles. Il sait que sa réaction a été moins féroce qu'elle n'aurait pu l'être, quelques minutes auparavant. Si elle avait esquissé la gifle avant d'avoir cédé son foulard au chien, il y aurait eu fort à parier pour que le serbe la lui ait rendue. Mais le temps avait joué en sa faveur, et fallait croire que dans sa stupidité l'instinct de survie avait pointé le bout de son nez. Sans prévenir, sans trop insister. Suffisamment pour sauver sa tête d'un cruel rebond sur les briques. Pas assez pour avoir empêché les doigts violents du géant de se refermer sur son poignet. Il avait peur de la trace qu'il y avait laissée — trace qu'il aurait préféré pouvoir éviter. Effacer. Devenir le bourreau ne l'intéressait pas. Il savait résister à l'appel du sang. Avait appris, avec les années. Appris à ravaler les pulsions meurtrières, et à ne pas laisser les tornades comme elle le faire sortir de ses gonds. Tout ce qu'il lui fallait, c'était respirer. Respirer, et laisser couler. Accepter l'idée qu'elle vienne se fracasser contre lui, si ça lui plaisait. Et accepter l'idée de la laisser faire sans répliquer, si la situation survenait. Respire, Novak. « Don't do that again. » Et ses doigts relâchent complètement leur prise. Un pas en arrière. Mesuré. Pas trop grand, pas trop rapide. Juste pour lui montrer qu'il n'avait pas envie de continuer dans cette lancée. Juste pour la laisser respirer.

Laisser la bête en lui retomber.
Laisser l'animal en elle retourner à la raison.

Les laisser trouver un moyen de s'apprivoiser, sous l'inattention du chien, toujours campé quelques mètres plus loin à essayer de se débarrasser du foulard dont on l'avait affublé — incarnation parfaite de l'absurdité de la situation.

Respire, Novak.
Parfois, la raison peut l'emporter sur la fierté.

Et parfois, les monstres ne sont pas nécessairement voués à s'entredévorer.

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Daire Méalóid

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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptySam 21 Avr - 22:38


Si le chien s’était laissé faire, ce n’était clairement pas gaité de cœur. Elle n’avait pas fait attention à son premier mouvement de recul, ni à sa volonté de se soustraire de ce soudain intérêt de la tempête. Pas plus qu’elle n’avait fait attention au rappel à l’ordre de son maître, pourtant les deux informations avaient bien été assimilées dans un coin de sa tête. À aucun moment elle n’avait supposé que l’animal puisse être dangereux, compte tenu de la nature particulièrement violente du colosse à ses côtés. Le degré de réaction de la bête n’était jamais entré dans son équation, et ça n’aurait pas été la première fois qu’elle se retrouve avec des crocs acérés plantés dans le bras. Daire avait une absence de conscience en ce qui concernait la peur assez effroyable, jusqu’à défier les lois même de la gravité. Aucune angoisse naturelle, jamais paniquée, peut-être que c’était inhérent au fonctionnement de son encéphale – ou simplement parce qu’elle avait toujours été turbulente dès son plus jeune âge et que rien ni personne n’avait jamais assez temporisé ses déboires au point que plus rien ne l’ait vraiment impressionné. Peut-être que ses fréquentations avec le groupuscule de son frère n’avaient pas arrangé son absence de peur, rien n’était moins sûr. Mais en l’instant, elle s’était approchée du chien avec une familiarité déconcertante, comme s’il avait pu être un membre intégrant de sa propre famille. Pas même une once de méfiance, alors que la paranoïa avait trop souvent tiré ses traits depuis son retour de Belfast. Elle lui avait passé son foulard autour du cou, en le nouant de manière à ne pas l’étrangler avec mais sans qu’il puisse se défaire facilement pour autant. C’était une scène vraisemblablement incongrue vue de l’extérieur, mais elle était terriblement emplie de bon sens. De son bon sens, dans son dysfonctionnement, dans sa lassitude, dans sa dignité écorchée vive, dans cette gratitude silencieuse qu’elle ne témoignerait jamais verbalement. Il lui avait toujours été plus facile de cracher que de remercier, de maintenir sa brûlante carapace plutôt que d’admettre qu’une flamme pouvait être éteinte. C’était sa manière de rester intègre et en alerte, ce qui-vive que lui avait appris la rue à ses dépens. Un foulard pouvait bien être ridicule, mais cet homme lui avait probablement sauvé la vie, et ce chien était avec lui. D’un point à l’autre, la boucle était bouclée, c’était l’être le plus facile d’accès auquel elle avait proposé l’accalmie. Elle n’avait pas terminé inconsciente, voire même violée, sur le macadam. Par la faute du géant, la bagarre avait été interrompue – même si elle n’avait jamais eu l’avantage, seulement le luxe de son arrogance. Mais grâce à lui, sa dignité n’avait pas été émiettée – si ce n’était à peine ébranlée par la rescousse.

