Un pas, puis l’autre. C’est pas bien compliqué, tu sais marcher. Un pied d’abord, ensuite l’autre. Pense qu’à ça. Regarde pas tes mains. Regarde pas tes jambes. Juste des pieds. Un pas, un deuxième pas, un troisième pas. Regarde pas tes mains, j’t’ai dit. Si tu le vois sang, tu vas t’arrêter. Avance, putain, avance. T’as que ça à faire. Le reste, ça a pas d’importance. Les regards des gens, tu t’en fous, tu t’en fous encore plus aujourd’hui. Tu sais que tes jambes sont couvertes de rouge, à quoi ça t’sert de les regarder ? Tu dois juste avancer. T’es bientôt là, presque arrivée. Tourne à cette rue, vas-y. Tu vois sa porte. Lâche pas. Tu t’en fous que tes jambes tremblent. Regarde. T’y es. Lève la main, frappe. T’espère qu’elle est là. Si elle est pas là, tu sais pas… non, elle est là. T’as pas le choix. Laila te déçoit jamais. La porte s’ouvre, et t’es putain de soulagée de voir que tu avais raison quand même. « Rez ? What the fuck ? » Oui, tu sais, tu fais peur à voir. T’as des bleus plein les bras, t’as du sang plein les doigts. Et parlons même pas de l’état tes jambes. T’étais en short, évidemment, et t’es pâle, pâle comme la mort.  « J’ai besoin d’un endroit où rester quelques jours. » T’entends à peine ta voix, ta gorge te brûle. Tes doigts se portent aux marques rouges sur ton cou. Il t’a pas loupé ce connard. Nope. Tu dois pas y penser, on a dit. Il est pas là. Laila s’en remet pas. Tu peux la comprendre, tu tirerais sûrement la même gueule si t’étais à sa place. Mais t’as pas la force de parler. T’es complètement avachie contre le chambranle de la porte, tu sais même pas comment tu tiens debout. « Lai… s’il te plaît. » « Putain Rez, tu débarques chez moi, on dirait que tu reviens d’entre les morts. » Mais Laila n’est pas ton amie pour rien. Elle glisses ses bras autour de ton corps, te fait entrer chez elle. T’es putain de reconnaissante. T’aurais pu te laisser mourir, corps dans le caniveau, si elle avait pas été là. Tu sais pas comment tu te retrouves dans la douche, tu sais plus trop ce que t’as fait. Tu t’es arrêtée de penser. Une inspiration après l’autre, et même respirer c’est compliqué. L’eau te dégouline dessus, lavant chaque trace qu’il t’a laissée. Celles qui s’enlèvent. Il y en a qui partiront jamais. T’es pas naïve, putain, t’as jamais été naïve. Pourquoi t’as ouvert les yeux ? T’avais dit que tu regarderais pas. Tu peux pas t’empêcher de le fixer, le sang, le vermeil, qui glisse de ton corps, qui s’étale sur le sol de la douche. Ton monde est tout rouge, tu vois que ça, tu penses qu’à ça. Tu l’entends pas venir le premier, mais tu le sens qui explose dans ta gorge. Tu sanglotes, ça te tord les poumons, ça te brûle le gosier. T’as mal, putain, t’as tellement mal, et tu peux pas t’arrêter. Tes mains glissent sur les parois, alors que tu laisses tomber au sol. T’es accroupie sous la douche, tu sais pas si c’est chaud, si c’est froid. Tu peux que chialer, pleurer chaque putain de larme que t’as jamais laissé couler. Tu geins pour ce connard, et tu te détestes, tu te détestes tellement. Il mérite pas tes larmes, il mérite pas que tu penses à lui. Tu restes prostrée là, t’as l’impression que ça dure des heures, mais c’est peut-être que des minutes. C’est Laila qui coupe l’eau, qui te porte comme une poupée. T’as pas la force de protester, de rappeler que t’es pas une princesse. Finalement, t’es pas épargnée. Toi aussi t’es toute cassée.