Le silence perdura, accompagnant le moindre de ses gestes et secoué de temps à autre par les craquements de la carcasse usée de la rousse. Comme si elle avait scellé ces retrouvailles improbables dans son offrande, Daire s’était détournée d’eux sans plus d’attention, dans l’évidence même de prendre le large. Aussi bien qu’elle ne s’était pas méfiée du chien dans sa tentative précaire de l’apprivoiser quelques instants, elle avait clairement surestimé les limites de son corps. Ce même corps trop souvent bafoué fracassé déchiré, usé jusqu’à la moelle, calciné dans sa rage contre le monde. Ce qui se produisit en même temps que la flamme du briquet illumina son visage, était d’une évidence. Elle aurait dû s’en douter, elle aurait dû le voir venir. La vérité, c’était qu’elle était trop fatiguée pour continuer d’enregistrer les données, trop fière pour se permettre de se laisser aller devant l’homme. Alors son corps s’ébranla sitôt le pas de trop commis, comme si la première bouffée de nicotine était le poids de trop qu’il ne pouvait plus encaisser. Elle s’écroula comme un tas de bois brûlés, en cendres. Sur le bitume se déversa aussi bien son dégoût face à cette faiblesse soudaine que toute la haine qu’elle accumulait depuis trop longtemps. Des miettes de colère abandonnées, c’était toujours des parcelles en moins au creux de son âme. Elle pouvait se donner l’illusion que ça la soulagerait, quelques temps, mais elle pouvait bien se l’accorder n’est-ce pas ? Avant que les cellules disparues ne soient pas remplacées par de nouvelles plus aguerries, pour que le brasier ne s’éteigne jamais. C’était probablement toute cette frustration qui en résulta, qui la poussa à se fracasser sur la joue du salvateur. En temps normal, elle aurait réagi excessivement évidemment, toujours dans cette même idée de refuser de l’aide ou d’être soulevée de terre comme une brindille, mais elle se serait contenté de repousser la personne – violemment ou non. Elle ne l’aurait certainement pas frappé pour ça, pour simplement l’avoir remise sur ses pieds. Parce que c’est la seule erreur qu’il avait commise dans son cerveau malade. D’une poigne efficace mais tendre pour ne pas la blesser, il lui avait permis de retrouver son équilibre. Il avait attendu que ses jambes ne tremblent plus, que ses pieds prennent racine dans le bitume qu’elle avait trop souvent souillé de son sang, et il l’avait lâchée doucement sans demander son reste. En réponse de quoi, elle l’avait frappé, avec toute la force du désespoir qui lui restait.

C’était certain que le coup l’avait à peine effleuré, ce roc qui semblait avoir traversé tant de tempêtes. Certain qu’il n’en garderait aucune trace, que sa joue n’en était pas même meurtrie. Mais la violence de la collision soudaine les avait probablement autant ébranlés l’un que l’autre, parce qu’elle ne manqua pas l’éclair fugace de la surprise au fond de son regard sombre. Ça n’avait pas duré une poignée de secondes, mais elle l’avait bel et bien capté, avant de ressentir cet immense vide au fond de sa cage thoracique. Comme si son corps s’était délesté de toute la violence qui lui restait, et qu’il relâchait définitivement la pression. Mais le mal était fait, et le retour en arrière impossible. Elle avait été la détonation pour éveiller la bête, et quelque chose se fendilla dans les prunelles de celui qui l’avait pourtant secourue. Son bras n’avait même pas eu le temps de retomber le long de son corps, le geste suspendu dans les airs bien trop rapidement happé par la violence d’un autre. Sa conscience vrilla en même temps qu’il lui attrapa le poignet, bloquant son autre bras. Une décharge se déversa dans son corps épuisé par la disparition de l’adrénaline, offert sans résistance à la collision avec bien plus sombre et dangereux qu’elle. Brindille soufflée dans sa propre tempête, venue se briser contre le roc qui n’avait pas ployé. Elle était incapable de mesurer la force qu’il mit dans ce geste, tous ses muscles étaient déjà trop meurtris par les coups récents pour pouvoir encaisser convenablement. La douleur lui perfora la poitrine aussi bien et elle comprit. Elle comprit qu’elle était allée trop loin, qu’elle ne pouvait pas surmonter plus pour ce soir. Elle avait compris que peu importait l’intensité de sa propre violence, elle venait d’en trouver une bien plus redoutable que la sienne.

Ses yeux suivirent la silhouette qui se redressa devant elle, la surplombant facilement autant dans sa taille que dans ce qu’elle imposait. Daire était assez grande pour une femme de son âge, mais elle était clairement ridicule à ses côtés. Puis, son regard se posa dans celui devenu prédateur, et elle chuta. Elle tomba au fond de ses abysses pour découvrir une nouvelle facette de cet homme dont elle ne connaissait rien. À travers cet échange muet, elle absorba toute la noirceur qu’elle pouvait y trouver comme une nécessité vitale, comme si la violence d’un autre pouvait éteindre la sienne. Comme si les démons de cet homme, étaient ceux nécessaires pour étouffer les siens. Personne n’était jamais parvenu à la souffler ainsi. Il y avait ceux qui l’apaisaient quelques temps, et lui, qui apparaissait de nulle part dans son existence comme un bouton d’arrêt au chaos. D’une simple pression, il l’avait recadrée comme plus personne n’avait osé le faire depuis longtemps. Doucement, la rage capitula au fond de son regard bleuâtre et les nuages commencèrent à se disperser. Entre ses mains, elle ressentait autant les vagues de sa propre tempête, que le silence assourdissant tapi dans les tréfonds de l’autre. Il dégageait une aura naturellement imposante, mais emplie de quelque chose de redoutable. De ce qui éveillait la méfiance aussi facilement qu’on allumait ses esclandres. Elle n’avait pas peur, mais elle n’était pas complètement stupide. Ce qui se cachait derrière ce visage neutre n’était pas de bonne augure, ce colosse ne flirtait manifestement pas avec les mêmes problèmes que la gamine qu’elle était. Ils ne venaient pas du même endroit, pas du même chaos, ils n’étaient pas démolis de la même manière par la vie – et plus encore, il avait le poids des années sur les épaules qu’elle n’avait pas encore. Mais au-delà de tout ça, persistait ce regard trop sombre, qui en disait long sur ce qu’il était capable de faire. Sur qui il pouvait être. Elle n’avait pas peur, non, parce qu’elle trouvait dans cet éclat terne un réceptacle assez grand pour encaisser toute sa fureur à elle – là où elle fracassait les autres en les abîmant, lui ne pouvait pas courber l’échine.