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« Poupée, tu viens me sucer ? Ta belle bouche autour de ma grosse queue, t’auras jamais d’autre chance. » Ses potes s’esclaffent, évidemment, ils savent faire que ça, aussi cons, tous cons. T’as pas que ça à foutre, comme si t’allais rester les écouter. Les abrutis comme ça, tu les ignores. Ils valent pas le coup, ils existent même pas pour toi. T’as pas le temps pour leurs conneries, rires de hyènes, aucune haleine. Ils te font même pas pitié, ce serait leur donner trop d’importance. T’as pas de temps pour eux, et tu vas clairement pas t’attarder, leur donner la satisfaction de croire qu’ils disent quelque chose d’intelligent ou même de drôle. Une main te saisit au poignet, te tire vers le groupe. T’avais pas réalisé qu’il s’était glissé derrière toi, cet abruti qui t’a alpagué. Tu sens des frissons te parcourir la peau, un pic glacé qui perfore ton estomac. Tu les haïs, putain, qu’est-ce que tu les haïs. Normalement, tu t’en fous, mais ceux qui insistent, ils te pètent les couilles. T’en a pas et tu t’en fous, tout ce qui t’importe c’est ce connard qui pense que tu vas te mettre à genoux pour lui. T’es pas en détresse, t’es pas à sa merci, ça fait longtemps que tu as appris à dire merde, et il va pas aimer ta manière de s’exprimer. Ton poing vient percuter sa tronche. Il te lâche aussitôt, crie comme une fillette, c’est que de la gueule, comme toujours. Ça parle fort, ça se croit marrant, ça se croit original, mais c’est juste un enfoiré sur queue, comme les autres. « Putain, la salope, elle m’a pétée le nez ! » Le sang coule partout, il est dégueulasse, il était déjà pas glorieux, mais là il est vraiment dégueu. T’as pas de sourire, t’as pas de rire, tu t’en fous, tu veux juste qu’il te foute la paix. Mais c’est un mec à la fierté mal placé, ça croit que ça peut te plier à sa volonté, ça pense que tu vas encore te traîner devant lui. « Espèce de sale pute, je vais te niquer ta race- » Il ferme sa gueule, enfin, il ferme sa gueule parce que tu viens d’enfoncer ton genoux dans son sexe, et qu’il peut rien faire à part pleurer comme un gosse. Ils te soûlent, sincèrement, à vouloir te dompter, à vouloir te maîtriser. T’as appris ta leçon, y a déjà trois ans, t’as appris à plus te laisser faire. T’es peut-être qu’une gamine, mais t’es plus innocente.

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Affalée entre deux rayons, tu sais pas vraiment quelle heure il est, tu sais pas vraiment combien de temps a passé. T’es possédée, fascinée, tu peux pas décrocher. Tu veux pas lâcher ton bouquin, the foxhole court qu’il s’appelle, et tu l’as pratiquement dévoré. T’es censée bosser, mais tu préfères te planquer. C’est pas comme si t’étais seule, t’as la cour avec la toi. Presque. Lare bosse pas aujourd’hui, ce qui veut qu’il traîne pas dans les rayonnages à râler contre le monde. Tu l’aimes bien, Lare, mais faut avouer qu’il adore critiquer. C’est chiant surtout quand il se prend la tête avec Oberon, t’aimes pas les voir s’engueuler. Aideen dit que ça donne de la vie à la librairie, mais vous avez Holly, elle enflamme, elle s’enflamme,  jamais de calme. Pour ce qui est de mettre la vie, vous avez pas de soucis. Mais ça change pas, la librairie est comme ça. C’est votre domaine, votre monde à vous. Vous êtes les petites créatures derrière les livres, derrière l’accueil, toujours un à la caisse. Vous vous glissez aux oreilles des acheteurs, vous les conseillez, vous les guidez parmi le labyrinthe d’encre et de page. Rarement perdus en route. Tu gères l’aile de couleurs et des pinceaux, des crayons et des pages blanches, des albums à colorier aux bouquins d’histoire de l’art. Parfois tu te glisses dans les autres rayons, tu piques des livres, t’en fais ta réserve dans un coin. On te retrouve assise en tailler contre une fenêtre, ou allongée toute cachée. Tu sais que ça dure pas bien longtemps, mais le cycle sans répète sans fin. Tu le fais pas pour embêter, c’est juste comme ça que ça fonctionne, entre confiance et détente, une pointe de sérieux, et des tonnes de rires. « Navi. » T’es pas surprise que ce soit Titania qui t’ait trouvée. Reine de son domaine, mère de tous ses enfants. Elle sait toujours tout, tout sur vous, sur vos esprits, sur vos petits cœurs. Elle a deux règles, votre reine des fées. Pas s’en prendre aux autres, elle peut pas empêcher les engueulades, mais personne se met sur la gueule. Un poing levé, c’est sa colère qui se déclenche. Personne veut mettre Titania en colère. Toujours lui dire la vérité. Tant que la règle tient, elle tient. Pas de trahison, pas de jugement. Tu peux tout lui dire, tu sais qu’elle le gardera pour elle. C’est comme ça avec Titania, elle connaît tous vos secrets et ment pour vous. Elle a un pouvoir, Titania, celui de vous faire cohabiter. Si différents, si éparses, pas la même façon de penser, pas la même façon de parler. Mais sous son règne, tout se passe. « Hmmhm. » Tu réponds pas par des mots, plongée dans ton livre, plongée dans ton monde. T’es trop concentrée, trop hypnotisée. Une main glisse sur ton dos, mais tu frissonnes pas, tu t’éloignes pas. T’as confiance en Titania. « Tu liras plus tard petite fée, j’ai besoin de tes bras. » Tes doigts glissent sur les lettres, finissent ta phrase. Les pages se ferment, le livre glissé parmi tes trésors. Tu reviens plus tard. Et puis, tu sais, l’histoire ne finit jamais.