« Don't do that again. » Elle cligna des yeux et baissa son regard vers son bras, dévisageant quelques secondes la trace rouge qui lui encerclait le poignet – et qui ne tarderait probablement pas à se teinter d’autres couleurs. Elle ne s’était pas rendue compte qu’il l’avait lâchée, complètement accaparée par ce qu’il dégageait. Elle ne s’était pas effondrée, d’ailleurs. Assez stable pour ne pas s’écrouler une nouvelle fois, et ça lui allait. Elle sa massa machinalement la peau meurtrie avec son autre main et dévisagea l’homme de son insolence naturelle. « Toi non plus. » Elle avait peut-être l’allure plus d’une enfant en train de bouder, que de la grande révolutionnaire qu’elle était – mais elle n’avait plus la force de se battre pour ça. Seulement quelques miettes de défiance encore, alors qu’elle ne le quittait pas de regard, cherchant à lui faire comprendre qu’il ne l’avait pas impressionnée. Alors qu’elle avait été soufflée en un claquement de doigts. Alors que bien pire aurait pu lui arriver. Mais il y avait une carcasse à protéger, pas encore prête pour la laisser aux charognes. Finalement, elle se lassa de cette joute silencieuse et lâcha un profond soupir, d’exaspération, de capitulation, de fatigue. Elle leva quelque peu ses bras devant elle, paumes ouvertes vers l’homme. « Ok c’est bon » Plus d’conflit pour ce soir, c’est bon. J’peux plus. Elle se baissa doucement pour ramasser la cigarette qu’elle avait fait tomber dans sa chute, considérant que ce serait du gâchis de la laisser là à peine entamée. Se faisant, non sans se redresser avec quelques difficultés, elle sortit son paquet de clopes pour le tendre à l’autre. J’ai b’soin d’faire la paix, c’est assez pour l’reste d’la nuit. Toute la situation avait été étrange à partir du moment où il l’avait sortie de son esclandre – ensuite, tous les événements qui s’étaient succédés avaient semblé hors du temps. Daire avait le sentiment qu’il ne lui ferait rien, de mal en tout cas, et elle avait assez confiance en son instinct pour se reposer dessus. Elle attendit qu’il se serve – ou non – et rangea le paquet dans sa poche avant de reconsidérer la clope qu’elle avait ramassé. Un peu de poussière amassée sur le béton, et surtout quelques traces de sang en raison de ses lèvres commotionnées. Elle devait vraiment avoir une sale gueule. Elle souffla dessus pour ôter les quelques saletés et la porta à ses lèvres, en quête de cette délivrance qu’elle avait tant attendu. Une fois allumée et la fumée de la première bouffée relâchée vers le ciel, elle reporta son attention sur l’autre. « Tu t’appelles comment ? » Après lui avoir sauvé la mise autant de fois, elle ne connaissait toujours pas son prénom. Elle avait plus ou moins cerné l’individu, ou en tout cas quels étaient son lieu de travail et ses fréquentations, mais elle n’aimait guère manquer de données. Elle prit le temps de reconsidérer la situation en profitant de la moindre miette de goudron qui pourrait s’implanter dans ses poumons, en silence. Elle était usée, elle ne pouvait pas le nier. Elle ne parviendrait jamais à rentrer à l’appartement, le loft des Kids était beaucoup trop loin et elle s’écroulerait avant dans le caniveau. Il était hors de question d’appeler un taxi, elle n’avait pas les moyens de payer le trajet de toute façon. Il lui paraissait peu probable qu’on l’accepte dans un bar, même le plus miteux, pour le reste de la nuit. Elle n’avait plus aucune allure, seulement la fierté irlandaise qui transperçait par tous les pores de sa peau. Mais sous la lumière des réverbères, on pouvait facilement apercevoir les vieilles ecchymoses emmêlées aux nouvelles qui se dessinaient doucement sur sa peau meurtrie. Le sang séché éparpillé sur le visage, elle devinait qu’on lui avait pété l’arcade sourcilière en plus de ses lèvres fendues. Probablement un œil au beurre noir, également, maintenant que la pression était retombée. En plus d’être trop loin de l’appartement, elle n’avait pas le courage d’affronter l’inquiétude dans le regard de Samih, encore moins ses questions ou ses soupirs blasés. « On va grailler ? » La question tomba de but en blanc, transperçant le silence qui s’était à nouveau installé, sans aucune cohérence. Elle ne pouvait pas aller dans un bar, ni à l’hôpital, et encore moins chez elle. Si elle ne pouvait pas boire, alors elle allait manger. Personne ne lui poserait de questions dans un de ces fastfoods ouverts toute la nuit, ou en tout cas elle l’espérait. Elle n’avait aucun autre endroit où s’échouer, alors autant remettre un peu d’ordre au moins dans son estomac. Elle considéra le videur de l’Inferno, voyant en lui un potentiel allié pour terminer la soirée d’une meilleure façon. Surtout, elle n’avait aucune idée de si elle pourrait atteindre l’endroit sans défaillir sur le chemin. « Enfin t’es pas obligé d’me suivre hein mais… » M’laisse pas s’il-te-plait. J’pourrais encore m’effondrer. « Bref, j’ai faim. Tu viens ? » Quelque chose l’attirait naturellement vers lui, cette même virulence dont il lui avait fait preuve avait les clés de son accalmie.

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MessageSujet: Re: crashing waves (daivak)   crashing waves (daivak) EmptySam 21 Avr - 23:21

Cette fois, elle ne s'effondre pas. Campée sur ses deux pieds, pas vraiment solide mais pas vraiment faible non plus. Cette fois, elle le toise, et elle ne réagit pas. Regarde bêtement son poignet, déjà rouge bientôt bleuté. Elle se masse, revient à lui. La fierté et l'insolence dans ses yeux, qui se heurtent pourtant au froid de la bête déjà calmée. Au fond des entrailles de Novak, la chaleur des braises s'est mise à régresser. Ça se calme et ça s'apaise — la vitesse du monde revient à la normale. La violence est en train de le quitter, et il s'efforce de la tenir éloignée de toute la défiance que la rouquine peut bien manifester. Et il y parvient. Lentement, mais sûrement, sa patience retrouve le chemin. Sa raison reprend l'impulsivité en main, et il sent la tempête de son instinct s'éteindre. Bientôt soufflée par la minuscule lueur qu'il devine au fond des yeux de la gamine. Elle essaie de faire comme si de rien n'était. Essaie de faire comme si elle n'avait pas été impressionnée, ou secouée. Mais quelque chose, dans son attitude, ne peut le cacher : le géant a fait son effet. Quel qu'il soit, et quel qu'en soit le résultat, c'était arrivé. La rouquine y avait été confrontée, et elle semblait encore chercher comment réagir, sans perdre la face ni donner l'impression de ployer. Comment réagir, pour conserver sa fierté tout en esquivant tous les travers que pourrait prendre la situation. « Toi non plus. » Et il ne répond pas. Laissant ses yeux vrillés dans les siens, son corps immobile face à elle. Il a gardé sa distance, n'a pas bougé d'un cil. À la toiser, plus sérieux que jamais. À entendre les grognements de Кербер, à quelques mètres de là, qui tentait toujours d'enlever le foulard qu'on lui avait passé. Il reste là et il la fixe, mais rien ne vient. Plus de violence, plus de défiance. La tornade a quitté ses yeux à lui, et s'évapore peu à peu de son regard à elle. Bientôt, la poussière va retomber. Et malgré les coups d'éclat que la rouquine s'était montrée capable d'exécuter, il doutait que ceux-ci se poursuivent encore bien longtemps après ce qu'il venait d'arriver.

Puis, elle soupire. Lève les bras pour ponctuer son exaspération. Sa capitulation. « Ok c'est bon. » Les muscles encore crispés du serbe se détendent finalement. Il ne la lâche pas des yeux alors qu'elle se baisse pour reprendre sa cigarette. Ignorant pourquoi il reste planté là, alors que tout est terminé. Alors qu'elle est capable de se pencher et de se relever sans s'effondrer, malgré les difficultés. Alors qu'il se doute qu'elle n'aura pas besoin de lui pour marcher. Pas besoin de lui pour continuer. Il ne sait pas pourquoi il reste, mais il ne se le demande pas. Elle lui tend le paquet de cigarettes, et il hésite un instant. Sent le poids de celui qu'il a dans sa poche, se souvient de son maigre contenu. Il pourrait sortir son propre paquet. Ne pas lui voler ce qu'il n'a pas besoin. Mais l'offre de paix le tente, et il l'accepte finalement. Ses doigts qui tirent un bâton de nicotine, le glissent entre ses lèvres. Il sort son briquet de sa poche d'un même mouvement, et la voit du coin de l'oeil reporter son attention à sa cigarette salie par la chute. Il allume la sienne, et elle l'imite. Deux bouffées de nicotine, soufflées en écho. Deux délivrances si semblables, et pourtant si différentes. Les yeux de Novak qui ont retrouvé le chien, derrière lui. Il a presque réussi. Le bandana est pris avec ses oreilles, et ses pattes tentent de le faire glisser jusqu'au sol. Entreprise à demi complétée. « Tu t'appelles comment ? » Lentement, son regard retourne vers la gamine qui se tient toujours à ses côtés. Il la considère un instant, soupesant sa question par la même occasion. Le tournant que prend la conversation est incertain. Il n'est pas sûr de vouloir s'aventurer sur ce terrain, mais il ne se sent pas encore capable de s'en aller. Quitte à l'avoir sauvée, quitte à l'avoir soutenue et à l'avoir confrontée, autant poursuivre à ses côtés. Pour ça, elle aurait besoin d'un nom, à un moment ou à un autre de la soirée. Mais pour le moment, il estimait qu'elle pouvait s'en passer. Ça viendrait.

Il détourne les yeux, laisse le silence répondre à sa place. Pas encore prêt à franchir ce genre de cap — pas alors qu'elle venait de mimer l'agressivité en réponse à sa fierté visiblement démesurée. Il avait besoin de se poser. Besoin de laisser le sang complètement retomber. Besoin de carburant pour l'aider à parler davantage. L'aider à sortir de sa torpeur, et à accepter qu'il ne rentrait pas chez lui après l'avoir aidée. Accepter qu'il restait aux côtés d'une gamine qui avait tout pour l'énerver, mais chez qui il lui semblait se retrouver bien plus qu'il ne l'aurait jamais pensé. Elle lui rappelle une adolescence oubliée. Les coups de sang féroces et dangereux dont tant de ses camarades avaient souffert. Elle lui rappelle quelque chose d'enterré, et elle dégage quelque chose qui le force à rester. Le force à la supporter. Mais pas à parler. « On va grailler ? » À nouveau, il lui jette un coup d'oeil. La toise, avec sa gueule cassée et son air de sortir d'une arène de fight club où les choses auraient particulièrement mal tourné. Et il hésite. Encore. Hésite à la suivre, hésite à s'embarquer dans les suites d'une soirée qu'il ne voudrait pas voir empirer. Mais la part de responsabilités est trop forte pour l'ignorer. Il lui a sauvé la peau, l'a relevée alors qu'elle s'effondrait. Elle pourrait faiblir une nouvelle fois, et on pourrait lui retomber dessus s'il n'était pas là. C'était la suite logique. La voix de la raison, au milieu du chaos et de l'incongruité de la situation. « Enfin t’es pas obligé d’me suivre hein mais… » La phrase reste en suspens. Il fouille ses yeux, en quête d'une lueur qui lui permettrait d'en décrypter la fin. Et il y lit la faiblesse, barbouillée de sang et d'orgueil. La faiblesse qui lui fait peur, et qu'elle ne voudrait pas avoir à subir à nouveau. Mais si je tombe et que je me relève pas, cette fois, ce sera de ta faute. C'est une humiliation, et il le comprend. Plus facilement que beaucoup ne le pourraient. J'peux pas me le permettre, que tout son corps crie. Et tu le sais.

Je sais.


« Bref, j’ai faim. Tu viens ? » Elle insiste. Il expire une autre bouffée de nicotine, tourne la tête vers le chien qui vient de japper. Il a finalement réussi à se débarrasser du foulard, et sa gueule s'est refermée autour du morceau de tissu sali et abîmé par l'effort. Pourtant, il ne le déchire pas. Ne tente pas de le réduire en lambeau, contrairement à tous les autres jouets qu'on laissait à sa portée. Il ne fait que le renifler. Le déplacer. Et quand le claquement de langue de son maître le rappelle, il attrape le bandana entre ses dents pour l'apporter. Fière possession de la soirée. Offrande qu'on lui avait donnée. Bien plus généreuse que cette cigarette que le serbe fumait — mais tout aussi appréciée.

Sans rien ajouter, Novak tourne à nouveau la tête vers la gamine. Enfonce sa main dans sa poche, et se met à marcher. Lui emboîtant le pas sans ciller. Chien sur les talons, foulard baveux et griffé pendant toujours de sa mâchoire puissante. La cigarette qui se consume lentement, et le fond d'air frais de la soirée qui lui tombe finalement le long de l'échine. Impossible de dire s'il regrette. C'est trop tôt pour se prononcer. Mais le magnétisme de la rouquine a au moins eu le mérite de le garder à ses côtés. Aussi loyal que le chien qui les suivait. Plus féroce encore, lorsqu'il s'agissait de ses responsabilités. Elle n'avait pas eu besoin de son nom pour en être témoin. Et Novak le savait : lorsque les cinq lettres tomberaient d'entre ses lèvres, la conversation serait passée. Périmée. Mais l'acquisition du savoir aurait été mérité. Et ça viendrait. Quelque chose le lui disait. Dans l'attitude de la gamine, dans le courant de la soirée. Ça viendrait.

Y avait juste à attendre. Juste à patienter. Les bêtes s'apprivoisent, cessent de grogner. Se toisent et montrent patte blanche, avant de finalement sympathiser. Ça avait pris du temps, jusqu'ici. Et ça en prendrait encore. Mais ça viendrait.

Un jour lointain ou prochain, ça viendrait.
Novak, qu'il dirait. Sans expliquer. Sans répéter.

Pas besoin.
Elle entendrait.

( RP TERMINÉ )

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